Aseyn



  • 040320

    4 avril 2020

     

    2001, l’Odyssée de l’espace comme manuel d’instructions, méthode de composition et blueprint astral. Un chef-d’œuvre atemporel qui ne vieillit pas et dont le seul « défaut » est son titre, qui le situe à une époque déterminée, passée et trépassée (l’année où l’on supposait en 1968 que l’homme entrerait en contact avec une intelligence artificielle en voyageant dans des navettes spatiales, alors qu’à la fin il s’est surtout heurté à une mésintelligence terrestre sous forme d’avions projetés contre des immeubles). Dans ce film, Stanley Kubrick met en pratique son système d’écriture non narrative et non linéaire, mais fermement liée à « sept unités insubmersibles » qui s’assemblent au moyen de chaînes sous-marines. Le réalisateur affirmait que si on tient compte de ces sept points clés, tout finit par prendre un sens et payer au centuple. Les voici : 1) Le monolithe visite l’humanité à ses débuts, 2) Un hominidé découvre la technologie, 3) Le monolithe est déterré sur la Lune et envoie un message à Jupiter, 4) Une mission est envoyée sur Jupiter pour enquêter sur la destination du message, 5) Une technologie avancée (« I’m sorry, Dave… I’m afraid I can’t do that ») met en danger la mission, 6) La technologie est vaincue (« I’m afraid… I’m afraid, Dave… Dave, my mind is going… I can feel it… My mind is going… There is no question about it… I can feel it… I can feel it… I can feel it… I’m a… fraid ») et l’astronaute survivant est accueilli par les extraterrestres, 7) Naissance du Star Baby.

    Les trames basiques s’élèvent elles aussi au nombre de sept (bien que certains, comme le réductionniste expansif Tolstoï – à qui on doit, ne l’oublions pas, « La mort d’Ivan Ilitch » après qu’on lui a raconté brièvement l’histoire d’un homme gravement malade qui avait passé ses derniers jours à crier sans relâche ; Tolstoï qui s’est échappé de chez lui pour aller mourir dans une gare –, les réduisent à deux : un homme part en voyage et un inconnu arrive dans une ville), à savoir : 1) terrasser le monstre, 2) naître pauvre et accéder à la richesse, 3) la quête, 4) la comédie, 5) la tragédie, 6) la renaissance, 7) le voyage de l’ombre vers la lumière. Et voilà. C’est tout, les amis. Sept jours, c’est ça. Un dernier livre – un roman en sept parties éparses mais liées – écrit en suivant cette voie.

    Un livre dur mais doux.

    Un livre qui glace les mains au point de brûler les yeux.

    Un livre qui serait pour moitié le Titanic et pour moitié un iceberg. Qui sombre et flotte.

    Gravitation zéro. Vide absolu empli d’étoiles. This is Hardcore. Autodestruction constructive. Un livre où il essaierait d’en finir avec le monde.

    Le voici.

    Là.

    Rodrigo Fresán, La part rêvée, Seuil, traduction Isabelle Gugnon