Dans une file d’attente pour la première d’un film. Il fait nuit, les vigiles c’est des femmes. Elles te fouillent. Elles te disent ça c’est un objet suspect (ça vire à la confiscation). C’est un portefeuille. J’explique que c’est un portefeuille. Elle ne veut rien savoir. Ça vire à la confiscation. Je refuse de me séparer de mon portefeuille, c’est important. Il y a des plaquettes blanches de kéto là-dedans (en réalité je ne mentionne pas de nom de médicament). Elle ne veut rien savoir. Ça vire à la confiscation. Je refuse d’entrer en séance. De voir le film. De quitter la file, l’attente. De vivre ça de plein pied avec elle. Elle fait une annonce au micro pour rendre ça public. Je hurle des insanités plus ou moins motivées et conscientes pour que le monde il sache. Soudain : cessez de consommer ! C’est un slogan. Les gens répètent ça en boucle dans le centre commercial et sortent des magasins, donc, en hurlant à leur tour : cessez de consommer ! Cette phrase lue chez Fabienne Swiatly : qu’il faut taire. J’ai l’impression de ne rien faire du tout, de ne rien faire d’utile mais c’est faux. Je fais des trucs dont je ne sais rien de leur potentiel à être utile ou pas. Et il faut bien les faire. Le gingembre en bocal comme ça, c’est dégueulasse. H. mange ça comme ça. C’est dégueulasse. On dirait des jetons de liquide vaisselle. Et ça ne sert à rien, ça n’endigue pas le crâne. Après onze jours de calme plat ça revient. Une douleur et diffuse. C’était écrit sur l’écran du buddy. J’ai déjà dit combien c’est anxiogène. C. me dit que ça n’a pas l’air d’aller là où je suis, au Barbouquin, le soir, le café poésie. C’est de ça dont il s’agit. C’est bizarre. Plein d’énergies contradictoires. Ces gens qui se lèvent spontanément et qui parlent, non, qui partagent la parole, ils ont tous des histoires qui les ont conduits là. Parfois je suis pas ce qu’ils disent, je veux dire : je m’y retrouve pas poétiquement. Mais tous ils auront cette présence, et je m’en irai avant la fin retrouver H. qui lui rentre d’ailleurs. De l’est. Ils disent au micro dans des couloirs sous terre Pour votre sécurité nos agent sont désormais habilités à vérifier vos bagages et effets personnels. J’ai un doute sur habilités. J’ai un doute sur vérifier. Ça ne pouvait pas être fouiller quand même. Je manque manquer mon quai car ce que je lis d’Arnaud me sauve. Et, il y a plus de trente ans, Bergounioux écrivait un futur encore chaud aujourd’hui :

Il pleut. Je me gare dans le parking d’un supermarché, de l’autre côté du pont. Ces dédales hypogées ressemblent à l’idée que je me fais de l’enfer, béton cru, plafond bas, relents d’essence brûlée, inconnus qui passent et disparaissent, inhumaine indifférence et le fort sentiment d’inexistence personnelle qui en est le contrecoup.

Bergounioux Pierre, Carnet de notes, 1980-1990, Verdier