18 octobre 2019Ils mangeaient quoi au petit-déjeuner les chasseurs-cueilleurs ? Parce que là, avec un thé et une pomme dans le ventre, je ne me sens pas du tout d’aller chasser-cueillir pendant des heures. Je dors mal. J’ai perdu l’équilibre. Quand je suis sur le côté, la douleur y passe, quand je me retourne elle change d’hémisphère. Quand je suis sur le dos ça appuie sur les nerfs derrière, jusqu’à la nuque. Que faire ? Dormir debout peut-être. Ne pas dormir. Plusieurs matins de suite je me réveille obsédé par L’Esthétique de la résistance, un livre de Peter Weiss que je n’ai pas (encore) lu. Les livres qui me hantent en ce moment ne sont que des œuvres monstres : le deuxième tome du Dossier M 1, Mason & Dixon. Jerusalem. L’homme sans qualités. Que faire ? Les chasseurs-cueilleurs écoutaient-ils Ornette Coleman ? J’éprouve le désir d’écouter Ornette Coleman depuis que, étudiant, j’ai lu cette biographie de Lou Reed. J’ai beaucoup de mal avec le free-jazz. Et comme je passe mon temps à réécouter le début de l’album The Shape of Jazz to Come sans jamais arriver au bout, je réécoute toujours les mêmes morceaux. Force est de constater que « Lonely Woman » est unique. Mais combien d’écoutes m’a-t-il fallu pour parvenir à l’aimer ? Ou lui s’insinuer en moi ? Est-ce la même chose avec les œuvres monstres ? Combien de fois faudrait-il lire L’homme sans qualités ? Combien de fois Proust ou Ulysse ? Et combien de fois faire la grimace pour boire un café sans sucre ? C’est abject. Dehors, pour marcher mais pas beaucoup (jusqu’à la Poste puis en revenir, monter et descendre les cinq étages à pied), pas de quoi chasser-cueillir quoi que ce soit, donc, mais quand passe dans l’alétatoire de la playlist « Going nowhere », ce qui est quand même très différent d’Ornette Coleman, eh bien, je me fiche bien de chasser-cueillir quoi que ce soit, ou du fait que le PSG à domicile joue en blanc contre un Real Madrid qui joue en sombre pour ce premier match de Ligue des Champions, ce qui est juste une aberration footbalistique de plus dans ce monde de couleurs tourmenté(s). 23 mai 2020Ce qui est amusant, c’est de se dire que les journaux de confinement sont en train de peu à peu devenir des journaux de transcription de rêves. C’est inattendu. C’est inattendu : depuis la mise en ligne de Fuir 4 dimanche, beaucoup de messages ici et là pour me dire, d’ailleurs je ne sais pas pour me dire quoi, que ça marche ? Que la maquette est belle ? Que le site est plaisant ? De fait, je retrouve l’enthousiasme de pouvoir mettre en ligne un article hors journal, ce qui n’était presque jamais le cas précédemment. Il y a des textes isolés à intégrer un peu partout, des fictions oubliées, c’est vivant. C’est vivant, mais ce n’est pas parfait. Des trucs à modifier encore. Pas encore le courage. Mais ne pas laisser ça pour plus tard, comme ces travaux interminés dans les maisons, porte repeinte à moitié, finitions procrastinées, etc. Une idée ce matin, mais non notée, disparue donc, faute d’avoir été, écrite peut-être, mais surtout rejouée en pensée. C’est que ça ne devait pas être bien important, voilà ce que j’en viens à penser, les bruits d’oiseaux volent bas, eux non, ils sont fixes sans doute, il fait une lumière blanche sans discontinuer depuis le début du confinement, je dirais, c’est à croire que même les nuits sont devenues claires, puisqu’elles ne sont portées sur les épaules de personne, comme houppelande j’ai envie de dire (je veux dire : le mot houppelande s’est imposé). Myst disait ça. C’est un personnage de fiction millénaire dont le corps ne lui appartient pas (n’est-ce pas notre cas à tous à ce stade ?). L’idée n’est pas revenue. Je me suis dit : écris une phrase, vois jusqu’où elle te porte mais non, rien. Quelqu’un fait usage de l’ascenseur mécanique pour monter ou descendre. La ville est cette ville morte, sans le son, traversée quelque fois de fracas, échos, éternuements ; ou alors c’est qu’une voiture remonte la rue T. La descendre, ça se passe plus dans le silence je trouve. 24 mai 2020On gagnerait à scrupuleusement noter les premières pensées qui nous viennent au réveil, et en tirer des enseignements pour la journée qui s’annonce. Ce matin : fous-moi la paix, monde des vivants. Leopardi : Les illusions ne peuvent être condamnées, dédaignées et traquées que par ceux qui rêvent et croient que ce monde est, ou peut être, vraiment quelque chose, quelque chose de beau 2. Je ne me fais pas d’illusions. Sur rien. Ni sur l’issue de la crise, ni sur l’invention d’un vaccin exploité par l’industrie pharmaceutique comme produit, ni sur le plan à l’œuvre pour rouvrir des écoles Potemkine et faire ainsi semblant que les dires d’un président dix jours plus tôt sont paroles d’évangile. C’est plus simple, et plus sain, comme ça. Je ne me fais pas non plus d’illusions sur ce que j’écris, quand j’écris (Œ, VV). La plupart du temps, j’écris sans mouvement. S’il n’y a pas de mouvement, il n’y a pas d’amplitude. S’il n’y a pas d’amplitude, il n’y a pas de courant qui te porte. Tu n’avances pas quand tu lis et, la plupart du temps, tu cesses de. Paradoxalement ou pas, j’arrive à créer du mouvement sur de très petits espaces (plus j’écris dans de petits périmètres, plus j’y mets de profondeur de champ, d’épaisseur de background ; plus j’écris long, plus je m’attarde sur le microcosme, et plus c’est clinique), mais pas à le maintenir en vie assez longtemps pour en faire un récit cadencé. Tout le contraire de ces mêmes récits quand ils sont vivants dans ma tête avant que d’être fixés dans l’écriture mortifère que je m’applique à produire pour me conformer aux ciments des normes. Pensant tout cela, je me dis : tu ferais mieux d’utiliser ton temps à trouver un écrin (dans l’écran) à « Bara no hanayome », qui lui existe déjà, et le mettre en ligne plutôt que de chercher à réécrire en moins volatile ce que tu as déjà écrit en ultra condensé là-dedans. Ou tu ferais mieux de regarder dans un épisode de The Twillight Zone comment la bascule fantastique peut, ou pas, s’opérer. Bascule, transition. Transition, oui. Voilà ce qui me manque dans ce que j’ai commencé à essayer de faire, mais que j’échoue à réaliser. J’arrive à créer un background, mais je ne sais pas faire l’articulation entre ce passé narratif et le présent du récit. C’est qu’en réalité mon désir de transition est double : celle de l’intrigue racontée, d’abord, et celle qui consiste à passer du général au particulier. Pour ce faire, il me suffirait de corseter les deux. Chez Nathalie Sarraute, Le planétarium : Il n’y a de fusion complète avec personne, ce sont des histoires qu’on raconte dans les romans — chacun sait que l’intimité la plus grande est traversée à tout instant par ces éclairs silencieux de froide lucidité, d’isolement... (...) il suffit de s’écarter de soi-même et de se voir comme les autres vous voient, et aussitôt cela crève les yeux... 25 mai 202012g, pas 13. Cocher des tâches quand elles sont faites, quelles que soient ces tâches : dopamine. Media queries pour le site (mal). Cache encore. Suis donc jamais pressé que tout soit bien ; quand tout est bien, il n’y a plus rien 3 juin 2020Dans Avalon, de Mamoru Oshii, la scène la plus humaine du film est celle de la préparation d’un repas pour un chien. Nesco me manque. En quoi est-ce que je mens dans un journal si je dis que les textes du jour sont composés pour la plupart mentalement dans l’état de semi-conscience qui précède l’éveil pur ? Pure hérésie : ne rien écrire de tout le week-end, chercher à la place des images de villes brutalistes. Cette ville, je veux dire la nôtre, bien que je ne m’y attache guère, je crains maintenant de devoir la quitter comme un voleur sans avoir eu la possibilité de faire en elle ce que je n’ai jamais fait en X ans de vie là. La courbe de la pression atmosphérique est sous les 1020mbar. Partout le bruit des chouettes et des hiboux, de jour comme de nuit. Nuit douce et sans rêve (faux). Faut faire revenir la polenta comme un bloc d’elle ou comme un steak, et dans de l’huile de l’olive. Olive et Tom = Captain Tsubasa. Ça me fait bizarre de commencer enfin Pedro Páramo ; mais si j’ai la sensation de l’avoir déjà lu, alors qu’en réalité non, c’est probablement que tout ou partie des auteurs mexicains que j’ai pu lire par le passé sont comme issus de lui (spontanément, je pense à David Toscana, Daniel Sada, Sergio González Rodríguez, Mario Bellatin — mais ai-je jamais lu Mario Bellatin ?) Fut un temps, Craig Bellamy menait (ou secondait) ma ligne d’attaque à Liverpool. Ou le cache me joue encore des tours, ou mon 10 juin 2020Dix jours d’attente pour les réservations en ligne des coiffeurs. Masque indispensable, distanciation sociale, attente en dehors du salon, etc. Comment se faire couper les cheveux avec un masque ? Ne risque-t-on pas d’en venir à couper les élastiques par inadvertance ? Le monde étrange des encyclopédies en ligne, et participatives : liste des casques de l’armée française. Sans parler du cycle des métamorphoses dans la jungle de la grande distribution : Le 6 octobre 2009 (soit 41 ans après l’ouverture du premier magasin Mammouth), le dernier magasin Mammouth, indépendant et affilié au groupe Auchan, à Lacroix-Saint-Ouen près de Compiègne dans l’Oise, ferme. Ce magasin, vieillisant était un ancien "Centre Leclerc" dont le propriétaire avait quitté le groupement Leclerc pour s’affilier à Paridoc, puis à Auchan. Il a été remplacé par un nouvel hypermarché qui prendra l’enseigne Auchan à son ouverture sur le territoire de la commune, puis deviendra Leclerc par la suite. Arno Camenisch (traduit par Camille Luscher) : Le poisson dans sa bouche lui nage entre les mots. Mais cela n’explique pas pourquoi on parle soudain de Saint-Julien-Molin-Molette dans ma TL. Moi, je cherche des images parfaites. Pas forcément des photos, d’ailleurs. Dessins, décors de jeu vidéo abandonnés ok. Pourvu que ce soit en CC ou libres de droit. Je n’exclus pas de voler un plan dans un film, ou une planche dans une bande-dessinée sans le dire. Il faut bien se laisser des espaces de liberté (or donc de délinquance). Par exemple, Rorschach : Not even in the face of armaggedon. Never compromise. Par exemple Stevie Wonder : c’est ce qui passe à fond dans la rue en ce moment (cette chanson qui sert de musique à une pub connue) : Je suis libre. Ce soir minuit, fin du (premier ?) confinement. Les gens se croient libres donc. Mais que feront-ils avec ou sans leur masque ? J’ai le sentiment qu’ils feront, et que nous ferons tous en définitive, ce que font les personnages esquissés dans Derrière la gare quand Il neige de nouveau. Les gens dans le village ne se déplacent plus sans leur pelle. Chacun a sa pelle pour pas rester coincé quelque part dans la neige et finir recouvert. Voilà. 9 septembre 202025° au départ de T. le matin. Plus de 35 dans le jardin de D. et M. ; on a acheté une maison pour faire des trous dedans. C’est le cas. Puis plus de 35 encore sur le quai de la Part Dieu à attendre un Ouigo une demi-heure. Dans les gares, tu as le plan vigipirate, le plan covid, le plan canicule. Sur le quai, c’est plan brumisateur, y compris un qui se brumisera les couilles (vous avez bien lu). J’explique ça à T., qui passe le week-end chez nous, après qu’on ira marcher un peu dans la touffeur. Les éclairs zèbrent tout. Des gens dansent sur les planches de la BNF. Et, qui que nous soyons, nulle pluie sur nous. 28 février 2021Je me lève à l’aube encore surpris d’avoir compris dans la nuit que la convergence des luttes entre extrême-droite et extrême-gauche comme rempart à la tyrannie sanitaire du moment était en réalité un scénario secret d’Alan Moore, lequel dévoilait également que les organes de diffusion des grands groupes éditoriaux étaient en réalité un appareil fictif (on s’en doutait), que H. est déjà là, prêt à partir travailler est droit comme un I, beau et élégant comme tout, aligné pile sous la lampe de la cuisine qui fait ruisseler sur lui sa lumière et je me dis (et d’ailleurs je lui dis) : on dirait une installation d’art contemporain. Ou un hologramme. Qui n’est pas un hologramme en ce monde ? Le Pen. Sous n’importe laquelle de ses incarnations (borgne, blonde ou re-blonde), Le Pen est en tendance encore. C’est souvent. La rhétorique de l’extrême-droite sur les réseaux est la suivante : l’une des Le Pen est donnée perdante dans un sondage pour le second tour de l’élection présidentielle 2022, c’est donc qu’elle est en capacité de l’emporter. Preuve que même eux maîtrisent parfaitement le langage macroniste. On dit que le plus simple pour faire élire l’extrême droite, c’est de ne pas voter. Le problème, c’est que le plus simple pour faire élire l’extrême droite, c’est aussi de voter. |
20 janvier 2022Qui a dit Je dois vous avertir que ma connexion internet est médiévale, donc il se peut que je disparaisse ? Un appel, en substance : bonjour je vous ai envoyé il y a quatre jours un manuscrit dans un genre et sur des sujets que vous ne publiez pas d’habitude et vous ne m’avez toujours pas répondu. Pendant ce temps-là : Photos nues de Jennifer Lawrence : "Bigard magazine" condamné à lui verser 20000 euros. Poulpir a élu domicile sur une boîte en plastique : c’est son nouveau domaine. L’amour est le plus beau des cadeaux, d’après Nutella. 2 février 2022Je suis privé de marché. Mais il n’y a pas de marché aujourd’hui. Je ne suis donc privé de rien, si ce n’est de vivre une même vie que celle d’H. En attendant les tests de mardi et mercredi, on s’évite. On se répartit des pièces dans la maison. On ne mange pas aux mêmes moments. J’opte pour un filtre au tungstène avec Brightness controler : c’est ok. Metroid Dread, c’est très bien. Carole & Tuesday, c’est très bien. Exemplaire unique, c’est très bien. La League des Gentlemen extraordinaires, c’est très bien. Tout est très bien. 5 février 2022Tout le monde singe Netflix. Sega prend Marvel en modèle. N’importe quel acteur de la tech copie Apple. Et les réseaux sociaux sont des clones de Facebook. Quand j’étais salarié chez STAT, les ambitions étaient de s’inspirer de grands groupes multimarques de l’industrie automobile comme BMW, d’où un rachat de concurrents tout azimut durant plusieurs années. Les entreprises ressemblent aux gens : personne ne veut être soi-même. On s’étonne que les géants du fossile payent de l’ad sense à Google pour faire apparaître des pages rassurantes sur le mot clé climat ; on fait semblant de prendre, comme tout le monde, le moteur de recherche comme une encyclopédie censée documenter le réel, alors qu’en réalité il s’agit d’un panneau sur lequel sont punaisées des publicités. Il ne faut pas confondre le slalom de Zagreb avec le Zolom de Midgar. Je ne parviens pas à zipper un dossier de 9,16Go et le déplacer tel quel sur une clé usb prend deux heures. J’attends le résultat de mon test d’hier ; il est négatif. La température baisse. Le ministère de l’éducation nationale à J-1 de la rentrée : nous ferons plus de tests. Pénurie de tests à J+2 : nous ne ferons pas les tests. Et voilà. L’inflation touche les radis noirs de fouet : 4,45€ la pièce. Quelle époque. |
↑ 1 D’après de récents travaux en neurologie, le mariage procure un sentiment de bonheur qui dure deux ans. Très exactement deux ans. Pas davantage. Passé deux ans, chacun des époux revient à la disposition d’esprit qui était la sienne avant de se marier. Il retourne à son point de départ. Il replonge dans sa misère. Il n’a fait que gagner du temps. Cela n’a rien de personnel : c’est câblé dans nos cerveaux.
↑ 2 Traduction Bertrand Schefer, Allia. La suite : Immense illusion : ainsi, le demi-philosophe combat les illusions précisément parce qu’il a des illusions, le vrai philosophe les aime et les défend parce qu’il n’en a pas ; combatre les illusions en général est le signe le plus certain d’un savoir très imparfait et très insuffisant, et d’une évidente illusion. (16 septembre 1821).