Chère Madame, Cher Monsieur,

Par la fenêtre de la salle de bain, j’entends les mouettes. C’est inhabituel. Si je n’avais pas été dans la salle de bain à ce moment-là, je ne les aurais probablement pas entendues. J’imagine donc que je dois vous remercier d’avoir conçu un lave-linge au tuyau d’évacuation fragile, qui s’est mis à fuir à deux endroits différents moins d’un an après l’achat, et qui m’a donc conduit à faire une lessive à la main dans ce lavabo à ce moment de la journée. Mais non. Je ne vais pas le faire. Et pour ne rien vous cacher, je suis fatigué de tout ça. Hier, à la Poste pour envoyer une autre réclamation encore en courrier recommandé, j’ai payé 3€ de plus pour avoir un niveau d’assurance dit R3. Pourquoi ? Mais parce que j’en suis venu à faire de la spéculation sur la perte de mon courrier. Et si je gagne, c’est-à-dire si lui se perd, laissez-moi vous dire que c’est le jackpot. Le jackpot, c’est 450 balles de dédommagement. Je ne devrais pas dire balles. Du moins, l’écrire. Mais je le fais. Car je suis las. Je me dis qu’avec mon niveau de (dé)veine actuel, je suis particulièrement à risque quant à la disparition de mon courrier, alors tant qu’à faire autant se faire du fric dessus. J’ai commandé sur un site dévolu à la lithothérapie un bracelet élastique pour remplacer celui qui a pété il y a des mois sur mon porte bonheur d’Asakusa. Je me dis qu’en rafistolant ce truc, la chance pourrait revenir. J’ai eu une année 2018 particulièrement belle. 2019, pour le moment, est assez moisie, je trouve. On pourrait croire, après des moments heureux, que la vie nous doit la prolongation de ce bonheur ad vitam mais c’est faux. La vie ne nous doit rien. La vie n’est pas une prolongation de contrat de Neymar au PSG. Ou plutôt si, elle l’est. La vie veut retourner jouer à Barcelone avec Messi. Moi, je ne peux même pas envisaver affronter 2019 avec des vêtements propres, puisque l’évacuation de mon lave-linge est désormais poreuse. Elle fuit sa mère. Et pas qu’un peu. Quelqu’un doit passer ce jeudi. Pas un plombier car, quand j’ai appelé un plombier, je me suis fait vertement signifier que réparer un appareil d’électro-ménager, ce n’était pas de la plomberie. Ce n’est pas le même métier. Pour moi, changer un tuyau, c’est changer un tuyau. J’ai eu envie de lui raccrocher au nez, parce que je n’aime pas qu’on me sermonne. Je ne l’ai pas fait. J’ai été sec avec lui, peut-être (mais sur l’échelle du sec parisien allant de 1 à 10 je dois à être à un indice 3 ou 4 à peine : un provincial, quoi) mais j’ai usé des formules de courtoisie idoines. Cela faisait longtemps que je n’avais pas écrit idoines. Alors quoi ? Attendre que ce type (ce sera sans doute un type) passe jeudi ? Il va falloir planquer Poulpir. Poulpir est un lapin. Je ne voudrais pas qu’on croie que c’est elle qui a rongé le tuyau d’évacuation. Pourquoi aurait-elle fait ça ? On l’a laissée seule une semaine. Pas seule seule. Je veux dire, une poulp’sitter passait lui donner à manger (et de l’amour) chaque jour. Mais un lapin furieux, vexé d’avoir été (à ses yeux tout du moins) abandonné, qui sait ce qu’il peut faire pour manifester sa colère. On peut le comprendre. C’est humain finalement. Moi aussi j’irai ronger le tuyau d’évacuation de cette machine si on m’avait abandonné. Moi aussi j’aurais été vénère de ça. Mais non. Je me retiens. Je m’abstiens. Je suis bien trop gentil. C’est pour ça que le monde entier me pèse. Parce que je suis trop gentil. Si je ne l’étais pas, il s’abstiendrait, le mondentier, de me peser. Il me foutrait la paix. Alors, donc, planquer Poulpir et ses effets personnels lorsque ce type passera. Dire oh là là, je ne comprends pas comment c’est arrivé, une machine si belle, si robuste, rutilante même, c’est à n’y rien comprendre. En réalité, j’ignore si c’est bien Poulpir qui a rogné ce machin. Ça me paraît quand même un peu gros. Je veux dire, n’est-ce pas conçu pour éviter ce type de désagrément ? Ces choses-là arrivent après tout. Il faudrait protéger les tuyaux d’évacuation des laves-linges de l’ire des bêtes sauvages. Nous pourrions tout aussi bien nous trouver sur le passage d’un troupeau de phacochères ou de ragondins en rut. Les ragondins aiment l’eau. Les laves-linges aussi. Vous voyez où je veux en venir ? Ne me facturez pas cette réparation, je vous en supplie : c’est une question de santé mentale. Quoi que vous fassiez, merci de faire diligence.

Bien à vous,

GV