— Si tu devais manger un être humain, comment tu choisirais qui tu manges ?
— Je.
— Avec tout ce qu’on ingère continuellement, et je parle pas que de nourriture, y a de quoi s’interroger sur notre faculté à être, comme on dit, propre à la consommation.
— Oui.
— Par exemple : si on pense à une femme qui prend la pillule, niveau hormonal et tout, mieux vaudrait s’abstenir. C’est probablement cancérigène.
— Maintenant je crois qu’on dit cancérogène.
— Comme les zones érogènes ?
— Donc si je te suis bien tu serais plutôt pour manger des femmes qui font d’autres choix contraceptifs, comme la cape cervicale ou le stérilet ?
— Voilà. Parce que je ne voudrais pas non plus qu’on pense que mon refus de manger des femmes relève d’une forme de discrimination ou de sexisme.
— Non.
— Mais d’autres trucs entrent en ligne de compte. Par exemple, vaut-il mieux manger des sportifs et si oui quoi ? Le mollet du cycliste, ça ne me fait pas envie. Un haltérophile, ça ne me fait pas envie.
— Sur le cycliste y a probablement pas grand-chose à manger.
— Tu crois que c’est comme les cailles ?
— J’ai jamais mangé de cailles.
— J’ai jamais mangé de cyclistes.
— Bon, de toute façon les cyclistes sont sûrement plein de produits controversés. Même chose pour les haltérophiles d’ailleurs avec la créatine.
— La créatine c’est du passé. La créatine des années quatre-vingt-dix, c’est comme l’amiante : ça a dû être remplacé par d’autres substances, depuis le temps...
— Les haltérophiles se dopent-ils à l’amiante ?
— ... genre la bauxite pour ce que j’en sais.
— Ça dope la bauxite ?
— Il y a aussi les cosmétiques. Est-ce que les cosmétiques font tourner la viande ?
— Les cosmétiques rendent con si tu veux mon avis.
— Mon premier réflexe ce serait quand même de me dire : il faut manger Cristiano Ronaldo. Regarde-le. C’est un bœuf de Kobé Cristiano Ronaldo. Hyper entretenu et en même temps hyper reposé. Massé et tout. Il ne mange que les meilleurs mets. Son corps passe avant tout le reste. Il doit donc être délicieux.
— À condition qu’il ne se dope pas.
— Je crois pas. Avec un égo pareil comment peux-tu ne serait-ce que concevoir le doping ?
— Ou alors Bernard Arnault ?
— Bernard Hinault ?
— Non, l’autre. Celui d’LVMH.
— Je ne goûterai pas l’égo de Bernard Arnault même si on devait me payer pour le faire.
— Non mais je veux dire : il n’a rien dû ingérer comme nourriture transformée depuis au moins les années quatre-vingt, lui. Il serait pas du genre à perdre ne serait-ce que quinze jours d’espérance de vie en allant bouffer au KFC, lui.
— Je sais pas, il me paraît manquer d’appétence. Mais peut-être que j’ai un kink inversé pour les milliardaires...
— Un gigot de Bill Gates ?
— Pouark.
— Jarret de Liliane Bettencourt ?
— Non merci.
— Cuisse de Jeff Bezos ?
— Ah non, mais pour une autre raison : Jeff Bezos est allé dans l’espace.
— Et donc ?
— Qui sait ce que ça fait à notre corps de s’extraire de la gravité terrestre ? L’apesanteur ça doit être pire que les perturbateurs endocriniens si tu veux mon avis. Raison pour laquelle je ne toucherai jamais à un cosmonaute, c’est une question de santé publique.
— J’avais jamais pensé à ça.
— Eh non.
— Mais maintenant si.
— Eh oui. Et laisse-moi te dire que cette pensée te hantera jusqu’à la fin de tes jours. Chaque fois que tu verras une fusée décoller pour un vol habité (ce qui, ok, ne se produit pas non plus tous les quatre matins), une petite voix se fera entendre : ceux-là sont hors limite. Mine de rien ça fait réfléchir.
— Et si c’était le contraire ?
— Le contraire de quoi ?
— Et si c’était tout le contraire, même ?
— Explique.
— Et si l’espace rendait meilleur ? Et si l’absence de gravité bonifiait les chairs ? Si ça se trouve, on est dégueulasse parce que le poids du moindre de nos atomes est attiré vers le sol...
— Je vois ce que tu veux dire. C’est une théorie. Je veux dire ça se défend.
— Peut-être que le rayonnement cosmique c’est le petit truc en plus qui rend les choses exquises.
— Si c’était le cas il faudrait se dépêcher de consommer des gens après un vol pour l’Australie. Or au contraire, je crois qu’entre les phlébites et les thromboses, il vaut mieux s’abstenir. T’as déjà goûté une phlébite ?
— Je te parle pas d’un peu de rayonnement cosmique, je te parle d’une exposition massive. Un Ururoa d’irradiation solaire ou jupitérienne pour ce que j’en sais.
— Si c’était le cas...
— Si c’était le cas, tu peux être sûr que l’industrie alimentaire et agro-alimentaire l’exploiterait. Et pas qu’un peu. À peine sorti de l’atmosphère tu serais envahi de champs de blé intra-satelittaires et de grosses vaches en scaphandre baladées à l’arrière de fusées rectangulaires qui se traîneraient dans la voie lactée de la même façon que nos tracteurs se traînent sur les départementales. Et fatalement quelqu’un trouverait le moyen d’y foutre des quatre par trois en bordure de voies stellaires pour y vendre son yaourt produit localement sur Mars ou son blé noir cultivé sur la face cachée de la lune... Bref ce serait l’horreur...
— Il faut toujours que les marketeux de base pourrissent nos rêves d’anthropophagie.
— Mais grave.
— Quelle bande de bâtards quand on y pense.
— C’est ça. C’est vraiment vraiment ça.