Jean-Yves Fick



  • 121017

    12 novembre 2017

    J’étais à Montparnasse. J’irai manger à Sushi Gozen. Avec Virginie un moment au café de l’Atlantique. Ça me remplit d’énergie cette discussion. Il y a la soirée du 26 à L’autre livre à préparer. Sushi gozen propose d’autres trucs le midi que le soir. Des nouilles Udon à la sauce soja. Tout est bien tenu froid par des glaçons. Comment ça se mange ? Le temps était bizarre : n’arrêtera pas de passer de très ensoleillé à l’hyper nuageux. Tu es là, tu marches. Tu lis des trucs qui te stimulent. D’autres moins. Je penserai encore à S. Je ne sais même pas s’il y a un moment dans ce journal où je raconte quelque chose de lui et de son histoire 1. La réalité, c’est que je ne l’ai pas connu. C’était un commercial terrain, un collègue de chez STAT, du temps où je bossais encore chez STAT. J’étais là depuis quelques mois. Je déjeunerai une fois avec lui, dans un lieu hyper glauque qui a fermé depuis. Il avait eu un comportement déplacé à l’encontre de quelqu’un qui était proche de moi, dans son dos. Ça me marquera cette histoire. Assez ensuite pour culpabiliser de n’avoir plus en tête que cette image de lui. Une autre fois était passé au bureau présenter aux collègues avec sa femme (ou sa compagne) son fils (sa fille ?) qui venait juste de naître. S. est mort. C’était un peu plus tard cette année-là, en septembre, moi je suis rentré dans la boite en mai au moment où l’affaire DSK éclatera, à un ou deux jours près. Il y avait un salon auquel la boite participait, un truc chiant comme tout qui nécessitera la présence de chacun sur un stand insipide, bref. Il s’était fait porter pâle. Du moins, c’est ce que les langues diront de lui, dans son dos. En réalité, il sera hospitalisé pour un truc, personne ne sait quoi. J’ai oublié combien de temps ça a duré ce machin. Entre neuf mois et un ans, je crois. Un matin, donc, on nous annoncera par email sa mort, et comment. C’était un truc horrible. Une fasciite nécrosante. Il a perdu petit à petit ses membres et ses organes. Abominable. Personne ne saura réellement comment c’est arrivé. C’était important ? Je suppose qu’on se posait des questions. Plusieurs mois plus tard, le DG de l’époque est de retour d’une longue période d’absence. C’était arrivé pendant qu’il était à l’autre bout du monde. Ce jour-là il y a un pot d’organisé, il fait un discours à l’équipe sur le mode vous avez bien travaillé sans moi. C’était convivial et tout. Puis il dit quelque chose comme l’entreprise se porte bien, tout s’est bien passé durant mon absence, je retrouve une équipe soudée, personne n’est mort... Personne n’a relevé ni parlé d’S. Mais c’est faux, non, quelqu’un a réagi. C’est tout. Tous les autres, ça ne nous est pas venu à l’esprit et on s’est contenté de sourire : on attendait ça de nous. Ce sera plusieurs mois plus tard. L’eau avait coulé. C’est ma deuxième source de culpabilité vis à vis d’S. Longtemps plus tard, plusieurs années après, son nom était toujours dans la base des comptes mail de la boite. Personne n’osera le supprimer. Une espèce de fantôme numérique dont on verra le nom parfois, par exemple lorsqu’il y avait des messages à envoyer à l’ensemble de la filiale. La fille qui devait s’occuper de ça ensuite est partie après avoir piqué quelques dizaines de milliers d’euros dans la caisse du CE, dont elle était aussi la trésorière, mais c’est une autre histoire. Je suis parti moi aussi. J’ignore si S. est toujours enregistré dans la base mail ni s’il apparaît encore dans les messages groupés. Mais je comprends. Après tout, je suis juste incapable d’unfollower Philippe Rahmy ou Maryse Hache. Mais je repense souvent à S. et à la façon effroyable dont il est mort. À la fin, nous a-t-on dit, il ne pesait plus que la moitié de son poids d’origine. Ça se retrouve, fatalement, dans ce que j’écris. Mais je n’ai pas connu S., non. Donc ai-je le droit de l’écrire ? Une autre culpabilité ? On m’a dépeint son portrait mais plus tard, après coup. Des anecdotes de bureau, des trucs tendres. Et moi qui n’ai donc qu’un souvenir de lui, ce déjeuner glauque au cours duquel le patron, dégueulasse, venait draguer chaque cliente et où, lui, il a dit à la stagiaire qui nous accompagnait, parlant de quelqu’un d’autre mais dans son dos : tu feras attention à elle : elle préfère les femmes, tu sais. Qu’est-ce que j’aimerais ça, pouvoir me débarrasser de ce souvenir... Il m’est arrivé plusieurs fois par la suite d’aller chercher les quelques mails qu’on s’était échangés durant ces deux trois mois de travail en commun, simplement pour relire. C’était des trucs banals. Des trucs de boulot, quoi. Des demandes de conseil, des rappelle tel client, des je veux des spare parts. Je ne les avais pas jetés, rien. Ils sont dans un dossier quelque part. Peut-être encore présent sur un serveur ?Ensuite, un peu avant tomber sur ce lapsus de l’œil étrange, écorcer le vent, j’ai roulé un peu sur le fil du rasoir : je suis vraiment sur la brèche, là. Je suis en dépassement de quota d’écran, je dois faire attention. Je relirai Il y a le chemin, de Jean-Yves, précisément pour préparer cette rencontre du 26. La dernière partie du livre, « D’un hiver », voilà de quoi j’avais besoin ici.

    Sans fin filait cela du blanc sur fond blanc à peine silhouettes entrevisions brèves guère plus que des rêves mauvais dans la plaine et le gel.

    Partout craquements
    grincements de glaces
    qui se dilatent
    tout fissurait
    se figeait debout
    se renversait
    chocs sourds de ténèbres
    cendres la parole même
    la chaleur vive enfuie
    n’était plus qu’ombre d’elle-même.

    Ce qui étendait son emprise
    l’ici borné
    perclus d’un sommeil muet
    infini
    parmi les hommes
    ne se déferait pas au printemps.

    Quand la lumière vient à manquer
    la course s’accélère sans fin.

  • 261017

    26 novembre 2017

    Oublié presque d’écrire mes 500 mots. J’y penserai dix minutes avant devoir partir pour L’autre livre. C’est donc torché en dix minutes (mais c’est probablement pas pire que n’importe quel autre jour). C’est comme ça. Marchant dans la rue avec Jean-Yves, lui dire que le plus frustrant ici c’est qu’on n’est pas nécessairement récompensé quand on fait bien les choses. Mais j’imagine que c’est partout. Et le fait est que c’est un soir comme ça.

  • 140918

    15 octobre 2018

    En préparant la rencontre de ce soir à la médiathèque André Malraux de Strasbourg pour les 10 ans de publie.net, et notamment parce qu’une partie de la soirée sera consacrée à ArchéoSF et aux origines de la science-fiction, je retombe sur un passage du Roman d’Eneas, lu il y a plusieurs années. Il y a, dans la sépulture de Camille, des robots qui gardent le tombeau :

    Ja mais la lanpe ne charra
    tant com li colons la tendra ;
    il la tendreit toz tens mais bien, se nen esteit soul une rien :
    un archier ot de l’altre part, tresgetez fu par grant esguart, endreit le colon ert asis
    sor un perron de marbre bis ; son are tot entes6 teneit
    et cele part visot tot dreit.
    Li boldons esteit encochiez
    et esteit si apareilliez
    que le colon de bot ferist, tantost com de la corde issist.
    Li archiers puet longues viser et toz tens mais l’arc enteser, mais ja li boldons n’en istreit, se primes l’arc ne distendeit
    li laz d’une regoteore,
    ki apareilliez ert desore, ki teneit l’arc toz tens tendu.
    A un sofle fust tot perdu : ki soflast la regoteore,
    et el destendist en es l’ore
    et li archiers idonc traisist
    dreit al colon si l’abatist, done fust la chaeine rompue et la lanpe tote espand

    C’est probablement la première fois que l’on fait ainsi une rencontre qui s’attache autant à représenter la variété de notre catalogue : un temps ArchéoSF, un temps sur la maison en elle-même, un temps sur la Saga de Mô avec Michel Torres, un temps avec Florence Jou pour Kalces, un temps avec moi sur CdT. Je n’ai presque rien vu de Strasbourg en arrivant, la nuit est là quand nous sortons manger des Fleischknepfle avec (mais pas seulement) Jean-Yves Fick et Franck Queyraud. Ce sera ensuite marcher dans cette ville et la nuit, là où les lueurs sont brodées sur le corps même des cathédrales.


  • ↑ 1 En fait il y a trois entrées du journal au moins au cours duquel je parle de lui, sans compter Grieg : le 210812, le 090713 et le 250715.