Vie grise. Toute la journée durant écumer les cinquante-quatre pages d’un xls et dans la tête le cœur une seule obsession : le raccourcir ce xls, en supprimer des lignes, gruger la verticalié, supprimer d’autres lignes, supprimer supprimer supprimer, quitte à niquer la taille des images, quitte à tordre la police, quitte à quitte à quitte à perdre mon âme 1.

Je feuillette 2 une interview d’Edmund White parue il y a longtemps dans la Paris Review. Je n’ai jamais vraiment lu Edmund White mais je me souviens m’être tenu face à un présentoir en forme de tourniquet dans une librairie de St-Etienne qui récemment s’est métamorphosée, il n’y avait que des poches dans ce tourniquet et j’ai feuilleté des livres, ça n’existait pas à l’époque ce qu’on appelle de nos jours le livre numérique, j’hésitais entre l’un deux, l’un, d’Edmund White, avec un mec torse nu sur sa couverture et l’autre, de Tom Spanbauer, avec un mec torse nu sur sa couverture, j’avais donc dix-sept ans, c’était L’homme qui tomba amoureux de la lune, j’ai hésité longtemps, et puis j’ai pris le moins bizarre des deux, c’était le Edmund White, je ne sais plus le titre, j’en ai lu vingt pages peut-être, pas plus, j’ai dû le jeter ou le donner ce livre, c’était particulièrement mauvais, j’ai regretté mon choix, et le visage du cowboy torse nu de Spanbauer m’a hanté, je crois que c’est H. qui, plus tard, me l’a offert ce livre, je l’ai encore aujourd’hui, en deux langues et je l’aime 3 Depuis, je me tiens à distance d’Edmund White, qui m’apparaît comme un écrivain homosexuel qui écrit des récits d’homosexuels avec des homosexuels et pour des homosexuels, ce qui est peut-être inexact mais voilà à quoi l’on a droit quand on se fie aux couvertures des livres et au pitch imprimé, marketé, en quatrième de couverture. La raison pour laquelle j’ai ouvert cet entretien Art of fiction de la Paris Review qui lui est consacré m’échappe. Je crois quelqu’un l’a twitté hier. Il a été publié dans un numéro paru l’année de ma naissance. À un moment précis il est question de Pynchon, de Gravity’s rainbow dont je peine à quitter l’orbite, il dit même si j’ai admiré Gravity’s rainbow je ne suis jamais parvenu à en venir au bout. Je crois que c’est un grand livre mais un livre ennuyeux. On lui demande au niveau de l’action ? Il répond au niveau du suspense.

Couru 3km92 (26min27) pour m’échapper de ma propre tête dure. Ça ne tape pas (encore), c’est limite. Pendant le premier tour je me dis que je vais le payer, que le crâne va me mordre. Le deuxième tour l’avale. Ça fait du bien. Sonder sa propre circonférence, sa douleur, savoir jusqu’où s’étend son territoire. Savoir. Reprendre le pouvoir sur la sensation pure.


lundi 30 juin 2014 - samedi 23 décembre 2023




↑ 1 J’ai pu économiser deux pages mais j’y ai sacrifié mon crâne

↑ 2 C’est faux : j’arpente avec le doigt sur le tactile de la Kobo

↑ 3 Un ou deux ans plus tard je lirais Dans la ville des chasseurs solitaires et j’aurais trouvé là le livre qu’il me fallait lire pour commencer à lire.

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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