Version brute

Tu n’avais jamais voyagé en Sapsan de ta vie jusque-là et les lacets intestinaux des rails rouillés te retournent le ventre à la petite cuillère. Sache simplement que les douze heures passées sous la tôle t’ont rendu blême, fou. Que la première chose sur quoi s’est posé le globe de ton regard est un dépôt de bouffe à la limite de Gratchevka et que le 17 octobre, à 2h05, tu te tiens debout dans l’herbe rase et sucrée de l’hôpital de Morievo.
Tu es dans l’état suivant : tes jambes sont engourdies, raides, et il te semble bien qu’il existe une maladie capable de te raidir les muscles, ce doit être quelque part dans tes cours ou qui sait serait-ce un rêve ? C’est quoi son nom, son nom latin, à cette putain de maladie ? À un moment donné chacun des muscles concernés te fait hurler comme une rage de dents. Même chose pour les orteils : des moignons ou, tu ne sais pas toi, de la sciure, des chips, du bois. Tu maudis la médecine et ton nom. Tu as peur certainement. Mais tu préfères maudire.
Pendant ce temps, ça tombe d’en haut comme à travers un tamis. Ta doudoune a gonflé comme une éponge. Les doigts de ta main droite ont les ongles enfoncés dans la poignée de cette valise en forme de frigo qu’on t’a offerte à la fin de ta soirée de va te faire voir, car vous l’appelez comme ça entre 7ème année.
Tu craches dans l’herbe et tu te dis entre toi : tu craches dans l’herbe pour finir… Doigts farcis de craie blanche : incapables de rien saisir. Tu relis dans tes verres tes machins de médecine et l’un hurle : Paralisis. Le nom d’une maladie. Tu dis, quelle s... saloperie l... les routes que vous avez ici, tu dis ça à l’attention du taxi et tes lèvres violacées à l’écorce cagneuse continuent, i... il faut s’y faire. Tu fixes le taxi comme on fixe un moignon. Il dit ouais, il s’en fout, il a un peu de moustache blonde congelée à la bouche et ça lui fait la face et l’haleine agaçantes. Tu tressailles. Mastiques un regard blanc ou mélancolique sur le bâtiment d’un étage (lui aussi blanc et crémeux) de l’hôpital, lépreux debout sur les murs en ciment du pavillon du feldscher. Puis, ensuite, sur ta résidence à venir : jadis une maison douce, propre, d’un étage également, rectangulaire et perforée de ses fenêtres énigmatiques.
Le plus profond et le plus cru de tes soupirs te pousse hors de la gorge (et non l’inverse). Ça te lance. Des mots latins éclosent, une phrase assez douce et soyeuse est là et elle se love à la place et à l’endroit de ton esprit. C’est une chanson maigre maquillée de boum boum boum et de voix métalliques et de réverbérations. Ton cerveau se baigne dans des caillots de grésil, alors il chante et il dit ses adieux. À la musique. Au confort. Au réseau, aux ondes courtes. Au plus con des voisins de chambrée. Au cinéma, à la Lucha Libre. À l’électro en tube et à la seringue de shoot. Aux centres commerciaux et aux salles d’arcade fire. Adieu pornographie rémanente. Adieu Saintpète et pour longtemps.
La prochaine fois, tu enfileras des fringues thermochauffantes. Tu soulèves ta valise, ta main est contractée, brutale, sur la poignée télescopique. Oui mais la prochaine fois, la prochaine fois c’est pas des fringues thermo qu’il te faudra, c’est du feu et des viscères car ce sera l’octobre. Imagine.
Pas question de retourner à Gratchevka avant un mois. Car bon : il a fallu vous arrêter durant la nuit liquide, un tombeau, la nuit, dormir quelque part, Grabilovka ou quelque chose, quelqu’un vous a hébergés tous les 2, c’était un prof, peut-être que c’était la carcasse du taxi en réalité, la carcasse et l’haleine du taxi. Le matin ensuite à nouveau sur les routes, fils de pute, plus lentement qu’à pied, de l’eau, de la glace à la gorge à faire comme si vous êtes la putain d’horde du contrevent puis la bagnole tape le par terre, ça te balance sur la vitre et ça te balance sur le pare-brise à l’arrière, puis le nez, puis l’arcade et puis la nuque aussi. Et le froid ça t’a glacé pire que les os : la sueur, et en plein septembre, voilà, on peut geler au milieu de nulle part comme on gèle en enfer car, oui, la preuve : on peut. Pendant que tu meures ainsi de mort lente, tu ne vois plus qu’une seule chose du plus profond de ton regard séché, une seule. La dune fouettée des champs, la blanche, les oscillations de la crache et du vent, car oui cette chose elle porte plusieurs noms. Cette chose, des silhouettes entières, des masures de grises mines et des morceaux de cornes s’y blottissent. Mais pas âme. Pas de corps. Pas de folie. Le silence. Juste ça le silence...
La valise crève, elle se rend. Le taxi te la jette à la gorge, tu t’étales. Quelqu’un est obèse, on ne sait pas très bien qui c’est. À la place de tes jambes il y a de l’huile, du vinaigre et du sang. Ça tire... Sont bonnes à rien ces jambes, prêtes à être upgradées. Le taxi ne s’excuse pas, il parle du Seigneur à la place. Puis c’est toi qui t’excuses, mais à la place de t’écouter il hurle. Il dit, oh y a quelqu’un ? Oh j’amène le docteur ! Il y a des visages dans des fenêtres noires, plus loin, dans le pavillon du feldscher. Visages et des mains qui se collent aux carreaux. Une porte claque. Quelqu’un boite. Quelqu’un qui s’avance avec sur son visage le visage d’une personne qu’il aurait aimé être, ou qu’il ne sera probablement jamais, ce n’est pas clair et le jour est grumeleux, la lumière stagne et bout au lieu de s’écouler et à présent il est dans l’herbe, il marche, porte de minuscules petites bottes et un manteau mangé et il dira, bonjour docteur ou quelque chose comme ça, à la place de la bouche il y aura peut-être ou peut-être pas de l’ironie et des guillemets, de part et d’autre du mot docteur, comme bien souvent quand on te le dit à voix haute et de face et que toi, là, tu ne sais pas y croire.
Tu veux savoir qui est-ce. Il a un nom d’âne et d’homme vif, il s’appelle Ergorytch, c’est le gardien ici. Il dit qu’on t’attendait. Il dit qu’on t’attendait terriblement, avec cet air qu’ils ont des fois dans les yeux, ça se met à rosir et à se densifier comme de l’œuf à haute température dans le fond de ton bol.
Il attrape ta valise, cet homme. Il la jette sur son épaule. Il l’emporte. Tu le suis, tu boitilles. Tu as la main dans tes poches, tu cherches un portefeuille. Le taxi va bientôt disparaître et il sera temps alors de tourner la tête derrière ton épaule, une épaule plus ou moins sèche, le taxi a déjà disparu, il y a des $$ dans ta main qui mijote. Une phrase est sur ta langue, elle dit, au fond l’homme n’a besoin que de très peu de choses. Il faut surtout de l’oxygène et puis de la chaleur ou bien du feu, du fuel ou du pétrole... Paraît qu’ils en ont encore, ici, du pétrole.
Alors tu te souviens qu’encore à Saint-Pétersbourg tu t’étais juré d’être grave. Ton visage est trop jeune, ton visage t’empoisonne et devoir toujours se présenter, docteur machin et tout le monde te répète, ah bon, mais vous faites vachement jeune ou si jeune, tellement jeune ou d’autres mots encore, ça n’a pas beaucoup d’importance, et il fallait répondre que non, tu n’étais pas jeune, pas étudiant non plus, plus étudiant. Il te faut des lunettes. Avec des lunettes ça changerait quelque chose oui mais pas au niveau de tes yeux, non tes yeux vont parfaitement bien, la clarté, la clarté comme disait quelqu’un, qui peu importe, non ça ne changerait rien en toi, mais dans leur regard oui ! Aux chiottes la condescendance, aux chiottes leur mépris, aux chiottes toute leur ironie ruminante avec des lunettes ! Le respect, imposer le respect. Ne pas avoir 23 ans. Marcher avec les jambes, doucement, pas avec les bras. Avoir une démarche. Faire des efforts et garder le dos à plat et bien droit. Tu n’es ni bien droit ni le dos plat ni rien de tout ça non.
Voilà comment tu es : assis, plié en 2, assis en boxer et chaussettes, les cheveux et la nuque emmêlés, une serviette de toilette sur tes rognures d’épaules, T-shirt au corps collé, les mains jetées dans le feu furieux comme un adorateur de la pyromanie… Tu tournes l’œil. C’est une cuisine. Le feu furieux, c’est la flamme bleue du gaz Total. On a posé tes chaussures à l’envers, semelle renversée, sur un évier en zinc. Tout contre elles un poulet congelé décongèle. Imprimé à la surface de l’emballage plastique la poule est en vie, elle a le cou en sang et sa plume est colorée. Dans son œil blanc ouvert il y a l’image, renversée, du photographe pendant la séance de shooting. Ça s’appelle le passé visuel, il paraît.
Juste avant de te trouver pétrifié dans ta propre sueur on t’a demandé ton avis sur la nourriture, on t’a montré le poulet surgelé, on t’a donné des noms, posés sur des visages cubistes et on a pris quelque chose sur ton dos, on t’a donné un bol ou un mug rempli de liquide chaud, tu as mélangé et malaxé ces noms dans ta tête pour muscler ta mémoire et puis pour avoir l’air respectable. Ces noms sont en dents de scie.
Aksinia : la femme d’Ergorytch.
Damian : le feldscher.
La sage-femme : Pélaguéïa et Anna : l’autre sage femme.
On t’a fait visiter l’hôpital et tu es convaincu pauvre fou que les instruments que l’on t’a présentés sont conformes et solides. À quoi servaient-ils ces outils ? Vierge. Tu es vierge de toute manipulation métallique et glaciale relative aux outils. Ils brillaient ces outils. Ils étaient froids et doux et plus ou moins liquides posés dans tes doigts plus ou moins engourdis. Tu as reniflé des morves et tu as dit quelque chose comme on est super bien équipé par ici, super. Damian avait dit quelque chose comme oui. C’était dû au zèle, il avait dit, Damian, celui de Leopold Gloum avant lui. Gloum, c’était le prédécesseur. À la place de la parole tu t’es replié sous un torrent de sueur froide, ça venait des bras, des aisselles, des épaules et de la nuque. Tu as jeté tes yeux dans les reflets javellisés sertis dans les armoires frêles et vitrées. À la place du verre blanc on y avait tissé une prunelle. Après, tu as parcouru, là, l’ombre de ton ombre chevillée au corps, les salles, les couloirs aliénés et les bocaux déserts de l’hôpital. On pouvait bien y caser quarante corps. D’après Damian on pouvait monter jusqu’à cinquante, voire soixante en tassant bien les squelettes, les troupeaux de peaux jaunes et les sacs à carne gonflés par la rétention d’eau.
Anna quelque chose te demande, mais tu as quel âge ? Elle hésite à poser d’autres mots, d’autres sons, au chevet du quel âge et, si ces mots avaient été dits, probablement qu’ils auraient pris, tant bien que mal, la forme d’un mon garçon, mon petit ou mon pote, tout sauf docteur, tu vas l’en faire cracher du docteur... Ils ont dit d’autres choses, ça n’a pas d’importance ce qu’ils ont dit en réalité. Tu répondras à Anna des grumeaux de paroles et en définitive ces éclats de ta rauque se briseront sur les mailles de tes dents, elles diront, oui j’ai l’air jeune et puis tourner la tête, craquer, tancer, moudre tes articulations, tes doigts et tes poignets, tes viscères et les poches de ton sang. Puis direction la pharmacie grise.
La pharmacie grise est jaunâtre, elle gît là sous la terre, il faut descendre des marches de craie pour l’atteindre. Tu ouvres un œil et tes yeux jouent au jeu de la scrute... Que manque-t-il ? Du lait d’oiseau. De la mangue et des contraceptifs pour les hippopotames. À la place de ta gorge il y a de la pénombre et des pains d’hibiscus. Ça sent bon les hautes herbes, la javel, le plastique, la moiteur et la méthamphétamine. Ils ont même une étagère pleine de médocs importés du Japon. Kanjis et kanas et des fresques murales à l’encre noire et blanche : c’est de l’art d’emballage et les boîtes sont en carton. Tu ignores tout de la forme, des molécules de ces drogues. La voix de Pélaguéïa marmonne. Elle dit, c’est Gloum qui les a commandés. Gloum était encore ici. C’est faux bien sûr mais le fantôme de Gloum était encore ici. Il sentait la sueur mâle et le whisky-coca. Il est là, il est là quelque part et en ce moment-même il circule. Morievo l’a bouffé comme le sticker en forme de rose suinte sur la vitre de la cuisine son poison pour toxiquer les mouches. Morievo lui-même, tu le sais, est un sticker pour toxiquer les mouches. Leopold Gloum est d’accord avec ça.

Tu te familiarises avec les circonstances. À l’heure qu’il est le poulet congelé circule, entre tes coudes intestinaux, en chemin vers d’autres extrémités, d’autres étoiles. Celui qui s’appelle Ergorytch a préparé ton lit. À l’heure qu’il est le poulet congelé mastique et prie ses dernières prières, enseveli qu’il est tout contre. Leopold Gloum (fantôme mais cérébral) te montre sa bibliothèque. Assis et séché à présent tu contemples, ensorcelé, la succession de livres en tranches. Ils pèsent sur les rayons comme ils pèsent sur tes yeux et rien qu’en manuels de chirurgie tu as bien cinquante titres. De la théorie. De la thérapie. De la sagesse. Des atlas de dermatologie. Odeur d’essence à la pompe bue. De la poussière de cas cliniques. Un traité de médecine légale. Le soir s’immole. Tu commences à t’habituer.
Quelques mots tourbillonnent : tu es diplômé et tes notes sont au top, tu as fait tous les stages, de ces gestes tu en as fait cent fois et personne n’a besoin ne renifler par dessus ton épaule pour que tu t’en sortes scalpel à la main, tu sais comment te démerder lorsque la sueur te coule dans les yeux, tes yeux en verre résistent à toutes les cornées malades et à toutes les pupilles d’éléphants, tu sais prendre des décisions sur le fil du rasoir et les marées de ta salive sont régulières à la pointe de ta langue. Là-bas ils disaient que tu t’en sortirais seul... Qu’en est-il si on t’amène une hernie ? Comment pourras-tu t’en sortir avec elle ? Quant au patient, comment va-t-il, lui, en sortir de tes mains ? Il se sortira de tes mains par l’échine : comme la sueur frigorigène qui descend, dans toute sa verticalité, les boucles de tes os, vertèbre triste après triste vertèbre... Ça s’appelle un frisson. C’est l’échine. Et quoi d’autre ? Une péritonite ? Hein ? L’ebola de Valence et l’ebola de Conakry ? Une fracture ouverte ou une trachéotomie ? Un accouchement ? Par les voies anormales ? Tu ferais quoi, hein ? Qui es-tu pour prétendre plonger tes deux mains, le coude calme et pointu, dans l’abstraction des spaghettis humaines ? Tu te dis, j’aurais dû refuser. Ils auraient bien trouvé quelqu’un, n’importe qui, à ta place. Leopold Gloum par exemple. Le spectre du fantôme du précédent.
Tu es là, tu arpentes. Tu es matraqué par la nuit et l’angoisse. Chaque fois que tu frôles l’aura jaune de l’ampoule, tu aperçois comme un visage livide : c’est ton visage livide et bancal encadré par les lueurs du filament. À la place de tes yeux il y a deux trous noirs où la lumière, captive, capitule. Tu te dis que tu ressembles à un faux Dimitri. Tu passes deux heures à triturer tes nerfs. Tu les poêles et tu les fais revenir dans de la margarine. La solitude et l’angoisse vont bientôt s’apaiser et tu pourras alors échafauder quelques plans (le mot échafauder circule). Tu réfléchis.
À cette époque il paraît qu’il y a très peu de consultations. Les routes et les chemins sont impraticables. On oublie donc les rhumes, la grippe ou la gastroentérite : quand la route est impraticable, on ne se traîne pas jusque chez le médecin, on endure. Mais une hernie, par contre... Cette voix est celle de Gloum, son spectre tout du moins. Il a une barbe ou bien de la suie sur son visage, ça n’est pas facile à dire. Il fait de l’humour et il a de l’esprit. C’est du sang dans la paume de ses mains ? Pourquoi pas, oui. Le sien peut-être ou ceux des autres. Pas besoin de ses gants, sa peau toute entière est couverte de latex.
Tout va bien. Tu n’auras qu’à garder ton eye truc ouvert en permanence avec tes notes, le détail de tes cours théoriques. Ne t’en fais pas : on peut toujours cogiter pendant qu’on se lave les mains et les poignets. Tu n’auras qu’à prescrire les machins habituels, tiens, du paracétamol par exemple... Quelqu’un dit, pourquoi pas du bicarbonate ? C’est Gloum. À l’heure qu’il est il erre toujours ici, prêt à mordre, prêt à cracher sa salive et sa voix sur ta joue. Ensuite d’autres noms de médocs et de molécules plus ou moins rêches à dire à l’oral : par exemple ipéca, ou sulfoester de nidineglycol. Ça a le goût d’autre chose, il paraît, mais c’est quoi ? De la poudre ? Une seringue ? Un comprimé à mordre ? Sauf qu’on ne soigne pas la hernie avec de l’ipéca, dit le fantôme de l’emmerdeur. Tu dis, oui, puis non, puis j’essayerai de la réduire, puis je prendrai un bain, non, une douche. Gloum dit encore quelque chose, sa voix est embrumée et ça lague, la réception est mauvaise, ça sent bon le décalage entre l’image et le son... La face parasitée, pixélisée à mort, il dit, un bain pour quoi faire ? Et l’hernie étranglée, tu as pensé à ça ? As-tu pensé à ça ? Hernie étranglée : ouvrir, opérer, anesthésier (pas dans cet ordre), suturer, mettre les mains et les coudes dans de l’ambre et du sang, suer et déglutir souvent. Mais la fatigue te coupe et tes autres yeux au contour de tes yeux ça te brûle. Va dormir, elle te dit ta fatigue. Va dormir et tais-toi.
Dehors, derrière la vitre et derrière ta pupille il n’y a rien : champs gelés, arbres noirs, zéro hernie nulle part.

Quelqu’un fait irruption. Tu ne sais pas qui il est, d’où il sort, si la vieille Fiat qui est passée devant la fenêtre en grinçant est la sienne, si sa tête est humaine, si le sel de ses cernes signifie quelque chose, si ses yeux sont les deux yeux d’un fou, si sa barbe et ses sourcils sont dérivés du barbelé, si ses dents sont moisies, si sa parka est ouverte, fermée, et si dessous il est enroulé sous des bandelettes humaines ou nu comme un fauve en cavale.
Il se signe la tête et le plexus, les épaules et le torse qu’il tient caché sous la toile synthétique. Doudoune et pas parka. Pas grave. Il se tape le crâne contre le sol, ça ou l’inverse. Tu te dis t’es foutu. À lui tu marmonnes des qu’est-ce que vous foutez mais qu’est-ce que vous foutez ? Tu le tires, par la manche tu le tires, mais la doudoune fait de l’huile et elle glisse. Sa peau contracte, dessèche, diffracte son visage. Son visage a la gueule d’un visage mitraillé. Il essaye et il essaye de parler, il grésille, bafouille, collectionne des mots sans suite. Il dit, monsieur le docteur, ah, sieur le docteur, mon unique, mon unique, mon unique, nom de Dieu, ah, oh, pourquoi, pourquoi moi, pourquoi elle, pourquoi ça nous arrive, pourquoi on a mérité ça, putain, pourquoi, hein, c’est pourquoi que ça nous tombe... C’est la voix d’un mec d’une quelconque quarantaine d’années et il se tord les bras et il se pète la tête au sol et il racle son visage sur les cailles grises du carrelage, il y a du sang qui colle, sang de synthèse et noir, très noir, grumeleux, la texture suave et épaisse, carbonique. Tu dis, mais qu’est-ce qui s’est passé ? Ton visage, ton précieux vrai visage, est cryogénisé. Il y a de la salive dans ta bouche, des litres, et il y a au milieu de cette crache comme une langue rêche, si rêche, que l’eau s’évapore.
Le type se remet sur ses pieds, se jette sur toi, a des mots plein la bouche. Il dit, monsieur le docteur, ce que vous voudrez, je vous donnerai de l’argent, vous aurez de l’argent, tout ce que vous voudrez, je vous filerai du cash, des fraises, du caviar, de la coke, faites qu’elle meure pas, d’accord, qu’elle reste informe, je m’en fous, je m’en fous. J’ai assez pour le fric, moi, j’ai assez.
Tu te dis cet homme n’a pas la santé mentale propre. Peut-être est-il étanche.

Peut-être, aussi, que l’homme est un camé. L’infirmière est avec lui, elle le fait boire sans doute.
Elle est belle. La gamine elle est belle. Tu te dis, il a des traits réguliers cet homme. La mère était belle ça se voit. Il doit être veuf. Tu demandes, il est veuf ? Pélaguéïa et sa bouche te répondent oui. Damian Loukitch, des gestes bruts dans les gestes et les bras, déchire la robe de la gamine de haut en bas. Son corps s’échappera du tissu. Tu regardes. Ce que tu vois dépasse toutes tes craintes et tes pires cruautés, oui. De la jambe gauche, à proprement parler, il ne reste plus rien : à partir du genou mis en miettes c’est comme un minestrone bouillant d’os blancs pressés, de fibres muscles rouges et de graisse noire. La jambe droite a été brisée au niveau tibia péroné, les deux extrémités des os ont percé la peau, ressortent à l’extérieur. Le pied là à gésir, tourné sur le côté, comme indépendant de ce corps auquel des langues de sang jaune continuent de le rattacher. Le feldscher est de dos. Il dit, oui. Tu t’ébroues de ta peur et tu cherches son pouls. Rien. Il n’y a rien au fond de son bras congelé. Il n’y a rien à la surface de ses poignets. Il n’y a rien ou il y a quelque chose. C’est une pulsation au rythme à peine perceptible. Onde sinusoïdale aux crêtes écarquillées. Elle passe, l’onde, elle traverse la salle comme une main tendue et personne n’a de monnaie dans aucune de ses poches. La gamine... Les ailes bleues de son nez et le sel sur ses lèvres blanchies. Tu as envie de dire, c’est fini. Tu te retiens. Un instant, c’est un instant ce qui te tiens au contact du monde. À nouveau l’onde traverse. Voilà comment s’éteint une personne lacérée, en lambeaux, un zèbre d’elle-même, une sorte de texture organique et puis, brusquement, ce qui te sert de voix s’exprime et elle remonte par ta gorge qui la crache au loin. Elle dit des choses comme propofol ou kétamine. Anna, elle se penche sur ton oreille, elle dit, la torturez pas docteur, ça ne sert à rien d’en charcuter ce qu’il en reste, c’est fini elle est presque partie. Tu as mis du kérosène là où ton regard cogne et tu le lui as planté là où ça fait le plus mal. Tu rétorques, tu lui dis, propofol, je t’ai demandé du propofol et de la kétamine, je te l’ai demandé pas vrai, pas vrai ? Le sang rouge prend sur le visage d’Anna, il prend, il court, une étincelle le long d’une mèche de dynamite, l’eau noire en mouvement lorsque l’encre se mélange à l’eau et elle tire sur le piston de la seringue. Le feldscher n’approuve pas plus le propofol ou la kétamine. Il attrape pourtant la seringue et il la plante avec son poing dans sa carne. Tu te dis meurs, meurs vite. Meurs sinon que vas-tu faire d’elle ? L’instant de l’éclipse est là, il est dans tes yeux fous, il remue.
Le feldscher a de la bave aux lèvres et cette bave est une chanson douce qui a le goût des paroles malheureuses. Elle va bientôt mourir elle va bientôt mourir elle va bientôt mouri (il a lu tes pensées). Il a vu le drap... Il est blanc. On va le massacrer de sang. Alors on dira bientôt d’elle qu’elle gît là, comme un cadavre, mais qu’elle est bien vivante. À la place de ta moelle, à la place de la pâte qui te pousse à la tête, un ciel se déchire, c’est soudain, tout devient clair comme sous le plafond de verre de votre beau simulateur d’anatomie 3D. Une voix rauque, la tienne, a le temps de demander plus de CC et plus d’NFS et plus de kétamine. À nouveau le feldscher a le poing sur l’aiguille. Est-il possible que son corps ne crève pas ? Est-il possible que tu sois obligé... ? Voilà ce qui remue là où le sang te berce. Voilà ce qui attise le sel de tes pensées. Voilà ce qui te prend par la main pour te dire, près de toi, trop près de toi bien sûr, cette phrase rugueuse que l’on dit terrifiante, qu’il faut vomir, les dents plantées, les yeux pliés, la gorge rouge, le poing serré, et que tu es le seul à entendre. Tout est clair en toi-même. Tout est limpide et doux. Soudain, sans avoir besoin de relire aucun de tes cours, de vérifier aucun manuel
et de demander l’avis de quiconque, voilà, tu prends conscience. Tu prends conscience (une certitude inébranlable) qu’il te faudra pour la pire première fois de ta vie pratiquer un acte d’amputation sur un être à l’agonie. Un être qui peut-être s’en ira s’échouer sur la lame de ton scalpel, sur les rives de chacun de tes doigts contractés, sur la cime de tes dents tétaniques et que cet être va mourir... sous ton scalpel. Mourir sous ton scalpel.
À l’heure actuelle elle n’a plus aucun litre et aucun gramme de sang, voilà. Sur une dizaine de kilomètres tout a coulé sous ses deux jambes broyées et personne ne sait même si elle sent encore quelque chose à présent, si elle voit quelque chose, si elle entend quelque chose.
Elle ne dit rien avec sa bouche. Pourquoi ne meurt-elle pas ? Que te dira son père, fou ?
Une voix qui n’est ni la tienne, ni celle de qui que ce soit, ordonne quelque chose. Elle ordonne une deuxième fois. Elle s’adresse au feldscher. Préparez l’amputation, fait-elle. L’infirmière te jette un regard sauvage. Les yeux du feldscher sont pleins de compassion. Il se plonge dans ses instruments. Le groupe électrogène sent l’essence sous ses mains. À partir de quel moment doit-on considérer une tentative désespérée comme un échec ? Voilà, c’est la question qui te tourne la tête.

Une demi-heure a passé. Sous une paupière froide une iris fixe, éteinte, fouille dans chacune de tes pupilles pour touiller la terreur. Tu ne comprends rien... Comment un demi-cadavre
peut-il vivre ? Des gouttes de sueur coulent sous ton masque blanc. Pélagueïa éponge avec de la gaze. Ce n’est plus du sang qui tourne dans les veines de la gamine, c’est du Coca, du Pepsi ou de la caféine. Fallait-il lui en injecter, oui ou non ? Ana effleure la peau, lisse les boursouflures laissées partout sur ses cuisses par le sérum physiologique. Elle vit. Elle est zèbre mais elle vit. Patience. Patience.
Tu saisis le scalpel. Tu imites un croquis ou une ombre, quelque chose, quelque chose ou quelqu’un. Tu ne sais pas qui c’est celui ou celle que tu imites. À l’université tu n’avais vu qu’une seule amputation : elle était électrique et elle était moelleuse. Ils avaient dans leurs yeux des pixels alignés et dociles, eux les étudiants massés autour des écrans blancs qu’on leur avait prêtés. Toi et Wim étiez là. Où est Wim aujourd’hui ?
Alors on se réveille ? Tu as de la sueur plein les deux yeux moussus. Tu supplies quelque chose ou quelqu’un pour qu’elle ne meure pas dans les prochaines demi-heures. Qu’elle meure plutôt
dans la chambre après la fin de l’opération, merde. D’un geste circulaire et plus ou moins adroit, comme un boucher de chèvre, tu fends la cuisse d’un coup de scalpel doux. Ça file comme un rasoir, comme un sabre de khan, sur sa peau lisse c’est du beurre demi-sel, zéro goutte de sang ! Bientôt, les vaisseaux vont commencer à saigner. Logique. Tes yeux ont à la place des pupilles deux coutelas vivants qui lorgnent sur cet étonnant monceau de pinces, des pinces hémostatiques. Tu t’abreuves à ta gorge et tu bois ta salive. Tu coupes dans un énorme morceau de femme. Tu tranches dans un des vaisseaux blancs, un tuyau encrassé. Pas une goutte de sang. Tu le comprimes avec des pinces hémostatiques. Tu progresses dans les litres de chair, mitrailles à coup de pinces hémostatiques partout où tu devines, espères ou pressens la présence des vaisseaux. Comme une chanson douce qui sévit sur toi, ça fait arteria, arteria, comment on l’appelle cette saloperie d’arteria ? La salle d’opération a l’odeur et le goût d’une salle de clinique. Y pendent par grappes les pinces hémostatiques et l’unibrush chirurgicale. À présent, penser à la machine... C’est une scie sternale mais ça devrait faire l’affaire.
Le feldscher, ici de dos, a monté par dessus une lame de scie orthopédique. Du matériel d’importation. Ils vendent ça directement dans une mallette, il est écrit que c’est autoclavable. La lame de la scie est à dents courtes, elles brillent, c’est inhabituel. Bientôt, tu commenceras la longue et laborieuse tâche du va et vient dans l’os blanc dont la rondeur se découvre. Mais pourquoi elle ne meurt pas ? C’est étonnant. Fou comme l’être humain peut être coriace... L’os se détache. Le feldscher garde dans ses mains ce qui était encore jadis une jambe de fille. Des lambeaux de chair, des os, 4 ou 5 litres noirs et spongieux : il faut vite tout repousser dans un coin. Sur la table, sur le dos, ce que tu vois c’est une jeune fille, à la place de son ombre c’est un essaim de sel et de suie, on dirait qu’elle est raccourcie, qu’elle ne pèse plus que peu de chose, qu’un tiers de corps lui manque, et son moignon ici poussé sur le côté. Tu te répètes encore des ne meurs pas, avec ou sans la négation, avec ferveur parfois. Tu te dis, mais sans parler la moindre langue, attends un peu jusqu’à la chambre, laisse-moi me tirer sans dommage du pire moment de ma vie. Devant toi mais comme en ton absence, devant tes yeux blanchards et ton corps morcelé, quelqu’un, tu ne sais pas qui, c’est flou, quelqu’un fait des nœuds à la mode d’ailleurs, des ligatures, puis, via la pince de Collin, tu commences à recoudre, tu commences à recoudre la peau en espaçant, en espaçant les points, les points de suture et quelque chose comme des spasmes te caressent le torse. Ça te prend dans la gorge. Ça peut même te couper la respiration. Ça va passer, patience.
Tu recouds en espaçant les points. Heurté par quelque chose qui ne porte pas de nom, tu suspends les sutures. Ta voix mâche, à l’intérieur de ta parole, le mot merde. Tu le dis à voix basse, tu le dis à voix haute. Tu as oublié un épanchement. Tu y places une espèce de tampon de gaze. La sueur te crache dans les yeux et tes yeux nagent dans un bain de vapeur. Tu poses un œil de dix tonnes sur le moignon sans aile, sur le visage de cire.
Tu demandes à voix haute si elle vit. Anna et le feldscher et leurs ombres emmêlées dans la bouche disent qu’elle vit. Il y a des traces de respiration dans l’air. Fines. Violacées.
Le feldscher dit, elle va vivre encore, mais pas plus de quelques minutes. Il est dans le pli de l’anthélix quasiment et sa langue plus ou moins au contact d’hélix, son duvet, à te cracher des embruns de salive dans la conque et il s’approche encore, ses lèvres palpitent sans y mettre les sons. Il dit, pour l’autre jambe, peut-être qu’il vaudrait mieux ne pas y toucher... On pourrait l’envelopper, comme par exemple dans de la gaze... Sinon elle ne tiendra pas jusqu’à la chambre... Hein ? Car ce serait mieux qu’elle ne meure pas ici, au bloc.
C’est non. Tu lui demandes le plâtre et ta voix est aiguë, elle prend sa source sous d’autres cordes que les tiennes.
Le sol : il est tout entier maculé de taches blanches...
Tous : vous êtes tous en sueur.
Le cadavre : toujours là, immobile.
La jambe droite est à la place de sa jambe droite, plâtrée. Sur le tibia bée une faille, une fenêtre, posée là, dans un élan d’inspiration, sous tes doigts, à l’endroit de la fracture. Une voix timide, la voix étranglée du feldscher, une voix qui sent le four et la soif intérieure, se répand contre ton visage et se frotte. Elle vit, dit le feldscher avec cette voix, prêt à mordre. À plusieurs paumes vous la soulevez. Sous le drap se dessine un creux blanc gigantesque et un tiers de son corps restera seul, derrière elle, dans la faïence du bloc opératoire.
Le couloir oscille, ce sont les ombres. Un ou deux infirmiers traversent les murs, ils avancent en 2D, comme tagués par dessus la peinture et l’enduit blanc des murs. Soudain s’avance la
silhouette d’un homme, il est hirsute. Alors que le cœur te revient dans la gorge et dans le sang des doigts, des poignets, tu entends un cri rauque. On éloigne cet homme. Tout se se défait, tout s’étrangle, tout s’apaise. À la place de ton cœur mécanique ils ont mis, contre ta volonté, une cage à oiseaux. On ne sait pas ce qu’elle enferme et on ne sait pas ce qu’elle retient mais, oui, tout s’apaise.

Tu es encore au bloc, en train de te laver et de te récurer les deux bras qui sont, jusqu’aux coudes, couverts de sang caillé. Anna est là dans ton dos qui te regarde. Elle dit, ça se se voit que vous avez... que tu as... amputé pas mal de fois déjà... C’était très... très bien... Aussi bien que Leopold Gloum... Avec sa bouche, elle arrive à faire sonner le mot Leopold comme Mark Green. Comme c’est beau !
Tu jettes un oeil par-dessous tes sourcils : leurs visages... Dans les yeux de chacun, de la considération, de l’étonnement. Même dans ceux de Damian, même dans ceux de Pélaguéïa. Juste ça : considération et étonnement.
Plein la bouche de la crache, il faut naviguer, il faut placer la langue, il faut faire saliver la salive dans ta gorge. Tu ne sais pas quoi répondre à ça, considération, étonnement, tu ne sais pas quoi en faire, non. Tu dis, euh, je n’en ai pas pratiquées beaucoup des, euh, des amputations. Tu ne sais pas vraiment, au juste, pourquoi ta bouche mâche un mensonge.
Dans l’hôpital de Morievo, il n’y a plus que du silence et la sécrétion du silence. Pas de bruit. Pas de pensée qui tienne. Pas d’amour ni de haine. Pas de sueur en suspens. Pas de plaisir et pas de frustration. Pas le moindre pouls au cœur. Tout s’est tu. Complètement.
Tu dis, quand elle sera morte, eh bien, bon, envoyez-moi chercher, d’accord ? Sans faute, sans attendre, n’importe quand, d’accord ? Et le feldscher, on ne sait pas trop comment ni pourquoi, te donne du à vos ordres monsieur.
Plus tard, sous la lampe verte de ta chambre et dans l’épais silence qui serpente dans ton logement de fonction, tu attends que quelque chose fasse irruption en toi-même. La maison est muette. Le silence est muet. La nuit qui pèse sur le rebord de la fenêtre est d’encre diluée. Un visage blême se détache du double vitrage schizoïde. Non, tu ne ressembles pas à un faux Dimitri. Tu as un peu vieilli, pas partout, non, mais au niveau de la racine du nez par exemple, oui, une ride qui n’y était pas encore hier, pas même il y a deux heures. Et dans un moment à peine quelque corps engoncé dans son malêtre va venir frapper à la porte pour te dire elle est morte. Évidemment, tu iras la regarder une dernière fois, oui, pas la voir, non, mais la regarder, car dans une seconde à peine ou dans une heure quelqu’un, quelque chose, une forme engoncée, viendra à la porte frapper ses phalanges maladives, la porte va bêler, il faudra aller l’ouvrir, la faire pivoter sur ses gonds, dire, oui, quoi encore, qu’est-ce qu’il y a, et puis jouer le connard, l’offusqué, l’adulte occupé quelque part, ce sera douloureux car ce ne sera rien qu’un acte, une posture, une peur camouflée.

Oui, quelqu’un est venu frapper à la porte : nous sommes deux mois plus tard.
Dehors, végète l’un des premiers jours de l’hiver. L’homme, l’homme cousu à la main qui a fait tonner la porte, tu l’observes. Il est là, il entre avec son ombre, ses bottes. Oui, c’est vrai, les traits de son visage sont réguliers... À peu près quarante-cinq ans. Des allumettes plantées sur le bulbe de ses yeux. Et un son, le frôlement textile de quelque chose.
Il y a deux béquilles grises dans l’entrée. Une gamine à la beauté moelleuse. Elle entre.
Elle entre en sautant sur sa jambe, elle n’en a qu’une, elle porte des vêtements amples dont la composition est la suivante : 80% polyamide et 20% acrylique.
Elle te regarde, il y a du marqueur rose sur la pomme de ses joues. Elle baragouine, elle a la langue enrouée. Elle parle de Moscou, à la place de sa bouche il y a de la peinture.
Tu récupères quelque chose, une adresse, via le réseau local. Tu dis, là-bas ils pourront fabriquer une prothèse sur mesure, et puis on pourra l’imprimer ici en 3D. Faut dire merci maintenant, dit le père. Pendue à l’ancre de ses deux béquilles elle te tend un truc blanc et rouge au bout. C’est un scoubidou blanc avec un truc rouge au bout. Elle le cachait, sous son oreiller, lors des visites.
Oui, oui, tu te rappelles : il y avait des fils, des fils en plastique blanc et rouge, près de sa table de chevet. Ça la forme, le goût, le nom d’une poubelle de l’espace, un alien de série TV.
Pendant combien d’années ce scoubidou restera-t-il accroché, ferré et harnaché à tes clés, même bien après ton départ de Morievo ? Combien de temps, le sais-tu ? Combien de temps avant que la pâte en plastique se déforme puis se perde, avant de se faner, comme se fanent les souvenirs ?


samedi 22 août 2015 - jeudi 25 avril 2024

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Ce texte est librement inspiré de la nouvelle « La serviette brodée d’un coq » de Mikhaïl Boulgakov. Elle a été composée dans le cadre du projet /// dont elle constitue l’une des incarnations. Il a été mis en ligne chaque jour religieusement le long de son écriture en vers justifiés de 44 caractères. Ici compilé, il est ainsi proposé en trois versions distinctes : une version éditée (en P.1), qui correspond au texte mis en ligne sur /// repris et corrigé (quelques adaptations, des passages ou des phrases supprimés, aucun ajout) ; une version brute (en P.2), qui correspond au texte mis en ligne sur /// adapté pour la lecture dense (modification de signes typographiques type & > et ou chiffres écrits en lettres par exemple) sans autre altération des vers, mais disposé en prose ; une version télégraphique (en P.3) qui reprend les courts résumés détaillant chaque épisode lors de leur mise en ligne. Cette nouvelle à trois têtes, lisible aussi bien en plein web qu’en version encapsulée (epub) (P.4), est offerte gracieusement à l’occasion du Ray’s Day 2015.



↑ 1 Image issue de BIU Santé, Paris.

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)