La fin du voyage approche déjà. Je ne sais pas trop si je dois déplorer le fait que nous quitterons demain Kyoto [...1...] ou si je dois, au contraire, me réjouir de retrouver Tokyo. Dans le doute, j’alterne. Mais le fait est que, depuis déjà quelques jours, [...2...] J’y pense aussi dans le train pour Nara. C’est là que nous allons. À environ trois quarts d’heure de Kyoto via le rapide de 11 h 33, quai 8. Je ne sais pas trop pourquoi ces détails, précisément, remontent à la surface du journal. C’est comme ça. Depuis la gare de Nara, il faut compter encore une petite demi-heure de marche pour rejoindre un genre de grand parc terreux dans lequel des daims vont et viennent en liberté et circulent ainsi parmi les piétons. Des touristes, pour la plupart, il faut bien le dire, avec régulièrement des vendeurs ambulants (tous les 200 ou 300 mètres) qui te vendent des biscuits à leur donner (150 yen), alors les bêtes te suivent, te cherchent du regard, te draguent, attirent ton attention pour obtenir ce qu’elles désirent. [...3...] Mais les daims sont aussi [illisible] qu’ils sont entreprenants : ils te cherchent, ils te suivent, ils se frottent à ton jean avec leurs souches de bois qu’on a sciés, parfois même (comme ici) ils y mordent. Ils ne sont pas farouches. Ils auront l’habitude de vivre parmi l’ombre des hommes et leurs corps attachés. C’est encore une histoire d’attache. Par moment, plusieurs de ces bêtes poussent de tout petits cris très aigus, un genre de couinement sec dont on ignore souvent la provenance exacte et l’objet. Certaines sont juste allongées sur le sol, elles se reposent d’avoir voulu nous plaire. Ici aussi, il y a des temples et des pagodes. Le plus grand Bouddha du Japon, paraît-il, est ici. Plus loin, ce sera une exposition de statues bouddhistes. Ici, tous les touristes occidentaux ont comme disparu d’un seul coup et [...4...]. Plein de références culturelles nous manquent. Ça ne fait rien. Quelques pièces sont touchantes : de minuscules effigies. D’autres, plus guerrières, comme Kannon et ses onze tête, ou ses mille bras, agressives. [...5...] Cette visite assèche toute mon énergie et je m’endormirai dans le train du retour après qu’un groupe de lycéennes japonaises, nous ayant conviés à répondre à un questionnaire pour leur classe, nous a en retour offert de petites grues en origami. Le train, le bus, tout ça prend du temps. Et la nuit tombait de plus en plus tôt. Il faut aussi de plus en plus froid le soir. Le soir, au risque de se perdre, c’est sans pocket wifi que nous sortons (oubli) en quête d’un restaurant où manger. La plus grosse partie de mon budget, semble-t-il (je n’ai pas de budget), hormis le prix du vol et des hébergements, est partie dans la nourriture. Ce midi, du porc pané aux oignons, à Nara. [Illisible] Le soir, là où nous sommes, au nord de la ville, c’est toujours un peu compliqué de trouver des trucs ouverts. [...6...] Est-ce parce que, dans le quartier, il y a surtout besoin de restaurants le midi, quand les gens travaillent ? Ou bien, au contraire, est-ce dû au fait qu’il s’agit d’une zone essentiellement résidentielle [...7...] ? On ne sait pas. On hésitait à retenter, mais ailleurs, des takoyaki. Et puis nous rentrerons, un peu résignés, dans ce restaurant à la façade un peu quelconque et qui a l’air de proposer de tout (sushis, sashimis, viandes, soupes, mais pas les anguilles unagi que nous avons pu voir, sur les menus, chères, à Nara). Ici, ce sera juste des yakitori, des brochettes de viande qu’on t’amène au fur et à mesure de leur cuisson, les unes après les autres. À bien y réfléchir, nos meilleures expériences culinaires l’ont été dans de petits restaurants qui ne payaient pas de mine et qui ne semblaient pas en mesure d’accueillir plus d’une poignée de clients à la fois ([...8...]). C’est le cas ici. C’est un peu spécial, car les brochettes sont servies seules, sans gohan (bol de riz). Mais jamais de ma vie je n’ai mangé de la viande cuisinée comme ça. C’est très simple pourtant. Il y a cinq brochettes. L’une poulet au wasabi et aux épices. Beaucoup trop de wasabi pour mon goût habituel mais c’est juste parfait cette histoire de wasabi, ici, et maintenant. Une autre, je crois que ce sont des gésiers aux poivres. Là, du canard qui te fond dans la bouche. Là, des foies de volaille tendres et délicieux (or je déteste ça, moi, les foies de volailles). Il en manque une, je crois. Je ne sais plus. Et dire qu’après dix jours sur place, on ne sait toujours pas dire c’était très bon. On le dit en anglais. Elle comprend. Elle a un appareil dentaire. On remet nos chaussures. Je peux écrire tout ça. Je veux dire, ça s’est passé. Et c’est passé par nous. Sur le chemin du retour, dans la nuit, sans GPS donc, et dans une ruelle étroite, à vélo, un groupe d’étudiantes : happy Halloween ! Car, semble-t-il, c’est le cas.
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♙Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010) |