Après avoir (mais sans l’avoir écrite) imaginé l’histoire d’un homme qui passe littéralement sa vie à vider dans l’évier le liquide contenu dans une boîte de petits pois, voyant le flux s’écouler lentement mais ne terminant jamais de se défaire du poids de la conserve, se demandant mais combien de volume de petits pois et de liquide ils mettent dans ces boîtes, et d’ailleurs pourquoi dans de l’eau, et quelle contenance la conserve, quelle est cette sorcellerie, etc., et succombant plusieurs fois à l’envie d’arrêter là les frais pour reprendre le cours de sa vie, puis toujours se retenant de le faire, cessant de fait d’être qui il était pour s’assurer que le liquide continue bien de s’écouler, arrêtant donc d’aller travailler, se faisant licencier pour abandon de poste (c’est comme ça qu’on dit m’a dit un jour une amie qui envisageait de le faire pour pouvoir toucher le chômage et cesser de poursuivre avec cette entreprise inepte une vie qui la répugnait, j’interprète, du reste j’ignore si elle a effectivement mis à exécution ses menaces, c’était une autre époque), étant quitté par ses proches qui n’en pouvaient juste plus de cette situation intenable, puis mis dehors par son propriétaire faute de pouvoir continuer à payer son loyer, alors il se retrouverait juste là, à errer dans les rues, faisant couler dans son sillage le liquide prévu par le fabricant pour baigner en douceur les petits pois et les conserver dans leur jus mais sans jamais s’autoriser de les goûter, bref, après avoir imaginé tout ça, me trouvant là précisémment où était ce personnage de fiction et semblant vivre littéralement le même enfer (jusqu’à ce que bien sûr dans mon cas l’entreprise en vienne à s’achever finalement, l’écriture n’étant qu’une façon de surréagir à absolument n’importe quoi, à commencer par le vidage dans un évier d’une boîte de petits pois), j’ouvrirai une page au hasard de ce livre incroyable regroupant les écrits impubliés de Kathy Acker et intitulé sobrement Kathy Acker (1971 - 1975), le tout aux éditions Ismael dont on ignorait jusqu’à l’existence, livre acheté chez Tschann il y a plus de deux mois à une libraire elle-même étonnée d’avoir ce livre en rayon (c’est un dépôt, j’avais oublié que c’était là, des histoires horrifiques à base de grimoire possédé commencent comme ça), mais non ouvert depuis, et oublié dois-je ajouter un peu piteusement mais enfin c’est la réalité, même si je n’en suis pas fier, bref, là je l’ai ouvert, au hasard donc, pour lire cette phrase d’un morceau intitulé kill a cop for fun, A SHORT NARRATION OF WAR AND DRUGS : « this is a narration ha ha the end of the world the end of the world » et, bon, disons simplement que j’ai cessé d’imaginer cette scène, cette histoire, ce récit, cette fiction, à base d’un homme vidant dans l’évier jusqu’à la fin de ses jours une boîte de petits pois et pourquoi ?, parce que j’avais manifestement mieux à faire, et lire tout Kathy Acker jusqu’à ce que mort s’en suive, amen. Mais même pas. Pour une raison qui m’échappe je n’ai pas mis mon plan exécution et j’ai même, pire, reposé ailleurs le livre pour très vite l’oublier. C’est quoi mon problème ?