13 août 2020Notre époque, elle plie sous le poids de ses pensées. Les pensées de tout un chacun exprimées en toutes circonstances et sans aucune forme de retenue ou de filtre sur les réseaux. Quelque part, cette phrase, la précédente, la précédente précédant celle-là et ses X suivantes en font partie aussi. Je suis donc indéfendable. On aura le loisir de nous juger bien salement, dans un demi-siècle ou un, ou deux, ou huit, à supposer qu’il y ait encore qui que ce soit sur cette terre pour nous juger, et qu’ils et elles soient en mesure technologiquement de le faire, et tout simplement qu’ils n’en aient pas rien à cirer de nos vies : n’est-ce pas la première fois dans l’histoire de la civilisation que quiconque aura accès ainsi massivement aux pensées personnelles ? On a tort de parler de données. Ce sont avant tout des pensées. Mais le poids de ces pensées connectées ou non entre elles pèsent sur notre énergie à tous : les fameux serveurs à faire tourner et à alimenter en électricité. Mais qui est-on pour décréter que le silence vaut mieux qu’aucune de ces pensées ? Si je perds le lien avec le silence, je ne suis pas bien. C’est que je pense trop. Je ploie moi aussi sous elles, du moins leur poids, ces pensées. Elles me minent, quand bien même elles ne sont pas nécessairement tristes, ou plombantes. Elles sont. C’est déjà tant. Quel genre d’architecture intérieure faut-il pour supporter le poids d’autant de couloirs, de continuums, de galaxies ? Ne me secouez pas, je suis plein de pensées. Je pensais justement (pensée !) : renouer avec le chœur, dans LS, me servir de ces demi-personnages, ces esquisses d’êtres désincarnés, pour faire passer un message constant. Ce message pourrait être : rien n’est réel, là. Ou, pour le dire plus précisément encore : nous vivons dans une putain de parodie et non seulement on en a consicence, mais on l’accepte. Comment ne pas l’accepter ? Refuser de faire partie de ce monde et monter un genre d’hermitage ; mes pensées sont simplistes et elles n’aideront en rien quiconque à s’extraire de quoi que ce soit, à commencer par moi. Je me disais : l’un de ces personnages pourrait être un enfant de douze ans sur une trotinette en libre service, cherchant à revendre quelque chose, en vain, pour se payer de la kétamine ou de la MDMA (mais ce n’est déjà plus la même chose) et dont l’idéal de vie future serait d’aller miner des bitcoins en Asie et de revenir blindé de pétro dollars et de pétro roubles. Voilà qui serait symptomatique de notre époque, je trouve. Une bêtise. Une illusion. J’y pense j’y pense. Pendant que j’y pense j’y pense, et que j’essaye d’avancer sur ce projet de plan mainstream, ce qui en soit est rébarbatif, je me dis tout de même qu’on a un problème avec les récits tenus sur la longueur. On ne parvient plus à le faire, on s’éparpille alors. LS est très épars, justement, bien que pour l’heure, à proprement parler, LS ne soit encore rien. Ce n’est sans doute pas une volonté de ma part (issue déjà d’une de mes pensées vieilles d’un an ou de six mois), c’est aussi dicté par mon incapacité à mener une narrration longue et unitaire. Linéaire dirait-on. Fort heureusement, je ne suis pas le seul. Fresán n’a, à ma connaissance, jamais écrit (du moins, publié) de roman linéaire. Des trucs comme The Vorrh ou même Telluria voire Vernon Subutex, pour ne parler que de trucs qui fonctionnent, sont des récits construits en une multitude de débuts de livres compilés ensemble. C’est précisément le forme des Détectives sauvages. Que dire encore des entrevoûtes et des narrats postexotiques ? Fragmentation des pensées. Je repense à ce que disait Matthew Weiner : faire de chaque épisode (de Mad Men) un season final. Ici, on a le sentiment que chaque page ou chapitre doit être un incipit. Impossibilité d’écrire encore le grand roman américain, ou français, ou que sais-je, qui prend racines dans l’encre du Bildungsroman, ou dans le corps du roman balzacien. Est-ce encore écrivable en 2050 ou en 2070 ? Il faut se projeter plus loin que nos pensées ne peuvent le faire. Il faut se dire : je n’écris pas pour mon contemporain. Je n’écris que pour des avenirs insondables. Si eux ne savent plus lire le fragmentaire, qu’avons-nous à leur donner ? Si eux ne savent plus lire du tout, à quoi sert-il de continuer à dire, à crire ou à crier, plutôt que de produire, comme tous nos contemporains, des cycles et des cycles et des cycles de ça, des pensées ? 18 mai 2021Le potentiel érotique du deuxième générique de fin d’Utena est dingue, tout en images fixes, ou quasi, alors tout est au-delà du cadre, y compris le baiser final mais hors champ, les corps étant coupés à la tête, dans un élargissement soudain du champ de vision. Même avant, dans le graphisme des personnages, la courbure du doigt à l’approche de la rose et la cambrure du dos. Quand on pense que les doubleurs américains (la série n’a jamais été doublée en français), ne voyant sans doute rien des images, n’ont pas compris que c’était du lesbianisme à fond les ballons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’une des premières choses que j’ai faite quand on est arrivé à P., dans ce bureau qui est le mien (pour parler comme Macron), c’est de mesurer l’écartement maximum du soleil. Sur quelle surface il se pose et jusqu’où, quand, comment. Donc j’ai placé mon bureau dos à ça pour ne pas le voir. Mais voilà que nos déplacements dans l’espace (en chute libre dans l’éther et tirée par la chute libre plus lourde encore que la nôtre de l’étoile qui nous est assignée) font que fatalement cet arc croît, ou décroît, ou en tout cas bouge, progresse, se déplace. Peut-on parler d’entraxe ? D’ici le soltice d’été ne va-t-il pas tomber où je ne veux pas qu’il tombe ? . . . . . . . . . . . . . Depuis qu’H. est parti, la connexion est mauvaise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pour ///, mes visions du futur se concentrent sur quelques points seulement (ce n’est donc pas à proprement parler une dystopie, c’est l’imagination des lendemains) : engloutissement de l’Europe de l’ouest sous un désastre X ou Y (vraisemblablement nucléaire) ; balkanisation de tous les états réstant de l’ex-UE ; abolition du transport aérien pour réserver le kérosène aux seuls voyages intersidéraux ; voix ferrées partout sur le territoire ; développement d’un réseau clandestin sous cutané à opposer aux réseaux mainstream oculaires ; faillie et disparition du football 1. Au fond, n’importe lequel des projets que j’envisage se situe quelque part sur ce prisme, un peu avant ou après le désastre, ce qui ne fait de moi qu’un énième pur produit de mon époque, tout le monde écrivant ces trucs-là. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . On pourrait très bien coudre ensemble artificiellement à peu près chaque fragment des bribes et de ce projet t, paru dans Hors sol il y a quelques années, et en faire un récit uni qui ne soit pas non plus un recueil de formes courtes. Il suffirait de les classer en avant le déluge et après le déluge (sans même avoir à dire quoi que ce soit au sujet dudit déluge). Un peu dans l’énergie de Telluria de Sorokine. . . . . . . . . Si je regarde des films médiocres, c’est probablement qu’ils ne demandent aucune participation de ma part. Il en va de même pour les livres mainstream et les plats préparés industriels (sauf qu’eux, j’ai cessé de les consommer). |
↑ 1 Pour ce qui est de la faillite, nous nous y approchons, et le covid ne semble même pas impliqué : Tous les clubs qui participeront [au projet de] Superligue européenne seront exclus des compétitions UEFA. L’instance prépare une plainte et réclame 50 à 60 milliards d’euros. La plateforme DAZN est prête à payer 3,5 milliards d’euros pour les droits TV. Dans quelques jours à peine, néanmoins, le projet fera pschiit.