John Polidori



  • 071219

    7 janvier 2020

    Je cherche une métaphore qui soit juste et douce à la fois. Je parle de la douleur. Fondamentalement, je parle toujours de la douleur (sauf quand c’est elle qui parle à travers moi). La première chose à laquelle j’ai pensé, c’est : un incendie. Non, une étincelle. Comme dans la chanson d’Étienne Daho. Une étincelle qui se produit au milieu d’une flaque d’essence, l’essence brûlera autant qu’il y aura de combustible à brûler. Eh bien là, disons qu’avant septembre je me nourrissais d’essence. Depuis, je ressens des douleurs sèches, des étincelles donc, pas toujours suivies d’effet. Et, lorsque c’est le cas, comme hier, c’est un incendie autrement plus localisé et étouffé que d’habitude. L’autre chose à laquelle je pensais dans le noir, ce sont des cordes. Un instrument à cordes. N’importe quel instrument à cordes. Si l’une vibre, on peut la saisir pour l’étouffer, et en éradiquer le son. Mais en faisant ça, qui sait si nous n’allons pas frôler voir heurter les cordes voisines, et donc déclencher d’autres vibrations, d’autres sons, d’autres accords ? Voilà nos médicaments. Mais si l’on ne fait strictement rien, ou disons plutôt le moins possible, combien de temps cette corde va-t-elle continuer à vibrer d’elle-même ? Qui peut savoir si aucune mollécule a réellement un effet sur quoi que ce soit puisque nous ne pouvons pas comparer deux fois le même moment dans le temps ? Une fois qu’on a pris quelque chose, ou qu’on s’est abstenu de rien prendre, on ne peut plus revenir en arrière et faire le cheminement inverse. Le plus souvent quand je prends un médoc et que la douleur se dissipe, je ne me dis pas que j’ai bien fait d’y remédier mais que, la douleur se dissipant, j’ai pris des anti-douleurs pour rien. Voilà de quoi sont tissées mes pensées. Je reste dans le noir. J’écoute des fictions au kilomètres. Polidori, La promenade des envahisseurs, Boileau-Narcejac. Adolescent, je lisais Boileau-Narcejac. Moins de dix ans plus tard, à la fac, l’un de nos profs prononcera ce nom à voix haute, et je réaliserai qu’il s’agit de deux personnes différentes, et qu’ils écrivent en tandem, ce qui est assez rare. Je venais de découvrir qu’un auteur écrivant de la littérature dite jeunesse, ou de genre, pouvait également être cité dans un cours d’histoire littéraire à l’université. Je n’avais jamais entendu parler des Diaboliques, a.k.a Celle qui n’était plus. Là je l’écoute. C’est très bien. J’ai ouvert un fichier quelque part que j’ai nommé tout. J’y écrirai à la suite les trucs de la journée, journal, pas journal, fiction, tentatives, prises de notes, etc. C’est kafkaïen, mais kafkaïen au sens propre. Comme ça, je n’aurais pas besoin de lancer aucun écran qui soit, de faire lever aucun gramme de grésil, et d’attiser aucune douleur. Ma théorie se confirme : sans aide extérieure, par exemple chimique, la douleur suit le même cheminement qu’avec. C’est juste un petit peu plus long. J’en suis venu à considérer avec suspicion toute forme de médication. J’ai l’impression qu’on m’empoisonne. On, ici, est un moyen détourné de dire je. J’ingère toujours un demi Nocertone par nuit, et je suis persuadé, à tort ou à raison, que cette moitié-là me fait plus de mal que de bien. Je n’arrive pas à passer au quart. Je remets au lendemain. Les conditions ne sont pas réunies. Là, ce serait trop risqué. J’en suis venu à me dire : j’ai probablement une tumeur inopérable, mes jours sont comptés. Mais en réalité, tumeur ou pas tumeur, mes jours sont comptés. N’est-ce pas le cas pour tout le monde ? Je n’ai jamais passé de scanner ou quoi. J’ai peur de ça. Non pas de la procédure mais de l’imagerie. Ce qui pourrait être trouvé. Dans les livres, dans les films, dans les séries, bref, dans un récit, cette attitude conduirait le personnage principal (à supposer qu’on soit jamais le personnage principal de quoi que ce soit, à commencer par nos propres vies) à effectivement contracter quelque chose, et, le temps de savoir véritablement, il serait déjà trop tard. Il y a une mort comme ça dans Six Feet Under. Il faut se méfier des morts de Six Feet Under. Pour commencer, elles parlent. Elles existent après leur propre mort. Elles se survivent sous la forme d’images mentales qui ne sont pas à proprement parler des fantômes, mais plutôt des projections que porte en soi chacun. Qu’est-ce que je porte en moi ? La nuit, souvent, quand je suis mal, je me réveille mille fois et je fais des obsessions sur des choses. Ce ne sont pas à proprement parler des cauchemars. Ce sont des concepts. Là, ce sera le Vampire de Polidori. Mais je ne faisais pas une fixette sur le roman, sur l’univers ou sur la créature qui donne son titre au roman, non, je faisais une fixette sur le nom de son auteur. Polidori. C’était assez pour me retourner le cerveau, littéralement, et littéralement plusieurs heures plus tard j’ai senti la douleur quitter un œil pour aller en inoculer un autre. Je sais que, suivant le cycle et le schéma de la douleur, cela va rebondir encore quelque fois, droite, gauche, droite, gauche, et résonner derrière, dans les nerfs, pendant quelques jours. C’est ce qui me rassure quant au fait que je n’ai pas de tumeur. Une tumeur ne bouge pas. Une tumeur ne joue pas au ping pong dans l’espace intérieur de ton corps. Une tumeur ne te donnerait pas l’illusion qu’elle est en mouvement sans jamais s’échapper de toi, si ? Une tumeur, non. Mais une tumeur maligne ? C’est un jeu de mot. Je reconnais que c’est de mauvais goût. J’ai d’autres choses à faire ce week-end, à commencer par réparer le porte-bonheur d’Asakusa. Ce ne sera que la deuxième fois. Peut-être aurais-je moins mal avec lui à mon poignet ? Lequel, le droit ou le gauche ? Si j’ai mal à gauche, je le mettrais à gauche. Même chose à droite. Je ne suis pas pressé. Je suis pressé. Mercredi, ils opèreront Poulpir à nouveau. Elle et moi avons besoin de toute la chance qui s’offre à nous. On ne doit pas lésiner. Il faut mettre le paquet. Le paquet, à mes yeux, prend la forme d’un bracelet de 21 perles en quoi ? en céramique ? enfilées dans un fil de nylon. Je sais déjà d’expérience qu’il fonctionne sur les gens. Fonctionnera-t-il sur les lapins ? Qui sait quel genre de porte-bonheur il faut pour ces bêtes ? Une patte d’eux-même ? Jusque-là, on ne peut pas dire que ça les ai beaucoup aidées. Ça les a amenées en vie jusqu’ici, j’ai envie de dire. Mais ça ne tient qu’un temps. Un trèfle à quatre feuilles ? Ils le mangeraient, nonobstant la mutation génétique du brin l’ayant conduit à développer un quatrième trèfle contre-nature. Une sorte de tumeur, à son échelle de trèfle. Un mot magique ? Je me vois bien lui chuchoter le mot Polidori à l’oreille pendant des heures avant qu’elle parte pour la Clinique Vétérinaire de Maisons Alfort qui, on l’a vérifié au cas où les métros continueraient de ne pas rouler suite à la grève, n’est qu’à environ quarante-cinq minutes à pied d’ici si on ne se perd pas. Combien de fois peut-on répéter à l’oreille otitée d’un lapin le mot Polidori pendant quarante-cinq minutes de marche dans le froid de décembre ? Le BM3 n’est toujours pas expédié. Du moins, il ne l’était pas quand j’ai vérifié pour la dernière fois hier soir. Aujourd’hui, le BM3 est donc réduit au rang de chat de Schrodinger des cadeaux que l’on se fait à soi en quatre fois, non sans frais : il est peut-être en chemin ou encore en stock dans un entrepôt quelque part, peut-être bien bloqué par des manifestants furieux de ce que le monde dans lequel nous vivons est bien celui-là et non un autre. Je ne peux que leur donner raison. Après tout, le vampire de Polidori est à la fois mort et non mort. De même que le personnage de Mireille chez Boileau-Narcejac. Ou que Shinji dans La promenade des envahisseurs. Les cordes continuent-elles de vibrer même lorsqu’on n’entend plus aucun son ? Et, à l’inverse, le son qu’on croit entendre, est-il issu d’une corde manifestement à l’arrêt, ou bien le fruit d’une rémanence auditive qui n’a plus cours que dans notre propre cerveau et non dans le monde ? On ne sait rien. On fait semblant de suivre nos intuitions à l’aveugle.