J’entends H. dire : les textures sont DÉGUEULASSES. Je ne sais pas à qui il parle ni de quoi. C’est le truc avec le téléphone, tu n’entends que le recto sans le verso ou le verso sans le recto, et sans jamais savoir qui recte et qui verse. Je crois que si moi je tergiverse autant sur la question de l’identité graphique de Grieg, c’est que je veux convoquer des énergies contradictoires. Que ce soit lisse, mais qu’il y ait de la matière. Que ce soit épuré, mais riche. Que ce soit un pur noir et blanc mais qu’il y ait de la nuance. Que ce soit riche et pauvre. Que l’on ne perçoive que des formes géométriques, oui mais que l’on saisisse ce que ces formes suggèrent. Effacer mais montrer. Ce n’est pas anodin. Probablement que ce sont là les mêmes dilemmes que quand j’écris ce que j’écris. C’est le même tiraillement, et le même hiatus. Le minimalisme, oui, mais encore faut-il qu’il puisse être baroque 1. Que ce soit linéaire mais qu’il y ait des torsions. Lignes claires non sans vertige narratif. J’en lis chez Patrick Autréaux, des vertiges narratifs. Par exemple, j’aime beaucoup comment l’air de rien, il dilate des perspectives (...ma grand-mère est de là-bas. Le mot grand-mère venait de nous précipiter dans une intimité vertigineuse), comme il comprime des ellipses :
Lui : J’habite à deux rues de chez vous. Il dit le nom d’une armée révolutionnaire. Ah oui, c’est en montant vers la place, elle donne sur l’hôpital. Il ajoute : Votre bâtiment ? Je dis une lettre, l’étage. Au lieu d’un au-revoir-merci-à-bientôt, il dit : Je peux vous l’apporter si vous voulez ?
Nous y voilà.
Il s’est assis sur le fauteuil bleu, moi sur le canapé crême...
Patrick Autréaux, Le triton à la perle, Pou
Toute l’ellipse tenue (et ténue) dans ce nous y voilà : procédé qui en fait structure complètement la nouvelle et rythme son débit. Mais ce n’est pas ça le plus bizarre dans cette histoire d’histoires pédées. Le plus bizarre, c’est que le collectif Pou a reçu (ou va recevoir, je ne sais) le prix de la maison d’édition gay de l’année (ça existe). Il y a même un article dans Livres hebdo, j’ai eu une notification à cause de la Google Alert qu’il y a, comme chacun sait, sur mon nom. J’ai twitté l’article en sous-titrant saperlipopette, suivi d’un point d’exclamation. Emily Dickinson m’a retwitté. Drôle de monde.