Accablé par tout ce que ces nouvelles lui représentent
confusément, Turnus demeurait immobile, silencieux, le regard
fixe. Dans ce cœur bouillonnent à la fois une immense honte,
une douleur mêlée de démence, un amour agité de fureur, et la
conscience de son courage.

Virgile, L’énéide, traduction André Bellesort.

Hier est aujourd’hui, aujourd’hui c’est demain. J’explique à E., par téléphone, piétinant sous mes semelles d’autre semelles gorgées d’os et de chair, l’air est vicié, j’explique qu’il l’est, il tourne en boucle sept heures de suite dans l’air des bureaux chaud, j’ouvre les fenêtres plein axe, elles donnent sur Novembre toute l’année, pour respirer autre chose que ma propre petite gorge, mais ça ne suffit pas, et une fois venue l’heure de m’extirper d’ici une autre nuit s’amarre et me jette sec jusqu’au prochain demain. Ça me tape sur le crâne. J’avale des comprimés. Je rêve le crâne ouvert des sangsues capable, elles, de me sucer le front pour aplanir les vagues. Pour m’en débarrasser déplacer sang, les litres, autre part mais où les foutre ? E. me dit qu’elle arpente : ça s’entend. Moi aussi. Elle dehors, dedans moi. À quelques centimètres de nous nos deux ombres moulées, le fil tient bon, nous dérivons lentement, mois après mois, année après année après année encore 1 l’un(e) de l’autre. Dans quelques mois elle s’envolera pour le septentrion, non, pas le septentrion mais l’orient, et moi je resterai vissé aux centimètres, ceux mêmes qu’hier, c’est-à-dire aujourd’hui. Elle me dit j’ai rencontré un arbre au parc de la Tête d’or. Je lui raconte Versailles. Je verrai N. dans une quinzaine de jours. Passe lui l’bonjour.

Et elle : Là-bas, je serai morte. J’aurai une pensée incommunicable de morte, des souvenirs de morte, incompréhensibles et codés. Et, dans mon univers de morte, je donnerai rendez-vous à mon dogue. À mon cher dogue. J’ai bien le droit, non ?

(…)

Ce qu’il avait aperçu ne lui plaisait pas. Je t’aime plus que jamais, ma toute-charmante, mais écoute, je ne peux plus te laisser partir comme cela dans ta planque asiatique, tu es devenue trop folle, et je ne peux pas non plus continuer à te protéger ici, en Europe, parce que tu es devenue trop folle et parce que je ne suis pas tout-puissant. Vu ?

Antoine Volodine, Lisbonne dernière marge, Les éditions de Minuit, P. 17-18.


mercredi 9 novembre 2011 - vendredi 5 avril 2024




↑ 1 Lapsus clavier : pour encore j’écris encre.

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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