J’ai toujours eu cette impression. Il y a des foules derrière mon dos qui se déplacent en contresens. Ensuite, seulement, j’ouvre les yeux. Ce qui ne veut pas dire qu’ils étaient fermés pour autant. Ça veut simplement dire ce que ça veut simplement dire.

J’ai laissé tombé mon masque depuis longtemps. Mon masque de Rimbaud, quelque part il explose, oui mais sans moi. Les gars dans les camions m’ont fait de la place, ont dit : tu es mieux avec nous que contre nous. Ils disent que si j’étais resté, on m’aurait fait sauter. J’ai dit oui mais moi je voulais me faire sauter, j’avais la dynamite.

J’ai vu le tremblement de terre sur l’écran, voilà ce qui a tout déclenché. Ils ont dit au micro que dans une certaine ville ils restaient sans nouvelle d’en tout dix mille personnes. Enfin encore toujours cette impression, la même, celle où les foules avancent. Je l’ai lâché mon masque, mon masque de Rimbaud. La dynamite ? C’en était pas. C’était de la nitro. Je l’ai lâchée aussi dans un grand container pour les matières plastiques.

Les gars dans les camions m’ont fait de la place, ont partagé leur bouffe et même leurs bouteilles, de l’eau du robinet siphonnée de la veille, avant-veille, peut-être pire. Je leur dis que je suis ce qu’on appelle à l’écran un Rimbaud volontaire. Personne ne m’a forcé, endoctriné, lavé la tête, le reste. Et je ne veux pas mourir, pas plus que n’importe quel autre fou qui ne porte pas ou pas encore un masque de Rimbaud ou autre. Là-bas ce qu’on disait c’est que ce mec cherchait les catastrophes. Je suis ce mec, le même.

Ils me disent qu’ils iront où le camion ira et ensuite, comme tout le monde, faudra gagner Dzoosotoyn Elisen. Aucun de ceux-là n’a mâché tous les sons du mot Dzoosotoyn Elisen, il aurait fallu prononcer, ils ont dit Elisen et j’ai compris malgré ce qui manquait. Tu devrais venir aussi, ils me disent, là-bas ce sera sûr et je dis rien n’est sûr, et moi je vais plus loin. Où ça plus loin ? J’ai dit il y a cette ville là où tout se déchire, j’ignore encore son nom.


samedi 12 mars 2011 - mardi 16 avril 2024


La photo de Clément Valla est empruntée à sa série "Bridges".



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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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