Les parents, je fais gaffe. Toujours trop compliqué. Les miens, ceux qui expliquent que leur fille fera médecine, n’ont que ces mots à la bouche. N’entendent ne voient ne boivent plus rien d’autre. C’est leur langue, leur peau. Mes mots à moi : silence. Les comprendre impossible. Je hurle, ma gorge aussi. Personne pour entendre.

Je dis parents à cause des tiens. Ta mère je veux dire. Elle m’a appelé. Parlé. Invité à venir. Proposé même de me véhiculer. Je préférais te dire. Que tu saches.

J’aimerais te dire pourquoi. Pourquoi j’ai accepté. Pourquoi venir me trouver, pourquoi monter dans sa voiture, pourquoi dire oui. Mon oui cette fois plutôt audible. Un mot cette fois mais sans médecine. Aucun rapport. Mon oui l’a fait sourire. Mais c’est pas la raison. J’aimerais te dire j’ai peur. Parce que peut-être tu serais en train. De crever, de bouffer le sol ou les emmerdes. Non. J’aimerais te dire tu comptes. Et tu comptes. Mais non. J’aimerais te dire que j’ai pitié. Ta mère, toi, tous ceux qui. Se barrent. Souffrent. Font souffrir. Mais non. J’aimerais te dire l’impératif catégorique. Mais non. La vraie raison ailleurs. Je suis montée pour moi. Je suis du genre intéressée. Je voulais voir ta chambre. Ta mère m’a dit je pouvais.

J’ai vu ta chambre. Carrée, photos collées aux murs. Fenêtre avec vue sur la nuit. PC allumé, ton bureau. Je connaissais rien, et surtout rien de toi. Je l’ai dit dès le début. Encore moins ton mot de passe. C’est pas grave, elle a dit. Elle a dit ensemble on va trouver. On va trouver quelque chose on va trouver ensemble. Dans un souffle. L’impression que ta mère est genre malade du souffle. Elle me donne envie, moi, de le reprendre. Mieux respirer et surtout plus souvent.

J’ai tout essayé elle a dit. Nom prénom date numéros. J’ai dit on va voir. J’y croyais pas. Je te connais mais pas assez. Pour deviner un mot caché derrière des signes, astérisques, étoiles. Foutu avant même de commencer mais on savait. Elle comme moi. Il fallait faire comme si. Ta mère moins monstrueuse qu’une autre. Elle m’a servi à boire. Voulait savoir ce que j’étais. Pour toi. Amie camarade petite amie qui sait ? Je suis quelqu’un, voilà j’ai dit, on s’est croisés c’est tout. Elle a dit oh, comme ça. Et puis chercher. Taper, noter, barrer à mesure que temps file. Je suis pas restée longtemps. Je pensais pas trouver.

Tout ce que j’ai dit c’était regarde. Autour de moi et dans la pièce. Devant moi le poster, tu sais lequel. J’ai tapé dans l’écran le nom : Manuel Jodorov, espace, sans espace, minuscules, majuscules, initiales. Raté. Alors j’ai demandé à ta mère ta chanson préférée. Elle savait pas. Moi pas mieux. J’ai cherché dans ma tête, trouvé mon portable. Texto à deux ou trois mecs. Une réponse. Le mec savait. Tu sais lequel. The Motel 1 écrit sur mon écran. J’ai tapé The Motel. J’ai tapé the motel. Tapé TheMotel. Tapé themotel. Tapé THEMOTEL. Tapé une à une les paroles et les phrases. L’écran s’est ouvert derrière it’s lights up boys. Sans majuscules. Avec espaces. Mais ça tu sais.


Premier jet du 29/01/11

Les parents, je fais gaffe. Toujours trop compliqué. Les miens, ceux qui expliquent que leur fille fera médecine, n’ont que ces mots à la bouche. N’entendent ne voient ne comprennent plus rien d’autre. C’est leur langue, leur peau. Mes mots à moi silence. Les comprendre impossible. Je hurle, ma gorge aussi. Personne pour entendre. Ça arrive des fois dans les rêves. Pas que dans les rêves.

Je dis parents à cause des tiens. Ta mère je veux dire. Elle m’a appelé. Parlé. Invité à venir. Proposé même de me véhiculer. Je préférais te dire. Que tu saches. Mais comment savoir si mes mots sont audibles, s’ils vont jusqu’à toi ?

J’aimerais te dire pourquoi. Pourquoi j’ai accepté. Pourquoi venir me trouver, pourquoi monter dans sa voiture, pourquoi dire oui. Mon oui cette fois audible. Un mot cette fois mais sans médecine. Aucun rapport. Mon oui l’a fait sourire. Mais c’est pas la raison. J’aimerais te dire j’ai peur. Parce que peut-être tu serais en train. De crever, de bouffer le sol ou les emmerdes. Non. J’aimerais te dire tu comptes. Et tu comptes. Mais non. J’aimerais te dire pitié. Ta mère, toi, tous ceux qui. Se barrent. Souffrent. Font souffrir. Mais non. J’aimerais te dire l’impératif catégorique. Mais non. La vraie raison ailleurs. Je suis montée pour moi. Je suis du genre intéressée. Et puis je voulais voir ta chambre. Ta mère m’a dit je pouvais.

J’ai vu ta chambre. Carrée, posters aux murs. Fenêtre avec vue sur la nuit. Pc allumé, ton bureau. Je connaissais rien de tout, et surtout rien de toi. Je l’ai dit dès le début. Encore moins ton mot de passe. C’est pas grave elle a dit. Elle a dit ensemble on va trouver. On va trouver quelque chose on va trouver ensemble. Dans un souffle. L’impression que ta mère est genre malade du souffle. Elle me donne envie, moi, de le reprendre. Mieux respirer et surtout plus souvent.

J’ai tout essayé elle a dit. Nom prénom date numéros. Ok. J’ai dit on va voir. J’y croyais pas. Je te connais mais pas assez. Pour deviner un mot caché derrière des signes, astérisques, étoiles. Foutu avant même de commencer mais on savait. Elle comme moi. Il fallait faire comme si. Ta mère sympa. Elle m’a servi à boire. Sans alcool mais pas grave. Voulait savoir ce que j’étais. Pour toi. Amie camarade petite amie qui sait ? Je suis quelqu’un, voilà j’ai dit, on se croisait juste. Oh, elle a dit. Et puis chercher. Taper, noter, barrer à mesure que temps file. Je suis pas restée longtemps. Je pensais pas trouver.

Tout ce que j’ai dit c’était regarde. Autour de moi et dans la pièce. Devant moi le poster, tu sais lequel. J’ai tapé dans l’écran le nom : Manuel Jodorov, espace, sans espace, minuscules, majuscules, initiales. Raté. Alors j’ai demandé à ta mère ta chanson préférée. Elle savait pas. Moi pas mieux. J’ai cherché dans ma tête, trouvé mon portable. Texto à deux ou trois mecs. Une réponse. Le mec savait. Tu sais lequel. The Motel écrit sur mon écran. J’ai tapé The Motel. J’ai tapé the motel. Tapé TheMotel. Tapé themotel. Tapé THEMOTEL. Tapé une à une les paroles et les phrases. L’écran s’est ouvert derrière it’s lights up boys. Sans majuscules. Avec espaces. Mais ça tu sais.


dimanche 6 mars 2011 - vendredi 19 avril 2024




↑ 1 Comme pour la reprise de O Superman, la chanson The Motel est l’œuvre de David Bowie, elle se trouve sur l’album Outside (1995).

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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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