Après avoir remplacé la plupart des trucs que j’aime manger par des trucs que je n’aime pas manger, vais-je devoir remplacer les trucs que j’aime faire par des trucs que je n’aime pas faire ? J’abandonne. J’ai eu beau essayer toutes les stratégies d’évitement possibles et imaginables pour me permettre d’aller de temps en temps au cinéma, c’est un échec. Regarder un film avec des lunettes de soleil ? Je l’ai fait. Regarder un film que d’un œil, idem. Limiter au maximum les écrans le jour et/ou le lendemain d’un film au cinéma aussi, et même les éradiquer totalement. Fermer les yeux pendant les bandes-annonces, quand les lumières latérales et vitreuses de la salle, toujours allumées, te bombardent en permanence de rayons obliques, je l’ai fait aussi. Bien sur, il y a un progrès certain : ce ne sont plus des migraines que je déclenche en faisant ça, ce sont des douleurs plus ciblées, qui ne se propagent plus, et qui s’en tiennent à l’œil. Mais même en partant de l’un des plus beaux films que j’ai pu voir en salle cette année, j’en viens à me demander là, le lendemain de l’avoir vu, est-ce que ça vaut le coup ? Est-ce que ça vaut le coup de ne pas pouvoir écrire ou lire correctement pendant un week-end entier, alors précisément que j’ai besoin d’écrire et de lire à ce moment-là ne pouvant pas assez le faire ailleurs ? Est-ce que ça vaut le coup de devoir pendant plusieurs jours, voir plusieurs semaines, derrière, mettre en place des planning adpatés d’écran pour ne pas trop tirer ni sur la corde ni sur aucun nerf optique et/ou d’Arnold ? Est-ce que ça vaut le coup de remettre depuis des semaines le travail sur le site ou telle ou telle traduction ? J’ai beau tourner les choses dans tous les sens, j’en reviens toujours au même point : résilier donc dans les jours à venir ma carte UGC, et oublier le cinéma quelque temps. Cela ne signifie pas pour autant que je ne puisse rien faire. Mais le champ des possibles se réduit. Par exemple : ouvrir l’ordinateur pour y écrire quoi que ce soit, ou lancer quoi que ce soit à écouter. Il faut imaginer la moindre manipulation dans l’écran comme un genre de 100m à effectuer sur un territoire irradié. Ça, ou alors s’inonder de Téalose avant de traverser la page ? Je rêve d’un genre de liseuse eink piratée, couplée à un bête clavier pliable à connecter en bluetooth, une machine à écrire bricolée pour me permettre d’écrire néanmoins dans ces moments-là. Écrire, ce n’est pas le problème : on peut le faire en écran noir. C’est relire et corriger le nœud de la question, tant j’accumule depuis des mois de la matière que je ne parviens pas à reprendre. D’autres choses sont possibles. Se souvenir par exemple qu’à une époque, à 21 ou 22 ans, je me suis retrouvé assis sur un banc au Mans à lire Le livre de l’intranquillité, et à n’y rien comprendre, ou à n’en rien retenir. Que faisais-je là ? Probablement que je devais attendre qu’un bus me ramène chez moi, il n’y en avait que quelques uns en départ de Loué en tout début de matinée, et en retour en toute fin d’après-midi. Entre, rien. Enfin, si : l’intranquillité. D’autres choses sont possibles. Éplucher et couper des courgettes, des oignons, des tomates, et les verser dans une poële où l’huile d’olive est chaude, et derrière 600g de pois chiches. Je n’aime pas les pois chiches. Mais enfin c’est comme ça. Ou encore, soir venu, un genre de gratin de courges et châtaignes au comté, à servir avec quoi ? Soi, c’est déjà pas mal. Quand soudain :
— J’ai l’impression qu’il est dix heures du soir...
— Mais il n’est pas dix heures du soir : il est 23h58 sur l’horloge de l’apocalypse.
— ...
— Tiens, tu sais ce que tu pourrais m’offrir pour Noël ?
— Dis-moi ?
— Un cache-œil.
— Un cache-œil ?
— Un cache-œil.


mardi 24 décembre 2019 - mercredi 24 avril 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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