Scapulaire



  • 030509

    3 mai 2009

    Sarl, personnage de Scapulaire, agresse un corps silencieux au hasard d’un lieu de passage, il le plante, le retourne et lui découpe la peau du dos pour en extraire la scapula (omoplate) tant recherchée : celle qui lui manque.

    X, monstre de Melliphage se laisse nourrir de la peau vers les lèvres chaque jour, à la même heure, plongée dans un océan boueux de difformités visqueuses (étoilées diront certains).

    Y, narrateur de Cette vie, se laisse envahir par les cadavres et larves d’insectes, névrose phobique qui le recouvre petit à petit en l’espace-fiction d’un battement de paupière.

    Z, narrateur de Coup de tête, avance mains dans les poches dans l’été Canicule que l’on sait, main droite amputée qui lui remonte du poignet jusqu’au coude et parfois vers l’épaule lorsque la sueur s’écoule. Plus tard, il s’arrache la peau du moignon au scalpel improvisé et s’écrase sur l’asphalte fumant d’une autoroute : corps pris contre la tôle comme démantibulé, noyé entre pare-chocs gratuits et autres enjoliveurs.

    Le saviez-vous ? Il y a 230 articulations dans le corps.

    Plus généralement, tous mes personnages (les miens ou ceux des autres, ceux qu’il m’arrive de frôler) ont des syndromes, des membres en moins, des peaux arrachées. Entre les plaies on voit les muscles battre et les artères gonfler. Lire ou créer un personnage, pour moi, c’est assister à une séance d’autopsie vivante, une galerie-webcam seconde par seconde à ciel ouvert. Alors je ne pouvais pas ne pas me rendre à cette exposition, ne pas céder à la tentation d’ouvrir les corps à mon tour, depuis plus d’un an que j’y pense et que je rêve d’y aller.

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    H. et moi arrivons fin de matinée devant les portes vitrées, peu de corps (vivants ceux-là) nous précèdent. J’ai dans l’idée que H. m’accompagne dépourvu d’enthousiasme et que sa présence à mes côté tient plus du compromis que d’une réelle envie viscérale qui le pousserait à admirer tripes et boyaux précipités plastiques ou autres alvéoles pulmonaires devenues fractales polymériques. Mais cette phrase je la pense avant de l’écrire et d’acheter (cher) les billets pour l’exposition et je me demande comment on peut ne pas se laisser presser contre elle avec envie. Je crois supposer dans les silences qu’on se partage que c’est là un caprice qu’il m’accorde et que j’assume (essaie d’assumer).

    Le saviez-vous ? Le cerveau envoie les informations à plus de 380 kilomètres par heure.

    Ils ont remplacé tous les fluides corporels (lit-on) par de l’acétone. Ensuite ils ont plongé les « spécimens » dans du polymère liquide (lit-on) qui a pris la place de l’acétone. Ensuite sèche-cheveux (déforme-t-on) puis sortie d’usine des Ken plastifiés et autres corps en miettes. Ensuite ils les ont piqué sur des tiges et suspendu en l’air ou installé sur des vélos d’appartement.

    Le saviez-vous ? La surface de la peau humaine représente 2 mètres carrés.

    Les corps sont mis en scène, selon les situations présentées les os s’accordent et muscles désaccordés se répondent, détendus ou fléchis en fonction des positions rencontrées et des efforts fournis. Un écorché joue au football, l’image est figée au moment où. Les tissus s’attachent par dessus les muscles bandés pendant l’effort. Le mouvement coure sous la peau invisible et pourtant rien ne bouge.

    Le saviez-vous ? 15 millions de cellules sanguines sont détruites chaque seconde dans le corps humain.

    Nous frôlons l’ombre des organes suspendus, des crânes figés sous verre. Nous comptons le nombre de plaques assemblées sous la vitre (frontale, temporale, pariétale, occipitale), nous détachons délicatement les maxillaires (si seulement), nous retirons en silence, à l’abri des regards, l’arrière de l’occiput, nous retournons la plaque, nous y plaquons une loupe emportée au cas où ; nous cherchons au juste où ont pu être gravées les millions d’inscriptions millimétrées que la mémoire a dû stocker sur les parois intérieures de l’os. De cette façon, j’explique à H., c’est le passé d’un mort, d’un spécimen, que nous pourrons retracer en brail, son histoire brute directement sous l’ongle à décoder.

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    Midi passé, il fait trop chaud contre les murs noirs. Je perds lentement mon souffle. Mes genoux craquent au moindre pas. Pas vraiment le temps de faire une pause, ni même de s’accrocher aux vitres pour admirer les bronches cristallisées. La masse de corps qu’on souhaiterait morts mais qui ne l’est pas se presse, derrière, devant, autour, et force un flux tendu de visiteurs qui ne s’arrête jamais. Trente seconde par vitrine, trente seconde par organe. Dix, quinze, pour les os, les fémurs, les clavicules, banales, pour lesquels on a trop peu de patience. Quelques étudiants prennent notes et croquis, blouse blanche sous le coude. L’un d’entre eux me regarde le regarder. J’explique à H. que si ce corps là était découpé vertical comme la figure 12-C précédente, c’est mon visage, peut-être, que l’on verrait remonter depuis la pupille jusqu’au cortex visuel primaire, projeté inversé contre les parois cérébelleuses, puis peu à peu dissipées, évaporées dans la mémoire, disparu contre les parois trop lisses de son crâne poreux.

    Le saviez-vous ? Nous clignons des yeux environ 20 000 fois par jour.

    Je cherche une main, main droite, coupée-ouverte de haut en bas et dénudée, peau retroussée. Je cherche l’omoplate de Scapulaire, extrait au cutter puis perdu dans le liquide-ciment d’à côté. Je cherche, je cherche au fond toutes ces situations un jour apparues, la seconde suivante fixées ailleurs sur papier et jamais réellement retranscrites comme il aurait fallu. Je cherche au fond ce que j’ai failli à matérialiser. Peut-être que quelqu’un, avant moi, a déjà pu produire ce même travail à ma place. Peut-être que ces corps là sont quelque part, devant, derrière, autour de moi et que je les ai manquées. Je demande à H. d’ouvrir l’œil de son côté, histoire de ne pas les louper.

    Le saviez-vous ? Le corps humain a besoin de 39 kilos d’oxygène par jour.

    Nous quittons l’exposition en début d’après-midi, l’estomac ouvert sur une faim timide mais réelle. Je demande à H. ce qu’il en a pensé, j’essaie de trouver ce que moi-même je pourrais en dire. Quelque part, sans doute, une certaine déception. Le corps démembré comme objet, mais non pas comme œuvre d’art, comme il aurait dû. Les foules pressées autour de nous nous ont empêché de clairement apprécier la déambulation parmi les tissus éclatés. L’éclairage pesant, le kitsch de la mise en scène, nous rappelle que ces cadavres n’en sont pas, que ces spécimens le sont trop, que la chair n’est pas tendre et que la machinerie ne tourne plus, que le sang brut ne jaillira pas des artères. Le plastique de ces peaux n’a réveillé en moi aucune des vérités fantasmées que je croyais enfouies quelque part sous l’épiderme. L’autopsie n’a pas eu lieu, ou plutôt si, nous l’avons ratée simplement. Ne restent que les images papier glacé que l’on connaissait déjà : vascularisation du foie, aorte, bronches-fractales éparpillées et chiasma optique. On aimerait tendre la main et frôler l’objet froid derrière la vitre, sauf que... Le seul corps qui m’ait ému, j’explique à H., c’est ce spécimen en pleine foulée, muscles contractées selon l’effort, qui au fur et à mesure de sa course voit les strates de son organisme se défaire : muscles décollés, nerfs et tendons détachés, artères et valves ouvertes, éparpillées. Course lente, étape par étape, d’un corps sain vers sa propre destruction plastique. Nous aurions pu tirer sur ces lamelles désinfectées, les détacher, ne rien laisser que le squelette et son tuteur, nous aurions emporté ses tissus, cellules, comme un souvenir, un mug, une branche préservée d’ADN. Et puis nous sommes sortis les mains vides, les yeux tournés vers ailleurs. Un peu plus loin, marchant toujours, H. m’explique qu’il savait, savait d’avance que ces corps là ne pouvaient pas me satisfaire. Je réfléchis longuement à une phrase fameuse que je pourrais lui répondre dans l’optique de la retranscrire ensuite entre ces lignes mais je n’en trouve aucune. Sarl, personnage de Scapulaire, cutter dans la main, scalpel dans la tête, n’aurait même pas franchi le seuil de cette exposition, il n’aurait rien eu à y faire. Moi-même, stylo en main, scalpel en tête, je n’étais pas au bon endroit, dans la bonne salle.

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    Midi déplacé quatorze-heures, nous mangeons en silence un tournedos saignant à l’Auberge des sept plats, rue de Sèze. L’ironie, aujourd’hui, est carnassière. L’exposition du jour est un double échec, quelque part (ce que j’explique à H. pendant que le sang ronge liquide le reste de purée au milieu de mon assiette), puisqu’elle ne m’aidera pas à mieux écrire les corps sur la page, pas plus qu’elle ne me permet de décoder les raisons opaques qui m’ont poussé à m’y rendre. Au contraire (H. me répond, son assiette déjà vide et la purée avalée), ce n’est pas rassurant d’avoir pu écrire Scapulaire et le reste sans avoir eu besoin de cette expo ? Puis je termine mon tournedos (ce qui veut dire que j’en laisse la moitié). Remettre les choses en perspective (ça s’appelle).

    Le saviez-vous ? Dans une vie, le cœur pompe l’équivalent d’1 million de tonneaux de sang.
  • Sept six neuf

    7 juin 2009

    Coup de tête deuxième partie se termine, je me répète. Une dernière relecture cette semaine et ce devrait être bon.

    J’ai commencé en parallèle la reprise de la troisième partie. Les choses sont plus compliquées. Les parties un et deux ont été tellement réécrites que je les ai sous la peau, avec le recul le texte s’est décanté relativement naturellement. La troisième partie est différente. La troisième partie, de toute évidence, est une saloperie. Je ne sais pas trop par quel bout la prendre.

    Au fond ce n’est pas la structure du truc qui me fait peur, mais plutôt l’altitude. Le vide du panorama, l’air pur et l’herbe verte. Me manque la crasse, le ciment, l’écho plein sous les escalators. Me manque le bruit, l’asphalte et le reste. Ici je me perds en altitude. J’ai laissé filer le personnage en cours de route. Il faut le reconditionner. Il faut oublier ce qu’il était dans les versions précédentes et qui ne correspond plus à grand chose. Il faut faire, défaire, et refaire encore.

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    Je me suis rendu compte il y a quelques jours que Coup de tête était au centre de tout, depuis des mois, années. Ce n’était pas conscient, bien sûr, mais tous les projets, fictifs ou réels, aboutis ou ratés, pointaient vers ce roman là. Le textes du blog, les nouvelles écrites au fil du temps, et même quelques tentatives de trucs plus longs, les Qu’est-ce qu’un logement., Livre des peurs primaires ; tout devient laboratoire à visée unique C’est avec Ochracé que j’ai appris à manier l’ellipse saccadée, c’est sur Scapulaire que je me suis entraîné à multiplier les points de vue, c’est avec Sablier que j’ai appliqué la première fois une méthode de travail efficace. Idem avec le Livre des peurs primaires où tout arrive et n’arrive pas dans le même mouvement. Le seul truc à part, c’est peut-être Cette vie, encore que.

    Bientôt il me faudra terminer non pas un roman, un projet, mais un cycle. Ces difficultés actuelles deviennent usantes, j’ai encore l’impression de buter comme aux premières pages des premières versions. Nous sommes trois ans plus tard, et tant d’expériences ont été effectuées, comment se fait-il que la décoction soit toujours aussi douloureuse ?

    Correction : j’ai repris plus tard tout ce qui avait été écrit aujourd’hui (si peu). J’ai tout repris. C’est mieux. Mais toujours obligé de fixer une personnalité dans des comportements cadres, des tics de vie. Comment faire autrement ? Peu importe. J’aurais au moins réussi à renverser la vapeur. La page médiocre s’est changé en page moyenne susceptible de. C’est déjà un début.

  • Syndrome court

    13 juin 2009

    J’ai reçu cette semaine le deuxième numéro de la revue Cyclocosmia fraîchement parue. J’ai commencé à la feuilleter comme n’importe quelle revue puis suis tombé sur mon texte Melliphage publié dans ce numéro. Je pensais ressentir quelque chose à la lecture de ces lignes imprimées papier, une émotion particulière, peut-être, et rattraper qui sait celle que j’ai loupée lors de la parution dans mon dos d’Assimilation dans Transforme(s) en 2007. Raté. J’ai lu ces lignes sans plaisir, un peu triste je crois, surtout déçu de n’avoir rien accompli avec ce texte de quelques pages. Ce n’est pas un problème d’ambiance, elle y est, il ne s’agit pas non plus de lacunes techniques, car il me semble que j’ai techniquement porté ce texte jusqu’où je pouvais. Non, cette nouvelle est inutile, plutôt, on la mâche longtemps pour bien peu de résultat. Elle manque d’âme, voilà. Elle manque d’âme.

    Ce n’est pas nouveau, c’est un problème que je rencontre fréquemment. Je ne sais toujours pas comment écrire des nouvelles, des textes courts. J’essaie vaguement mais ça ne fonctionne pas ou si peu. Il y a quelques années Sablier était brouillonne et trois fois trop longue mais avait au moins le mérite d’aller quelque part. Idem pour Ochracé et Scapulaire qui proposaient quelque chose (maladroitement d’accord, mais ce n’était pas des trompe l’œil). Tous les autres trucs écrits avant et depuis, dans l’ensemble, sonnent plutôt creux, Melliphage">Melliphage compris. Je crois – invente, imagine – que tous ces échecs manquent en fait d’acidité, de violence.

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    Autre exemple, ce texte lâché il y a quelques semaines et envoyé dans la foulée au gratuit Delicious Paper, non retenu. Je le copie/colle ici car je ne saurai pas où le mettre ailleurs. Titre possible : Les tics du cordon. Là encore je suis allé au bout de ce que je souhaitais faire : je me suis simplement rendu compte après coup que ce que je souhaitais faire ne m’emmenait pas loin.

    Je suis (ils m’ont appelé) Javier, Zain, Adam ou autre. Adam, je ne déteste pas. Au moins c’est honnête. Ça déborde de bonnes intentions (symbolisme bien pensant, certains disent). Tellement bien pensant que le kitch ressort. Tellement kitch qu’on pourrait le punaiser rose fushia sur le mur d’une chambre adolescente. Tellement adolescente que ça pourrait être la mienne.
    Je suis (ils auraient pu m’appeler) Levothyrox slash Cervarix slash Tamiflu slash Prozac. Plus compliqué à épeler mais c’est une possibilité. Je suis (la presse m’a appelé) le bébé-médicament-du-troisième-millénaire. Du moins durant les jours de l’avant, pendant, après insémination in-vitro. Avant, pendant, juste après grossesse. Passé l’accouchement, la guérison du grand frère slash de la grande sœur, ce nom m’est tombé des bras qui ne tenaient plus rien. Passé l’accouchement, c’était différent déjà, et le fait est qu’on ne m’appelait plus du tout.

    (...)

    Plus tard (j’espère), allongé sur le sol de mon psy (ils disent qu’il faudrait sans doute), je parlerai à quelqu’un de tout ça et ce quelqu’un prendra des notes quelque part où tout existera. Je raconterai ce qu’il faudra raconter et percerai en moi ce qu’il y aura à percer. Le ton de ma voix sera le même que celui qui a toujours été et ne pourrait pas ne plus être. Je ne dois pas (le docteur Machin expliquera) laisser mes origines biologiques dicter le cheminement de ma vie présente (ou quelque chose comme ça). Oui (je répondrai) et je laisserai ma vie présente se construire autour de l’éprouvette qui m’a toujours porté. Ce sera ma déviance, pathologie, mon alcoolisme. Le grand frère slash la grande sœur pourra expérimenter la santé chaude des corps normaux, jusqu’à l’autodestruction peut-être, si ça lui chante, et moi je me laisserai couler dans mon Polaroïd désert, je vivrai la vie de ceux qui s’en fichent. Je regarderai les autres de loin et ce sera tout. J’ai déjà tout vécu avant de commencer à vivre (ils diront et certains répèteront à d’autres et le bon mot se propagera), à présent j’ai bien le droit de rester un peu à l’écart. Je cultiverai ma déviance, pathologie, mon identité (j’ai hâte). Je fermerai la porte derrière moi, personne n’osera plus l’ouvrir. Merci au docteur Machin et à l’alibi qu’il contre-signera, je me paierai le luxe de l’inutilité. Là (enfin) je pourrais souffler, je commencerai à vivre.

    Je ne sais toujours pas comment résoudre ces lacunes, éradiquer ce syndrome. D’ici là je reprendrais Cyclocosmia 2 que je n’ai pas encore eu le temps de poursuivre, il n’y a pas de raison que le reste de la revue pâtisse de ces mauvaises impressions personnelles. En parallèle avancent les dernières relectures de la deuxième partie de Coup de tête (dernier week-end). Le texte est bien ancré et je suis convaincu, enfin, signe sans doute que je ne perds pas totalement mon temps avec ces choses là.

  • 110709

    11 juillet 2009

    phalanges.pngIls m’ont proposé une prolongation de mon contrat que j’ai poliment refusé. Celui-ci se termine en aout. J’ai éparpillé quelques prétextes au hasard de la conversation, ce n’est pas très important. Je commence à regarder sans trop voir les petites annonces et autres offres d’emploi actuellement disponibles sur l’écran.

    Ce n’est qu’un boulot que je laisse pour un autre à venir qui prendra sa place. Je ne laisse derrière moi ni bons souvenirs ni mauvais. Le téléphone greffée oreille droite ne me manquera pas, je le retrouverai bientôt sans doute. Restent dans mon sillage les dizaines de galeries fictives creusées avec le temps, au hasard des différents échanges téléphoniques. Se servir du prétexte SAV ou service client pour agencer des obstacles en pagaille : il m’est arrivé de bâtir en quelques syllabes des services entiers qui en réalité n’existaient pas. Modèle start-up, il n’y avait pas de comptabilité à proprement parler dans cette entreprise : cela ne m’a pas empêché d’assaisonner des « service comptabilité » par ci par là. Idem pour les « responsables produits » et autres « commissions de litiges spécialisées ». Les voix au bout du casque ne s’en plaignent pas. Le client noyé dans un océan de bureaucratie fragmentée se laisse perdre. Son dossier (métaphore du quotidien pour qui n’en possède aucun) est entre de bonnes mains : « nous faisons tout notre possible, comptez sur nous défendre votre dossier auprès de la direction », et ainsi de suite.

    Je soignerai d’ici-là mes articulations : depuis quelques jours elles ne craquent plus (pas volontairement, toujours) car à présent je m’y refuse. Je sens le manque parcourir mes doigts, phalanges, je force le mécanisme jusqu’au bord du gouffre : celui qui se débloque entre métacarpes et proximales, avant le bruit craqué sous la peau. Je prends une, deux respirations et m’abstiens. Je suis une bombe à retardement qui au moindre prétexte crépitera réactions en chaîne de haut en bas et inversement. Mes os me lancent mais je m’y tiens.
    La douleur que ça peut être de ne plus céder à une routine mécanique, une habitude des engrenages. J’aime écrire, prendre appui sur ces douleurs, celles qui structurent. Elles font semblant de rassurer ceux qui d’ordinaire ressentent mal. J’ai remarqué ces dernières semaines, mois, que ces douleurs étaient souvent osseuses et ça ne m’étonne pas. Si je n’avais pas égaré le manuscrit unique de Scapulaire, j’en ferais une webfiction qui forcerait toutes ces impressions.

  • 180709

    18 juillet 2009

    blancasse.JPGSemaine blanche en Bretagne où l’on souffle. Je n’y rien écrit (ou presque), n’ai pris aucune photo (série 17h34 mise à part), n’ai pas beaucoup parlé non plus. Je n’ai répondu à aucun mail ni coup de téléphone. Je n’ai presque pas lu, une centaine de pages à peine. J’ai cherché le fameux Journal de Larbaud sans le trouver, j’ai dépensé ailleurs de l’argent qui stagnait. Me suis contenté de traverser, respirer, observer. Il était important de ralentir l’organisme, rentrer en brève hibernation. Cet été sans déménagement est le premier depuis trois ans : j’ai profité un moment de l’immobilité. Bientôt il faudra reprendre le rythme, ce n’est pas un problème.

    Rien écrit ou si peu : Coup de tête en pause le temps de penser à et faire autre chose. J’ai cherché vainement à commencer Ernesto & variantes, texte qui devrait être proposé pour le prochain Cyclocosmia mais le syndrome Scapulaire se répète et je n’ai pas pu trouver ma lancée. J’ai créé un fichier Histoires dans le but de consigner ces quelques nœuds fictionnels embryonnaires que je traverse ou qui me traversent et qui ne soulèvent pas plus d’intérêt de ma part mais qui, peut-être, à l’avenir, pourraient me servir. J’ai repris un peu, consigné parfois, réfléchi beaucoup, sur ce que je voulais faire, ce qui devait être fait. J’attends que le reste enfin se décante. Une fois mon rythme de travail retrouvé, les phrases sans doute suivront. Ernesto & variantes devrait être terminé courant aout. Je pense également à interrompre la série 17h34 en novembre, après deux ans de photos quotidiennes. D’ici là, peut-être, Omega Blue sera terminé lui aussi, à moins qu’il ne soit déjà devenu une fiction cohérente, qui n’a plus besoin de moi pour survivre. J’ai renoué avec les blogs ou sites anglais que j’avais arrêté de lire : Joey Comeau et George Orwell. Joey s’interroge sur les autoportraits sexy ou censés l’être, Orwell s’inquiète du temps qui peste : Raining almost the whole day, etc.

  • 011109

    1er novembre 2009

    H.jpgD’abord une première idée crépite dans la tête, je n’ose pas trop y toucher. Une fois les premières phrases lancées sur l’écran, le résultat est souvent piteux : en un quart d’heure à peine, voilà des mois de rêverie les yeux ouverts assassinées. Les premières phrases sont décevantes, elles cassent l’image muette encore pleine de possibilités qui circulait derrière mon crâne, à présent réduit à une médiocrité de plus. C’était le cas pour Ernesto & variantes cet été, c’était pareil avec Scapulaire, récit fantôme perdu à jamais il y a deux ans. Hier, Halloween, j’ai noté deux titres différents sur la page, parce qu’il fallait bien en enregistrer un pour le fichier : Vers Dzoungarie via Tacheng ou encore 46° 16,8’ latitude nord / 86° 40,2’ longitude est. Je préfère le deuxième, mais j’ai manqué l’incipit. À refaire.

    Dans son Journal des morts1 David Menear, à cette date du 1er novembre, mais d’il y a dix ans, écrit :

    Hier Halloween, maintenant nous fêtons ça. On a sonné à la porte, la porte était fermée. Je n’ai rien dans mes placards, rien mangé depuis des jours. J’ai glissé par la fente un paquet de jambon périmé, des toasts, pâté Hénaff, un yaourt 0% vidé à la petite cuiller. Je leur ai demandé : vous êtes combien, ça vous suffit ? Pas de réponse. J’ai regardé par la fente, j’ai vu des jambes, j’ai vu sous les costumes. J’ai mis un disque, n’importe lequel, plus fort que leurs voix pour étouffer les mots qu’ils ont peut-être hurlés.

    Demain 90 jours que je ne me serai plus regardé dans un miroir.

    ________________

    1 Journal qui est en réalité le volume VI caché du Journal des sens, publié posthume, écrit en attendant la mort, pensé pour meubler un an d’une vie qu’il se sait incapable de poursuivre, journal fictif qui couvrira finalement quinze mois de vie anticipée qui « aurait pu être, mais probablement pas ». Les derniers mots chronologiques sont en réalité, quinze mois et un volume avant le terme de son Journal : « Demain mardi, attendre encore. »

  • 071210

    7 décembre 2010

    Noël avant l’heure, H. m’offre la semaine dernière un cadeau qui fait 800 pages et plus, sur ma demande. Je ne suis pas allé chercher l’idée bien loin, M. me l’a soufflée lorsque nous nous sommes vus il y a quelques semaines. Et ce cadeau est un pavé, ce pavé un traité de médecine légale et d’ailleurs c’est son titre. Ce qui m’avait motivé à la base, c’est bien le fait que l’on puisse « voir littéralement l’effet et le cheminement d’une balle et sa pénétration dans le corps », comme me l’a expliqué M. place des Innocents. Je ne sais pas encore ce que j’écrirai avec mais le fait est que c’est un outil dont je veux me servir.

    Il est loin le temps où le médecin plantait une longue et grosse aiguille dans le corps d’un défunt pour vérifier que ce dernier, ne réagissant plus à la douleur, était donc bien décédé. Révolue également cette époque où l’on croquait entre les dents l’orteil d’un défunt pour vérifier que la douleur ne le faisait pas revenir à la conscience, d’où le nom de croque-mort...

    Ph Boxho, JP Beauthier, Traité de médecine légale, « Définition de la mort, Introduction », De Boeck, P.21

    J’ai déjà recherché ce genre de livres spécialisés par le passé, sur l’autopsie plus spécifiquement, c’était il y a quelques mois, N., E. m’avaient accompagné chez Gibert Médecine en janvier ou février. À l’époque, je n’avais rien trouvé, je cherchais matière pour écrire Rapport d’A., je m’étais finalement reporté sur autre chose, un livre libre de droit numérisé (sur Gallica très probablement) et qui s’appelait La faune des cadavres. Il m’avait servi de tuteur pour écrire ce petit texte, Rapport d’A., qui était, après tout, ni plus ni moins qu’une séance d’autopsie chronométrée.

    Photo extraite d’un visuel promotionnel de la "Lucky Human Mannequin Factory". Le slogan sous la photo précise : "All heads are available on all positions".



    Le Traité de médecine légale a donc rejoint mes livres de chevet. Je me souviens d’une période, à Loué, écrivant Scapulaire (détruit, foutu et oublié à jamais) et Cette mort (pas mieux) où mes livres de chevets étaient (dans l’ordre) : l’Atlas d’anatomie humaine de Netter, le Dictionnaire de pathologie médicale de Pequignot et les Œuvres complètes de Breton en Pléiade. Aujourd’hui Breton a été rangé loin de moi mais Netter et Pequignot restent toujours à portée de mains, de même (en ce moment du moins) que Lautréamont, Artaud et Rilke dont (parfait hasard) j’ai lu ce matin ces lignes :

    Souviens-toi de gens que tu as trouvés rassemblés sans qu’ils aient encore partagé une heure. Par exemple des parents qui se rencontrent dans la chambre mortuaire d’un être vraiment cher. Chacun, à ce moment-là, vit plongé dans son souvenir à lui. Leurs mots se croisent en s’ignorant. Leurs mains se ratent dans le désarroi premier. - Jusqu’à ce que derrière eux s’étale la douleur. Ils s’asseyent, inclinent le front et se taisent. Sur eux bruit comme une forêt. Et ils sont proches l’un l’autre comme jamais.

    Rainer Maria Rilke, Notes sur la mélodie des choses, Allia, trad : Bernard Pautrat, P.29

    J’y vois aussi rapport au projet Accident de personne (qui continue de s’écouler et qui continuera, je le répète, jusqu’au 31/12 minuit), l’un des chapitres de ce Traité de médecine légale s’intitulant « Physique des collisions de trains » et je me dis que peut-être un élément fondamental m’a échappé durant l’écriture des 160 fragments car ce livre je ne l’avais pas (encore). Ces phases de recherche ne diffèrent pas vraiment de celles traversées durant l’écriture de Coup de tête, il s’agissait déjà de violences faites au corps, en l’occurrence d’amputation, et j’ignore pourquoi elles s’imposent à moi et pourquoi elles s’insèrent encore dans mon processus d’écriture ni même ce que je vais en faire. Peut-être (peut-être aussi) que je suis fou.

    _Vous voulez savoir s’il est fou ?
    Maigret se contenta de hausser les épaules. Un autre jour, il ne se serait peut-être pas préoccupé plus que quelques minutes de la visite de Marton. On a l’habitude, à la P.J, de recevoir des fous et des demi-fous, des lunatiques, des inventeurs, des individus mâles et femelles qui se croient désignés pour sauver le monde de la perdition et d’autres qui sont persuadés que des ennemis mystérieux en veulent à leur vie ou à leurs secrets.

    Simenon, Les scrupules de Maigret, Presses de la cité, P.25