Deux iours après arrivasmes en l’isle de Ruach, &
vous iure par l’estoille Poussinière, que ie trouvay l’estat
& la vie du peuple estrange plus que ie ne diz. Ilz ne
vivent que de vent. Rien ne beuvent, rien ne mangent,
si non vent. Ilz n’ont maisons que de gyrouettes. En
leurs iardins ne sèment que les troys espèces de Anemone.
La Rue & aultres herbes carminatives ilz en escurent
soingneusement. Le peuple commun pour soy alimenter
use de esventoirs de plumes, de papier, de
toille, scelon leur faculté, & puissance. Les riches vivent
de moulins à vent.

Rabelais, Le Quart Livre, Publie.net

Mardi se croire vendredi, aujourd’hui même jeudi, tout se croise même les jours, demain je me croirai hier. Et si mon train est supprimé alors même que j’y suis, que deviendra mon corps resté coincé à l’intérieur ?

H. me confirme que la combinaison mage du temps et invoqueur est la plus efficace. Bientôt, je pourrais me téléporter à l’autre bout du champ de bataille pour faire sortir de mon chapeau une créature 2D prête à lâcher des pixels morts sur la figure de mes ennemis. En attendant j’arpente.

Un type s’amène, remonte la rangée entre les sièges à rebours du sens de la marche, sort de sa poche un fils, demi-douzaine d’années, aveugle, bouche bouffée, main tendue, et nous raconte combien ce fils aurait besoin de notre bon cœur (le mien est sale). Vers moi ses mots se perdent. L’iPod les recouvre. D’autres fantômes lui lâchent de la ferraille. Il repart sans me voir (et moi sans l’entendre) avec sa marionnette de corps qu’il conduit par les épaules. Je me retourne : que d’autres yeux que les miens témoignent de la justesse de l’image. Ils ne sont plus nulle part. Je me crois lande hantée dans un roman d’épouvante (La Falaise Mystérieuse ?). Vite reprendre l’épuisement du dehors (la fenêtre) via lassés mes yeux noirs. Je pourrais, si j’en avais l’usage, me lancer dans un projet de cartographie de la misère ambiante (d’autres gamins, pluriel, en face du bureau, les soirs, on les voit allongés à même carton sur le boulevard, à attendre la nuit).

J’attends la nuit réelle. Une autre mouche éteinte en train de mourir, sur le dos, pattes en l’air, quelque part à l’ouest de moi. Les chiffres rouges du réveil noir ont désormais quatorze minutes d’avances sur la réalité, laps de temps dont il me semble à présent qu’il commence à devenir, je le crains, irréversible. Pour dormir je l’écrase. À l’instant T je me réveille, une terreur blanche me donne envie de m’arracher la peau par la nuque comme on enlève un T-Shirt. Je n’ai pas rêvé. Je traverse la sueur, le salon. Soupir me sonde avec le nez avant d’octocamo se retourner dans la nuit noire (et disparaître).

Entre les sièges, un de ces gosses, n’importe lequel, vise sa mère et lui dit : ma maman ici c’est qui ?

On me demande de transmettre fissa un compte-rendu écrit (mais pas trop écrit) qui aurait pour titre « La genèse des frottements ». Je me mets au travail. Caché dans un coin de l’écran je lis Rabelais. Je me cache dans un coin de l’écran. L’écran m’avale. Je l’écrirai (mais pas trop) tel quel dans mon rapport, celui que même mes yeux pas une fois ne liront.

Je mange en terrasse, la rue à gauche en descendant le boulevard. Le canard à l’orange, servi barquette en plastique et réchauffé au micro-onde est mal chaud. La soupe est un jus, le jus est tiède. On me parle de musée Grévin, de parc Astérix. Je fatigue. Ce type avec sa voix nous éventre : Jésus Christ vous aime. Il tend la main. Il veut te sauver. Vous avez besoin du Seigneur. Renoncez à ce monde. Je n’ai aucune carte de fidélité pour cet endroit. Je sors de table sans balancer le plateau.

Une fois émergé hors du sol, bouche de métro sans dent, je refuse le flyer que me jette un corps sec. La dernière fois que j’ai tendu la main pour l’accepter (film gratuit, slogan « partez à la découverte de vous-même ! ») j’ai découvert un lien entre le film dit et la Scientologie. Je me fiche bien de savoir si celui-là (de flyer) pourrait, ou non, sauver des vies, et si oui lesquelles. En retard je me colle NIN dans les tempes. Je badge. La chanson dit only. J’ai seize ans. Je me trompe. J’en ai vingt. Je ne prends pas l’ascenseur. Revient vers moi cette connerie de CPE. Je n’irai pas manifester et je m’en tiens à mon cœur sale. Mon avenir je m’en tape. Je badge. Je pourrais faire converger, sans le savoir, le vouloir, ces deux projets étrangers l’un à l’autre : cartographie de la misère ambiante et genèse des frottements. Je range le badge et mute l’iPhone.


mercredi 28 septembre 2011 - mardi 23 avril 2024




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Article publié Article 230324 GV il y a 6 heures
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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)