Je ne me suis pas encore habitué à mon nouveau rythme (c’est à dire non-rythme) d’inactif. Même déconnecté moins dix, mon réveil sonne toujours mentalement sur le coup des 6h34 et sur le coup des 6h34 je me tourne vers lui pour lire l’heure en rouge sur noir. Ma première pensée du matin va à ces jours que j’aurais pu vivre avec des si ou en partant du principe que. Puis généralement je me rendors. 

Plus tard, mêmes pensées parallèles, horaires différents. Les jours de la semaine se confondent un peu, mais la machine à si les propulse, réels, vers leur ancienne identité. Je m’imagine lundi arrivé plus tôt au matin, repartir plus tard, les appels se succédant. Vendredi arriver plus tôt aussi, repartir plus tôt, en week-end au cœur de la foule souterraine. Le matin les appels pleuvent, les après-midi construisent des galeries entières de fichiers, dossiers et archives. Le téléphone sonne, parfois je décroche le sourire professionnel aux lèvres, la réplique toute prête à la bouche (puis me ravise). Il m’arrive de me rendre de temps à temps sur leur site pour voir comment évoluent les gammes et produits maintenant que je ne suis plus là pour les suivre au quotidien. J’ai ouvert mon ancienne boite mail ce matin, anciens identifiants, mots de passe, toujours valides, archives et dossiers en cours qui s’accumulent. J’imagine que mon remplaçant, ma remplaçante, prendra le relais des affaires courantes. Celle-ci peut-être pas. Mail tatoué gras en haut de la page sans aucun titre. Je l’ouvre. Je reconnais vaguement le nom de celui qui me l’envoie sans pour autant retrouver précisément quelle affaire le concerne. Le corps du message est bref et sans ponctuation : M. V. vous êtes un personnage malhonnête et je vais porter plainte contre vous

Autre horaire indiqué qui me rappelle à mon ancienne vie : j’ai gardé la sonnerie quotidienne du 17h34 malgré la rupture d’objectif dont a été victime mon Kodak il y a quinze jours. Je l’ai gardé enregistrée entre circuits pour pouvoir encore imaginer la photo qui aurait pu m’être imposée si jamais, etc. Je les garde en tête deux jours, trois peut-être et elles s’évanouissent. Je me demande, au même moment, quel cliché exactement embrasse le clone de X. censé me remplacer dans ma tâche et dont je n’ai plus la moindre nouvelle. Deux clichés différents mais similaires se superposent l’un à l’autre entre deux images cristaux liquides d’une quelconque représentation télévisuelle ou vidéoludique. Les calques s’appliquent et se défont et puis j’oublie. 

Le soir je vois rentrer les trains. A heures fixes ils défilent. Je me dis : si on est mardi je suis (c’est à dire un autre moi-même parallèle au premier, parfois superposé) dans celui-là. Si on est hier (c’est à dire lundi, c’est à dire avant-hier) je serai dans le prochain. Parfois le prochain se perd, je crois comprendre qu’il est annulé. Alors je suis certainement quelque part entre Gare de Lyon et C. et j’attends le suivant. Quoiqu’il arrive, quelqu’un, quelque part, attend le suivant, ces choses ne changent pas.


mercredi 16 septembre 2009 - lundi 15 avril 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)