Non seulement il faut surveiller sa nature sauvage (par exemple, moi, quand je laisse libre cours à cette espèce de vide endémique qui ne demande qu’à jaillir, j’atteins des seuils d’insupportabilité assez nocif pour moi-même et mon entourage, je pense) mais il faut se méfier de sa langue, des automatismes du langage. Par exemple là je serais assez pour implanter des puces délivrant de petites décharges électriques (rien ne léthal, rassurons-nous) à quiconque utiliserait la phrase on est dans une société qui... ou bien on vit dans un monde où.... On doit pouvoir être en capacité de se défaire de ça, tournures de phrase entières qui s’imposent à toi sans que tu les formules, non, sans que tu sois conscient lorsque tu les formules ; s’en méfier donc. J’ai arrêté les publications automatiques dlvrit sur Twitter pour tout passer sur IFTT, qui est plus souple et permet notamment d’inclure systématiquement une image (logo) avec un article, et intégrer un extrait de chaque page automatiquement partagée. Pourquoi j’en suis réduit à automatiser mes partages sur les réseaux ? Parce que c’est une forme de violence. Non : parce que je m’imagine que c’est une forme de violence. Non : parce que je le ressens ainsi. Et qu’il y a trop de bruit autour de moi, partout. Au moins, celui-ci, on peut facilement le muter, ce qui ne sera jamais le cas des interminables séances de klaxon parisien qui s’instaurent chaque mardi et vendredi matins, jour de marché, car toute la rue T. est bouchée là où elle se jette dans le rond point de la place un peu plus haut. D’ailleurs quelqu’un m’écrira également aujourd’hui avoir pris ses distances avec tout ça, être en phase de retrait. C’est sans doute qu’il y a quelque chose derrière, et on n’est jamais seul. C’est comme cette sortie que j’ai aperçue tout à l’heure, malgré moi donc, puisque je suis malgré tout amené, ne serait-ce que professionnellement, ces réseaux, à les fréquenter, bref, c’était un thread sur les conditions difficiles de la fantasy française, qui explique qu’en gros si les livres de fantasy française ne se vendent pas, ce n’est pas de la faute des auteurs comme on peut le lire dans un autre article mais de la faute des éditeurs qui ne les rémunèrent pas assez. Et, indépendamment de la réalité de ce constat (les éditeurs ne rémunèrent pas assez les auteurs, quand ils les rémunèrent tout court, c’est une réalité, et le simple fait qu’on en vienne à revendiquer au moins 10% de droits d’auteur sur le prix d’un livre 1, quand on les touche effectivement, ce qui en soit est dérisoire, en dit long sur notre incapacité collective à trouver de nouveaux modèles, à sortir de cette situation délétère) nous voilà tombés dans le piège de la responsabilité : chercher un responsable, ce n’est s’attaquer en rien aux racines du problème, c’est perdre l’occasion de révolutionner ou redéfinir le système et, en définitive, perdre son temps tout court à courir derrière, quoi, des boucs-émissaires ? Parce que personne, dans l’édition, ne veut porter la responsabilité du désastre : le libraire s’en prendra à l’éditeur qui publie trop, l’éditeur à l’auteur qui n’a pas assez mobilisé ses réseaux, l’auteur aux deux autres pour ne l’avoir pas assez défendu ou porté et, pendant qu’on cherche à faire porter, justement, le chapeau à quelques uns ce qui est constaté en permanence par tout le monde, rien ne change, rien ne bouge, on continue de publier des livres en se disant qu’un heureux accident peut toujours arriver, et, en ce qui concerne les auteurs, à ne pas en vivre. Et en répondant sur ce mode-là, la ligue professionnelle des auteurs, puisque c’est d’elle dont il s’agit, non seulement se trompe, mais fait l’erreur de tomber dans le piège corporatiste de base qu’on tend dans tous les secteurs et en tous temps électoraux, précisément car on vit dans un monde qui fait de l’opposition des uns contre les autres un véritable mode de vie, et qui se repait de ça. Or donc à qui profite le crime ? ; comprendre : qui fait son beurre de cette situation dans l’édition ? Finalement, ce qu’il y a de plus juste, de plus sain sur la question, est peut-être à chercher non dans une présence exacerbée où que ce soit, c’est-à-dire dans une mise en produit de nous-mêmes, mais dans une forme d’absence, d’abandon, de rupture, de refus. Il me semble l’avoir lu ainsi, du moins, ce soir chez Jérôme Orsoni. Et peut-être qu’il convient en réalité de ne plus publier de livres, du moins pour un temps, et de s’en tenir à nos espaces web où au moins on est libre d’être qui on veut, et quand on veut dans le temps.


lundi 24 juin 2019 - mardi 23 avril 2024




↑ 1 Notons quand même que chez publie.net, on propose des contrats au-dessus de ses seuils, et nous payons les droits d’auteur chaque année, même si clairement ça ne résout pas grand chose ce n’est tout de même pas rien.

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Article publié Article 230324 GV il y a 7 heures
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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)