Guénaël Boutouillet



  • 070218

    9 mars 2018

    La neige a perturbé les trains pour Nantes. Il a fallu en prendre un autre et voir blanchir les vitres là où la gare prend fin. Au Lieu unique pour une soirée publie.net organisée par la Maison de la poésie. Seb lira dans une projection de photos soleilgasoilées. Florence performera Kalces avec ses musiciens. Moi je réponds à des questions de Guénaël Boutouillet sur la maison, nos façons de procéder, les écritures issues du web et les livres qu’on aime et qu’on aime publier. C’était cool. La salle est pleine. Et on est traversé tous autant que nous sommes par des nuées et des nuées de neutrinos de part en part qui nous bombardent encore et encore.

  • 210119

    2 mars 2019

    Pas prévu de faire ça, errer de ville en ville en disant à celles ou ceux à qui je m’adresse que si je le fais, c’est pour trouver une idée d’endroit où vivre un jour, quand on aura quitté Paris. Le mot que je cherche en réalité n’est pas prévu mais prémédité. Bon. Je ne mens pas vraiment, je fais comme ça m’arrive souvent, c’est-à-dire que je tourne autour d’une vérité possible, c’est comme quand je parle à quelqu’un et que mes yeux orbitent autour de lui ou elle parce que je m’adresse moins à la personne qu’à l’instant. Alors c’est se mettre à un café quelque part et puis travailler à (des mails, des relectures à finir, des trucs à taper). Comme je n’avais donc rien ni prémédité ni prévu, je dois aller dans une pharmacie m’approvisionner en mélatonine et c’est aujourd’hui que Free a prévu de switcher la ligne mobile, merde, je me retrouverai donc sans tel pendant un bon moment, jusqu’à ce que ça revienne (une nano carte sim quelque part) puis, ensuite, ce n’était plus tellement le tel le problème mais la 4G, impossible de remettre la main sur la 4G. Je sais plus me repérer où que ce soit, ni dans l’espace ni sur un plan, sans GPS maintenant alors je passe mon temps à demander mon chemin, généralement la gare, ou autre, tant pis pour mes lubies d’arrêter de parler (hier c’est loin). Les sandwichs, j’en viens à détester les sandwichs, que je fais attention de prendre en boulangerie et pas dans les saloperies qu’il y a en gare, ça ne changera rien, là c’était une espèce de copa synthétique rouge fluo et puis plus tard une demi-baguette céréales avec du chèvre rance et des poivrons marinés limite acides. Ça pourrait être une bonne résolution 2019, ne plus acheter de sandwichs ailleurs que là où les sandwichs sont bons 1. Ou bien alors : refuser de passer son temps à manger en permanence la même chose, et généralement la même merde. Méditer là-dessus. À un moment donné il a fallu partir en quête d’un café ou d’un bar où boire un bon maté, ou un maté tout court, ce sera compliqué mais ici le type te montre ce que tu fais mal (je veux dire moi), par exemple lui n’y met pas d’eau froide au début et m’a dit, la mousse c’est important. Quelque chose à propos du sucre aussi, qu’il ne fallait pas en mettre, le vrai maté se boit amer, il n’y a que les grands-mères qui y rajoutent du sucre car elles, disait-il, elles en ont suffisamment bavé de l’amertume de la vie (ou quelque chose comme ça). Je ne lui dis pas que je mets du miel dans le mien et le fait est que le sien était bon (mais il est hors de question que je vienne vivre à Nîmes : il fait trop chaud l’été et puis quel intérêt d’être dans le sud s’il n’y a pas la mer ?). Avant de rejoindre le canapé dans un airbnb au loin j’ai cherché un lieu désert pour répéter mes « Bara no hanayome » : j’ai mes cartes avec moi, j’en lirai quelques unes, pour voir comment ça prend. J’avais en tête d’en lire huit (deux fixes, six tirées au hasard par une main innocente) mais on se dirige plutôt vers dix, je sais pas. Surtout, je peine à expliquer ma démarche en moins d’une minute chrono. Ce sera compliqué. Le type chez qui je loge à un moment : je conduis pas et je bois pas de café non plus. Je dois pas être adulte. Moi non plus. À cause de l’heure tardive à laquelle j’ai pris ce maté j’ai du mal à trouver le sommeil. C’est pas très confortable non plus. Pour une raison X ou Y j’en viens à me dire que j’ai peut-être fait n’importe quoi avec ces « Bara no hanayome ». Je n’aurais pas dû, au fond, y consacrer tant de temps et d’énergie, pour un résultat aussi aléatoire. Et qu’est-ce que ça dit de moi au fond que ces cartes ? Je crois que j’ai écrit ce que j’ai écrit en 48 exemplaires uniquement pour pouvoir y inscrire, cachés, des genres d’easter eggs sur ce qui m’est réellement précieux. Des instants. Des souvenirs. Des mouvements, de la peau. Des regards. C’est tout. Des trucs mais minuscules. Infimes. Et peut-être qu’il convient de supprimer tout le bordel autour pour ne garder que ça.

    En une semaine – le délai donné par le NASDAQ pour débrancher l’IBM -, avec l’aide de ses meilleurs ingénieurs, de beaucoup de câbles et de lignes de codes, il construisit une machine qui devait se comporter comme n’importe quel humain face à l’écran du terminal. Le robot devait remplir deux tâches principales : lire à l’écran les informations sur l’état du marché – du simple texte – et saisir des ordres sur le clavier en fonction des informations qui défilaient à l’écran. Petterfy et ses ingénieurs installèrent une imposante lentille de Fresnel sur l’écran du terminal pour grossir les informations, derrière laquelle ils placèrent une caméra. La caméra était reliée à un premier ordinateur qui décodait l’image et la transformait en texte. Ces données reconstituées étaient ensuite envoyées sur l’IBM où Peterffy faisait tourner ses algorithmes.
    Restait à résoudre le problème de la saisie des ordres. Le règlement du Nasdaq exigeait qu’ils soient exécutés « à l’aide du clavier », mais il ne disait pas qui (ou quoi) devait se retrouver derrière le clavier. Avec des bouts de caoutchouc et des pistons, les ingénieurs fabriquèrent des mains artificielles qui tapaient à la machine automatiquement. Et rapidement. Le bruit des doigts de l’appareil frappant les touches avec frénésie rendait parfois les conversations difficiles, mais la machine faisait parfaitement ce qu’on lui demandait : saisir des ordres sur le clavier en fonction des informations décodées depuis l’écran du terminal et qui entre-temps avaient été traitées par les algorithmes de Peterffy.
    Lorsque l’inspecteur du Nasdaq revint une semaine plus tard pour vérifier que tout était en ordre, il se retrouva face à un cyborg pourvu d’un œil énorme et de doigts artificiels, un mélange de mécanique du XIXe siècle, d’optique des années 1970 et de code informatique dernier cri. Il regarda la machine s’agiter bruyamment sur son clavier. Peterffy sentit que la situation allait lui échapper et joua son va-tout, avec humour, en proposant de construire un mannequin autour du robot, comme pour donner l’illusion qu’il s’agissait d’une secrétaire en train de taper à la machine, mais l’inspecteur quitta les bureaux sans plus de commentaire. Il n’avait pas grand-chose à dire : le cyborg respectait les règles.

    Alexandre Laumonier, 6, Points, P. 44-45 (extrait également cité par Guénaël Boutouillet il y a quelques années).


  • ↑ 1 Quand je bossais chez STAT, on était à quelques encablures à pieds du meilleur bougnat de Paris, dixit C., et pas une fois en quatre ans j’en ai pris un.