12 mai 2019Il paraît qu’il ne faut pas couper sa salade avant de la manger (ça ne se fait pas). Mais moi, à chaque fois que j’utilise l’essoreuse à salade (qui fait peur à Poulpir, mais c’est un autre sujet), je pense à ma grand-mère qui utilisait un genre de truc manuel et métallique pour l’essorer, de préférence devant la maison, dehors, en Haute-Loire. Et si je retourne une deuxième fois chez l’opthalmo en moins d’une semaine c’est à cause d’un antécédent de glaucome dans ma famille, précisément chez ma grand-mère, encore que ce soit cette fois mon autre grand-mère (c’est une histoire de grand-mères aujourd’hui). Le médecin est moins loufoque que vendredi dernier, encore qu’elle me prescrive un autre collyre qui rend les yeux rouges à la place de celui qui rend les yeux aoutch (elle le savait que ça faisait mal et elle a tenté le coup quand même, ah ah, qu’est-ce qu’on rigole en ophtalmologie). Là, elle aurait préféré que je sois informaticien pour réparer son scanner, et d’ailleurs c’est où la touche fab ? Je crois que ça se dit tab. Bref, pour elle tout va bien, alors même qu’elle m’explique qu’il y a un truc dans le blanc, là, à surveiller, et aussi que les données de l’œil droit, elles sont pas exploitables, malgré de longues minutes passées à voir s’articuler dans un scanner des formes dignes des meilleurs shoot them up 8 bits d’antan, ici à base de lignes rouges et de croix vertes. Derrière, on n’y voit plus rien à cause des litres de gouttes qui dilatent la pupille grave et qui fait que tout brûle froid, je saurais pas mieux le dire. Aussi, une douleur est venue dans l’œil droit alors je déclenche le chronomètre pour voir si elle s’éloigne ou si elle se rapproche (c’est mitigé) car j’ai besoin de ça en définitive : de données factuelles qui me permettent d’être moi le plus froid de nous deux, et de prendre des décisions en conséquences, dépassionnées. En 6 h 30 de chronométrage et de pupille dilatée, j’ai pointé 80 tronçons différents, avec des rythmes très réguliers (une seconde de douleur toutes les quatre ou cinq minutes, puis toutes les trois, et deux minutes pendant plusieurs heures), puis plus espacés (quatre, six, quinze, vingt, trente minutes), signe que ça s’éloignait de moi. Et c’est comme de mesurer l’orbite d’un corps astral autour d’un autre ou alors les tours effectués par un coureur de fond autour d’une piste, en définitive. Pendant que je fais ça, je ne peux rien faire d’autre que lire, relire, ça tombe bien j’ai beaucoup à faire dans ce domaine, par exemple cette suite d’essais courts de Jacques Ancet absolument remarquable, et je pense essentielle à notre cheminement critique (quand bien même nous ne sommes pas de la même génération, et n’avons pas les mêmes points de références textuels, encore que). À un moment donné : (...)si comme le rappelle Octavio Paz, la clef de voûte de l’analogie n’est plus, à l’époque moderne, l’infinité divine qui donne sa cohérence à la Divine Comédie, par exemple, mais un abîme énigmatique, elle est, pour le texte, une réalité non dépourvue, elle non plus, d’une énigmatique profondeur : celle du corps. J’ai failli annuler nos retrouvailles au Pouchla avec T. après des mois sans à cause de cette histoire d’œil ou d’yeux, ce ne sera pas le cas finalement, et il sera question du noir qu’on broie, de Flaubert et du mépris, de la chasse aux alligators dans les égoûts de V, de Minuit aujourd’hui et hier, de l’avant et de l’après, de Claro, d’enceintes bluetooth, de Nate Fisher et de Jimmy McNulty, des choses qui sont ou non mainstream (liste non, mais alors méchamment non exhaustive). |