Voilà ce que je me retrouve à dire à voix haute : les gens ne veulent pas de solutions, ils veulent des problèmes. Le tout en pensant à autre chose 1. Il faut imaginer ça dans un décor minimaliste (avec arbres), dans un tissu de bruits aléatoires, et sur le ton d’un sketch de Chevalier et Laspalès (qui est l’un qui est l’autre, je ne sais). Nos vies ressemblent-elles à ça ? J’ai envie de dire : il faut arrêter de (se) poser des questions. Il faut arrêter de dire des trucs comme j’ai envie de dire. Il faudrait couper plus. Être biseauté. Oblique quoi. Aller dans les impairs. En commettre parfois. Je ne fais pas exception. Je cherche les problèmes. Je veux dire je les vois. Je les sens, je les cerne, je les sais proches. Et pourtant je reste là, au milieu d’eux. Pourquoi ? Plus de questions, on avait dit. On avait mais tant de choses. Il faut regarder ailleurs. S’inspirer d’autres choses. D’autrui surtout. Par exemple, j’en ai besoin pour Grieg. Refaisant le site, je n’arrêtais pas de me dire : j’en ai marre des pages désorganisées, que chaque rubrique ait sa propre interface (raison pour laquelle je suis venu sur Spip à la base, car il était possible de coder facilement des espaces disjoints au sein d’un même site, bref). Il faut que tout soit homogène, sinon uniforme. Et puis à chaque fois que je me dis ça j’ajoute : sauf Grieg. Grieg est à part. Grieg doit pouvoir jouir de plus d’espace que le reste. C’est normal. C’est vital. Là, découvrant les papiers d’Aspen, ces boîtes-magazines publiés aux États-Unis dans les années soixante, ou plutôt non leur réincarnation sous la forme de site web simples en html sur le site d’Ubu, et notamment le double numéro sur le minimalisme, je me dis que c’est ça qu’il me faut. Une page claire. Des cadres noirs (avec peut-être un peu plus de gras sur les bordures). Des titres simple au milieu d’eux. Du texte en eux aussi, incorporé. Des cases de BD somme toute. On peut coder ça très simplement en html dans la page même de l’article 2, c’est là que ce serait beau : coder le site en l’écrivant, au même endroit et dans le même mouvement. L’espace de la page reprendrait le template du site, mais l’intérieur de l’article serait un monde en soi. C’est un peu ce que dit Guyotat dans Comas 3 :
Quoique j’aie devant moi la plaine la plus industrieuse et la plus lumineuse, et, plus loin, la mer la plus chargée de mythes, la seule réalité, c’est, pour moi, la page où j’écris, plus réelle encore que le monde, les objets, les espaces fermés ou extérieurs, la lumière ou je fais bouger mes figures.

Et je me dis : je crois que ça me ferait du bien de faire ça, comme ça me fera du bien d’aller marcher jusqu’à la Seine et d’en revenir avec H., malgré le froid, et je n’ai pas pris d’écharpe, alors H. me prête chevaleresquement la sienne (il est comme ça), qui est surtout celle du quatrième Docteur, donc pas n’importe qui 4, ni quoi. Cette disposition de page (épuré, fond blanc, texte au centre, marges importantes) rappelle un peu celle de Medium aujourd’hui. Dans Medium, il y a un truc que j’aime particulièrement, c’est la possibilité de faire déborder de la zone de texte des éléments épars : titres, sous titres, citations, photos. Voilà comment je pourrais intégrer les images dans le site, me dis-je. Centrer la zone de texte (entre 70 et 75% de largeur, sans doute 72), et des citations (pour le journal) ou des zones hors texte (pour Grieg) pourraient s’y intercaler (en fait, jouer sur les marges). Idem pour les images. Dans Grieg, je voudrais que les éléments graphiques soient aussi dans des cadres, pour suivre le fil de la bande dessinée. Mais il pourrait aussi y avoir des lignes noires en ANSI pour séparer les blocs. Un autre dispositif (un autre emprunt à un autre univers que le mien) pourrait consister à reprendre le dispositif utilisé dans Dorohedoro à chaque fin de chapitre : l’auteure, qui sans doute navigue à vue au niveau de l’intrigue, récapitule trois points, plus ou moins sérieusement, qu’on a vu au cours du précédent volume (ou chapitre). Ça donnerait quelque chose comme « Qu’a-t-on appris sur cette page ? » C’est l’envers de ces sous-titres de chapitres dans les romans classiques (« ce qui advint aux deux voyageurs avec deux filles, deux singes, et les sauvages nommées oreillons »), et ça permet en réalité de mettre le doigt sur des fils narratifs pour les distinguer, les faire saillir. Dans une intrigue qui ne va nulle part et qui se perd en digressions comme Grieg, ce serait précieux. Voilà qui me fait trois pistes à explorer, dont aucune ne concerne précisément l’écriture, qui, elle, n’est justement que ça : pistes. Guyotat encore : On ne pourrait me guérir que de ne plus écrire, mais je ne me plains jamais du reste.


jeudi 26 mars 2020 - samedi 20 avril 2024

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↑ 1 Et non haute chose comme je l’ai d’abord écrit ; encore que.

↑ 2 C’est du reste ce que je fais ici tout simplement avec un <div style="padding:65px;border:solid 3px black"> des plus basiques.

↑ 3 Mercure de France.

↑ 4 Quelqu’un qui aurait tout à fait pu reprendre cette citation de Fresán à son compte : le passé — comme la matière radioactive — met beaucoup de temps à s’éteindre.

↑ 5 (c) Q Hayashida, Dorohedoro.

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Article publié Article 200324 GV il y a 8 heures
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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)