Être ici, pensa le médecin, en dépassant une chaise roulante qui transportait un homme tronc, c’est comme se réveiller tout à coup au milieu de la nuit avec l’impression que le lit a changé de place dans l’obscurité et se trouver dans un pays différent, loin de nos eaux territoriales familières, sous cette lumière blanche verticale de ring qui agit comme un révélateur en nous montrant trop de rides dans les miroirs, se réveiller soudain au milieu de la nuit et plonger dans un cauchemar dérisoire peuplé d’une foule inquiète qui cherche dans l’agitation sans raison sa raison de s’agiter : comme moi, ajouta le psychiatre, qui en même temps fuis et suis en quête de quelque chose, tournant en rond sans but et sans fin, chien sans tête avec deux queues qui se poursuivent et se repoussent, gémissant tristement des plaintes mélancoliques de solitaire.

António Lobo Antunes, Mémoire d’éléphant, Points Seuil, traduction Violante do Canto et Yves Coleman, P. 185

Une minute de silence. Avant la minute, une policière tuée par balle à Montrouge. Pendant la minute, d’autres sons que les nôtres : pluie battue blanche sur le boulevard en bas, échos humains sujets à la déambulation, vibrations du métro sous nos planchers et ramifications jusque dans les plaques métalliques d’étagères alentour, vacillements des néons dans leurs lueurs, capsules frémissantes. Plus tard quelqu’un dira ça je peux le comprendre que tu aies peur d’aller à Châtelet à cause des attentats et, vers dix-sept-heures trente-trois, une armada de cars de policiers tous gyrophares dehors au carrefour déferlants.