J’ai une théorie. On devrait toujours écrire les idées qui nous viennent au moment où elles nous viennent, sans délai, de cette façon nous serions toujours dans une forme de fraîcheur récréative. Le plaisir est un moteur dans l’écriture que je néglige trop. Se conformer à ce que d’autres attendent de soi n’est pas plaisant. Résultat, à trop vouloir plaire à la personne qui nous lira on lui déplaît. Oui mais j’ai une théorie. On devrait toujours se retenir d’écrire les idées qui nous viennent au moment où elles nous viennent, de cette façon non seulement on ne gâcherait rien (écrire une idée tout de suite sans attendre est le meilleur moyen de désamorcer le désir qu’on avait de l’écrire), mais en plus on ferait le tri entre ce qui mérite d’être écrit et ce qui peut s’évaporer dans les limbes. La plupart du temps, tout de même, une idée qu’on a eu le temps et l’épaisseur de se raconter X fois avant de la saisir a plus de corps et de personnalité qu’une idée croquée à la va-vite sur le moment. Oui mais j’ai une théorie. Je crois qu’au fond les autrices et auteurs qui ont des réactions épidermiques au sujet d’autres écritures (le plus souvent contemporaines) se focalisent au fond sur des éléments qui figurent déjà, de base, dans leur écriture propre. De sorte que, comme ça arrive parfois vis à vis de traits de personnalités de proches qui nous déplaisent, et qu’on n’identifie pas, à tort, comme nôtres, ce que l’on déteste chez l’autre c’est ce qu’on ne sait pas voir chez nous. Oui mais j’ai une théorie. Et si l’enfer ressemblait à ces modélisations 3D du covid qu’on voit passer régulièrement à la télévision ou sur les réseaux ? On y voit en permanence les corps humains expulser de leurs orifices (faciaux mais pas toujours) des courants d’air représentés sous la forme de microbilles de couleur et alors le moindre geste, mouvement, mot, éclat de voix est prétexte à des déversements météorologiques de souffles, de sorte que chacun se déverse de partout quoi qu’il fasse, ou elle, où qu’elle aille, ou il. Ou peut-être que c’est un tout petit peu différent. Et peut-être que l’enfer ressemble précisément à cela, mais avec des pensées à la place des expectorations. Somme toute, l’enfer ressemblerait aux réseaux sociaux d’aujourd’hui, ce qui est une théorie assez communément admise, désormais. Ou alors une autre théorie : l’enfer n’est pas du tout de se cracher nos âmes à la figure mais de s’arranger pour être toujours seul, même quand tu partages le même foyer qu’autrui. Alors c’est un jeu de cache-cache d’une pièce à l’autre qui s’opère, personne n’ayant intérêt à croiser qui que ce soit. Dans ce monde, la seule sortie autorisée, par exemple à vélo dans le froid et l’adversité, c’est pour se faire cureter le nez à quelques kilomètres de là pour des questions de PCR, le tout après avoir attendu une vingtaine de minutes dehors en se demandant : notre époque est-elle en train de créer des fétichistes de l’écouvillon ? Réponse dans quelques années. Sur le chemin de l’ex-mine, qui borde la ferme solaire comme proche des maisons cossues, massives et plus ou moins néo-bretonnes qu’il y a à cet endroit, c’est semi-inondé bien qu’il n’ait pas plu tant que ça ces derniers jours. À cet endroit, d’habitude, c’est un champ. Aujourd’hui, c’est un lac dans quoi viennent se baigner les oiseaux blancs. C’est comme ça. J’ai d’ailleurs une théorie cycliste : chaque fois que je remets mes lunettes, derrière j’ai mal à un œil. Ce qui m’amène à une autre théorie. Personne n’attend qu’un livre soit autre chose qu’un livre, pas la peine de chercher à réinventer l’eau tiède. Peut-être que ce qu’on souhaite révolutionner comme forme n’est là que pour masquer notre inaptitude à remuer quoi que ce soit dans l’écriture ? Et quelque part nos expérimentations bizarres en prennent un coup. Mais il n’empêche : j’ai aimé replonger dans l’écriture impossible et stimulante de Milorad Pavić. Et pour terminer Exemplaire unique, j’ai demandé à H. de faire l’impasse sur le protocole covidé et de me tirer une fin au sort (j’ai eu la numéro 19), avant d’en tirer une autre moi-même (la numéro 62) et ça m’a rendu heureux. Il y en a 98 autres.


vendredi 4 février 2022 - mercredi 10 avril 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)