6 août 2009Outre The Harvest, qui est sans doute l’une des nouvelles (ou macro-fiction) les plus fortes qui soient (lignes intégrales offertes en version originale, suivez mon doigt), d’autres textes de Amy Hempel arrivent à brosser des incipit nets et complets, une véritable incision dans la page. J’apprends beaucoup sur l’art du texte court en lisant ses courtes histoires. L’importance de l’adjectif « net » en fait partie. On the last night of the marriage, my husband and I went to the ballet. We sat behind a blind man ; his guide dog, in harness, lay beside him in the aisle of the theater. I could not keep my attention on the performance ; instead, I watched the guide dog watch the performance. Throughout the evening, the dog’s head moved, following the dancers across the stage. Every so often the dog would whimper slightly. “Because he can hear high notes we can’t ?” my husband said. “No,” I said, “because he was disappointed in the choregraphy.” 22 mars 2010– on ferait des listes aussi surtout parce qu’on pourrait pas mieux dire ailleurs ou autrement – paraît aussi qu’on ferait des listes parce qu’on serait trop épuisé pour faire plus dense 1er novembre 2010Nouvelles du front, y en a plusieurs.
11 novembre 2010Hier dernière journée parents pour Paris, qui repartiront demain, c’est à dire aujourd’hui, et l’expo Chéreau traversée au Louvre était un peu courte. Les quelques photos prises au poignet, c’est à dire à l’Iphone, sont surtout des photos de photos de Nan Golding, et surtout celle-ci, et m’arrangeant pour apparaître dans le reflet du verre, afin que mon corps traverse l’image superposée comme un spectre, comme un spectre, oui.
La lumière fin de journée sur les immeubles d’affaire Gare de Lyon est à la fois d’or et plongeante et les immeubles d’affaire se renvoient des morceaux de ciel coupés en deux. Cette fois la correspondance que je n’achète pas est celle de Violette Leduc, de même je n’achète pas Ce vice impuni, la lecture de Valery Larbaud, Les OVNIs en URSS et dans les pays de l’est ou Suicide mode d’emploi mais d’autre(s) livre(s). Plus tôt dans un restaurant de la rue St-Honoré le jeune serveur parle de gay pride et le mec à la table derrière refuse qu’on lui offre une chemise qu’il n’aurait pas pu essayer au préalable et « une ceinture pas mieux ». Plus tôt encore je termine de lire le manuscrit que P. m’a envoyé il y a quelques jours et quelques pages de notes à lui envoyer en retour. Je reprends La fille aux cheveux étranges, commencé parallèlement à Sans et Open Space il y a une dizaine de jours, et cet extrait tout à fait singulier issu de la première nouvelle où Julie et Faye cherchent des situations qui auraient pu les conduire à « tomber dans le lesbianisme ».
Le soir après conversation sur l’écriture féminine se rendre compte que la nouvelle d’Amy Hempel mise en ligne la semaine dernière en traduction sur le site ne comporte aucune marque pour identifier le genre du narrateur ou de la narratrice. Les seuls indices fournis par le texte sont les suivants : le genre de l’auteur, le fait que le/la narrateur/trice a rendez-vous avec un homme (« my date ») et qu’il/elle se soit fait agresser par deux hommes. Le simple fait de ne pas m’être posé la question du genre 1 de la narratrice (qui en était une évidemment) me reste en travers de la gorge et je devrais sans doute, obligatoirement, en faire une version masculine, puisqu’il est bien sûr impossible de reproduire l’ambiguïté sexuelle en français : les participes passé trahiraient tout 2. 16 novembre 2010Dresser encore d’autres listes fictives de fausses offres d’emploi faussement sollicitées me donne l’impression d’effectuer ni plus ni moins qu’une falsification de moi-même, et c’est sacrément bien.
17 novembre 2010Traduire, travaux.
Je l’ai mis en exergue dans la catégorie « Traduction » du site, je ne suis « pas traducteur » mais comme l’écrit Laurent Margantin en marge de ses fragments traduits de Kafka, traduire c’est écrire, et en transposant les mots d’Amy Hempel dans les miens je me rapproche autant de sa langue à elle que de ma propre écriture.
« You can was again », très littéralement : « tu peux l’étais encore », en réponse à la réplique précédente : « (plus heureux) je l’étais, et puis je ne l’étais pas ». Outre la grande difficulté à transposer le plus convenablement possible cette minuscule fragrance poétique, je me rends compte, ayant spécifiquement le nez, les dents, les mains dessus (dedans), que cette phrase ridiculement petite est aussi l’épicentre de tout le texte 3, tout comme l’animal s’échappant de sous la pierre est un autre des symboles de cette nouvelle. Et j’ai, moi aussi, l’impression d’avoir soulevé la pierre sur une bête, une bête qui certes m’avait fait sourire à première lecture mais que je n’avais pas vue réellement, ou en tout cas que je n’avais pas reconnue comme la phrase pivot du texte, celle qui fait tout fonctionner, mais maintenant je vois mieux, scalpel en mains, écarteurs prêts à mordre.
14 janvier 2011Des refus, encore quarante à venir, bien plus encore, des lettres type ou pas type, manuscrites ou dactylographiées, des comptes-rendus ou bien des sentences sèches, des mecs qui auront lu ou qui auront pas lu, jusqu’au bout ou pas jusqu’au bout, par mail ou par voie postale, par hasard ou par cœur, peu importe tout ça, et le fait est qu’hier, voyant venir le gros paquet, mon enveloppe, mon écriture, sachant d’avance que ça voulait dire niet, je me suis surtout réjoui de recevoir en parallèle La vieille au buisson de roses commandé il y a quelques jours. Le reste pas important, juste savoir que moi au moins je n’ai pas perdu mon temps. Bizarrement, les refus reçus pour Cette vie étaient plus déprimants. Peut-être c’est l’habitude. Peut-être c’est un symptôme.
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19 janvier 2011Je suis habillé comme un croque-mort, le niveau de l’eau n’a pas baissé et Manpower m’envoie des mails à une heure du matin. Impossible soul, chanson fleuve de Sufjan Stevens, dure 25 minutes. Je me demande si, avant la fin de cette chanson, je pourrais mettre un pied dans le hall de l’immeuble, l’ascenseur voire même l’intérieur du bureau qui m’attend. La réponse commune à ces trois questions est non. Je revoie mes bases, encore le cul dans le plastique du train, pour m’occuper les pouces. Je tape « entretien », Google termine pour moi. Il reste un choix : d’embauche ou avec un vampire ? Hésiter dès cette étape, c’est déjà se préparer à perdre, non ? La page que je consulte s’intitule « COMMENT RÉUSSIR UN ENTRETIEN D’EMBAUCHE » et se vante d’avoir reçu, depuis X jours, semaines, années, plus de trois millions deux cent milles visites. Je dis chapeau. Impossible soul est en passe de finir. Et dire que je n’ai pas encore quitté le train. Mon guide tactile censé m’apprendre « COMMENT RÉUSSIR UN ENTRETIEN D’EMBAUCHE » est du genre à parler en majuscules, police large, afin de tamponner les mots sous crâne et qu’ils y restent. Leur premier conseil concerne l’arrivée sur les lieux de l’entretien : « N’HÉSITEZ PAS À CONTACTER LA MAIRIE POUR QUE L’ON VOUS EXPLIQUE OU QUE L’ON VOUS FAXE UN PLAN ». Il fait froid, l’aller-retour pour Evry coûte précisément 3.30€, j’ai dé-zippé, avant de partir, le double-col de mon manteau. « ALLURE : CHEVEUX COIFFÉS CORRECTEMENT SANS PELLICULES, DENTS ET HALEINES FRAÎCHES ». Comment ai-je pu simplement croire et être si naïf ? Impossible Soul est terminée depuis si longtemps qu’on est maintenant passé à Bach. « SOYEZ VOUS-MÊMES ». Je me rends compte que je n’ai rien pris pour écrire, le guide voit rouge, ce serait d’après lui indispensable, ne serait-ce que pour pouvoir noter la date et l’heure d’un éventuel prochain rendez-vous. Je me dis que je pourrais m’en sortir en utilisant une technique issue de l’insomnie. Lorsqu’il m’est impossible de trouver le sommeil et que, l’esprit divaguant en vase clos, me vient une idée digne d’être retenue, pour ne pas l’oublier d’ici le lendemain tout en se retenant de se lever pour la noter, je déplace un objet autour de moi afin d’y inscrire cette minute, cette émotion. Le lendemain se lever, voir le réveil à l’envers ou la lampe de chevet à l’autre bout de la pièce et retrouver cette minute, l’idée ancrée avec, et pouvoir la noter. Mais une fois dans le bureau du recruteur, retourner ses dossiers ou balancer sa lampe ne m’aidera pas vraiment à mieux me souvenir ni de la date ni de l’heure, pas vrai ? « UNE FOIS SUR PLACE, SI L’ON VOUS FAIT ATTENDRE, SURVEILLEZ-VOUS ! » On me fait attendre. Je me surveille. Je ne suis ni avachi sur ma chaise, ni en train de me démanger de façon suspecte. « RIEN NE DIT QUE PERSONNE NE VOUS OBSERVE ». Je miserais sur ce type, au fond de la pièce, trop enrhumé pour être honnête. « SI L’ON VOUS FAIT ATTENDRE PLUS QUE DE RAISON, RENSEIGNEZ-VOUS AVEC CALME ET GENTILLESSE ». J’aimerais pouvoir, ne serait-ce que pour pouvoir utiliser l’expression plus que de raison (« excusez-moi madame, je crains que l’on me fasse attendre ici plus que de raison, j’en suis navré moi-même ») mais ne vois plus personne autour de moi. L’enrhumé de tout à l’heure a finalement filé, ou succombé dans la minute, mais succombé à quoi ? Le recruteur est une femme. Elle s’approche et dit mon nom, j’ai l’impression d’avoir gagné un prix. Je ne sais pas encore ce qu’est ce prix. « SI ON VOUS TEND LA MAIN, PRENEZ-LA ET SERREZ-LA FERMEMENT ». L’entretien commence, je suis censé me présenter, je n’ai gagné aucun prix, j’ai d’abord envie de dire : « où est mon prix ? » mais le prix pourrait simplement être l’enjeu du jour, alors se taire. « NE FUMEZ PAS, SAUF SI LE RECRUTEUR VOUS PROPOSE UNE DE SES CIGARETTES ». Je lui demande si elle fume. Je ne vois pas le moindre paquet de cigarettes sur son bureau. Si j’avais un stylo en ce moment même, je jouerais avec avec mes doigts, mais sous la surface du bureau pour qu’elle ne puisse pas voir. « SI VOUS POUVEZ AJOUTER DES ÉLÉMENTS CONCRETS ET CHIFFRÉS, FAITES-LE ». J’ai vu passer, dans l’open-space, seize paires de pieds durant mon attente. Les marques de chaussure que j’ai retenues sont les suivantes : Converse, Kickers, Nike et Doc Martens. Les autres je ne les connaissais pas, où elles n’étaient pas indiquées. Il s’agit là d’éléments concrets, chiffrés et invérifiables. « VOUS POUVEZ ÉGALEMENT CITER DES EXPÉRIENCES EXTRA-PROFESSIONNELLES POUR MONTRER VOS QUALITÉS ». Cette photo sur votre bureau, c’est votre fils ? Très belle photo. Il est célibataire ? « NE VOUS PRÉSENTEZ JAMAIS COMME UN SURHOMME ». Elle voudrait connaître un aspect de mon précédent poste dont je serais particulièrement fier ou satisfait. Je lui explique, une fois, c’est à dire plusieurs, avoir participé à un blindtest entre collègues sur le thème « les bides des années 80 ». Est-ce qu’elle connaît, elle qui est peut-être de cette génération, un mec appelé Gérard Blanc ? « ÉVITEZ DE RÉPONDRE À CÔTÉ D’UNE QUESTION, CELA DÉNOTE UN MANQUE D’ÉCOUTE ». D’autres chaussures défilent loin derrière le bureau, dans le fond, prêt des fenêtres. À un moment donné, il me semble reconnaître le logo Fila, mais peut-être que je me trompe. Cette marque existe-t-elle encore ? « NE DITES PAS DE CHOSES QUI POURRAIENT VOUS NUIRE PAR LA SUITE ». Elle voudrait connaître mes défauts, je lui réponds que c’est mon sujet de conversation préféré, je n’oublie pas de sourire car mon guide le recommande chaudement. Mon défaut principal, je suis intolérant, ce que je déteste par dessus tout, plus encore que le temps d’attente à quai quand un train n’arrive pas, ce sont les femmes qui portent leurs bottes par dessus leur jean. Je précise que ce n’est pas une remarque personnelle et qu’elle n’a pas à se sentir visée. Contrairement à ce que prétend le guide, elle n’aborde pas la question de mes qualités. « À LA FIN DE L’ENTRETIEN, ON VOUS DEMANDERA SI VOUS AVEZ DES QUESTIONS, IL FAUT TOUJOURS EN AVOIR AU MOINS UNE ! » J’en ai une, oui. Imaginez que vous recevez un mail de Manpower à une heure du matin. Est-ce que vous l’ouvrez ? « VOUS DEVEZ DÉFINIR SI C’EST VOUS QUI RECONTACTEREZ LE RECRUTEUR OU L’INVERSE ET DANS QUEL DÉLAI ». Je la fixe sans cligner l’oeil le temps de la poignée de main d’au-revoir. Elle me conseille, pour mon prochain entretien, de porter une cravate. Le problème, c’est que je n’en ai pas. Je ne sais même pas faire un noeud de cravates ; si c’était le cas, ce serait noté en bonne place sur mon CV. Je lui demande si d’après elle je suis plutôt du genre à les porter rouges ou bien noires, ces cravates, ce qui m’irait le mieux au teint. Vous pouvez profiter des soldes, elle me dit. Bach reprend où il s’est tu. Il y a des cravates en soldes dans le centre commercial d’à côté, je leur préfère London Orbital. Il y a tellement de corps, dans la rue et sur les quais, à porter des Converse, que je me dis compte-les. Tellement que je me perds dans les chiffres. 25 janvier 2011Week-end passé entre la mise en ligne d’Accident de personne sur Publie.net et l’envoi tout azimut de CV et autres lettres soit disant motivées pour tout un tas de trucs ou offres pour la plupart déjà oubliés. MatriochkaJe pense à la cravate. Pire que la cravate, il y aurait les chaussures. Du genre en cuir et qui brillent, du genre pointues devant et longues. Si je devais me retrouver un jour à devoir en porter, je crois que ce détail aux pieds serait susceptible de me faire dire ou, pire, penser, la fameuse phrase fantôme qui revient quelque fois : « mais comment j’ai pu en arriver là ? » Hier écrit tant de mails que j’ai déjà zappé d’en attendre une réponse. Terminé deux nouvelles dont l’une d’elle n’existait pas quelques secondes plus tôt. Me suis servi de Photoshop pour faire comme de la poésie. Ai terminé un premier jet de traduction toute barbouillée pour une nouvelle d’Amy Hempel appelée Jesus is waiting, résolument la plus, comment dire, bizarre, que je n’ai jamais lue. J’ai mal à la gorge, ne lâche quasiment aucun mot. Je me dis que kiss bye boy devrait me tenir un an : cinq mois de premier jet, et puis le reste pour corriger, réécrire. D’ici la fin de la semaine prochaine terminer la première partie, enchaîner avec la deuxième dès ensuite. Faut dire que le temps tourne. Et Jésus qui attend (ou pas).
27 janvier 2011Depuis hier, un dégât des eaux dans les parties communes. Le plafond fuit sur le palier. Nous sommes au dernier étage de l’immeuble, le toit est bouffé faut dire. On a mis des bassines, dessous, deux, et des gouttes tombent, toutes les X secondes, et ça fait plic, ploc, en tombant. Ce matin migraine, régurgitée d’hier, Dafalgan n’a rien fait, la nuit n’a rien fait, ou si peu, et ça fait plic, ploc, en tombant sur l’oeil droit, tout à fait à droite, au bord du bord de la droite, ça éclabousse la tempe.
28 janvier 2011Svetlana. Elle me dit vous êtes en retard. Je mythonne. J’avais besoin de passer au centre commercial d’à côté pour acheter une cravate, une cravate pour tous les entretiens que j’ai pas mais que je pourrais avoir, elle se souvient ? Comme c’est les soldes, j’ai profité. Assez de temps pour y aller, voir, choisir, payer, repartir et arriver en retard. Il y a eu un moment, c’est vrai, où il a fallu choisir entre une cravate et un DVD de David Lynch. Il se trouve que j’ai choisi la cravate. Il se trouve que la Fnac n’avait en rayon ni Inland Empire ni Lost Highway. Est-ce que c’est ma faute ? La cravate était noire, moins 50%. À la caisse une vendeuse a remarqué qu’un client avait oublié, dans une veste essayée puis posée, sa carte de crédit et une sorte de post-it. Peut-être pour préciser le code. Peut-être une note de suicide, rédigée à la va-vite, en style télégraphique. Svetlana, dans son bureau ça sent toujours comme une espèce d’odeur. Des épices exotiques. Ce serait presque un seul mot. Désépicesexotique. Un genre de produit qui décape et qui sent, comment dire, un peu fort. Faut dire qu’il faut, le soir, désincruster l’odeur, sur les sièges et les murs, de tous les ploucs du coin, qui croient venir pour trouver, pour trouver du boulot. Voilà le genre de trucs que je devrais dire, devant le bureau de Svetlana quand elle me demande ce que j’ai fait ces dernières semaines pour en trouver, du boulot. Je lui dis : Svetlana, je n’ai rien fait de ce que vous m’avez demandé de faire, mais putain cette fois j’y crois, ça va payer. Je n’ai pas acheté le DVD mais je sais que le générique d’ouverture de Lost Highway montre une route qui défile, de nuit, la caméra au ras du sol et les lignes (jaunes) qui saccadent au milieu, sur une musique terrible intitulée I’m deranged. Il se trouve que j’ai trouvé trois offres, hier ou bien la veille, qui correspondaient pile poil à mon profil et à mon expérience. Je suis super content. J’ai postulé bien sûr, j’attends une réponse, et puis de quoi expérimenter le costume, la cravate toute fraiche achetée. La chanson est de David Bowie, sur l’album Outside. Elle fait no return no return. Elle me conseille, sur mon CV, de faire remonter mon soit disant « anglais courant » pour qu’il soit visible en haut de la page. I’m deraaaaaanged. On pourrait le remonter, oui, comme elle remonte ses seins dans son soutif pendant qu’elle parle et l’air de rien. Deranged my love. Moi, ce que je me demande, c’est si je peux appeler, appeler directement ces trois boites, et leur demander si le dress code est casual ou pas. I’m deranged down down. Comme ça d’une pierre deux coups : savoir si vraiment ça m’intéresse, car je tiens pas à garder la cravate autrement que pour l’entretien, et leur prouver d’entrée que je suis, genre, totally bilingual, elle voit ce que je veux dire ? So cruise me babe. Elle voit pas. Cruise me baby. Elle m’explique que puisque j’étais tellement en retard le temps imparti pour notre entretien quinzomadaire est déjà terminé. Je n’ai pas eu le temps de ne pas lui dire que mes lettres de motivation ne l’étaient pas, je n’ai pas eu le temps de lui mentir sur rien, je n’ai pas eu le temps de lui expliquer que je n’avais pas eu le temps de commencer London Orbital, car La fonction du balai attendait sur ma table depuis plus longtemps. C’était lui le prochain sur la liste : je suis du genre méticuleux. Je crois savoir qu’elle sait : c’est écrit sur mon CV. Elle se lève pour que moi je me lève. Soit. Je prends mes affaires, mon manteau, ma cravate, poignée de main, regard droit dedans l’oeil, au-revoir, see you next time. Si j’avais su avant que mes entretiens pouvaient s’écourter, j’aurais joué la carte cravate plus tôt, et arriver en retard serait devenu une bien belle habitude. Dehors condensation hors de ma bouche. Un kleenex. Ce matin attrapé un paquet au vol avant de partir. Il trainait sur le buffet de la cuisine, contre le sac d’épices ramenées du Maroc par les parents de H. Alors quand je me mouche : désépicesexotique, partout la même odeur, même dans la rue, même traversée par les pointillés jaunes de toutes les lost highways du monde, ceux qui saccadent, ceux qui indiquent qu’on peut doubler.
31 janvier 2011
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C. explique qu’il déteste Mrs Dalloway, c’est son droit. Il cite en exemple ce passage. Et l’un des adjectifs qu’il utilise est bien celui-là : « féminin », ce qui me hérisse le poil et je lui dis. Nous avons déjà eu, H. et moi, cette conversation X fois et X fois mes mots étaient les mêmes : il n’y a pas de littérature féminine comme il n’y a pas de littérature masculine. Je pense à V. chaque fois que j’y pense, comme aujourd’hui. Il y a plusieurs semaines déjà lui avoir envoyé l’image qui servira de couverture au prochain volume 8 de la revue TINA qui a pour titre « Gender surprise ».
Les Essais de Montaigne fourmillent d’anecdotes farfelues de ce type, ce qui fait dire à Guy de Pernon, traducteur et auteur des notes de cette édition adaptée en français moderne, que Montaigne serait crédule. La note 123, par exemple, précise que cette anecdote-là concerne « Marie la barbue », et, un peu plus loin, une citation extraite du Journal de Voyage en Italie : « Nous ne le sceumes voir parce qu’il estoit au village » et la note de préciser « ce qui ôte quelque peu de crédit à l’affaire... ». Ailleurs bon nombre d’autres remarques sexistes, malgré anachronisme, à ce moment là les notes précisent un brin amère que Montaigne était bien « un esprit de son temps ».
Le Diable m’explique, via Twitter, que c’est un livre qui me fera grandir et je le crois. Je suis déjà marqué au fer rouge et écrire n’est déjà plus écrire de la même façon.
C’est arrivé avec Référence #388475848-5, la première nouvelle d’Amy Hempel que j’ai traduite, il y a quelques mois. C’est arrivé : je l’ai traduite, et ensuite me suis rendu compte que le texte original ne comportait aucune marque de genre, aucune qui puisse permettre de deviner le genre du narrateur ou de la narratrice. Alors je l’ai repris, ce texte, et j’ai gommé, à mon tour, les marques de genre dans ma traduction. Même chose avec Jesus is Waiting, sauf que cette fois je l’ai vu avant, j’ai pu gommer de suite. La texte est plus long, les occurrences à modifier plus nombreuses, c’était plus délicat. Mais pas insurmontable. Le plus souvent, il s’agit simplement de modifier l’auxiliaire du participe passé : aller de être vers avoir. Hier évoqué cette question avec H., savoir si c’était indispensable, et pourquoi par exemple ne pas voir une logique de recueil ? Dans tel texte c’est une femme qui dit « je », on dirait alors que ça vaudrait pour l’ensemble du livre ? Mais ça ne me convainc pas. H. m’a dit : si tu penses que c’est important, ça l’est. Et c’est le cas. Je n’ai pas besoin d’en savoir beaucoup plus. 1er février 2011Elle ne m’a pas donné son nom. À présent ils m’appellent, ils m’appellent jusque chez moi, où je pensais être sauf. Svetlana a dû leur donner mon numéro. À moins qu’il s’agisse de cette offre à laquelle j’ai répondu ce matin ? Juste après la musique d’attente, elle me dit monsieur, vous êtes dans la base. Je réponds vraiment ? Elle répond vraiment. Cette musique d’attente, je la connais. C’est un air familier, je l’ai déjà entendu c’est sûr, à la télé sûrement, ou sur d’autres musiques d’attente d’autres standards bookés. Elle veut savoir si j’ai des références : je dis mademoiselle j’ai des références. Comment savoir, juste à la voix, si la voix sonne madame ou mademoiselle ? On ne peut pas. Ce mot est un pari sur rien. Un saut dans le vide. Je retiens mon souffle. Aucune remarque. Je crache mon souffle stocké en gorge hors de la zone micro. Elle veut savoir quelles étaient mes tâches dans mon dernier emploi, je lui réponds vous voulez pas plutôt connaître mes défauts ? J’ai la liste exhaustive sous les yeux, c’est à dire dans ma tête. Et je retrouve le nom : le nom de la musique d’attente. Elle veut savoir si je suis intéressé par l’intérim. C’est Debussy, pas vrai ? Ça pourrait déboucher sur du concret, un CDD par exemple. Rêverie ou Clair de lune, je crois. C’est très aléatoire. Pas facile à dire, comme ça, à l’oreille, mais ces deux trucs se ressemblent, et puis c’est tout au piano, faut dire. Je prends E. en double appel, elle me dit qu’il faut que je la rappelle : elle prend un café avec un type, mais elle a moyen envie de lui parler, elle voudrait que je lui serve d’alibi le temps qu’il s’en aille de lui-même. Je dis je comprends. Je dis ça va sinon ? L’appel est coupé, l’autre voix me recommande d’éviter avec elle ce genre de familiarité. Je vois ce qu’elle veut dire. Juste avant son appel un autre appel, à l’autre bout la voix me faisait comme du charme. Elle me disait monsieur j’ai le plaisir de vous informer que vous venez d’être tiré au sort dans notre grande loterie régionale êtes-vous heureux ? J’ai regardé sur l’écran, le numéro affiché était 0111111111. Je veux dire, je veux bien qu’on me donne de bonnes nouvelles par téléphone mais comment un numéro pareil pourrait-il ne pas être faux ? Et je me demande : remarquer que la voix dans le téléphone à un accent de télé-opératrice de Mumbai, est-ce que c’est une pensée raciste ? Elle me dit revenons à votre CV, vous voulez bien ? C’est exactement le problème. J’aimerais que mes interlocuteurs soient aussi professionnels que cette voix. La télé-opératrice de Mumbai, elle, ne l’était pas. Elle n’arrêtait pas d’essayer de me flatter et de me dire des choses comme c’est une occasion unique c’est un grand plaisir pour nous de vous apporter la joie et le bonheur. J’ai envie de lui dire : même si je succombais à votre charme, mademoiselle, comment pourrions-nous consommer quoi que ce soit, moi étant ici et vous là-bas ? Aucune des deux voix n’a clairement répondu à cette question. La deuxième voix, celle de Mumbai, me demande si je veux connaître la nature de mon lot et je crains le pire. La première voix demande : avez-vous travaillé votre anglais sur votre précédent poste ? Un magnifique scooter Peugeot d’une valeur de X€. Je demande à la première voix si d’après elle cela se fait d’annoncer le prix d’un cadeau à la personne censée le recevoir. Je dis je n’ai pas besoin d’un scooter. Je dis je ne conduis rien, ni des scooters ni quoi que ce soit. D’après Mumbai c’est un cadeau. Je lui dis j’habite en immeuble et il n’y a ni parking, ni garage. Où est-ce que je pourrais bien mettre ce scooteur ? Je pose cette question aux deux voix, aucune ne répond. La première voix voudrait savoir si mon anglais est courant. La voix de Mumbai me dit vous pouvez toujours l’offrir à un ami. Je dis c’est stupide. Je dis probablement. Ou bien l’inverse. La voix de Mumbai me propose d’échanger mon lot : je crains le pire. La première voix voudrait connaître quelles sont mes exigences salariales. Un MP3 et un micro-ondes. Elle parle en K€, comme dans les jeux de management, c’est à dire en kilos d’euros littéralement. Je dis un chiffre, je dis X sacs de billets, non marqués, petites coupures, et qu’elle vérifie bien que les numéros mon Dieu surtout ne se suivent pas. Je dis j’ai déjà un MP3 et un micro-ondes. Vous pourrez toujours les offrir à un ami. La voix de Mumbai est du genre généreuse. Elle pense aux amis tout de suite, on peut dire qu’elle est au taquet. La première voix veut savoir si je suis disponible. Je dis je suis au taquet. Je dis quel intérêt ? Je veux dire : pourquoi vouloir m’offrir à moi des choses que j’ai déjà, pourquoi ne pas appeler directement tous ces amis à qui je pourrais offrir ces lots ? J’estime que quand on peut gagner du temps (précieux, est-il nécessaire de le rappeler) il faut se donner les moyens de le faire, surtout au téléphone. La voix de Mumbai me dit monsieur je peux vous assurer que je n’ai rien à vendre. La première voix aimerait me rencontrer. Je dis j’espère bien. Je dis je ne vous en veux pas. C’est juste une question philosophique, vous voyez, pourquoi vouloir me fourguer des produits dont je n’ai pas besoin et que je ne veux pas sous prétexte que ce serait gratuit ? La crise financière, ça vous dit rien ? Je demande à la première voix si, d’après elle, la crise touche aussi Mumbai. Elle me dit probablement, jeudi ça vous irait ? Jeudi c’est très bien. Mumbai a raccroché : je n’ai même pas eu le temps de lui demander si la musique d’attente de son standard est, aussi, du Debussy, et si elle connaît le nom précis de cet air qu’on entend partout. Sa dernière phrase était : je vois monsieur et bien je vous souhaite quand même bonsoir. Je note mon rendez-vous avez la première voix. Mes dernières phrases sont : lors du rendez-vous est-ce qu’on va se voir réellement ou est-ce que ce sera encore téléphonique ? et : est-ce que ça veut dire que je suis censé porter une cravate ? 3 février 2011J’ai mis la cravate. J’ai mis un costume autour de la cravate. Je me suis vu dans la glace, j’ai dit : merde. Voilà ce que j’ai dit. J’ai une demi-heure d’avance en bas de l’immeuble, boulevard WTF. Celle de l’accueil me propose un café, un verre d’eau, non merci, puis elle m’enferme dans un bocal où j’attends la voix d’avant-hier, la première, censée me recevoir. J’ai des papiers à remplir. On photocopie mes papiers pour constituer un dossier. Ils m’ont demandé d’apporter une photo. Est-ce qu’ils verront que dessus j’ai cinq ans de moins qu’aujourd’hui ? Une fois les papiers remplis, m’explique celle de l’accueil, décrocher le téléphone sur la table, faire le 116 et dire go ! Est-ce que je peux dire un autre mot ? Celle qui mène l’entretien est une autre Svetlana. Une variante, mais le modèle est le même. Svetlana Classe S. Ou T. Ou C. Peu importe la lettre. La classe au-dessus c’est tout. Lorsqu’elle entre dans le bocal je me lève et lui plante mon oeil droit dans le sien, de cette manière savoir que je suis reliable, available, professional. Je le pense avec l’accent. Je mets la main libre sur la cravate pour qu’elle ne pende pas bêtement pendant la poignée de main, l’autre. L’autre main est ferme et froide mais Svetlana se cambre et recule à son contact. Électricité statique, je dis. Je dis : avec ce costume, je me suis déjà payé dix-sept coups de jus depuis ce matin. Elle dit : payé ? Elle dit : coup de jus ? Je lui dis ça ne se voit pas, mais les poils de mes jambes sont tendus comme des picous sur un cactus. Chouette image. J’y ai pensé quelque part entre la ligne D et la ligne A, l’ai pris en note sur mon téléphone, voulu le twitter mais sur le quai en dessous ça captait plus. Elle m’invite à m’asseoir. Dans les documents à remplir, il y avait une lettre type à corriger, pour vérifier mon niveau de français. J’ai corrigé en rouge. Je dis à Svetlana : j’ai mis une note et une appréciation en haut de la feuille, j’espère que c’est ok ? Un visage humain a une infinité de façons de faire comprendre à son interlocuteur si c’est ok ou pas. Un visage humain est une énigme. La copie s’en tire avec un « ce n’est pas sérieux ». Nous revoyons ensemble mon background. Elle me dit si vous avez quelque chose à ajouter n’hésitez pas. En réalité, oui, j’ai quelque chose à ajouter. Est-ce qu’elle est allée voir l’exposition L’or des Incas à la Pinacothèque ? Moi oui. Hier, tout juste. Le truc, c’est que j’ai été un peu déçu. On n’aurait pas dit du vrai or. Je m’imaginais ça plus brillant. Je veux dire sur l’affiche, ça l’était, alors pourquoi pas derrière les vitrines ? Est-ce que c’est suffisant pour le qualifier de « publicité mensongère » ? Je suis sûr que je ne suis pas le seul à m’être fait la remarque. Elle veut que je décrive une de mes journées types sur mon précédent poste. Je dis : il y avait un truc dingue, c’était un protège-coccyx. Et il était en or, oui mademoiselle, en or, le truc. Je veux dire : putain, est-ce qu’en toc ce serait pas suffisant ? Je caresse ma cravate, je retire le putain. Sur mon précédent poste, j’explique, ma journée commençait par le relevé mental des appels manqués sur l’écran de mon téléphone : en dessous de cinquante, ce serait sans doute une journée calme. Au-dessus de cinquante, ça commencerait à faire. Au-dessus de cent, je faisais dissoudre un Doliprane dans un gobelet en plastique en prévision. Elle dit : êtes-vous véhiculé ? Et la momie, j’explique. Il y avait une momie en toute fin d’exposition. Une vraie momie. Elle ressemblait à Rascar Capac. Recroquevillée derrière la vitrine, les mains tournées vers les éclairages électriques et les orbites vidées, vidées par Dieu sait quoi ou qui. Je dis : même si j’avais le permis jamais je conduirais dans Paris ou autour, j’aurais bien trop la trouille. Elle dit alors : vous prenez les transports ? et moi je fais : je prends les transports. Je précise que ce n’est pas une fatalité, ni rien. Je suis content de prendre les transports. En fait, j’adore les transports. Et les transports me le rendent bien. Avez-vous déjà entendu parler d’un truc appelé Accident de personne ? Je ne voudrais pas donner l’impression que je me la pète comme on dit mais il se trouve que j’y ai joué un rôle plutôt important, si vous voyez ce que je veux dire. Elle ne voit pas ce que je veux dire. Est-ce que j’ai des questions à ce stade de l’entretien ? Je dis oui : comment croyez-vous que j’ai fait pour comprendre que ce n’était pas Rascar Capac dans cette vitrine ? J’ai regardé son pied. Le pied de la momie. Je veux dire : d’abord j’ai regardé pour voir le reflet de ce type aux cheveux bouclés que je trouvais canon mais que je ne pouvais pas regarder directement, vous comprenez. Et derrière les boucles et derrière les reflets du col fourrure de son blouson en cuir, je l’ai vu. C’était un antivol. Un antivol accroché au pied de la momie. À sa cheville. C’est comme ça que j’ai compris qui c’était, ou plutôt qui ce n’était pas : Rascar Capac. Car Rascar Capac n’a aucun antivol au pied, ça j’en suis sûr. J’en suis tellement sûr qu’on pourrait l’ajouter de suite noir sur blanc sur mon CV. Compétences : autonome, polyvalent, réactif, possède une connaissance telle des Sept boules de cristal et du Temple du soleil qu’il est prêt à parier sa vie sur le fait que Rascar Capac ne possède pas d’antivol accroché à la cheville. Je relis l’ajout manuscrit. Ouais. Ça en jette. Elle est d’accord. Elle voudrait tester mon niveau d’anglais, si ça ne me dérange pas. Je dis not at all pour qu’elle voit que 1) j’arrive toujours à suivre et 2) j’ai l’esprit assez vif pour faire des clins d’oeil mentaux improvisés. Elle voudrait que je dise quelque chose en anglais, elle me dit allez-y. J’y vais. Je lui recrache in extenso le contenu d’une scène de la série Friends, que je connais par cœur. Tous les mots sont corrects, la syntaxe nickel chrome et l’accent made in TV. La scène se termine par la phrase : « if I see one more cup of coffee... » ensuite les rires en boite débarquent. Sans les rires en boite, la blague tombe un peu à plat, car on ne sait pas où il faut rire. Je lui demande si elle a compris la chute. Je lui dis je pensais que vous vous sentiriez plus concernée car c’est une blague gynécologique. Je me demande : est-ce que cette remarque était sexiste ? Elle croise puis elle décroise les jambes sur sa chaise en plastique. Elle veut savoir comment j’en suis venu à travailler pour mon ancienne boite et je réponds (jambes croisées) par hasard (jambes décroisées) et, pendant que je raconte mon histoire, elle feuillette mon dossier, effeuille mes papiers photocopiés. Elle me coupe. Elle veut savoir si c’est normal qu’au dos de la photo d’identité que je lui ai fournie il soit inscrit mon nom ainsi que la mention « Lettres Modernes, Groupe 1 ». Je lui dis mademoiselle, je ne vais pas vous mentir, cette photo n’a pas été prise aujourd’hui ni même cette année. Mais quelle importance, pas vrai, puisque cette photo représente, comme tous mes amis s’accordent à le dire et à le penser, une « version plutôt pas mal de ma tronche à son apogée de séduction juvénile » ? Et je lui dis : franchement, sur une échelle allant de 1 à 10, en vous basant uniquement sur cette photo, vous me donneriez combien ? C’est bien ce qui me semblait. Elle me dit je n’ai plus que quelques questions avant que nous puissions conclure l’entretien. Par exemple, est-ce que je serais intéressé par l’intérim courte durée ? Elle précise que je serai payé à l’heure, avec un délai de onze jours après la fin du mois. Ou encore, est-ce que je serai tenté par l’expérience d’un apéro-entretien ? Je dis j’ai vu ça une fois à la télé. Je dis malheureusement je ne bois pas. Elle : vous ne buvez aucun liquide ? Moi : est-ce que le yaourt est considéré comme un liquide ? Ou la crème La Laitière™ ? Je la préfère au chocolat. Elle aussi. Svetlana me dit que d’après elle nous avons terminé et je la remercie. Svetlana me dit qu’elle ne s’appelle pas Svetlana, invente un autre prénom que je ne retiens pas. Je dis : oui, bien sûr. Au moment de nous serrer la main pour nous dire au revoir, je me cambre et recule. C’est un réflexe, dicté par l’électricité statique. Je dis à Svetlana, quel que soit son nom, que la première chose que je ferai une fois quitté l’immeuble, ce sera de passer un jean, défaire la cravate et la rouler en boule. Plutôt qu’une poignée de main, je l’embrasse. Free hug, je lui dis. À l’oreille j’explique : lorsque je le prends dans mes bras, mon lapin a la fâcheuse manie de vouloir s’appuyer sur mes coudes pour essayer de sauter jusqu’à mes épaules. Ce qu’il ne comprend pas, c’est qu’au-delà de mes épaules, forcément, il n’y a rien, sinon 1m70 de vide et le carrelage en bas. Je veux dire : le lapin n’a pas conscience d’être déjà en hauteur. Je lui suggère de ne pas effectuer le même type de gesticulation que lui, le lapin je veux dire, auquel cas je serai forcé de l’attraper elle, Svetlana ou pas, par les flans, de l’allonger sur la table et de l’enrouler dans une serviette. Exactement : une serviette. C’est le vétérinaire qui nous a montré la technique. Avec la serviette, le lapin ne bouge plus du tout, est-ce qu’elle y croit ? Elle n’y croit pas. Moi non plus, au début, mais... Elle me dit vous devrions nous revoir dès demain pour un second rendez-vous. Le merde murmuré cravate au cou devant mon miroir ce matin prend soudain une autre signification. Je dis : un second rendez-vous ? Elle dit : un second rendez-vous. Les choses sont toujours plus vraies lorsqu’elles sont répétées plusieurs fois, surtout lorsqu’elles concernent une prise de rendez-vous. Elle me raccompagne jusqu’à l’accueil, celle de l’accueil me raccompagne jusqu’à la porte et je me demande si une troisième personne ne me raccompagnera pas, aussi, jusqu’au boulevard WTF, mais non. Je dis à demain alors et elle dit à demain aussi. 7 février 2011J’expliquais hier à V. que pour lire je me fichais pas mal du support, papier ou numérique, mais que parfois l’écran était plus pratique. Je pense à Larbaud, le Journal, pendant des semaines il a fallu littéralement le traîner, et résultat des courses le bouquin désormais est dans un sale état. J’aurais aimé pouvoir bénéficier d’une version Epub ou PDF. Je pense aussi à Mark Richard, que j’ai voulu acheter aujourd’hui, mais non disponible sur les listes Kindle d’Amazon, ailleurs n’en parlons pas. Et ce n’est pas vraiment un livre que je pourrais trouver ici en France, pas vrai ? Jamais traduit (du moins à ma connaissance), encore moins mentionné par quiconque. Je l’ai commandé, du coup, sur Marketplace Amazon, depuis les US, je le recevrai d’ici un mois et demi ou plus. Mais d’ici là, aurais-je toujours envie de le lire ?
13 février 2011Je l’ai déjà dit plusieurs fois, mais j’ai besoin de rythme. Ne pas écrire la même chose le matin et l’après-midi. Écrire du frais plutôt matin, corriger, fixer, relire plutôt début d’aprem. Après faut voir. Entre le début et la fin de l’après-midi déjà plus le même créneau et le fait est qu’en fin suis déjà bien cramé, j’ai besoin d’être ailleurs que sur du neuf. Pour ça que depuis quelques semaines ou mois j’ai pris l’habitude de prendre Amy Hempel et de traduire, à cette heure là, généralement après 16h30/17h et souvent jusqu’à 18h, 18h30, pour ça que les 17h34 tombent bien souvent sur ces images.
3 avril 2011Je ne fais pas confiance à un mec qui me fait attendre une demi-heure en compagnie de Psychologie Magazine. Je ne fais pas confiance à un mec qui porte une cravate mais gratuitement. Et, surtout, je ne fais pas confiance à un mec qui porte comme pompes des chaussures tout en cuir avec la pointe au bout. Je lui serre la main, il me serre la main et il me lance son nom, toutes les syllabes du mien sont sur le CV imprimé qu’il mastique à la main. J’aurais aimé avoir commencé par la phrase : laissez-moi anticiper toutes vos questions et répondre d’avance. J’aurais vraiment préféré. À la place, il veut savoir si j’ai trouvé facilement et comment j’ai fait pour. Je suis venu avec mes jambes et mon petit corps derrière qui suivait bien. J’ai trouvé facilement car, j’explique, il se trouve que j’ai déjà passé un autre entretien pour une autre boite dans ce même bâtiment, au même étage, la porte en face de vos locaux. Il veut savoir comment ça s’est passé, je réponds bien. Bien, mais malheureusement ça n’a pas abouti. J’ai été jugé inapte en tant qu’être humain, car ce sont des choses qui arrivent. Je ne suis pas en train de mentir. Je suis venu à pieds. Je veux dire, avant de prendre le train et entre le train et le métro 1, entre le métro 1 et le métro 8, puis entre le métro 8 et la porte de son bureau, oui, j’étais à pieds. Je saute sur la première occasion de sauter sur la première question que son visage me pose : si je connais cette entreprise ? Je connais tout ce qu’il y a à savoir sur cette entreprise. Je lui dis tout d’abord j’ai visité votre site (et il me dit je vois, qu’en pensez-vous ? ne me dites pas que c’est le plus beau site du monde, soyez honnête) et, je suis honnête, ce n’est pas le plus beau site du monde et si je devais pointer un détail qui me surprend beaucoup ce sont les avis clients. Il me dit quoi les avis clients ? Je veux dire : le fait qu’il n’y ai aucun avis positif et que le mot le plus souvent utilisé sur ces pages soit bien le mot « arnaque ». Curieux, non ? Il plante ses paumes dans son bureau tout rouge et voilà ce qu’il dit et puis voilà comment : VOUS PORTEZ UN MICRO C’EST CA ESPÈCE D’ESPÈCE DE FILS DE PUTE ?! Avant de prendre le train, j’ai bien fait gaffe, devant la gare, de ne pas piétiner les dizaines de gendarmes rattachés les uns aux autres, culs à culs, comme des wagons. Je veux dire les gendarmes les insectes, pas les gendarmes les gens. Je ne sais pas où ils allaient ni pourquoi, mais ils allaient souvent par deux, parfois par plus de deux, enchaînés les uns aux autres et je me suis demandé : est-ce que c’est une méthode d’accouplement par l’arrière ? Est-ce que c’est, à l’échelle du minuscule, une ébauche de transport en commun littéralement participatif ? Bien sûr, ces questions je me les suis posées après coup, peut-être même une fois venu le temps de l’écriture. Sur le moment, j’étais simplement soulagé de ne pas en avoir d’éparpillés sous mes chaussures. Lorsque le téléphone sonne et que le recruteur décroche, l’usage voudrait que le candidat demande poliment au recruteur s’il peut, ou doit, quitter la pièce. Si je ne le fais pas c’est que 1) le téléphone sonne quatre fois durant tout l’entretien et que 2) je veux moi aussi m’immiscer dans le secret des conversations professionnelles et découvrir le dessous des choses vraies. Ce qu’il répète à son ou ses interlocuteur(s), c’est qu’il ne veut pas partir trop tard ce soir, et qu’on devrait se partager un dej un de ces quatre, ce qui m’amène à penser à ces mecs, aux infos, qui expliquent au micro avoir entendu les jours passés le son des kalash résonner dans les rues de tel ou tel autre pays en guerre civile, lequel, je ne sais plus, j’en viens à perdre le fil. Je veux dire, qu’est-ce qu’on doit comprendre ? Est-ce que ces mots seraient devenus si familiers qu’on pourrait avec eux tout se permettre ? Quand il me propose un verre issu de la fontaine à eau d’à côté, je décline, à moins que ce verre puisse aussi être accompagné d’une aspirine ? Il me demande si je préfère le téléphone ou les emails, juste comme ça, pour savoir. Entre le quai du train, le D, et celui du métro, ligne 1, je cherche et traque et manque une fameuse passerelle fictive censée pouvoir me faire passer directement à la ligne 5 sans passer par la 8 ou sans prolonger pour attraper la 11. Impossible de la trouver. Je me dis que peut-être, ce serait comme dans ce film, Indiana Jones et la Dernière Croisade, l’épreuve du chemin de Dieu : savoir oser marcher littéralement dans le vide et avoir foi en la matérialité des choses, mais il se trouve que ma foi est vermoulue et mes os bien réels, alors je passe mon chemin et tant pis pour le Graal. Ce qu’il voudrait vraiment savoir, c’est comment je me vois dans dix ans, idéalement bien sûr et idéalement, je crois, je me vois loin d’ici, et lui très loin de moi. Entre la ligne 1 et la ligne 8, je me perds, cherchant malgré tout la ligne 5, inaccessible car en travaux, alors se rabattre sur la 8 quand même et, une fois calé dans les couloirs derrière le jean d’un type qui se balance de droite à gauche au moindre pas je me demande : est-ce que mon cul fait ça ? Mais il n’y a aucune manière de vérifier ce genre de choses : mes yeux tombent vite sur l’angle mort de ma nuque et ma démarche elle-même en pâtirait si je venais à poursuivre l’expérience au bout d’elle-même. De son propre aveu, il n’arrive pas à me cerner, trouve qu’il me manque quelque chose : je réponds que quoiqu’il arrive, je suis l’homme de la situation. Et pour qu’il croit (qu’il sache !) que c’est ma voix qui parle et que tout est réel, je me penche en direction de son bureau, je colle une main sur le bois pour établir contact tout en gardant tout contre un dernier avant-bras, l’autre, celui resté derrière, pour retenir le peu de cravate qui se décolle de moi. Je lui dis comme ça, droit dans les yeux et l’élan de mon corps tout droit fixé vers la fenêtre derrière : je ne vous décevrai pas. Une fois arrivé au bas de l’immeuble en avance sur l’heure prévue pour notre rendez-vous qui commencera en retard, j’y trouve la quasi intégralité des salariés de l’immeuble en pause clope devant la porte et je demande : excusez-moi, c’est bien ici la boite qui recrute et que tous ses clients détestent ? Au bout d’un moment j’aimerais répondre au type absolument tout ce qu’il aimerait entendre, mais ma fierté m’empêche. Ce que je lui réponds, c’est que si j’avais eu la vocation d’enseigner, j’aurais probablement continué dans cette voie, pas vrai ? Il m’explique que dans ce job, comprendre la psychologie d’un mec créatif, c’est important. Je lui dis qu’à mon petit niveau j’écris de petites choses, alors je vois un peu ce que ça peut être, la psychologie d’un mec créatif. Il me demande si j’ai des ambitions d’un jour peut-être publier mes trucs, je lui dis mon Dieu non ! J’écris dans mon coin, pour moi, et personne ne me lit. Il me demande car il en doute : personne ? Et je réponds : personne. Si mes mots devaient être accompagnés par un effet spécial quelconque, ce serait un éclair, oui mais voilà aucun orage ne se dessine dans le ciel blanc du fond. Par curiosité il voudrait savoir ce que je suis en train de lire, et je lui donne le titre, le nom de l’auteur aussi, et ce qu’il me répond, c’est qu’il n’y connaît rien, et qu’à vrai dire il s’en fiche de toutes ces petites choses. De retour après l’entretien je ne prends ni la 1, ni la 5, ni la 8 pour retourner au D, mais cette fois-ci la 11. Entre Châtelet et Les Halles, les fameux Escalators plats, émulation du sol en mouvement pour que chacun gagne le temps auquel il a droit. Sur toute une parcelle de plat, le tapis roulant est en panne et n’est qu’un sol normal. Pourtant, la quasi-totalité des usagers l’empruntent, plutôt que de passer sur le côté, lisse et non mécanique, et je dois dire que j’en suis. Est-ce qu’on peut affirmer pour autant que tous nos corps sont déformés par d’éternelles habitudes ? J’entends quelqu’un râler, devant, derrière ou tout autour de moi, que cette panne de sol plat serait pour lui un vrai « manque à gagner » de plus dont il faudra bien, un jour, quantifier le volume en additionnant un à un tous les retards subis, souterrains et insupportables. Il voudrait savoir pourquoi exactement je ne postule pas dans une entreprise qui vend des produits de haute technologie, si c’est ma passion, et je ne crois pas avoir dit que ça l’était. Plutôt que de répondre que c’est le cas, que je postule, mais qu’on ne veut pas de moi, j’emprunte cette phrase tirée d’une nouvelle d’Amy Hempel que je traduis en ce moment : « Peut-être qu’une histoire d’amour marche mieux en dehors du bureau. » Pour toute réaction, il croise l’une sur l’autre ses deux chaussures en cuir pointues qui dépassent du bureau. Ensuite, après m’avoir indiqué que cette histoire de primes sur objectifs notée sur l’annonce était en réalité une erreur et qu’il n’y avait grosso modo ni prime, ni objectif, et que, oui, j’avais sans doute raison, notre entretien aurait tout aussi bien pu durer quinze minutes et non pas deux heures, qu’il s’était laissé porter par sa bouche et que sa gorge avait des mots à battre, que le courant passait et que l’heure, ah ah, lui avait échappé, il m’a confié que quelque chose ne collait pas avec ma candidature et qu’il se réserverait donc le droit d’organiser un second entretien avec la responsable de service. Ce que je lui ai répondu, c’est qu’il y avait eu probablement méprise et que nous nous étions mal compris, car mon entretien à moi était inverse et qu’il avait, lui, échoué, dans sa démonstration pour me convaincre, sauf qu’au lieu d’utiliser le mot « échouer », par respect pour sa candidature et sa présence ici, je lui ai dit que sa prestation n’était tout simplement « pas au niveau ». 5 avril 2011Avant départ ce samedi pour ailleurs, j’aimerais parvenir à liquider les trucs en cours, ce qui équivaudrait à liquider la Tête et tout ce qu’elle contient. Un ailleurs proche et quelques jours, pas plus, n’empêche que d’ici là j’aimerais que tous ces fichiers soient clos. D’abord (mais c’est en cours) s’occuper des mises à jour prévues sur Livre des peurs primaires et Qu’est-ce qu’un logement. Pour ce dernier version audio normalement terminée, simplement réécouter l’ensemble pour vérifier que c’est conforme. Pour le Livre des peurs ajout de 130 fragments au 100 fictions originelles et organisation des nouveaux textes comme une marelle, conformément à la structure mise en place sur le premier fichier. Après quinze jours passés à tout relire puis corriger puis réécrire ne reste plus dès à présent qu’à finaliser la mise en forme.
Idem aussi pour la nouvelle d’Amy Hempel en cours de traduction, celle qui donne son titre au recueil : The Dog of the Marriage. La terminer, impossible, mais au moins arriver au bout d’une première version que je pourrais ensuite relire et corriger là-bas.
10 juin 2011Peu importe la question, mes tripes me disent que oui. Je passe sans voir dans les couloirs du jour la masse des corps précipités. À peine de quoi apercevoir celle qui, aveugle, chante en play-back à même le sol, à ses côtés son chien guide qui incite à donner. Depuis que j’ai lu puis traduit Le chien du mariage je vois ces chiens d’un autre oeil. Depuis que j’ai pensé puis écrit Coup de tête j’éprouve surtout de la tendresse pour n’importe quel type amputé : lui par exemple. Échoué dans les tourniquets d’Auber, une jambe sous les coutures de son jean neuf en pointillés (et des béquilles entre les coudes et côtes). Je n’ai pas entendu ce que chantait cette femme. Mes airs internes faisaient some make you sing and some make you scream, faisaient not if I wrap myself in nylon, faisaient I’m gonna try to nullify my life, faisaient far back as I can tell. Le chien un Labrador couleur chair (Husky toujours manquant sur la surface de ma fenêtre), je suis rentré battu, oui mais mes tripes me disent que oui.
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↑ 1 Et pour ce simple oubli, mon double de 16 ans s’il se trouvait dans la pièce me jugerait nul et à chier, lui qui, en cours d’anglais un jour, avait trouvé humiliant qu’une chanson d’amour X à traduire avec la classe devrait forcément présenter un homme et une femme alors que le texte n’était qu’au « je » et au « tu » et qu’aucune marque de genre ne permettait de l’affirmer. Jamais agréable quand mon moi passé traverse, comme un spectre encore, pour me dire que je me suis paumé en route et qu’il me méprise. Mais moi aussi je te méprise, gamin, je lui dirais si encore il avait tort mais le fait est que c’est rarement le cas.
↑ 2 Ou pas. Après reprise du texte il se trouve en effet que les marques du féminin dans ma traduction sont assez peu nombreuses, la nouvelle a donc pu être reprise et corrigée de manière à gommer exclusivement le genre de la personne qui raconte. De cette manière on peut coller au mieux au texte original, même si pour ça j’ai dû sacrifier quelques phrases dont j’étais parfaitement satisfait pour les remplacer par d’autres qui me plaisent un peu moins. D’autres versions peuvent être amenées à voir le jour, le texte initial sera alors mis à jour.
↑ 3 L’écho de cette taillade dans l’intrigue revient d’ailleurs mordre la page pour la toute dernière réplique du texte, quelques paragraphes plus loin : « Nothing is a long time ago ».