30 juin 2019Je commence à lire un truc jusqu’à ce que je me rende compte, au tiers de ça, que je l’ai déjà lu il y a plusieurs années. Je fais chauffer des pâtes et, une fois que l’eau boue, j’ai pas envie de manger des pâtes, d’ailleurs j’ai même pas faim. Quand je dis quelque chose on ne m’écoute pas, ou alors si mais on passe outre, c’est à se demander pourquoi on me demande mon avis. Je me lance dans l’écoute d’une série d’émission de feu « Pas la peine de crier » sur le silence, qui date de 2013 et je me dis voilà où j’aurais mieux fait de faire mon nid, dans le silence, et fatalement j’en viens à ne rien écouter du tout de cette parole continue sur le silence, qui n’est donc pas le silence, et c’est comme un bruit de fond derrière les bruits de fond de la vie, ça (ou bien, qui sait, de la ville ?). Peut-être qu’être heureux, c’est pouvoir saisir le silence. Non pas nécessairement n’entendre que lui mais le distinguer de tous les autres sons, et surtout le distinguer de tout le rouage permanent de notre monde. J’arrive à être bien quand je peux me situer par rapport à lui et donc, fatalement, à savoir où (ou quand) il se trouve. Là seulement, on peut être, je ne sais pas, léger peut-être ? C’est comme cette phrase de Rick Bass au sujet d’Amy Hempel, tirée de son livre Sur la route et en cuisine avec mes héros, et dont Franck Queyraud me fait l’amitié de me recopier un passage entier qui lui est consacré : Pour être un grand écrivain, il faut posséder la psyché d’un bœuf ou d’une mule, mais vous aurez aussi tout avantage à être joyeux, sans poids. Amy, sans conteste, a eu sa part de joie. Mais là, j’en suis surtout à un point où j’ai besoin de ressentir rien (ce qui est encore différent de ne rien ressentir). C’est une nécessité après des fortes périodes de douleur, besoin de rééquilibrer la balance. Là : balance des émotions et, à bien y réfléchir, il suffirait plutôt de prendre de la distance avec tout, ne rien attendre de rien, ne rien espérer, ne rien désirer, et s’en remettre à un flux continu, par exemple, celui du Canto Ostinato repensé pour le synthétiseur, qui est un truc assez étrange, en constante métamorphose de lui-même, jamais là où on croit qu’il est et, il faut bien le dire aussi, assez argenté, new-age. Et voilà ce que je tente d’expliquer assez maladroitement à H., d’une voix la plus monocorde possible pour ne surtout pas déborder ni d’un côté ni de l’autre (mais de quoi ? d’une ligne de crête ? d’une sensibilité ? d’affects ?), le plus froidement possible donc, sur les marches de la BNF en mangeant un hot-dog au guacamole malheureusement noyé sous de la mayonnaise industrielle et blanche, deux heures après qu’une dernière émotion soit comme montée en moi et que je l’ai laissée là, quelque part engluée dans le temps. 1er juillet 2019Une photo quelque part sur le web. On aurait dit le pelage d’une bête. Mais une fois l’image entièrement chargée, on comprend qu’il s’agissait de la tête de quelqu’un, en sang, après une violence policière. Était-ce une métaphore de notre époque ? Un autre extrait de ce texte de Rick Bass 1, cette fois non plus au sujet de Amy Hempel mais de son ancien éditeur, Gordon Lish : Gordon Lish a la réputation – et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement – d’avoir sculpté et lancé Carver qui, lorsque Gordon l’a rencontré, était seulement un poète et un nouvelliste peu publié et relativement inconnu, porté sur la bouteille. Gordon est une personnalité controversée, mais à l’époque où il éditait, élaguait, comprimait un texte jusqu’à obtenir une sorte de supraconductivité électrique – localisant ainsi le cœur du courant qui traversait l’âme et le cœur de Carver –, les lecteurs ne se sont pas plaints et l’on a à juste titre comparé Carver à Tchekhov. Les critiques ont qualifié le style de Carver – et celui de Lish – de minimaliste et insisté sur l’aspect technique de cette écriture. Mais ils ont ainsi escamoté la nécessité de ces prouesses techniques qui dissimulent un grand cœur. Comprimer un texte jusqu’à obtenir une sorte de supraconductivité électrique, c’est quand même sacrément attrayant et je me dis Guillaume, voilà ce que j’aimerais faire de ma vie. Est-ce que ce n’est pas déjà le cas ? Il y a deux jours à peine j’en étais à me dire un autre voilà ce que j’aimerais faire de ma vie qui n’avait absolument aucun rapport avec aucune supraconductivité électrique. C’est comme quand on m’a demandé ce que j’en viendrai à collectionner si jamais je devais me mettre à collectionner quoi que ce soit, et j’étais bien en peine de répondre à M. (car il s’agissait d’M.). Je réalise à présent qu’à certains moments de ma vie, j’étais sur le point de tomber là-dedans, une collection. Par exemple, de vieux dictionnaires de médecine. J’en ai encore aujourd’hui, ils prennent la poussière, et je ne sais plus comment m’en débarrasser. Et puis, au sixième ou septième étage de cette librairie à Tokyo, ne m’étais-je pas mis dans l’idée, pendant quelques secondes à peine, de collectionner toutes les éditions étrangères, dans toute une variété de langues, d’Ulysse ? Je ne l’ai pas fait et quelque part c’est un soulagement. Maintenant, ce que je souhaiterais réellement, c’est rassembler toutes les versions possibles de Canto Ostinato dans tout un tas d’arrangements (et, surtout, d’instruments) différents. Et ça ne m’aide en rien à comprimer un texte jusqu’à obtenir une sorte de supraconductivité électrique ; ou peut-être que si, tant la clé de l’écriture peut finalement se trouver cachée au fond d’une partition de musique minimaliste. Et puis, finalement, c’est un peu ce que je voulais faire d’Eff : prendre ces 500 000 mots, et en faire, je ne sais pas, un texte de 15 ou 20 000, ou peut-être pire que ça. Une nouvelle. Un texto ! Tout le contraire, donc, du Dossier M, qui s’étend sur deux fois 800 pages, en grand format :
15 juillet 2019H. va chercher Poulpir à la clinique vétérinaire de Maisons Alfort et voilà encore un truc qui va coûter un bras. L’opération s’est bien passée, c’est tout ce qui importe, et cette expresson (coûter un bras) est erronée. D’ailleurs ça vaut combien, un bras ? Ça te coûte quoi quand t’as besoin d’un bras ? Par exemple, le mec de Coup de tête (qui a eu à une époque un nom, et puis finalement plus), combien devrait-il payer s’il devait se procurer une prothèse de main, ou d’avant-bras ? On peut supposer qu’il ne paierait pas seul. La sécu couvrirait ça (en réalité, je n’en sais rien). Ça n’a aucune importance et Poulpir est très mécontente, enlaidie puisqu’ils lui ont rasé la moitié de la tête jusqu’à l’œil (et ça prendra des mois à repousser, misère). H. me parle d’un collège à Marseille construit sous une autoroute et près d’une décharge sauvage. Un lieu idéal à envisager pour Transoxiane. Mais Misère Balkaï est-elle du genre à s’exiler, ne serait-ce que pour un épisode ? Je pense également qu’elle se foutrait pas mal de la Coupe du monde de football féminine, qui se déroule en ce moment, et à laquelle je n’a prêté aucune attention (mais c’est également le cas du Giro, sans même parler de la finale de la Ligue des Champions masculine). Interdit vis à vis de commentaires ici et là qui disent, le football féminin, finalement, c’est bien mieux que le foot masculin, car il est débarrassé du vice que l’on retrouve systématiquement dans le foot professionnel chez les hommes ; et ça ressemble quand même beaucoup à une défaite de la pensée, cette histoire. Pourquoi faudrait-il nécessairement mettre en concurrence les uns avec les autres ? N’est-ce précisément le piège que nous tend en toute circonstance notre époque qui, elle, viciée, l’est ? C’est comme ce message posté sur un réseau social quelque part, un baiser entre deux hommes pendant « Koh Lanta », c’est bien pour la visibilité. Comment ça, la visibilité ? Ça veut dire que pour gagner en visibilité, il faut placer des produits de nous-mêmes en prime time et/ou dans des émissions grand public ? Qu’il faut apparaître sur des publicités en quatre par trois sur les murs de nos villes pour faire la promotion, la promotion de quoi d’ailleurs ? C’est du langage marketing, ça, et ça n’a rien à voir avec des luttes qui, elles, sont pertinentes. Quand est-ce qu’on est tombé là-dedans ? Et qu’on s’est fait avoir ? Mais moi, je me suis mis en vacances du football à peu près au même moment que les joueurs du PSG : quelque part en janvier. C’est-à-peine si j’ai esquissé un sourire devant l’annonce du retour de Leonardo comme directeur sportif, alors même que, bon, Leonardo, c’était quand même mon idole étant jeune. Mon frère avait Ľubomír Moravčík, moi j’avais Leonardo. Chacun son truc. Il fait un temps splendide pour retrouver les parents d’H. au cul de Notre Dame, une Notre Dame bunkerisée depuis des semaines et l’incendie que l’on sait. Il y a quelques grammes d’ombre sur le sol et c’est là qu’on attend. H. : j’aime bien me balader en ville avec toi, ça a un petit côté Entretien avec un vampire. C’est le cas. Marchant, j’ai comme Eff dans le sang, j’essaye de trouver une solution à mes dilemmes. Je pourrais tout aussi bien tout passer en narration à la troisième personne avec, parfois, quelques moments au discours direct, comme des bribes de messages enregistrés par les personnages du livre mais alors, je ne ferai que faire ce que je fais déjà dans Grieg. Est-ce grave ? Disons que c’est préoccupant, qui est un mot que j’utilise beaucoup ces temps-ci. J’avais besoin de deux choses pour me remettre dans ce texte : l’expression « supraconductivité électrique », de Rick Bass au sujet de Gordon Lish, et dont Franck Queyraud m’a fait cadeau sans le savoir, alors même que je tourne autour depuis des années ; et lire le manuscrit d’Antonin. J’avais donc besoin, en définitive, du hasard et de la langue d’autrui. Là, on va manger des trucs disparates chez Florence Kahn, on déambule, on fait les touristes, on passera à un moment dans de l’ombre, on monte voir le studio loué par les parents d’H., en haut d’un bâtiment type poutres apparentes. Qu’est-ce qu’on donnerait pour vivre dans un espace aussi réduit, n’avoir rien d’autres que deux trois t-shirts, deux trois livres, un ordi, de quoi manger pour chaque jour, deux pantalons, etc. 7 novembre 2019C’est ce moment de l’année où je porte deux pulls l’un sur l’autre en attendant que quelqu’un déclenche le chauffage collectif dans l’immeuble. La raison pour laquelle ils mettent tant de temps à le faire, c’est peut-être qu’il n’y a plus personne dans cet immeuble ? Hier, rentrant du lancement d’Ambiance garantie au Monte en l’air, sur les coups de 20h30, seul un appartement s’allume sur huit étages de boites à chaussures empilées les unes sur les autres. Un seul autre dans ce bâtiment voisin. Deux là-bas. Peu de monde pour un dimanche à 20h30. L’appartement en dessous du nôtre est vide depuis plus d’un an désormais. Il ne faut pas le dire. Des squatteurs pourraient venir squatter. C’est ce moment de l’année où mes voisins me fatiguent. N’est-ce pas également celui où je me mets à regarder la composition de tous les ingrédients des trucs que j’achète, ou que j’envisage d’acheter, quand je vais au supermarché ? Serait-ce devenu ma vie ? Par exemple, d’un chocolat à l’autre, la part de sucre dans la composition varie du simple au triple. Dans d’autres produits industriels, a priori pas plus sucrés qu’autre chose, la moitié c’est du sucre. Désormais, je m’en remets aux yaourts grecs natures et à la poudre d’açaï. C’est pas bon. Mais au moins ça ne cause pas d’inflammation d’aucune sorte. Je peux donc garder toutes mes facultés pour écrire une mini bio à envoyer aux Presses de l’ENSSIB pour l’ouvrage collectif sur la littérature numérique dirigé par Franck Queyraud (et comme j’ai l’impression d’écrire à chaque fois un texte légèrement différent par rapport aux précédents, je me dis que ce serait fun de les rassembler sur une même page quelque part) : Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net depuis 2015, il mène également ses propres chantiers d’écriture, de piratage littéraire et de traduction. Dernière parution en date : Accident de personne (Othello, 2018). Sur Twitter : @gvissac. Sur le web : http://www.fuirestunepulsion.net . 14 décembre 2019J’irai à la Gare de l’Est sans réfléchir. Coup de bol, c’était bien là que je devais aller. Retrouvé Anne dans un train qui se dirige tout droit, quasiment vide, vers un séisme de magnitude 3,9 que nous ne sentons pas, probablement car alors nous sommes encore en mouvement, et c’est bien la première fois qu’être en mouvement nous épargnera les conséquences d’une secousse. En réalité, nous ne bougeons pas d’un pouce de nos sièges. Ce monde, lui, comme il sait si bien faire, se déverse de part et d’autre de nous et, nous, beaux joueurs, nous laissons faire (avant de le refaire ensemble, ce monde, que ça lui plaise ou non). À Strasbourg, la cathédrale nous guide et, à un moment, sur le chemin de nos vies, nous fraudons. Ça arrive. La table ronde animée par Franck Queyraud pour le Master Métiers de l’Édition de Strasbourg 2 nous permet de dresser un beau panorama du web littéraire français. Parlant de mon site cela dit, il y a un hiatus qui se forme : entre l’objet que moi j’ai en tête mais qui n’est pas encore opérationnel (le site à venir) et celui présent, accessible au public. Comment résoudre ça ? Avec du temps. À l’hôtel, comme dans tous les hôtels, j’essaye d’éteindre, en vain, le signal rouge de la télévision en veille. J’abandonne. Quelque chose souffle là où j’écris ces mots et le son des nuits monte. L’eau, elle, non. Pas de pression. Il est des secousses qui se propagent encore bien longtemps après que le monde les a fait taire. |
↑ 1 Toujours grâce à Franck Queyraud, qu’il en soit ici remercié.
↑ 2 La photo qui illustre cet article est l’œuvre des étudiantes et des étudiants du Master, que je remercie.