Les maladies sont. Nous ne les faisons, ni ne les défaisons à volonté. Nous n’en sommes pas maîtres. Elles nous font, nous modèlent. Elles nous ont peut-être créés. Elles sont propres à cet état d’activité qui s’appelle la vie. Elles sont peut-être sa principale activité. Elles sont une des nombreuses manifestations de la matière universelle. Elles sont peut-être la principale manifestation de cette matière dont nous ne pourrons jamais étudier que les phénomènes de relation et d’analogie. Elles sont un état de santé transitoire, intermédiaire, futur. Elles sont peut-être la santé même.

Blaise Cendrars, Moravagine

Combien de régions inexplorées dans notre propre corps ? Une terre inconnue et inconnue de moi, puisque située à l’extrême opposée des yeux, là découverte. La base du crâne, jusqu’à la nuque et les épaules, elle est faite d’un cordage dont on ne sait s’il faut le tendre (par exemple pour jouer dessus des accords de guitare) ou le détendre (pour que n’y coure pas sur lui la douleur électrique). Je ne sais pas jouer de guitare, ni, du reste, d’aucun instrument (à regret). Je pourrais bien m’y mettre, mais si je m’y mettais qui sait ce que j’abandonnerais de moi en retour. Pour l’heure, nous abandonnons des trucs dans des cartons, et ces cartons sont scellés par le scotch. Les étagères se vident. Les piles de cartons montent. Des vases connectés par un flux invisible, et pourtant bien visible. Quels livres faut-il garder auprès de soi d’ici au jour J d’un déménagement ? Spontannément les deux traductions d’Ulysse, l’Ulysses annotated. Quoi d’autre ? J’écris pas mal de bribes ces derniers temps. J’ignore pourquoi ; je sais pourquoi. Bonne façon de ne pas se projeter dans du long, d’écrire de la fiction malgré tout. Personne n’aime lire les fictions courtes, ou alors peu, ou alors ils mentent, ou alors c’est que la lecture lasse alors que l’image non. C’est comme ça. Là, j’en étais à me dire : relier tous ces fragments, autant d’incipits possibles mais inassouvis, pour en faire un texte cohérent, construit, architecturé. Mais, faisant ça, je ne ferais au fond que faire ce que fait tout un chacun quand il (ou elle) tente de rassembler en un récit monté, vendable, toute une série de pistes qui ne sont que des notes et qui, vendables, ne le sont pas. Rien n’a besoin d’être vendu. Rien n’a besoin d’être tissé. Ces bribes peuvent rester donc à l’état de bribes. Peut-être qu’un jour, l’un de ces récits donnera lieu à autre chose ? Pas mon problème. Mon problème c’est : deux militaires en vacances sont venus s’asseoir dans la rangée de sièges devant moi dans le train et ils parlent. Il faut donc artificellement écouter d’autres voix parlant, bien que ne me parlant pas, pour couvrir celles qui parlent, soit. 34° au départ de Paris. 14 dans le bois sans nom où il fait toujours froid entre Saint-Bonnet et Merle sur la route pour monter, puis 19 à destination, loin.