Ce qu’elle disait elle le dira debout. La pomme de terre, pour elle, c’était un prétexte au fromage. Les radis, c’est un prétexte au beurre. L’œuf, un prétexte à la mayonnaise. Pour elle la carotte, c’est un prétexte au sucre. Et la betterave, prétexte à la moutarde. Le pain, c’est un prétexte à la confiture et le chocolat un prétexte au pain. Il fallait faire la distinction entre tout un tas de chocolats différents, par exemple il y avait les chocolats qu’on classait dans la catégorie des ceux qui ont le goût de fromage et d’autres dans les ceux qui ont le goût de champignons (et si aucun de ces chocolats n’a le goût de fromage ou de champignon, c’est que ça n’était pas, dira-t-elle, vraiment du chocolat). Les chips c’est un prétexte au sel. La sauce tomate, un prétexte au piment d’espelette. Les blettes, c’est un prétexte au bleu mais le bleu c’est un prétexte aux pommes. Les pommes un prétexte à la cannelle. Mais la tarte aux pommes, pour elle, c’était un prétexte à la confiture d’abricot. L’avocat, pour elle, c’est un prétexte au tadziki. Et la pomme de terre, c’est un prétexte à l’ail (et c’est aussi un prétexte au beurre). Les ognons, c’est un prétexte à la caramélisation et la courge un prétexte aux vibrations du mixeur. La béchamel c’était un prétexte à la noix de muscade. Les fraises à la chantilly. La courgette, c’est un prétexte au curry et le curry un prétexte au sésame. Le couscous un prétexte au ras el hanout. Le foie gras, c’est un prétexte au pain d’épices et le thé un prétexte au miel. Le pain d’épices était aussi un prétexte à la configure de framboise (ça ou l’inverse). Le yaourt nature est un prétexte au sucre. L’eau froide : un prétexte au sirop. Elle disait aussi que le riz c’était un prétexte à la sauce soja mais que les nouilles de riz étaient un prétexte aux poivrons rouges. Les poivrons, pour elle, c’est un prétexte à l’huile d’olive, tout comme les tomates et les aubergines étaient un prétexte à l’huile d’olive, mais pire. Le choux-fleur, pour elle, c’est un prétexte à la sauce béchamel et la sauce béchamel un prétexte à la noix de muscade (et si elle l’avait déjà dit, c’est que c’était doublement vrai du coup). La soupe, elle dira avec un aplomb délicieux, est un prétexte aux croutons et les croutons un prétexte à l’ail. Les pâtes en général étaient un prétexte au parmesan (tout comme l’origan qui était aussi un prétexte au parmesan, tout comme tout un tas de choses qui étaient bien souvent un prétexte au parmesan, par exemple la soupe, qui n’était donc pas qu’un prétexte aux croutons à l’ail). Les œufs brouillés et le parmesan sont un prétexte à l’origan. Rien n’était un prétexte à l’estragon car elle disait mais l’estragon c’est dégueulasse, mais la rhubarbe, par contre, c’est un bon prétexte au mélange beurre-œufs-sucre qui jaunit dans les tartes mises au four. Les tourtes sont toutes un prétexte à la pâte feuilletée et les huitres un prétexte au pain, au beurre et au citron acide, le tout bien mélangé dans des môlaires salées. Les poires étaient un prétexte au chocolat fondu et les gâteaux au chocolat sont eux-mêmes un gigantesque prétexte au chocolat à peine fondu encore gisant dans la casserole. Les frites sont un prétexte au ketchup, sauf pour toutes les fois ou c’était un prétexte à la mayonnaise. Jamais à la moutarde. Des viandes avaient été à une époque un bon prétexte à la moutarde mais, curieusement, pas autant que la betterave. Les endives sont un prétexte aux noix et les noix un prétexte à rien d’autre qu’elles-mêmes. Le jus d’orange était quant à lui un prétexte à la pulpe. Les crêpes étaient un bon prétexte au beurre salé et la banane un prétexte au Nutella. Parfois le Nutella était un prétexte à s’en sucer la langue mais le plus souvent les muffins au chocolat étaient réellement un prétexte au Nutella quand le Nutella était congelé dans un bac à glaçon pour simuler le cœur fondant des choses avant sa mise au four. La fondue savoyarde, d’après elle, était surtout un prétexte au vin blanc et la charcuterie était un prétexte aux cornichons. À l’inverse, le melon était un prétexte à la charcuterie, voire un prétexte au Porto et les fraises un prétexte au vin rouge (mais dans une assiette creuse). Les chips sont un prétexte au paprika et la bière un prétexte aux cacahuètes. Quelque fois, l’orange était un prétexte au rhum et le rhum un prétexte à la noix de coco. La noix de coco, évidemment, est toujours un prétexte au chocolat fondu (jamais au chocolat industriel en tube mais au vrai chocolat fondu qu’on fond dans une casserole : le chocolat fondu est donc prétexte à la casserole). La caramel n’était jamais un prétexte à rien d’autre qu’au beurre salé et le beurre salé un prétexte au pain frais. Le crabe, chez elle, c’est un prétexte à la mayonnaise, comme les olives étaient un prétexte aux quenelles que cuisinait sa mère. C’était la première fois qu’elle en venait à parler de sa mère. C’était un prétexte à la parole. Comme cette fois où elle était revenue souriante du dehors et qu’elle dira, heureuse, avoir cueilli un choux chinois radioactif. C’est une blague entre nous, ces quatre mots : ils nous mettent de la voix dans le cœur. Elle le cuisine elle-même devant nous et on l’aide. On est bien. Le choux chinois radioactif, c’est un prétexte à ça.


dimanche 1er mai 2016 - samedi 20 avril 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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