Fallait-il s’étonner si son cœur agité s’arrêtait de battre ou s’emballait lorsqu’il contemplait son cadeau et se mettait à tout récapituler et repenser, adossé à ce banc rustique, les bras croisés, la tête penchée vers l’épaule, face au murmure du torrent et aux ancolies bleues en fleur ?
Thomas Mann, La Montagne magique, Fayard, traduction Claire de Oliveira
C’est fini. Une dernière traversée du quartier, [illisible] sur le GPS, vers la gare d’ Ikebukuro, un dernier aller simple par la Yamanote puis, à partir de Toyko Station, nous entrerons dans le long tunnel du retour qui ne prendra fin qu’au sortir d’un escalator, la nuit, à Daumesnil. Une espèce de corridor de plus de vingt heures composé de tapis roulants, d’escaliers, de rangées entre deux sièges, de terminaux, de larges allées, de halls, de centres commerciaux. Un tube, quoi. On est ce tube. Là où je suis, impossible de voir défiler en-dessous de nous ce qui doit être, je pense, la Sibérie. Tant pis. À la place, l’esprit bombardé d’images fractales et diffractées, j’essaye, comme H., de passer mentalement à l’heure française et de dormir un peu. Là-bas il sera cinq heures, six heures, sept heures du matin. Ça marche moins pour moi que pour lui. Alors, à la place, j’écris ces lignes. Mon stylo peinera à trouver assez de bleu pour l’encre. C’était un stylo bleu. Il est mort à présent. Mais moi, j’en suis rempli. Par exemple d’images. À Toyko, il y a autant de corbeaux que le prétend Soundtrack, le livre de Hideo Furukawa. Les rues sont extrêmement propres. Personne n’a éternué pendant deux semaines. Au restaurant, il arrive parfois qu’on ne t’apporte pas d’eau dans une carafe ou dans un pot : dans ce cas, ce sont les serveurs et serveuses qui viennent te remplir ton verre, chaque fois qu’il se vide, et autant de fois qu’il le faut. Dans cette eau, il y a souvent beaucoup de glaçons. Des plantes en pot dans la rue, sur le trottoir et donc, on suppose, moins dans les appartements. Le prix de l’immobilier est cher mais moins cher qu’à Paris. Les chiens sont aussi bien taillés que les bosquets et les arbres dans les parcs et jardins. Peu d’hommes portant la barbe mais beaucoup de soin pour les pattes ou les favoris. Il y a des salons de coiffure qui sont ouverts plus tard que certains restaurants. Certains restaurants, du genre de ceux qui utilisent une machine de sélection pour le menu à l’entrée, ne proposent qu’un ou deux plats différents dans la machine, qui comprend donc beaucoup de touches vacantes. Il y a peu de shiba dans les rues (c’est le contraire à Kyoto) mais on voit beaucoup, en proportion, de caniches et, dans une moindre mesure, de boxers. Où sont les quartiers où l’on se sentirait moins en sécurité quand on marche dans les rues, la nuit ? Certaines personnes, quasiment que des hommes d’un certain âge, sont employées à garder les entrées de parking et à aider les voitures à entrer, à sortir, ou les piétons à passer devant. Les inscriptions en français dans les vitrines ou les noms de produits français ne veulent pas toujours dire quelque chose. La télévision japonaise est encore plus incompréhensible que la télévision française. Le papier toilette est plus fin qu’en Europe ou aux États-unis. Même chose avec les mouchoirs en papier. L’eau minérale est plus douce qu’en France, ou plus sucrée. Notons qu’ici, l’Evian n’a pas le même goût que la nôtre : de fait, on dirait de la Vittel. Dans le métro, on parle peu, et jamais au téléphone. Il y a des écrans où des pubs tournent en boucle et chaque rangée regarde (pas forcément ces pubs) dans la même direction. Il n’y a pas de poubelles dans les rues. Les boites aux lettres sont rouges et moins nombreuses qu’en France. À en croire K., les galettes de blé noir sont à la mode en ce moment. Ici, ils font un Fanta Grapes, au raisin donc. It did not taste good... De ce que l’on a pu expérimenter, les jus de fruit ont moins le goût de fruit que de bonbons aux fruits. [...1...] Les trains JR, notamment sur la Yamanote, sont très longs. L’alcool est plus léger (bières notamment). Et la lumière plus douce. Il n’y a pas de terrains de sport en plain air, ou peu (quelques terrains de baseball, on en a vus), ils sont plutôt indoors. Pas de Tour cycliste au Japon, c’est plutôt un pays de cyclisme sur piste (Keirin, etc.). [...2...] Deux mois à l’avance, il y a des affiches pour le prochain film Dragon Ball (Broly) un peu partout. Dans à peu près tous les quartiers : des salles de pachinko assourdissantes. Public varié (hommes, femmes, jeunes, vieux). Peu de bars (ou alors en sous-sol ?) mais beaucoup de cafés occidentaux, parfois orthographiés avec deux f. [...3...] Peu de cinéma et de théâtre (ou alors on ne les a pas vus). Les odeurs de nourriture dans les rues sont le plus souvent appétissantes. Le nombre de climatiseurs (un par foyer grosso modo) sur les façades des maisons et des immeubles. La façon dont les fils électriques sont interconnectés au sommet des poteaux télégraphiques, mais je l’ai déjà dit. [...4...] Un commerçant vidant un seau d’eaux usées proprement, juste au-dessus d’une petite grille prévue à cet effet. Au centre des bouches d’égout, quelques petits idéogrammes de différentes couleurs (qui veulent dire quoi ?). Nombreuses sont les stations de train et de métro à avoir leur propre petit jingle sonore. K. n’en peut plus d’entendre les piou-piou des passages piétons. Moi, je m’en servirais bien de sonnerie pour mes messages et notifications (je le ferai pas). Lorsque tu achètes un téléphone portable au Japon en étant étranger, on te colle un petit papier dans ton passeport pour te permettre de passer la douane. [...5...] Les magasins proposent souvent leur propre ambiance sonore, parfois répétée ad nauseam. Le wasabi est meilleur sur la viande que sur le poisson. Difficile de manger un poisson entier avec des baguettes (mais néanmoins possible). Plutôt que dire I understand that, opter pour I know what you mean. [...6...] En attendant le train ou le métro, faire la queue devant l’endroit où s’ouvriront les portes. Aux escalators, se mettre sur le côté gauche pour laisser les gens pressés passer à droite. Dans le Kansaï, c’est parfois inversé. Tous les noms de gares, de stations ou d’arrêts sont écrits à la fois en kanji et en rōmaji. L’eau chaude est très javellisée (ou très chlorée, je sais pas). [...7...] Lorsque le Shinkansen s’arrête en gare, il ne marque l’arrêt qu’une minute. Les numéros de voitures sont inscrits sur le quai. Le train s’arrête au centimètre près. Elles s’ouvrent doucement.
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♙Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010) |