Fin



  • 281108

    28 novembre 2008

    Je termine aujourd’hui le Journal de Kafka, hier le jeu MGS4, demain le dernier tome des Passagers du vent, la semaine d’avant le dernier épisode de Californication saison 1, encore avant Paradiso ou Six Feet Under et des milliers d’autres histoires, fictions, étapes d’une vie décalée que je mène en parallèle de l’autre, celle-là non-fictive, sans grand intérêt.


    Et je déteste terminer les choses, buter contre le point final d’une fiction qui, pour moi, se sera diffusée sur plusieurs jours, semaines parfois. J’ai eu le temps de laisser les personnages rentrer en moi et inversement. Ce point final non seulement les en décolle, mais en plus les décapite, il n’est plus possible de compléter ces visages qui n’avaient alors pas même eu le temps de s’afficher entièrement dans mon imaginaire, pixel après pixel. Arrivé en fin de livre, la dernière page souvent, c’est toujours le même procédé, la même situation qui se présente, mes yeux pressés par le temps freinent des quatre fers, les mots se laissent engluer, lettre par lettre, je ralentis le plus possible ce mouvement incompressible qui me laissera seul à l’orée du point final, inéluctable. Encore, toujours, ce point final là : même en ralentissant ma lecture je ne peux pas l’éviter.

    L’autre jour, H. me demande si je ne deviens pas dingue à force d’accumuler autant d’efforts, sur la durée, pour un seul texte (Coup de tête). Je lui réponds que non, que c’est le contraire, que c’est le jour où Coup de tête sera complètement achevé qu’il me faudra trouver quoi faire, ne pas devenir complètement fou.

    Ce matin, les relectures des première et deuxième partie se sont succédées, comme chaque jour où je ne bosse pas. Peut-être que ça n’a aucun rapport, peut-être que la question du point final est étrangère à cette situation là, mais le fait est qu’aujourd’hui, ce matin, et cette après-midi encore, ces relectures ont été, sont, plus lentes, plus attentives. Un coup de frein plus diffus, qui me permet de mieux débusquer les erreurs, les fautes et les mauvaises formulations. Parce qu’il s’agit également de combler comme on peut (c’est à dire mal) les frustrations liées à d’autres fictions, celles là non-écrites, sur lesquelles je ne peux pas avancer, parce que j’en suis tenu aux réécritures, aux corrections, alors que j’aimerais simplement me laisser aller sur une page vierge, démarrer une histoire qui n’aurait pour but que de s’éteindre avant sa fin. J’aimerais pouvoir m’enthousiasmer pour quelque chose de neuf et non ressasser les mêmes scènes, images, impressions en permanence. C’est aussi pour ça que je me laisse aller à traverser des textes courts, parfois éphémères, je m’y aère, ne serait-ce que pour quelques jours, puisque ces heures de création pure ne sont jamais très nombreuses.

    Et d’ici demain trouver un autre livre vers lequel embarquer, une autre histoire, d’autres personnages, évidemment périssables mais qu’importe, parce que j’ai besoin de fiction pour avancer et que j’ai froid sans elle(s).

  • Dernier point (de non retour)

    7 décembre 2008

    Comprendre quelle meilleure fin correspondrait le mieux pour la première partie de Coup de tête : quoi dire, quoi garder hors texte. Celle-ci déjà amputée de son dernier jour originel lors de la refonte au printemps dernier et l’écriture de la troisième version. A présent choisir précisément sur quels mots s’arrêter.

    Ce chapitre se termine sèchement sur un fantasme avorté. On glisse ensuite du présent au futur anticipé, lorsque le narrateur s’adresse directement à Ajay, destinataire muet de l’ensemble du texte. Puis deux solutions possible : achever la page sur une supplication à Ajay à transformer ses fantasmes en réalité (Dis-moi juste qu’on est pas obligé et je te croirais. C’est tout ce que je demande.) ou bien compréhension tacite de la diversité des mondes (Peut-être que tout ce qu’on fait pas ou qu’on dit pas, en vrai ça se glisse vers un monde parallèle pour exister là-bas en décalé. Un monde juste à côté du nôtre, un monde dont j’aurais paumé la clé. ) ? Ou bien un mélange des deux (Peut-être que tout ce qu’on fait pas ou qu’on dit pas, en vrai ça se glisse vers un monde parallèle pour exister là-bas en décalé. Un monde juste à côté du nôtre, un monde dont j’aurais paumé la clé. Dis-moi que ce genre de trucs c’est possible, dis le moi juste et je te croirais. C’est tout ce que je te demande) ? A voir, suivant l’impression que l’on veut laisser ou pas, l’arrière goût qu’on veut fixer sous la langue du lecteur. Un arrière goût amère, résolument cruel pour le narrateur, la partie suivante, une fois l’ellipse enjambée, tranchant sec dans la continuité de la première intrigue.

    Cette fin de première partie a déjà été réécrite de nombreuses fois. Souvent différente, mais toujours marquée par l’immense déception du narrateur a n’avoir pas pu se rapprocher des corps qu’il a brièvement frôlés. L’idée, c’est celle d’un échec cuisant qui le pousse (une nouvelle fois) à la fuite. L’idée, c’est encore de ne voir que ce qui n’existe pas pour finalement rater l’instant, l’instant réel où l’on aurait pu, où l’on aurait du pouvoir influencer l’écoulement naturel des choses. Cette fin de première partie, c’est un échec de plus de vivre dans son propre corps, et sa main, sa main droite, qui n’en finit pas de se défaire de lui, de le fuir à son tour.

    Après deux ans et demi de travail sur ce texte c’est en tout trois versions différentes dont j’ai gardé la trace pour cette fin de chapitre (je ne parle pas de fin de première partie cette fois, puisque les premières versions comptaient un jour de plus avant de migrer vers la partie II). Le sens a évolué au fil des mois, des réécritures, et la recomposition progressive de ce passage dévoile un mouvement général intéressant : plus je réécris cet épisode, et plus je l’aiguise vis à vis du narrateur, moins je lui accorde ce qu’il souhaite obtenir, plus je le tourmente.

    Et tout ça n’arrive pas qu’en moi.
    Alors j’oublie tout de suite ma main, ma main droite.
    Silence.
    Et j’oublie tout le reste. (Version 0 et 1)
    Et moi à un bon mètre de lui. Glacé dans la nuit Canicule.
    Silence.
    Et dans ma tête : rends-moi service, Nil, et pète moi le nez. Rends-moi service et étrangle-moi. Maintenant.
    Silence.
    Et ma main, ma main droite, solidement engluée entre mes reins.
    Silence.
    Et seul au milieu de la ville en ruines, ma peau sèche et mon œil mort, lentement je me rhabille. Et plus rien n’a de sens. (Version 2)

    A la relecture de cette fin tracée pour la version 2, je me souviens d’avoir oublié la phrase rends-moi service et pète moi le nez, directement empruntée à l’album Favourite Worst Nightmare des Arctic Monkeys, phrase qui trouverait parfaitement sa place dans la version actuellement en cours d’écriture. Comme quoi ce genre de billet, malgré l’agencement chaotique des phrases qui n’ont peut-être pas beaucoup de sens pour ceux qui n’auraient pas mon texte sous le nez, m’est terriblement utile. Je peux prendre ce bon mètre de recul qui m’est indispensable. Voir qu’il n’y avait pas que du mauvais dans les étapes précédentes de l’écriture. Et comprendre que cette fin de première partie est bien fixée : Dis-moi que ce genre de trucs c’est possible, dis le moi juste et je te croirais. C’est tout ce que je te demande. Le reste n’a pas besoin d’être dit (bien au contraire).

  • 240209

    24 février 2009

    Je suis elle et elle est moi (admettons). Admettons aussi que les lignes suivantes soient truffées de spoilers tentaculaires (fictifs ou non) sur la série The Shield, diffusion terminée depuis quelques mois. Pour ceux qui ne sont pas allés au bout et qui envisageraient de le faire, cette note est d’ors et déjà terminée et les lignes suivantes se défont.

    Nous sommes entre adultes consentants, nous pouvons parler, je dis. Un doigt sur l’enregistreur numérique, je l’allume. Je lui dis allez-y. Je lui dis c’est bon, c’est branché. Il me fait : y a combien de mémoire sur ce truc ?

    Déclinez votre identité au micro, je lui dis, et il fait : Mackey, Victor Samuel. A-t-on souvent l’occasion d’être enfermée avec un monstre ? A-t-on souvent l’opportunité d’être l’unique destinataire de ses confessions soufflées face contre tête ? Je me redresse sur ma chaise, j’attends qu’il commence, qu’il relève les yeux un petit peu. J’attends longtemps.

    Il fait : j’ai tué l’inspecteur Terry Crowley lors d’une descente de police il y a trois ans. Il fait : j’ai préparé et organisé son exécution. Il fait : une seule balle dans la tête, juste sous l’œil gauche (il pointe l’endroit sur son visage). (« We killed a cop ! / Get over it, don’t bring it back again. »)

    Je me demande : la balle percée au visage, quelques centimètres sous l’œil (on a tous vu les photos, le sang qui s’échappe derrière en auréole et les yeux qui se ferment), l’impact noir, banal, décentré sur le visage encore en frictions : est-ce que c’est ça qui marque, ça qui accroche sur l’écran de vidéo surveillance ? Je fais celle qui ignore : vous avez tué un flic ? (« You son of a bitch... »)

    Il fait (face micro) : avec la Strike Team on commettait des abus, récupérer de la drogue des saisies, les revendre ailleurs, passer des partenariats avec les dealers du coin, ce genre de trucs. (« I let you use space that I own ! Now you can’t follow by my rules then I’ll find someone who can ! »)

    Je lui demande : quel genre de connard est-ce que vous|

    Il fait (face micro) : le train de l’argent arménien dévalisé il y a deux ans, près de deux millions de dollar détournés, c’est moi, c’est nous. (« What about the armenian money train ? »)

    Je dis : regardez la caméra, relevez la tête, regardez bien la caméra, droit dans les yeux, droit bien droit dans les yeux.

    Il fait : on a brisé tous ceux qui nous ont approché. Il y a les morts, tous les morts, et les brisés de l’intérieur. On les a tous eu. Tous. Nous également. La Strike Team a implosé. Tous ils ont fini broyés, tous chacun à leur tour et Gardocki et moi, en ce moment même, nous terminons ce que la machine a commencé lors du premier épisode. J’ai pressé la détente sous son œil, les mécanismes se sont animés. Tout le monde finira broyé, vous aussi, parce que tout le monde a été à un moment donné confronté à moi. Ils finissent tous comme ça. Vous aussi, ça viendra.

    Il fait en me regardant droit dans les yeux, droit à l’intérieur, sans voir, droit depuis l’extérieur jusque vers l’autre côté de ma nuque, il fait : vous inquiétez pas. Ça viendra.

    J’essaie de comprendre : pourquoi avez-vous broyé tout le monde autour ? Pourquoi avez-vous choisi de terminer de cette façon ? Pourquoi avoir broyé la machine elle-même ?

    Il fait : on nous a frôlé de trop près, on s’est laissé broyer à notre contact. Personne, personne ne sort grandi de cette histoire.

    Je dis : ça vous plaît que personne ne vous survive ? Est-ce que vous vous imaginez ce que vous m’avez, nous avez fait subir ?

    Il sourit en coin, son tic sous l’œil : j’ai fait pire.

    Je dis : vous avez dit suffisamment de merde aujourd’hui pour envoyer Gardocki en taule jusqu’à la fin de sa vie (« You told them everything ? What about the team ? What about the goddam team ? »). Il fait : je sais. Baisse la tête (face micro). Je dis : allez vous faire foutre. Je dis : vous allez voir. Je dis : ici vous allez passer les trois ans les plus. Je dis tous ces trucs. En réalité complètement faux. Il va sortir de la pièce, je le sais, il deviendra mon monstre. La bande de surveillance continue de tourner, l’enregistreur d’enregistrer. Après sept ans de merdes, je dis, en arriver là. La cassette suit, s’apprête à couper l’image (le mot fin). Puis tout reprendre depuis le début, je vais revisionner les bandes. Il quitte la salle son arme à la main. Je suis (si j’étais) elle, à soupirer seule dans la salle d’interrogatoire, à remettre l’écran au début, l’enregistreur aussi, et tout recommencer encore, le doigt sur la détente, la balle sous l’œil gauche de Terry Crowley, tout reprendre depuis le premier épisode puisque la fin brise tout, laisse vide au fond.

  • 310309

    31 mars 2009

    Comment (re)lire un livre après Les détectives sauvages ?

  • 150509

    15 mai 2009

    Dehors

    Depuis trois jours tombe sans interruption la même averse, le même orage. La nuit, les éclairs convulsent contre la vitre gauche de la chambre. Les trains à l’extérieur restent exposés au ciel toutes vitres ouvertes. Le matin, dans les wagons inondés, le sol coule fonction du sens de la marche, du rythme des arrêts. Les sièges sont imbibés, on s’assoit un sur deux. On se croirait pressé dans une fiction-bis qui aurait pu être, un tracé parallèle potentiellement prenable mais qu’on s’est retenu d’emprunter. On n’y est pas, pourtant. La journée (mettons onze heures), il fait déjà nuit dehors, et les façades d’immeuble reflètent le gris des nuages. Dans les rues l’humidité s’avale et se respire.

    Dedans

    Coup de tête deuxième partie arrive à son terme. Depuis deux semaines, je relis les mêmes dix dernières pages, celles qui viennent d’être ajoutées, corrigées et greffées au reste (qui date de décembre dernier). Durant le week-end, sans doute, je construirai une version liseuse de cette partie II, à emporter la journée, à relire entre deux trains ou deux heures de rien. Nous ne sommes pas loin d’une version quasi-définitive, semblable au travail effectué sur la première partie en début d’année. Se pose (pourtant) toujours le sempiternel problème de la fin (de partie j’entends). Je ne sais pas vraiment comment (où) couper, j’ai tendance à trop en faire. Je m’interdis d’arrêter un chapitre en plein milieu d’une phrase, c’est peut-être une déviance, une erreur. Je veux trop bien faire, trop bien enrober les choses. Que tout sonne juste et soit joli. Je dois m’en défaire et trancher vif, utile, en accord avec le reste.

    A la fin de la partie II, le narrateur doit être dans une configuration mentale qui permettrait l’espoir d’accéder à. Je dois transmettre à la page cette illusion d’y être – tour de passe-passe – pour aussitôt la trancher net. Délicat.
    Idem pour la sensation de faim, de chaleur stagnante, qui sont censées traverser le récit, rester palpable mais non visible, gardée cachée sous la surface. Manipulation peu évidente à appliquer. Illusion d’y être, là encore. Je dois reprendre les impressions ressenties à la lecture de Faim de Knut Hamsun, prendre ce que j’ai à y prendre, laisser le reste. Gérer cet équilibre qui peine à prendre. J’ai peut-être encore trop le nez dessus pour avoir une vision juste et panoramique de ce degré du texte. D’où la nécessité de changer de format, peut-être même virer papier, gagner cette hauteur là.

    J’ai cru il y a quelques semaines que mon emploi du temps actuel n’était plus compatible avec l’écriture longue sur la durée. L’écriture courte, quotidienne, fragmentaire de mes projets parallèles semblait plus adapté. Bien sûr, c’est une excuse. Le mot adapté, justement, ne l’est pas : c’est confortable qu’il vaudrait mieux dire. Coup de tête avance lentement, avance quand même, je bataille, je m’en contente parfois, je me reprends souvent. La partie II sera lisible d’ici la fin du mois sans doute, ensuite je passerai à la III, en attendant le reste.

  • Excipit(s)

    23 septembre 2009

    Coup de tête terminé à peu près aussi souvent que commencé, c’est à dire beaucoup. Je n’ai pas compté, estimé juste. Je me demande combien d’octets précisément pourraient peser toutes les fins conjuguées jusqu’à présent. Interrogation en suspens.

    La fin pour moi reste une impasse. N’importe laquelle. Je redessine au fur et à mesure des réécritures des bouts de bout du tunnel. Parfois plusieurs embranchements possibles, parfois fins à choix multiples. Les premières fins esquissées étaient, à quelque chose près, celles de In the city of shy hunters. Les autres à présent ne me satisfont plus, même vaporeuses, même virtuelles encore, même seulement esquissées entre deux jours.

    Je réfléchis depuis ce matin à l’élaboration d’une nouvelle fin fumeuse qui viendrait (forcément) tout gâcher. Car j’ai beau reprendre en arrière les livres adorés de ces dernières années, je ne vois pas vraiment quelle fin m’aura particulièrement marqué. Même les vertiges temporels et boucles déviantes de Bolaño ne m’enthousiasment pas plus que ça. La fin de Lockpick Pornography, pourtant réellement réussie dans la continuité du récit, correspond finalement à un tête à queue de feuilleton télévisé. Idem pour le fameux In the city of shy hunters qui finalement ne me convainc plus. Disons plutôt que ces fins là, je ne peux pas les transposer vers les miennes.

    Je reprends le plan de la chose : la quatrième partie, Ville II, est celle des destructions totales et osseuses. Que pourrait-il bien y avoir après ça ? La cinquième partie est un épilogue déguisé censé se terminer par le mot « vraiment ». Plus j’y réfléchis (c’est à dire depuis ce matin) et plus je suis persuadé que la rencontre avec Ajay doit être repoussée hors texte. Ne pas savoir, trancher dans une suite de mots qui ne vient pas, voilà la vraie réalité de cette relation inexistante. Cette idée me plaît. Mais ne m’avance pas. Trancher quelque part, trancher dans un mot, peut-être, trancher avant même la fin de la quatrième partie, trancher en plein mouvement, pleine pensée, pleine démarche, trancher sans attendre que la tête s’écrase dans le béton d’en face, trancher avant que le sang coule et que les pupilles tournent. Puis tourner la page, tourner la page vraiment.

  • D’autres excipits

    25 octobre 2009

    closed.pngCe n’est plus l’après Coup de tête que je vois pointer à présent, c’est la fin. Une autre. Comme lorsque je gribouillais Cette vie et que je modifiais la fin à la moindre relecture. C’est encore la même chose. Chaque version propulse une fin qui lui est propre. Mon plan imprimé-papier noir sur blanc en a verrouillé une, qui n’est sans doute pas la bonne. Il dit : Et j’appuie exprès sur la négation : je t’en supplie ne me lâche plus. Vraiment. Je repense depuis ces derniers jours à la fin, la bonne, celle qui doit s’imposer, mais je ne la trouve pas. Je réfléchis à l’élaboration d’un Répertoire des fins parallèles qui pourraient être mais n’ont pas ce qu’il faut pour (abécédaire exhaustif) que j’ouvrirais par exemple par l’entrée suivante :

    A – Abandon par la chute (Cf. l’anticipation de l’an dernier)

    Quand je regarde au fond de l’asphalte, y a ces formes que j’arrive pas à identifier vraiment, et je me demande est-ce que c’est toi, est-ce que c’est moi, est-ce que c’est des bouts de carrosserie ou bien|

    Et toi Ajay, tu t’es déjà cherché dans le chaos-goudron d’une autoroute au mois d’août, à rassembler les pièces du puzzle, à faire semblant d’être en vie, à croire que ton corps existe ? Réponds Ajay. Juste : pour une fois dans ta vie réponds-moi.

    Je continuerais ensuite par :

    F – Face ou pile

    Je compte le nombre de pièces qu’on se retient de me lâcher ou qu’on tord au chaud bien froid dans le fond d’une poche. Je compte le vide croissant de mes poches à moi, jusqu’à ce qu’une âme en short me lance une pièce de deux euros que j’attendais plus. Je la ramasse, elle pèse que dalle dans ma paume, main droite figée-ouverte. Je l’attrape main gauche, la pose doucement sur l’ongle du pouce, main opposée, calée sous l’index. Je compte un, deux, trois, et ça y est, je me lance. La pièce décolle et retombe sur le sol, impossible à rattraper. Je la ramasse et recommence. Je recommence aussi souvent qu’il faut.

    Nil m’a dit un jour : face ou pile, tu veux savoir ? Et à l’époque j’ai dit : je sais pas. Maintenant je veux savoir.

    Je compte le nombre de tentatives infructueuses. Je compte longtemps, je compte beaucoup. Quelque part, je compte encore.

    Ou peut-être par :

    P – Prothèse

    Nil ouvre son sac qu’il me remue sous la tronche : moi je lui ai rien demandé. Il me dit regarde, et je regarde. Y a pas de mouches là-dedans, il me fait, et je lui réponds non, c’est vrai, y a pas de mouches. C’est un procédé de conservation, il me fait, et moi je réponds rien. Tout est dans la conservation. J’ouvre les yeux malgré l’odeur formol-acide qui se dégage de l’intérieur. Les chairs sont fermes, les coupes bien nettes, même pas une goutte de sang. Combien t’en as ?, je lui demande, mais il sait pas me répondre. Je me retiens de compter dans l’ombre pour dénicher le chiffre exact. Les chiffres exacts ont déjà plus la moindre importance. Nil me dit : tu peux en prendre une, tu peux prendre ce que tu veux. Je regarde Nil et lui dis : sérieux ? Et il acquiesce, signe que ça doit être vrai. J’en prends une au hasard de mes doigts, je la remonte, je la regarde l’oeil humide collé à la peau. Peut-être celle-là, je lui dis, je peux ? Je l’essaye. Je la porte. J’écarte les tissus pour que les doigts s’adaptent et que la peau retroussée fasse la jonction jusqu’au poignet. Je me regarde dans le reflet de la vitre en face, les deux poings sur les hanches. Je regarde mon ombre détachée sur les pavés. Je remue les doigts dans la lumière électrique du lampadaire. Peut-être laisser craquer une ou deux phalanges. Je laisse craquer une ou deux phalanges. Nil crache par terre un mollard déjà jaune. Mes belles mains humaines, je lui dis.

    Voir même :

    Y – Yang

    Je l’aperçois au bout de la rue qui m’échappe. Nil s’échappe. Nil sait rien faire d’autre que m’échapper, ici fuite si lente entre les corps incarcérés. Aujourd’hui, je pense – crois, sais – j’irai pas le chercher. Je le laisserai pourrir, oublié derrière les murs et les tags. Tant pis pour|

    Je me retourne. Son poids m’a percuté plein fouet épaule gauche, m’a forcé à me retourner, son ombre déjà glissée de quelques pas encore palpable. Je le vois pas, relève la tête, devine à peine sa présence, connaît même pas son nom ni son visage et lui gueule : eh ! connard ! Il se retourne pas sous mes insultes : je lui crache un mollard droit dans la nuque. Là il se retourne.

    Et puis la suite, Ajay, tu la connais.

    La fin ne pose pas vraiment problème mais est un problème en soit : tous ces mois – jours, années – où je n’aurais pas eu de cap, je ne sais toujours pas où je vais. Quelque part, je me dis, j’ai dû louper quelque chose. Je ne sais pas où je vais : est-ce que ça ne va pas déteindre sur le reste du récit, est-ce que ça ne va pas tout gâcher et invalider l’ensemble du roman ? Crainte. On verra bien. Alors je ralentis exprès la cadence, bientôt j’effacerai les dernières pages et remonterai ainsi toutes les autres.

    Idée pour un truc susceptible d’exister un jour : matérialiser l’un de ces répertoires pour en faire un Répertoire des fins possibles pour un récit inexistant (abécédaire exhaustif) où je pourrais archiver des dizaines de fins différentes sans avoir à me poser la question du début, du milieu et du reste.
  • 150411

    15 avril 2011

    Fini, bouffé, perdu ailleurs, demain rentrer en direction d’Y., cela s’appelle une fin, je crois. Fini aussi, pas mieux, l’Infinite Jest de DFW, et finie également la dixième identité du Docteur, et dire, pourtant, que je n’aime pas les fins, ici pourtant, ailleurs plutôt, je les cumule, je suis du genre à vivre avec toutes mes contradictions.

    The memory hung somewhere just out of conscious reach, and its tip-of-the-tongue inaccessibility felt too much like the preface to another attack. I accepted it : I could not remember.

    David Foster Wallace, Infinite Jest

    Avant départ, trouver le temps, une dernière fois, de faire le tour d’ici, de découper minutieusement les têtes de cheval pour qu’elles nous suivent une fois demain venu. Marcher aussi la main levée, le monolithe au bout, histoire d’au mieux capter les ondes récalcitrantes capables de m’envoyer le monde (ou ce qu’il en reste) juste là devant ma porte. Ce que je lis sur le carré tactile, c’est que nous ne serions plus vraiment nous (l’aurions en fait jamais vraiment été).

    la toilette du
    matin détache la
    peau qui protège
    du jour

    Philippe Rahmy, SMS de la cloison, Publie.net

    Ici, ailleurs, pour gagner la chambre monter avec les bras l’espèce d’echelle qui fait le lien, pour passer à la salle de bain, pareil, oui mais d’abord dévaler la première, escalader la seconde. Une fois arrivé au sommet, une fois le GPS de tête configuré correctement, mater sa gueule dedans la glace, celle qui te dévisage, et arracher syncro avec la bis cette seconde peau qui vous tartine le cuir depuis des jours que tout ça dure et constater, en même temps qu’elle, cette seconde gueule appelée bis, qu’une autre identité s’apprête à poindre sous les traits de l’ancienne, celle qu’on croyait unique et puis toucher, derrière, la peau, la deuxième, la nouvelle, pour vérifier, avec les doigts cette fois, ce qui est vrai et puis surtout, peut-être, tout ce qui ne l’est pas.

  • kbb | Pierrot à 0688879911 #5

    18 avril 2011

    Moi sur la ligne, la mienne, celle à jamais franchir. Je me souviens de cette journée de fin de tournoi, fin d’année, fin de parcours. Sorti en demi je crois. Je nous revois, nous tous, sur le terrain encore vidé après défaite et moi rester sur la ligne. Je voulais rester sur la ligne. On s’est fait sortir sur un but, pendant prolongation, avant le terme, un but de crevard, si tu te souviens (moi oui). Un coup de bol, corner, billard dans la surface, un con qui tend sa cheville sans même voir et voilà. Fini, foutu. On avait tous de la boue sur la gueule et la mâchoire tendue. Moi je suis resté sur ma ligne.

    Personne pour aller voir la finale, tout le monde pour s’en foutre. Fallait libérer le vestiaire à telle heure, j’ai oublié qui organisait quoi, et où c’était et jusqu’à quand.

    Je suis resté sur ma ligne et puis le soir tombait. L’éclairage éteint, seulement tenu sur le terrain du centre, la finale. J’en ai bouffé de la boue pendant ce match. On en a tous bouffé. Toi aussi. Toi le premier, tacle glissé sur l’ailier qui déborde et dégager en touche, avant ça surfer sur trois mètres de terre et de boue, des fois des brins d’herbe, ouais mais si peu. Sur les chaussettes, le short, le maillot et la peau de la terre, de la boue, des fois des brins d’herbe, ouais mais si peu. Devant le but, avant la ligne, plus aucun litre de vert, uniquement tout ce dessous qu’on gratte, où qu’on glisse. Pour une fois que c’était tournoi sur gazon et pour une fois que c’était pas du stabil c’était du noir quand même, du marron ou de la terre, de la boue et du sable. Au moins, ça brûle moins que le synthétique quand on va tacler jambe la première. Au moins au pire ça tâche et ça schlingue mais non, ça brûle jamais. Est-ce que c’est à ça que je pense tout seul sur ma ligne, la nuit qui plonge et aucun corps autour ou à côté ? Peut-être bien. Peut-être pas. Peut-être, je crois, je pense à rien.

    Je crois bien que c’était ton dernier match. Pas le dernier mais quand même le dernier. Après, les deux trois matchs qu’il restait, le championnat, t’étais déjà parti, parti de l’équipe je veux dire. Tu te pointais, jouais, partais. Pas beaucoup de mots autre que ceux qu’on dit avant, après ou bien pendant les phases de jeu. Les entraînements une fois sur deux. Les matchs, des fois, remplacé au milieu, à la mi-temps ou après, t’étais ailleurs. Après le match tu rangeais tes affaires dans ton sac, tu prenais pas ta douche, et tu partais tout de suite. Les autres pas mieux, rarement un mot, à peine « tant mieux » comme ils disaient, ils disent toujours, j’ai pas envie de prendre ma douche avec un. Tu sais la suite et tu connais le mot.

    Mais ce match là, avant, et avant la fin de l’année, et avant que l’équipe se pète, se pète en deux je veux dire. Sur ma ligne, peut-être je pensais à ça. Peut-être pas. Peut-être revoir une à une les actions, les occases, les situations de jeu. Tel centre, telle passe, telle frappe, tel arrêt, tel réflexe ou telle bourde. Dégagement long côté gauche, remontée de balles, changement d’aile, centre tendu en retrait, reprise, poteau, tête, claquette, corner, non, sortie, putain d’arbitre vas chier et achètes-toi des yeux. Le fait est que nos deux buts, ce match, avant les prolongations, le billard, la cheville et l’élimination, de là où j’étais, sur ma ligne, je les ai même pas vus. Toi non plus peut-être bien. Peut-être à ça que je pense, pendant que les autres se barrent, s’éloignent du terrain, tapent les vissés sur le carrelage des vestiaires, et disent que dalle et pensent pas mieux.


    Premier jet du 30/01/11

    Moi sur la ligne, la mienne, celle à ne jamais franchir. Je me souviens de cette journée de fin de tournoi, fin d’année, fin de parcours. Sorti en demi je crois, sur le terrain encore vidé après la défaite et rester sur la ligne. Je voulais rester sur la ligne. On s’est fait sortir sur un but, pendant prolongation, avant le terme, un but sorti d’ailleurs. Un coup de bol, un corner, billard dans la surface, un con qui tend sa cheville sans même voir et voilà. Fini, foutu. On avait tous de la boue sur la gueule et la mâchoire tendue. Moi je suis resté sur ma ligne.

    Personne pour aller voir la finale, tout le monde pour s’en foutre. Fallait libérer le vestiaire à telle heure, j’ai oublié qui organisait quoi, et où c’était et jusqu’à quand.

    Je suis resté sur ma ligne et puis le soir tombait. L’éclairage éteint, seulement tenu sur le terrain du centre, la finale. J’ai dû en bouffer de la boue pendant ce match. On en a tous bouffé. Toi le premier. Toi le premier, tacle glissé sur l’ailier qui déborde et dégager en touche, avant ça surfer sur trois mètres de terre et de boue, des fois des brins d’herbe mais si peu. Sur les chaussettes, le short, le maillot et la peau de la terre, de la boue, des fois des brins d’herbe mais si peu. Devant le but, juste devant la ligne, plus aucun signe de vert, uniquement le marron qu’on gratte, où qu’on glisse. Pour une fois que c’était tournoi sur gazon et pour une fois que c’était pas du stabil c’était du noir quand même, du marron ou du jaune, de la terre, de la boue et du sable. Au moins, ça brûle moins que le synthétique quand on va tacler jambe nue. Au moins au pire ça tâche et ça schlingue mais non, ça ne brûle pas. Est-ce que c’est à ça que je pense tout seul sur ma ligne, la nuit qui plonge et aucun corps autour ou à côté de moi ? Peut-être bien. Peut-être pas. Peut-être, je crois, je pense à rien.

    C’était quelque chose comme, genre, ton dernier match. Pas le dernier mais le dernier. Après, les deux trois matchs qu’il restait, le championnat, t’étais déjà parti, parti de l’équipe je veux dire. Tu te pointais, tu jouais, tu partais. Pas beaucoup de mots autre que ok, c’est bon, vas-y, j’y vais, dégage, ce genre de trucs. Les entraînements une fois sur deux. Les matchs, des fois, remplacé au milieu, à la mi-temps ou après, t’étais ailleurs. Après le match tu rangeais tes affaires dans ton sac, tu prenais pas ta douche, et tu partais tout de suite. Les autres pas mieux, rarement un mot, à peine « tant mieux » comme ils disaient, ils disent toujours, j’ai pas envie de prendre ma douche avec un. Tu sais la suite et tu connais le mot.

    Mais ce match là, avant, et avant la fin de l’année, et avant que l’équipe se pète, se pète en deux. Sur ma ligne, peut-être je pensais à ça. Peut-être pas. Peut-être revoir une à une les actions, les occases, les situations de jeu. Tel centre, telle passe, telle frappe, tel arrêt, tel réflexe ou telle bourde. Merde. Dégagement long côté gauche, remontée de balles, changement d’aile, centre tendu en retrait, reprise, poteau, tête, claquette, corner, non, sortie, putain d’arbitre vas chier et achètes-toi des yeux. Le fait est que nos deux buts, ce match, avant les prolongations, le billard, la cheville et l’élimination, de là où j’étais, sur ma ligne, je les ai même pas vus. Toi non plus peut-être bien. Peut-être à ça que je pense, pendant que les autres se barrent, s’éloignent du terrain, tapent les vissés sur le carrelage des vestiaires, et disent que dalle et pensent pas mieux.

  • Le dernier monde

    27 avril 2011

    On nous refait le coup des livres qu’il faut choisir et emporter avec nous en cas de départ soudain (subis ? cédé ?) sur une île déserte, tant qu’à faire située au bout du monde, celui-là, le dernier, et Céline Minard aurait tranché, ce serait visiblement comme une anthologie de l’espèce humaine et de ses mythologies, c’est à dire qu’elle aurait triché, comme quand on répond à un génie qu’on veut un milliers de voeux plutôt que trois, voilà mon sentiment. Le dernier monde est paru en 2007 chez Denoël, repris ensuite en Folio en 2009.

    La Terre est une île déserte : le voilà notre dernier monde. Et sur cette Terre les gens, les corps, l’espèce humaine a disparu. Ne reste comme trace de leur passage que des vêtements tombés au sol, le corps de leurs propriétaires évaporés Dieu sait comment. Et un seul dernier homme sur Terre. Il s’appelle Jaume Roiq Stevens et, cosmonaute, encore en orbite autour d’elle avant que Terre se vide de son espèce humaine il est le seul homme épargné. Le livre commence dans l’espace avant l’exode instantané de toutes les masses corporelles du monde (ça ferait presque plot line de base pour un épisode de Twillight Zone, d’ailleurs ça l’est : le tout premier épisode de la série reprend l’histoire d’un homme qui se retrouve tout seul sur une planète déserte) et il commence en plein milieu d’une phrase, en plein milieu d’un mot, car c’est déjà foutu, on le sait bien.

    Elle s’assit dans sa tête et murmura c’est foutu. Nous sommes foutu. Vous auriez été une femme Stevens, vous auriez pu vous enfiler des éprouvettes de sperme dégelé dans l’utérus. Vous taper ensuite vos fils et vos petits-fils comme on fait d’habitude dans ces cas-là et vivre une belle vie, tout reprendre. Mais il se trouve que non. C’est vous le survivant, je vous      plains.
    Vos actions           n’auront pas                               de
    mesure.
    Vous n’avez plus     de semblable.
    Vous
     
    n’appartenez plus                  à
    une espèce.
     
    Votre               langue
     
                                             est
     
                                                       sans           partage
     
    Céline Minard, Le dernier monde, Denoël, P.147-148.

    Si la Terre est une île, autant la parcourir ; Stevens ne s’en prive pas. Astronaute et pilote, le dernier type encore vivant plongé au cœur du dernier monde débarrassé de l’espèce n’a qu’à récupérer ici et là tel ou tel hélicoptère, avion ou autre quelconque appareil et décoller pour où il veut, si ça lui chante, il est devenu le maître ici, faute de concurrence encore en vie. L’expérience de la solitude, ça lui connaît déjà : déjà en début de texte lorsque ses camarades d’orbite rentrent sur Terre on le retrouve à flotter seul dans la station déserte, passif devant tout ce qui stagne en bas (« Moi, Jaume Roiq Stevens, désormais seul maître à bord après personne » p.33 & « Je suis celui qui regarde par les trous » p. 37, voilà comment il se présente). Une fois de retour à la surface, constater 1) que l’espèce est bouffée par un mal invisible et 2) que selon la formule consacrée « la nature a repris tous ses droits ». Des meutes de chiens devenus sauvages déferlent au pied d’un immeuble de luxe, la végétation, les plumes et la merde recouvrent les centres des villes et tous les monuments. Imaginez tout simplement la zone contaminée deTchernobyl 25 ans plus tard, oui mais à l’échelle du globe. Le dernier monde est celui-là.

    Il mange à la Tour d’Argent ou à Montparnasse. Il aime bien les places en hauteur d’où on peut voir la ville. Beaubourg au sixième, pour ça, c’est pas mal. Le Sacré-Cœur est jaune. Il scintille entre les rayures de fiente collées aux boudins de Plexiglas de l’ancien centre culturel. Dans son dos, alors qu’il regarde la ville derrière son voile blanc, il sent la présence des machines, des vidéos mortes, des reliques officielles du XXe siècle annulé. Il n’a pas le courage de s’en approcher. S’il tombait sur une grande toile, un homme dans un canot, tout seul, de longs cheveux, une barbe, pas de rame, au large d’une île et que l’eau pleure, que le ciel pleure, que le ciel-ciel pleure, il s’y reconnaîtrait sûrement.

    P. 481.

    Le dernier monde est dans la tête du dernier homme : Jaume Roiq Stevens. Au terme d’une première partie d’un peu plus de cent pages, à la fois excellente et dopée par un rythme nerveux, le texte prend un virage plus sauvage dans sa narration. Ces premières pages, c’était l’intro. Maintenant le vrai voyage commence. Évidemment, le dernier. De la première personne le texte embraye vers la troisième. Et aveuglé de solitude Stevens s’invente des compagnons littéralement de bord. « Le journal de bord personnel de Jaume Roiq Stevens », lit-on sur la faille sismique du livre, juste avant la transition, « , que j’écris moi-même, Jaume Roiq Stevens, est une de ces mesures d’urgence. Je dois me doubler. S’il faut me tripler, je me triplerai. » Et il ne s’en privera pas, oh non, il ne s’en privera pas, domptant progressivement sa petite schizophrénie sélective (ou bien peut-être y succombant ?) comme cet extrait où entre lui et lui, entre ses personae intérieures et bavardes, se joue une partie démente de poker absurde où l’on se partage le monde, ni plus ni moins, et tout ce qu’il contient, jusqu’aux différents alibis mentaux de Stevens lui-même. À la fin de la partie, il perd tout, même des bouts de lui-même car tout à l’intérieur de lui s’émiette.

    Stevens était accroupi sous un teck, la tête dans les bras repliés, il reniflait.
    -- Qu’est-ce qui se passe ?
    -- Il a gagné.
    -- J’avais cru comprendre. C’est la perte des multinationales qui vous met dans cet état ? Ou celle du trésor de la couronne ?
    Il se tassait sur lui-même comme un tatou pris au piège, recroquevillé sur une mâchoire invisible, secoué de désespoir. C’était pitoyable.
    -- Seriez-vous mauvais joueur, Stevens ?
    Il refusait de répondre et regardait les flots clairs dans lesquels montait une lune jaune. Comme s’il l’avait lâchée à contrecœur sur une feuille de lotus, il essaya de la rattraper du bout des doigts. Vraiment romantique.
    -- Mais qu’est-ce qui vous prend ?
    -- J’ai tout perdu, laissa-t-il échapper dans un souffle.
    -- Certes.
    -- Vous ne comprenez pas.
    -- Mais si, mais si. On ne va pas revenir là-dessus, vous n’y pouvez rien. C’est comme ça. C’est tombé sur vous et puis voilà.
    -- Ce n’est pas ça major, je...
    -- Oui ?
    -- Je vous ai perdue.
    -- Pardon ?
    -- J’ai tout joué avant vous, je vous le jure. J’ai joué tout ce à quoi je pouvais penser, j’ai joué les palaces, les numéraires, les comptes suisses des plus grosses fortunes mondiales, j’ai joué les ambassades, les couvents réhabilités quatre étoiles, les plus belles Maserati du monde, les nations, les Etats, un par un, tous les Etats, tous les territoires. Absolument tous. J’ai même joué les centres spatiaux avec leurs satellites. Et Challenger. J’ai tout perdu. J’ai joué Lawson, j’ai joué Waterfull et je les ai perdus. Alors je me suis joué. Et je me suis perdu. Alors — je vous ai jouée. Et — je vous ai perdue.
     
    P.339-340

    Stevens et toute sa clique mentale voyagent au gré de la langue, de l’espace et du temps. Asie, Afrique, Amérique du sud ont plus à offrir à la langue que de simples hôtels de luxe ou des villes infestées de primates. Au sein des plus vieilles jungles, foulant la plus vieille terre, le texte ramène à lui toutes les essences du passé traversées par Stevens qui, en bon cosmonaute, fait un peu plus que simplement rester en orbite autour d’elles : parfois il tente des sorties pour s’approcher des mythes. Il s’en empreigne. Il (ré)invente. Il les écoute. Le dernier monde pourrait être un livre de mythologies mentales, si jamais ça existe. Des épopées sont traversées dans des brindilles. Des gueules bourrées de crocs et de mâchoires racontent des hymnes et des ballades, des contes cruels désopilants (comme dans cette courte histoire africaine où l’un des protagonistes demande comme récompense une cuisine aménagée pour sa femme). Stevens s’allie aux bêtes pour en combattre d’autres. Des animaux deviennent des hommes, ils vivent comme ça, tous à travers le texte et quelques hommes régressent au stade des animaux qu’ils singent. On ne sait plus vraiment qui est issu de quoi et qui descend du singe. Le dernier homme perdu, trois fois perdu (dans l’espace, dans sa tête et dans le dernier monde) n’a plus aucune issue sinon s’allier à la nature. Et dans une scène de fantasme sexuelle ô combien pas épargnée par les clichés mais ô combien écrite, Stevens se résout même à résolument baiser toutes les natures qu’il voit, qu’il sent et qu’il traverse (et des milliards de mots sont concentrés dans un seul battement d’oeil).

    Le barrage de Gezhouba est comme un Prince-Albert sur la bite de la Chine, il traverse l’urètre et ressort sur le frein, quand les eaux gonflent, le lit gonfle, le piercing s’incurve.

    (...)

    Les spermatozoïde sont gros comme des mouettes et volent vers les îles. La masse des eaux n’en a pas fini, le ressac est immense, il monte, il vient lécher la bulle de mon hélicoptère, ses langues insidieuses s’infiltrent dans ma cabine, s’agenouillent sur ma braguette et me chevauchent. L’hélico fait des bonds de dragon en rut, c’est toute la baie qui me suce.

    P.260 - 265.

    Je sais que je cite beaucoup, oui mais voilà j’en ai corné des pages ! Le dernier monde est un sacré roman, un monde, littéralement, dont l’écriture est d’une fraîcheur inouïe, enfin un texte avec du rythme et dans une fiction fleuve, en plus. Terrible et drôle, l’écriture de Céline Minard, je la classerai, dans ma bibliothèque, quelque part entre Chloé Delaume et Pierre Senges (et c’est une sacré place). Bien sûr Le dernier monde n’épargne pas l’ennui d’une centaine de pages disons de « ventre mou » mais je lui pardonne tout. C’est un roman comme ça : balèze et nécessaire. « Allons ! », je lis avant de refermer encore, « La tragédie est faite, il ne reste plus qu’à l’écrire. » (P.352)

  • 270511

    27 mai 2011

    Je suis allé faire mes adieux à Svetlana et lui confier copie de mon contrat de travail, celui fraîchement signé chez STAT dix jours plus tôt. Un peu avant, englué dans mon fauteuil bouillant, salle d’attente la même que d’habitude, j’écoutais les échos d’un dialogue entre un mec et un autre, costard cravate les deux, l’un conseillant à l’autre les meilleurs trucs pour licencier utile et tout ce qu’il faut savoir sur les congés de reclassement, les fautes diverses, la CRP et puis les trucs à éviter. J’ai remercié, secoué sa main, mes membres désarticulés comme un pantin qui plane avant de réellement reprendre ; je lui ai dit j’ai hâte. Lorsque les deux bonshommes sont sortis de leur aquarium je n’ai pas pu comprendre qui était le mec en charge de licencier et qui était juste le consultant en plan social. Tous les deux, très polis, m’ont dit bonjour, bonsoir, avant de s’arracher du filtre de ma réalité. Là que Svetlana s’est pointée, tout sourire, pour m’attraper la main et me conduire dans son bureau ouvert. Mon portable a sonné. J’ai dit excusez-moi. Il l’était l’heure fameuse. Lui ai demandé : une petite photo histoire de se dire adieu ? Sauf que c’est pas un adieu, c’est un au-revoir. Je resterai encore en contact avec elle pendant six mois histoire d’assurer mon suivi. J’ai demandé : mon suivi de quoi ? Elle m’a dit : ma nouvelle vie professionnelle et j’ai fait ah. Me demande bien le genre de conversation qu’on pourra bien avoir. À moins bien sûr que j’ai besoin de l’appeler pour lui demander au juste comment on fait pour se barrer avant la fin de la période d’essai ? Je lui pose la question. Histoire d’être sûr le jour où je serai sûr, si ça se trouve, d’avoir envie de le faire.

  • 201212

    20 décembre 2012

    Quelle heure est-elle cette heure où la nuit tombe ? (le ciel froissé par des ailles noires et ça croasse, demain c’est le solstice) La fin du monde annoncée pour demain prévoit son lot de divinités appelées, paraît-il, à descendre sur terre pour opérer sur le temps un grand reboot total. Je me demande, aussi, quelles têtes auront cesdites divinités (je pense qu’elles sont déjà autour de nous, elles ont des yeux, elles zyeutent, elles naviguent entre nous et nous ignorons tout d’elles).

    Lucien Suel me signale via Twitter l’inopérabilité des blocs dépliables sur la rubrique Ulysse depuis (suppose) la migration Spip 3. Faudra rouvrir le capot gris du code et puis tenter comprendre (je comprends pas). Chez moi sous Firefox ça marche. Sous Firefox, Safari, Chrome, Opéra et mes yeux ça fonctionne. Alors quoi ?

    Dans les petites pupilles, les hublots blancs d’immeuble, en face je vois les humains être (c’est une cité de verre), par transparence ils sont. Si tout est piratable, nous pourrions facilement activer à l’insu de quiconque l’œil pixel de leur cam et puis le cristallin bionique de chaque pour savoir ce qu’ils sont, ce qu’ils voient, ce qu’ils pensent, voire mastiquent, avalent, ce qu’ils ressentent aussi, ce qu’ils écrivent à l’encre délébile sur leurs poignets tordus à force de faire craquer leurs articulations : des pense-bête qui rappellent : dire à quelqu’un je t’aime avant la fin du monde.

  • 220315

    12 avril 2015

    Pour la soirée Publie de mardi j’ai proposé de lire un bout de mondeling. Ce truc est terminé depuis près de deux ans et j’avais décidé, à l’époque, de ne pas le relire, de le laisser au fond de moi, de n’y revenir qu’à la publication, voir l’effet, la substance, la matière. Aujourd’hui, en relisant la chose, prenant appui sur le texte que je pensais lire, je me dis putain, c’est in-lisible 1. Pas une bonne stratégie peut-être bien. Pas d’élections non plus : hier H. m’a dit qu’on ne votait pas ici. J’ai dit très bien. J’ai dit c’est souvent que je me retrouve à regrouper mes fins. Fin de Lara, fin de Glee, fin de @heaven aussi. Fin des relectures du Transoxiane deux qui paraît mercredi.

    Essayé plusieurs fois de lire de l’in-lisible mais ça ne marche pas. D’abord je l’ai recomposé, mis des annotations pour les silences et les respirations, essayé plusieurs fois, mais non, ça ne fonctionne pas. C’est comme courir, c’est mort aussi. La pollution massive fait que c’est mort.

  • 250515

    15 juin 2015

    Dépression profonde. Ça me fait du bien. Le plaisir de détruire, cette satisfaction particulière est un bonheur, à sa manière. Le malheur est en définitive un bonheur, naturellement. Pour autant qu’il soit délectable, or il l’est. Le malheur contient aussi de la libido.

    Imre Kertész, Journal de galère, Actes Sud, traduction Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, P.243

    Tenu : un jour par extrait d’I loved you more à faire. Là le dernier. Tout envoyé à H. pour lire. Pas tant que ça éloigné du texte, non. Presque fini la première étape de ce truc. Après, c’est ailleurs.

    Les relectures Publie pour mise à jour d’anciens textes me donnent la possibilité de relire, au ralenti cette fois, syllabe par syllabe par syllabe dans la glu de la bouche, Les vies parallèles de Nikolaï Bakhmaltov dont j’avais gardé un beau souvenir. La première lecture, me dit le journal, a eu lieu il y a plus de trois ans et demi.

    Fin de Mad Men. Pas compris ce qu’ils voulaient faire avec ça. N’avoir pas coupé à la fin de l’épisode 12, Peggy dans ses nouveaux bureaux, clope au bec, lunettes noires, une estampe japonaise zoophile et de poulpe sous le bras.

  • 300615

    19 août 2015

    13. J’ai rêvé que je lisais Stendhal dans la Centrale Nucléaire de Civitavecchia : une ombre se glissait entre la céramique des réacteurs. C’est le fantôme de Stendhal disait un jeune homme en bottes et torse nu. Je lui ai demandé et toi qui es-tu ? Il a dit je suis le junkie de la céramique, le hussard de la céramique et de la merde.

    Roberto Bolaño, Un tour dans la littérature in Trois, Christian Bourgois, traduction Robert Amutio, P. 88

    De la chaleur et de la chaleur et de la chaleur dans le corps, sur la peau

    Ce qui aurait dû être une fascination toujours grandissante n’a été qu’une suite de renoncements et de cruelles réductions à la banalité ; le passage de l’enfance à l’adolescence s’est révélé être un continuel amoindrissement du monde et, à mesure que les choses s’organisaient autour de moi, leur apparence ineffable disparaissait, comme une surface vernie qui s’embue.

    Max Blecher, Aventures dans l’irréalité immédiate, Éditions de l’Ogre, traduction Elena Guritanu

    ,sous les membranes cérébrales, près du cœur miel fondu. Rien d’autre à dire. J’aurais tout aussi bien pu n’agrafer que ces extraits de lectures 2 qui m’ont accompagné dans mes celsius. Le Tigre, lui, c’est fini.

    14. J’ai rêvé que j’étais en train de rêver, nous avions perdu la révolution avant de la faire et je décidais de retourner à la maison. En essayant d’entrer dans le lit je trouvais De Quincey qui dormait. Je lui disais réveillez-vous don Tomás, il va faire bientôt jour, vous devez vous en aller. (Comme si De Quincey avait été un vampire.) Mais personne ne m’écoutait et je ressortais dans les rues sombres de Mexico.

    Roberto Bolaño, Un tour dans la littérature in Trois, Christian Bourgois, traduction Robert Amutio, P. 89

  • 191018

    19 novembre 2018

    Fin de Eff. Du moins, d’une première forme de Eff. C’était prévu comme ça. Terminer avant demain. Ce n’est pas tout à fait exact : il manque le tout début et la toute fin (qui sont une seule et même entité). Mais ça, je le ferai plus tard, lorsqu’il faudra couper, couper, couper. Dans quelques années, je pense. Je veux d’abord l’oublier complètement. Lui laisser le temps de muter bien. Devenir autre chose. Radicalement autre chose. Et, peut-être, de le laisser entièrement tomber si ça ne revient pas, l’envie d’en faire quelque chose. J’accueille cette possibilité avec beaucoup de détachement et de calme. Total donc de ces mots : 510 975.

  • 031118

    3 décembre 2018

    Qu’est-ce que le temps ? Un mystère ! Inconsistant et tout-puissant. Une condition du monde phénoménal, un mouvement scellé, soudé à l’existence des corps dans l’espace, et à leur mouvement. Mais est-ce que, sans mouvement, il n’y aurait pas de temps ? Et, sans le temps, pas de mouvement ? Tu n’as qu’à demander ! Le temps est-il une fonction de l’espace, ou l’inverse ? Ou bien les deux sont-ils identiques ? Vas-y, demande toujours ! Le temps est agissant, sa nature est celle d’un verbe, il « sous-tend ». Et qu’est-ce qu’il sous-tend, le temps ? Du changement ! Maintenant n’est pas autrefois, ici n’est pas là-bas, vu qu’entre les deux il y a du mouvement. Or, comme le mouvement auquel on mesure le temps est circulaire, fermé sur lui-même, c’est un mouvement et un changement que, pour un peu, on pourrait aussi bien qualifier de repos et de stagnation, car autrefois se répète sans cesse maintenant, et là-bas est sans cesse ici.

    Thomas Mann, La Montagne magique, Fayard, traduction Claire de Oliveira

    Il doit exister un mot dans une langue lointaine (peut-être le japonais pour ce que j’en sais) qui exprime le sentiment d’abandon qui est le tien lorsque tu montes dans un train, dans un bus ou dans un métro, et que tu oublies toute notion de destination, que tu t’en remets aux mouvements dans l’espace, et que tu en viens à considérer le déplacement lui-même non plus comme un moyen mais comme une fin en soi. Peut-on écrire La fièvre de mon corps, le battement de mon cœur harassé et le frissonnement de mes membres, c’est le contraire d’un incident ? 3 Ça m’arrive bien souvent de le ressentir et sans doute que sous nos latitudes, cette forme de léthargie ne porte aucun nom. Plusieurs fois je louperai un arrêt à cause de ce syndrome, par exemple dans le métro. Là, nous oublions complètement qui nous sommes dans la Yamanote Line qui nous ramène d’Asakusa (via Ueno) vers Ikebukuro. On n’a loupé aucun arrêt. Mais on est là au bord de le faire. C’est-à-dire que l’on flotte. Un peu. Pas mal même. C’est notre dernier jour. Nous reprenons l’avion demain. Il fallait bien que ça (quoi ça ? tout) se termine un jour. [...1...] Peut-on se remettre de ça ? [...2...] Ça a duré trois jours. Ça a duré trois mois. Quelque chose entre ces laps-là. Le temps, c’est élastique, le temps. D’ailleurs, le temps de qui ? Le mien ? Celui d’H. ? Un temps intermédiaire, qui s’inscrit entre nous ? Quoi que ça puisse être, ça se dilate, ça se comprime. [...3...] Il paraît que V. dit parfois « [...4...] ». Mais ma mémoire à moi est saturée. [...5...] Asakusa, c’est très touristique. Grandes portes rouges, des temples, des allées commerçantes au milieu de quoi une procession avec des grues se joue. Derniers souvenirs achetés. Une prédiction terrible 4 pour nous deux qu’il nous a bien fallu laisser là, nouées, selon la tradition : Your request will not be granted / The patient keeps bed long. / The lost article will not be found. / The person you wait for will not come over. / You had better to stop build a new house and the removal. / You should stop to start a trip. / Marriage of any kind and new employment are both bad. K. nous explique que c’est un lieu réputé, ici, pour ses bad fortunes. Je porte un lucky charm à deux balles au poignet qui dit [...6...]. Alors ce sera un autre moment privilégié [...7...] devant une glace au matcha et puis parler de quoi ? [...8...] Mais c’est le jeu dans ce genre de périple. On ne sait jamais vraiment. Travel mode is the key. H. porte un t-shirt Dragon Ball acheté hier où il était écrit the end. Mais c’est la fin d’un mouvement qui nous conduit ailleurs. Et, oh quel soulagement de se dire que l’on bouge ! Qu’on n’est pas comme figé ou coincé en nous-mêmes. C’est sans doute ça le truc à retenir du voyage. Ce voyage. Nous sommes en chemin vers d’autres nous encore. Ça ne finit jamais. On veut pas que ça finisse. D’où cet élan. Un moment je chercherai du wasabi puis plus. J’en trouverai sans doute à l’aéroport (non). J’ai envie de me faire plus à manger, et mieux. Faire des soupes, tiens. Acheter une machine à soupe. [...9...] Courir plus. Lire autant. Écrire loin. Être [...10...] Avant de repartir, K. nous apprendra les mots qui nous ont tant manqués chaque fois que nous avons quitté un restaurant qui a, qui sait, un peu changé notre vie : totemo oishikatta. C’était très bon. Ça l’a été, assurément. Nourriture pour le corps, pour le cœur et pour l’âme. [...11...]

  • 041118

    4 décembre 2018

    Fallait-il s’étonner si son cœur agité s’arrêtait de battre ou s’emballait lorsqu’il contemplait son cadeau et se mettait à tout récapituler et repenser, adossé à ce banc rustique, les bras croisés, la tête penchée vers l’épaule, face au murmure du torrent et aux ancolies bleues en fleur ?

    Thomas Mann, La Montagne magique, Fayard, traduction Claire de Oliveira

    C’est fini. Une dernière traversée du quartier, [illisible] sur le GPS, vers la gare d’ Ikebukuro, un dernier aller simple par la Yamanote puis, à partir de Toyko Station, nous entrerons dans le long tunnel du retour qui ne prendra fin qu’au sortir d’un escalator, la nuit, à Daumesnil. Une espèce de corridor de plus de vingt heures composé de tapis roulants, d’escaliers, de rangées entre deux sièges, de terminaux, de larges allées, de halls, de centres commerciaux. Un tube, quoi. On est ce tube. Là où je suis, impossible de voir défiler en-dessous de nous ce qui doit être, je pense, la Sibérie. Tant pis. À la place, l’esprit bombardé d’images fractales et diffractées, j’essaye, comme H., de passer mentalement à l’heure française et de dormir un peu. Là-bas il sera cinq heures, six heures, sept heures du matin. Ça marche moins pour moi que pour lui. Alors, à la place, j’écris ces lignes. Mon stylo peinera à trouver assez de bleu pour l’encre. C’était un stylo bleu. Il est mort à présent. Mais moi, j’en suis rempli. Par exemple d’images. À Toyko, il y a autant de corbeaux que le prétend Soundtrack, le livre de Hideo Furukawa. Les rues sont extrêmement propres. Personne n’a éternué pendant deux semaines. Au restaurant, il arrive parfois qu’on ne t’apporte pas d’eau dans une carafe ou dans un pot : dans ce cas, ce sont les serveurs et serveuses qui viennent te remplir ton verre, chaque fois qu’il se vide, et autant de fois qu’il le faut. Dans cette eau, il y a souvent beaucoup de glaçons. Des plantes en pot dans la rue, sur le trottoir et donc, on suppose, moins dans les appartements. Le prix de l’immobilier est cher mais moins cher qu’à Paris. Les chiens sont aussi bien taillés que les bosquets et les arbres dans les parcs et jardins. Peu d’hommes portant la barbe mais beaucoup de soin pour les pattes ou les favoris. Il y a des salons de coiffure qui sont ouverts plus tard que certains restaurants. Certains restaurants, du genre de ceux qui utilisent une machine de sélection pour le menu à l’entrée, ne proposent qu’un ou deux plats différents dans la machine, qui comprend donc beaucoup de touches vacantes. Il y a peu de shiba dans les rues (c’est le contraire à Kyoto) mais on voit beaucoup, en proportion, de caniches et, dans une moindre mesure, de boxers. Où sont les quartiers où l’on se sentirait moins en sécurité quand on marche dans les rues, la nuit ? Certaines personnes, quasiment que des hommes d’un certain âge, sont employées à garder les entrées de parking et à aider les voitures à entrer, à sortir, ou les piétons à passer devant. Les inscriptions en français dans les vitrines ou les noms de produits français ne veulent pas toujours dire quelque chose. La télévision japonaise est encore plus incompréhensible que la télévision française. Le papier toilette est plus fin qu’en Europe ou aux États-unis. Même chose avec les mouchoirs en papier. L’eau minérale est plus douce qu’en France, ou plus sucrée. Notons qu’ici, l’Evian n’a pas le même goût que la nôtre : de fait, on dirait de la Vittel. Dans le métro, on parle peu, et jamais au téléphone. Il y a des écrans où des pubs tournent en boucle et chaque rangée regarde (pas forcément ces pubs) dans la même direction. Il n’y a pas de poubelles dans les rues. Les boites aux lettres sont rouges et moins nombreuses qu’en France. À en croire K., les galettes de blé noir sont à la mode en ce moment. Ici, ils font un Fanta Grapes, au raisin donc. It did not taste good... De ce que l’on a pu expérimenter, les jus de fruit ont moins le goût de fruit que de bonbons aux fruits. [...1...] Les trains JR, notamment sur la Yamanote, sont très longs. L’alcool est plus léger (bières notamment). Et la lumière plus douce. Il n’y a pas de terrains de sport en plain air, ou peu (quelques terrains de baseball, on en a vus), ils sont plutôt indoors. Pas de Tour cycliste au Japon, c’est plutôt un pays de cyclisme sur piste (Keirin, etc.). [...2...] Deux mois à l’avance, il y a des affiches pour le prochain film Dragon Ball (Broly) un peu partout. Dans à peu près tous les quartiers : des salles de pachinko assourdissantes. Public varié (hommes, femmes, jeunes, vieux). Peu de bars (ou alors en sous-sol ?) mais beaucoup de cafés occidentaux, parfois orthographiés avec deux f. [...3...] Peu de cinéma et de théâtre (ou alors on ne les a pas vus). Les odeurs de nourriture dans les rues sont le plus souvent appétissantes. Le nombre de climatiseurs (un par foyer grosso modo) sur les façades des maisons et des immeubles. La façon dont les fils électriques sont interconnectés au sommet des poteaux télégraphiques, mais je l’ai déjà dit. [...4...] Un commerçant vidant un seau d’eaux usées proprement, juste au-dessus d’une petite grille prévue à cet effet. Au centre des bouches d’égout, quelques petits idéogrammes de différentes couleurs (qui veulent dire quoi ?). Nombreuses sont les stations de train et de métro à avoir leur propre petit jingle sonore. K. n’en peut plus d’entendre les piou-piou des passages piétons. Moi, je m’en servirais bien de sonnerie pour mes messages et notifications (je le ferai pas). Lorsque tu achètes un téléphone portable au Japon en étant étranger, on te colle un petit papier dans ton passeport pour te permettre de passer la douane. [...5...] Les magasins proposent souvent leur propre ambiance sonore, parfois répétée ad nauseam. Le wasabi est meilleur sur la viande que sur le poisson. Difficile de manger un poisson entier avec des baguettes (mais néanmoins possible). Plutôt que dire I understand that, opter pour I know what you mean. [...6...] En attendant le train ou le métro, faire la queue devant l’endroit où s’ouvriront les portes. Aux escalators, se mettre sur le côté gauche pour laisser les gens pressés passer à droite. Dans le Kansaï, c’est parfois inversé. Tous les noms de gares, de stations ou d’arrêts sont écrits à la fois en kanji et en rōmaji. L’eau chaude est très javellisée (ou très chlorée, je sais pas). [...7...] Lorsque le Shinkansen s’arrête en gare, il ne marque l’arrêt qu’une minute. Les numéros de voitures sont inscrits sur le quai. Le train s’arrête au centimètre près. Elles s’ouvrent doucement.

  • 101120

    10 décembre 2020

    Mon recommandé du 20 octobre à Nexity a mis six jours pour être délivré, l’accusé de réception en a mis quinze pour me parvenir et Standard Notes n’est plus stable dans sa version Android depuis trois. L’application se coupe, il faut la relancer, parfois perdre un ou deux mots, big deal, la plupart du temps non, dû aux autosauvegardes permanentes mais tout de même. Alors ça créée des copies conflictées, ça te coupe dans ton élan. J’ignore si c’est une histoire de mises à jour (j’ignore beaucoup de choses). Personne n’en parle sur les réseaux (y a-t-il une vie au-delà des réseaux ?). Peut-être migrer un temps du côté de l’appli web, mais enfin si j’ai choisi à l’origine de m’en tenir au couple Android/MacOs ce n’est sans doute pas anodin. Autant se remettre à Mueller dans Acode, comme chaque soir depuis des soirs. Plus j’approche de la fin des (désormais) 4600 vers, plus je fais du surplace, comme pour ne pas finir. Que je sois rassuré : finir ne sera pas finir, comme toujours, tout le temps.


  • ↑ 1 Illisible à voix haute

    ↑ 2 

    On ne peut croire à ce qui est gravé. Les images photographiques, les bandes magnétiques, le papier machine, tout le pariétal.

    Benoît Vincent, L’anonyme : Maurice Blanchot, Publie.net

    ↑ 3 La Montagne magique encore.

    ↑ 4 Weak-ned tree has lost leaves, branches, they have to wait long until go get recovered. Having excessive desire to climb up the ladder to clouds, your mind get confused. At last you may be out of peace and safety, you should be more careful at your way. Stay alone, being unknown to the other people you have to hold problem inside.