Fuite



  • 230908

    23 septembre 2008

    La vitesse de choses (suite) via la nouvelle La fille qui est tombée dans la piscine ce soir là. Mode d’emploi d’une fiction en filigrane sur le mode de la fugue, sur le mode de la fuite latérale et des fantasmes ambiants.

    L’histoire (je veux parler de l’histoire qui est derrière celle-ci, l’ombre de cette nouvelle qui refuse qu’on termine de la coucher par écrit), commence ainsi :

    Je traverse une rue dans une ville qui est celle où je dois commencer à écrire cette nouvelle mais pas celle où je la terminerai. C’est alors qu’il se passe quelque chose qui, heureusement, n’est pas facile à comprendre. Ce qui différencie peut-être les écrivains de ceux qui ne le sont pas, c’est que ces derniers se moquent de comprendre ce qui se passe alors. Ils se contentent de capituler face aux évènements. Ce qui se passe, c’est qu’en traversant la rue, une image me traverse l’esprit, celle d’une fille tombant un soir dans une piscine. C’est tout. Mon regard suit la chute de son corps (on l’a poussée ou elle a sauté ?) et j’ai à peine la perception nécessaire de ce qui l’entoure. Une fête. Des hommes et des femmes élégamment vêtus. Une musique de fond. Je monte dans la voiture où elle m’attend (elle conduit et me demande si je veux prendre le volant, je lui rappelle que je ne sais pas conduire mais elle insiste, tels sont les faits) et je lui raconte ce qui m’est arrivé. Je lui dis qu’en d’autres occasions, en traversant d’autres rues, j’ai imaginé des histoires complètes, des trames dont je connaissais jusqu’aux grands-parents des personnages. Je lui dis que, cette fois, ce n’est pas le cas que j’ai plus l’impression d’avoir trouvé une photo qu’une histoire. Je lui dis qu’il y a peut-être une nouvelle dans ce que je lui raconte. Alors, elle se lance dans un récit.

    Maintenant nous ne sommes plus dans une voiture mais dans un lit. Privilèges de la scénographie réelle appliquée aux territoires de la fiction. Plus on voit le monde clairement, plus on est obligé de faire comme s’il n’existait pas. Cela arrive parfois. Il fait nuit, il fait noir et ce n’est qu’à compter de cet instant – je ne fume pas, elle non plus – que je comprends le sens des cigarettes après l’amour : deux petites pupilles de feu brillant dans la pénombre. Ce sont des signaux, comme ceux que s’adressent les bateaux qui se croisent au milieu de nulle part mais qui ont très envie de faire naufrage ensemble pour toujours. Elle s’était endormie, vient de se réveiller et me raconte son rêve, un cauchemar. Quand elle fait des cauchemars, je ne m’en aperçois jamais. Sa respiration reste égale, son corps ne bouge pas. Elle pousse juste un cri et quand elle ouvre les yeux, soulagée d’avoir simplement fait un cauchemar, elle éprouve le besoin immédiat de le relater pour le rendre moins vrai, s’assurer qu’il n’est pas et ne sera jamais.

    Rodrigo Fresán, La vitesse des choses, Passage du Nord/Ouest, trad : Isabelle Gugnon, P. 469-470.
  • 071108

    7 novembre 2008

    J’ai passé les trois premiers jours de ma semaine à voir venir le jeudi, début de mon week-end allongé, pour finalement arriver au seuil de mon vide habituel, rien, il n’y a rien, tant de choses écrire et pourtant, non, il n’y a rien devant.

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    J’aimerais ne plus avoir à vivre entre les impressions périphériques qui s’écoulent, contre les vitres d’un train ou ailleurs, latérales, permanentes, interminables. Passer mon temps à subir ces impressions, à les émettre parfois moi-même, continuer de creuser ce vide incompressible qui me sature l’œil en permanence. Je suis étudiant en lettres, j’imprime l’impression d’un amateur de littérature qui connaît son sujet quand il en parle, développe une image bombée vers le haut pour masquer un gouffre d’ignorance opposée encore plus large. Je suis vendeur en librairie, parenthèse, je donne l’impression que ce livre que je n’ai pas lu, ne lirai jamais, est bon, excellent, qu’il faut absolument le lire, l’acheter, l’offrir. Je suis prof-vacataire, je dois imposer l’impression de celui qui sait, qui est sûr de, qui transmet des savoirs réels, quand bien même je ne sais rien et n’ai pas envie de savoir. Je suis chargé de la relation clientèle, j’oppose mes impressions d’ensemble, je connais par cœur les produits dont je parle mais que je découvre, j’assure des clauses intenables, je promets des délais idylliques. J’essaie d’écrire : je tisse une impression de bien-huilé, de réalité travaillée, quand en réalité, justement, je laisse aller les mots au hasard du moment. A force d’aller voir l’envers des choses, j’en viens à ne plus croire en rien, car rien n’est suffisant, rien ne marche, tout est décevant.
    Ces impressions s’enchaînent les unes aux autres, elles tiennent ce qu’elles tiennent mais finissent toujours par crever. Idem pour les personnes autour, réseau d’impressions plus ou moins bien trempées, en attente de crever à leur tour, tout autour de moi.

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    Je suis fatigué de toutes ces virtualités réunies autour et à l’intérieur de moi. Tous ces filtres censés me faire détourner les yeux du vide originel. Fatigué que les personnes croisées ne soient pas à la hauteur de l’impression qu’elles diffusent, parfois sans le savoir. Fatigué de traquer un objectif-accessoire, chimérique, l’atteindre, et n’y rien trouver d’autre qu’un nouveau stage clear incohérent. Fatigué de toujours avoir à en revenir au vide, au vide et non pas à l’ennui, non, le vide, vraiment, celui qui me donnerait l’humeur de relire Un roi sans divertissement, parce que c’est bien de cela dont il s’agit, de vide.

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    Alors que faire de ce vide ? L’emmurer dans un système. Bâtir des plateformes d’entretien du vide. Instaurer des quotidiens-type et n’en jamais dévier. L’occuper. Le travestir.

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    Et des paroles qui reviennent pour aider à le combler, même mal : just the librium and me |my libido splits on me | do you like girls or boys, it’s confusing these days | she doesn’t know if you’re a boy or a girl | lights out boys | travel mode is the key et ainsi de suite.

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    Et puis parce qu’il le faut, j’écris ce truc, pas trop long, six pages maxi, je ne sais pas où je vais ni pourquoi je l’écris mais je m’y enfonce, ça ne donnera rien de bon au bout, ce sont encore des lignes bâties sur le hasard, un autre mot pour le vide, et ça ne tiendra pas, ça ne tient jamais, j’ai juste l’impression que ça pourrait tenir.

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    Ces impressions sont trop fragiles, je n’arrive pas à bâtir mon monde par dessus. J’aimerais pouvoir partir encore, fuir ce vide originel, justement parce que le mode voyage est la clé, qu’il faut rester en mouvement, encore, toujours, et ne jamais s’arrêter, ne jamais regarder autour, à l’intérieur, jamais, simplement avancer, peu importe où ni pourquoi, alors écrire, écrire évidemment, c’est bien la pire des options possibles, la pire, écrire c’est immobile, beaucoup trop immobile, j’ai besoin de marcher pour ne pas voir le vide, de courir même, voilà, de courir.

  • Roberto Bolaño , Les détectives sauvages

    13 avril 2009

    Comme Mantra lu précédemment, Les détectives sauvages est un livre pré-adoré, déjà apprécié avant lecture. Suffit de voir le titre, l’auteur, la couverture, la quatrième, quelques extraits, quelques autres et c’est bon, voilà, on sait précisément que cette littérature nous parle et nous bouleverse. Avant lecture, précisément. Les pages tournées, les mots lus, au fond, outre le plaisir de se perdre là-bas dedans, ce n’est qu’une simple formalité. On savait, ensuite on vérifie, on constate que oui, c’est de la bonne, très bonne littérature.

    detectivessauvages.jpg

    Le titre implique l’enquête, l’enquête sous-entend des protagonistes en mouvement, mouvement vers une vérité quelconque qui tenterait de leurs échapper. Les détectives sauvages, c’est un peu ça et en même temps pas vraiment. Les détectives sauvages, c’est une enquête qui tourne à vide et dont on ne sait pas toujours qui la conduit. Les protagonistes sont là, prêts à témoigner. Ils n’attendent qu’un micro tendu depuis le tumulte des années pour faire entendre leurs voix.

    Roberto Bolaño présente un récit en trois temps dont Rodrigo Fresán s’inspira sans doute pour composer la structure tentaculaire de Mantra : une première partie façon journal intime (1975), qui commence superbement comme suit :

    J’ai été cordialement invité à faire partie du réalisme viscéral. Évidemment, j’ai accepté. Il n’y a pas eu de cérémonie d’initiation. C’est mieux comme ça.

    Roberto Bolaño, Les détectives sauvages, Christian Bourgois, P.13

    La deuxième partie (les trois quarts du livre) rassemble entre 1976 et 1996 des dizaines de témoignages, les voix répertoriées sont celles de personnages plus ou moins secondaires, qui ont, à un moment donné, gravité autour de l’intrigue, autour de l’œil du cyclone réal-viscéraliste et de leurs deux meneurs, Ulises Lima et Arturo Belano. La troisième et dernière partie reprend le journal intime (1976) là où il s’était interrompu quelques centaines de pages plus tôt. Entre les deux extraits de carnets du narrateur Garcia Madero, des dizaines de vie ont eu le temps de s’écouler.

    Le livre est une double enquête dans le sillage de. Celui de Cesárea Tinajero, tout d’abord, mère présumée du mouvement réal-viscéraliste. Les détectives (sauvages) s’articulent autour de Lima et Belano, fascinés par la disparition de cette artiste sans œuvre (voir la réédition chez Verticales de l’essai de Jean-Yves Jouannais ce mois-ci, nous auront l’occasion d’en reparler), peut-être ou peut-être pas réelle. Les figures fuyantes s’inversent par la suite, puisqu’elles sont celles, suiveuses, de Belano et Lima. Ils apparaissent aux carrefours des différents témoignages (deuxième partie) mais ne parlent jamais de leurs voix propres. Leurs discours, tous comme leurs images, actions et mouvements, sont rapportés, indirects. L’enquêteur reste dans l’ombre, hors champ, de l’autre côté du micro, sur le revers de la bande dictaphone, il mène le jeu depuis la surface des pages imprimées.

    L’enquête pousse pourtant vers l’absence de mouvement, la fuite ensablée, le vide le plus pur. Belano et Lima sont des poètes sans plume, au fond ils n’écrivent pas. C’est dans leurs vies propres que doivent s’incarner ces idéaux qu’on ne peut (ou qu’on ne parvient pas à) fixer sur papier. Le dénominateur commun de cette affaire, c’est bien le vide qui articule tout : une fuite inexistante, un mouvement vers le rien, une pure et simple disparition soudaine (cf. le passage au Nicaragua). Le réalisme viscéral, en tant que mouvement littéraire, l’illustre parfaitement : au fond personne ne sait ce que ça peut bien être, personne ne creuse rien pour le définir, personne n’écrit pour le porter. Personne n’écrit. Ne reste plus que la vie comme on arrive à la vivre, en boitant. L’exemple le plus représentatif est sans doute ce passage absurde de duel à l’épée sur la plage : Belano y provoque un journaliste pour une critique sur son livre qu’il n’a non pas écrite mais qu’il pourrait écrire. Vu comme ça, cette vie d’artiste-sans-œuvre peut apparaître comme une plaisanterie qu’on manque et qu’on ne comprend pas.

    Le temps d’une seconde de lucidité j’ai eu la certitude que nous étions devenu fous. Mais cette seconde de lucidité a été dépassée par une superseconde de superlucidité (si vous me permettez l’expression) pendant laquelle j’ai pensé que cette scène était le résultat logique de nos vies absurdes. Ce n’était pas un châtiment mais un pli qui s’ouvrait soudain pour que nous nous voyions dans notre humanité commune. Ce n’était pas la constatation de notre oiseuse culpabilité mais la marque de notre miraculeuse et inutile innocence. Mais ce n’est pas ça. Ce n’est pas ça. Nous étions immobiles et eux étaient en mouvement et le sable de la plage bougeait, moins à cause du vent que de ce qu’ils faisaient et de ce que nous faisions, c’est-à-dire rien, c’est-à-dire regarder, et tout ensemble c’était le pli, la seconde de superlucidité. Ensuite rien.

    P.693

    Récit polyphonique sur le chaos et le temps (rappelons la déchéance brutale d’Ernesto San Epifanio), Les détectives sauvages, c’est aussi, sans doute, le récit de la sécheresse et du dégout. Sécheresse de fuites arides incontrôlées, d’abord (où qu’on aille on se perd, qu’il s’agisse du désert de Sonora, d’Israël, du Nicaragua ou de l’Afrique), puis sécheresse des échecs renouvelés à se perdre pour de bon : le monde n’est pas (encore) assez vaste pour qu’on puisse y disparaître convenablement. Dégout d’une réalité trop pauvre, qui ne permet pas l’accomplissement des mouvements hors normes (le réalisme viscéral), qui ne permet pas (plus) l’initiation telle qu’on a pu la connaître dans les fictions passées. Dégout du fantôme de son identité, sans doute, également, incarné sec par la carcasse du chilien Arturo Belano, double flagrant de Roberto Bolaño dans la fiction : il apparaît tantôt maigre, insignifiant, impuissant et nécrosé. Un coup de vent pourrait suffire à l’emporter définitivement hors champ, sa silhouette s’accroche pourtant toujours dans l’entre-deux de cette brise là.

    Tout ce qui commence en comédie s’achève en tragédie.
    Tout ce qui commence en comédie s’achève en tragicomédie.
    Tout ce qui commence en comédie s’achève indéfectiblement en comédie.
    Tout ce qui commence en comédie s’achève en exercice cryptographique.
    Tout ce qui commence en comédie finit en film de terreur.
    Ce qui commence en comédie s’achève en marche triomphale, non ?
    Tout ce qui commence en comédie indéfectiblement s’achève en mystère.
    Tout ce qui commence en comédie s’achève comme un répons dans le vide.
    Tout ce qui commence en comédie finit comme monologue comique, mais nous ne rions plus.
    P. 696 – 719

    Puis le livre se termine, on serait franchement tenté de le reprendre à zéro tant on ignore comment faire pour apprendre à (re)lire autre chose. Voyage dans le chaos démultiplié, fuite dans le temps et le sillage d’autres fuyards, c’est sans cesse la même odyssée qui se perpétue. On oscille sans savoir entre le tout et le rien. Reste pourtant le souvenir des visages apparus au fil des pages : ils ont la peau palpable, ils seraient presque là. Un peu avant, le livre s’achève sur une question sans réponse : « Qu’est-ce qu’il y a derrière la fenêtre ? »

    Points de fuites sauvages :

    Ici et pour d’autres extraits cités en internet et

     
    Le Matricule des Anges


     Chronicart

     Peau neuve

     Dernière marge

  • 110809

    11 août 2009

    DSC00055.JPGJe monte dans le premier train sans savoir qu’il en existe un deuxième, plus loin sur le quai, amarré au premier, et combien d’autres encore, enchaînés cul-tête les uns aux autres sur des kilomètres de rail et graviers. Je pourrais tout aussi bien ne plus être un nom, prénom, identité valsée sur la surface des vitres, mais une lettre, un âge, un code ou souffle que personne ne pourrait traduire ni comprendre. Disons simplement que je glisserais sur le quai comme un fantôme, fantôme que les miroirs pourraient capter, que le circuit interne de climatisation pourrait happer et laisser racler entre la coque et les gaines. La porte s’ouvre.

    Je remonte appui-tête après l’autre l’allée centrale, premier étage, à rebours du sens de la marche encore à venir. Je remonte face contre tête contre corps voisin sur l’accoudoir, déchiffre le A et B ou 9 ou 8 de mon code client imprimé sur le billet, le numéro de voiture, de train, de place, fenêtre-couloir, étage ou pas. Entre les sièges, la chaleur progressivement se décompose et le roulis de la climatisation tressaute.

    Surgissent depuis le quai les vibrations crissées de corps qu’on fourre dans le ventre du train. Les sièges sont tous occupés. Les visages tournés vers dehors, attendant que dehors défile et que dedans décolle. Les premiers voyageurs de trop s’excusent : vous êtes à ma place, disent-ils, ce à quoi on leur répond, voix de gorge mal à l’aise qui crépite sous climatisation : ça franchement ça ça m’étonnerait. On compare billet à billet, peau contre peau, pouce sous l’index, les numéros de train, voiture, place, étage, fenêtre, couloir, horaire, ville, destination, date, horaire encore, train encore, voiture encore. Toutes les informations imprimées sur chacun des deux billets sont à la fois correctes et absurdes mais les deux adjectifs ne peuvent cohabiter, l’un étant toujours en contradiction avec l’autre. Il n’y a aucune place libre dans le wagon et, à en juger par la foule qui s’épaissit sous ma fenêtre et qui enfle doucement depuis le bord du quai, aucune voiture ne semble plus pouvoir accueillir de voyageurs, clients, usagers ou ombres mortes.

    L’heure du départ sonnée, le train ne démarre pas, le quai s’accroche bondé bruyant à la fenêtre côté droit.

    L’heure tourne. Il n’y a plus un seul contrôleur SNCF dans ce train ou sur le quai voisin. Chaque passager déjà installé voit apparaître un double qui le défie : sortez votre billet et voyons qui à tort. L’opération se répète plusieurs fois : ils sortent, déballent, mesurent et comparent. Les numéros sont identiques. Personne n’a tort. Les moins patients abandonnent et se frayent un chemin entre les corps vers la sortie, empruntent l’accès souterrain vers la gare et disparaissent. Les autres font front, regardent de haut les corps qui s’accumulent encore sur le bord des quais. Je me vois reflété, moitié bouffé par le ciel grisâtre, moi qui n’ai encore été défié par personne.

    Personne ne capitule, les foulent s’épuisent. Debout sous cagnard d’août tout contre rail, la moitié des passagers a déserté le quai. Les assis s’accrochent à la mousse des sièges seconde classe comme à leurs privilèges. Un même train réservé deux fois : seule la moitié des passagers pourra partir. Peu à peu la voiture 16 reprend forme humaine. Il n’y a plus que quelques ombres errantes sur les quais qui, peut-être, peut-être, ne font qu’attendre un prochain train, prochains rails, prochaine destination, et n’ont plus rien à voir avec celui-là, déjà saturé de paroles et arguments.

    Un dernier corps se présente et se plante devant moi, doigts dépliés sur son billet ouvert et dit : c’est ma place je crois, comme tant d’autres avant lui, mais cette fois devant moi, moi qui regardais ailleurs et dois maintenant me retourner. A notre tour encore nous comparons les codes et les mots. Nos deux billets sont identiques. Sans accord trouvé entre nous, le train ne partira pas. Tous les regards, littéralement ou par l’intermédiaire des reflets détournés, ceux des vitres ou bien des bandes plastiques collées-vissées sous plafond, se tournent maintenant tout contre nous.

    Le double statique devant moi, jean râpé noir sur t-shirt blanc cassé trop lâche et col ouvert, gorge et peau brune cheveux courts-brillants, me dit quelque chose comme il faudrait ou il faudrait que ou j’ai besoin de, mais j’écoute ailleurs et comprends mal. Je lui explique simplement sans m’excuser que je suis le dernier qu’ils attendent (je dis « ils » comme s’ils existaient, justement, et que le train prenait corps comme une entité symbiotique et que moi aussi j’en faisais partie) et qu’il est hors de question hors de question que je cède. Cette place que j’ai payée, et donc que je possède, est la mienne et je ne la lâcherai pas. Ne cèderai pas.

    Regard sur le ciel haut à droite qui s’étend, les rails s’ouvrent et le train démarre, lentement, très lentement d’abord. Paradoxalement, le quai béton fumé s’épaissit sous la vitre. La voie vers Paris s’ouvre et contre elle un retour chez moi. Je me lève, rappelle mon double, le train s’arrête, peut-être dans un ordre différent : je ne cède pas car j’ai déjà cédé. Je lui montre mon billet à nouveau et il me tend le sien. Composté l’autre non, j’ignore dans quel ordre. Je ne lui dis pas c’est d’accord, ni allons-y ou finissons-en mais ok c’est bon, sans une syllabe supplémentaire. Nous nous écartons et fuyons l’allée étriquée de la voiture seize, étage, où tout le monde s’est remis à nous fixer, et marchons jusqu’à l’entre-deux voitures, quelque part entre les miroirs, toilettes, escaliers et portes coulissantes, là où, à l’ombre des regards, nous serons moins visibles. T-shirt blanc cassé contre le mien trop gris, pantalon noir contre pantalon blanc, peaux communes presque interchangées. Le contraste aperçu entre son thorax et le mien, l’un presque noir et l’autre blanc plaqué. Je ferme par dessus moi la fermeture éclaire de son jean, son billet ou le mien rangé-froissé dans ma poche arrière droite, c’est à dire la sienne. Salut, au revoir et je m’en vais, nous n’avons pas besoin de plus. Je vois le train sortir depuis le quai. Je m’éloigne et m’enfonce dans le bourdonnement de la gare souterraine. Je ne le regarde pas disparaître, la voie vers Paris s’est ouverte. J’ignore encore vers quelle direction je vais à présent me tourner.

  • 250909

    25 septembre 2009

    Le Tombeau suite et fin, même si pas réellement. Fuite, hostie et napalm.

    Kment prend Giauhare à la taille ; la fille lui caresse son sexe durci, ils traversent les nefs dévastées, les serpent se jettent sur les jambes de Kment ; le garçon, Giauhare renversée dans ses bras, saute dans les herbes sèches. La mer déborde ; la pluie sur les montagnes brûlées, déchirées, napalmées, gonfle les sources, emporte les familles des villages empuantis, roule dans les rues les cadavres d’enfants que leurs mères nourrissaient avec du crottin, roule et lave les cadavres mutilés des enfants d’Elö, éclabousse, comme le feu, sur la forge des galets, crépite sur les tôles noircies ; sur les plages, creuse le sable, roule les écorces, les os, les cordes, crible la mer, s’enflamme au ressac.

    Kment court dans la haute ville, ses pieds nus s’enfoncent dans la boue sanglante qui sort des villas pillées, des jardins éventrés, il serre Giauhare dans ses bras, la main de la fille couvre son front ; une porte bat sous le dôme de la cathédrale, Kment y plonge : un jeune diacre échappé au massacre, prie, la tête entre ses mains, agenouillé sur un petit banc ; Kment traverse la crypte, il monte jusqu’à l’autel, le jeune diacre lève les yeux, Kment ouvre le tabernacle d’une main, l’autre retenant Giauhare renversée, les seins découverts et la robe enfoncée, ruisselante, entre les cuisses ; Kment, les reins cambrés, serre le ciboire dans son poing, il l’ouvre, il prend deux grandes hosties, il en mange une, l’autre, il l’enfonce entre les lèvres de Giauhare ; le jeune diacre recule vers le fond de la crypte ; Kment prend deux autres hosties, en met une dans la poche de sa chemise, l’autre, sous la robe de Giauhare, entre les cuisses ; puis, il redescend, Giauhare, réveillée, mâche l’hostie ; Kment sort, court sous la pluie, il avale l’hostie, il court jusqu’à Titov Veles, s’écroule au pied de la roche des esclaves, couche Giauhare sur l’herbe ruisselante et glacée, se couche sur elle, souffle sur son visage, Giauhare caresse les tempes de Kment :

     Un enfant bouge en moi depuis ce matin : Touche. C’est le dernier né du monde, et c’est un rat qui l’a fait.

    Pierre Guyotat, Tombeau pour cinq cent mille soldats, L’imaginaire, P.482.

  • 301010

    30 octobre 2010

    Des trois films vus cette semaine (Kaboom mardi, A Single Man jeudi, Into the Wild hier), lequel le plus propice à me propulser vers une fuite fictive mais concrète ? Lequel de ces trois corps le mieux armé pour disparaître ? Thomas Dekker, Colin Firth ou Emile Hirsch ?



    Et surtout pourquoi moi, l’oeil à l’envers de l’écran, choisirais encore d’y voir la fuite, dans ces trois trajectoires et pourquoi elle me fascine ? Je l’écris comme je le pense, en surexposition aux 2’24 de Cocoon : I will be gone.

    Je cherche vaguement a situer ces trois corps par rapport à Trois pylônes, dont j’ai pensé brièvement hier que je pourrais en faire un recueil : un recueil de versions alternatives de la même nouvelle. Ça ne m’aide pas beaucoup à déterminer quelle est la trajectoire de ce corps sans histoire qui marche, la nuit, le long d’une départementale, et surtout où il va : j’ignore encore comment cette histoire pourrait finir.

    kiss bye boy est dans le même état : une fuite qui ne dit pas son nom. J’avance millimètre par millimètre à coup de quelques mots hasardeux mais confus. Lorsqu’une voix demande à Pierrot pourquoi il fuit, voilà le texto qu’il envoie :

    y répondre ce serait comme accepter de revenir ou n’être jamais parti à la base, étouffer

    J’aime penser que le texto est bouffé par une erreur réseau quelconque et que la suite ne pourra jamais apparaître.

  • 130111

    13 janvier 2011

    Lassé de vider Google à la petite cuillère, j’ai eu l’idée aussi instantanée que déjà morte de répertorier quelque part tous les bouts de texte croisés qui portent en eux trace d’une fuite adolescente, qui est comme mon obsession du moment. Si je devais commencer ce jour, reprenant mes dernières lectures, cela donnerait quelque chose comme ça :

    2010 : Johary Ravaloson, Antananarivo, ainsi les jours (Publie.net)

    A l’époque, je harcelais mes parents pour qu’ils trouvent les moyens de m’envoyer au-delà des mers, vers ce que je pensais être la vraie vie. Pour y arriver, il me fallait gagner une bourse, en suppliant un de ces gros bonnets qui ne manquaient pas de féliciter Père pour son dévouement à la cause commune jamais payé de retour jusque-là, rafler de l’argent magique comme ce qu’obtenaient mystérieusement des fonds internationaux certains fonctionnaires – on voit tous les jours encore dans la presse que ces institutions offrent des sacrés millions, des milliards même ; pourquoi n’y aurait-il pas eu une petite miette pour moi ? - me relier à un oncle, qu’importe, une tante ou un cousin éloigné là-bas qui aurait pu m’héberger le temps que je fasse fortune moi aussi. Étudier était le prétexte. Ce que je voulais, c’était partir.

    2011 : Thibault de Vivies, Mon jeune gars, compagnie des jours passés (Editions du Zaporogue)

    Je prends le temps de réfléchir malgré tout mais décide de repousser les avances que l’on me fait car j’ai mon bonheur ici et ma liberté du lever et du coucher quand bon me semble et personne pour m’imposer quoi que ce soit, j’en ai bavé quand j’étais vraiment tout petit gars alors j’ai perdu confiance envers papa et maman et je m’enfuis de la demeure familiale et décide de ne plus donner de nouvelle pardonnez-moi encore mais j’ai le reste du monde à conquérir et j’attends en vain un signe d’encouragement de votre part.

    Et combien d’autres encore ?

  • 040211

    4 février 2011

    Le boulevard WTF s’est comme déplacé sur la droite. L’immeuble du cabinet aussi. C’est comme si devant moi, aujourd’hui, toute donnée visuelle, par rapport à hier, s’était comme décalé vers la droite. La sortie de métro ouvre sur l’autre versant de la rue, les vitrines des magasins de luxe empiètent sur les stands de kebabs et le numéro 48 de l’immeuble est devenu le numéro 53. Pas grave. Je suis en avance. J’ai rendez-vous. Je me sens moi-même comme plus à droite qu’hier. Signe que peut-être je progresse. C’est celle de l’accueil qui me reçoit avec le sourire et des joues. Elle demande : vous voulez un café, un verre d’eau minérale ? Je dis non merci mais je note le progrès. Hier l’eau n’était que de l’eau. Aujourd’hui elle devient minérale. L’eau aussi s’est décalée vers la droite. Dans un autre bocal Svetlana me reçoit. Elle me dit je ne m’appelle pas Svetlana, j’ai envie de lui dire : moi non plus. Avant de venir une ex-collègue m’a envoyé un texto. Elle m’écrit : tu verras, les cabinets c’est moisi. Je jette un oeil au mur, au sol, la moquette. Je reste sur mes gardes. Svetlana commence en disant : j’ai examiné votre dossier attentivement. J’ai cité mon ex-collègue comme référence lorsque j’ai rempli la paperasse d’hier. Je lui ai dit si on te demande, c’est toi la pédégère et moi je serais comme qui dirait un mec en or, compris ? Svetlana voudrait savoir pourquoi j’ai vu mes prétentions salariales à la hausse. Je lui demande : est-ce qu’on est censé accorder toutes les fonctions dans l’entreprise au féminin si on parle d’une femme, même si c’est une abréviation ? Je me demande : est-ce que cette question était sexiste ? Elle répond surtout, mais préfère parler du salaire. Je lui explique que je pouvais difficilement voir mes prétentions à la baisse, que j’ai rarement d’ailleurs l’occasion de parler de prétentions, et je lui précise enfin que je suis un mec en or, des fois qu’elle n’ait pas suffisamment approfondi mon dossier pour y piocher la phrase. Elle me dit il faut savoir qu’ici nous ne nous occupons que des métiers de l’assistanat et nos salaires sont plafonnés à 40K€ l’année. Elle parle en brut. Elle parle en fixe. Elle parle en sacs de fric. Je dis moi je croyais que c’était salaire horaire. Elle pourrait rire. Elle ne rit pas. Quelqu’un rit dans ma tête pour combler la décevante réalité de la chute. Elle me dit nous allons parler de vos points faibles, je dis je suis tout ouï. Commençons par votre apparence et je l’arrête de suite. Je dis j’ai un costume, je dis j’ai une cravate, je dis j’ai une chemise qui était en soldes pas plus tard qu’il y a deux semaines. Je dis j’ai toute la panoplie, même le nez de clown, alors faut pas me la faire. Elle me montre mes pieds. Enfin mes pompes. Elle me dit ce n’est pas sérieux, ce qui est drôle, car c’est exactement l’appréciation que j’ai collé, hier, à la pauvre lettre type en français moyen dont on m’a confié la relecture. Je pourrais le faire remarquer mais je retiens les mots dans ma gorge comme un reflux gastrique : ce ne serait, justement, pas sérieux. Je lui dis mes pompes sont noires, je vous assure qu’elles font ville. Et j’ai envie de lui dire : j’aurais pu mettre des Van’s. Elle me dit certainement pas. Svetlana est du genre à préférer les pompes à glands, ou je ne sais quoi. Elle me dit je ne m’appelle pas Svetlana, je dis vous ne vous appelez pas Svetlana. Enfin les pompes : en changer. Je lui dis et les chaussettes ? Elle dit quoi les chaussettes ? Je lui montre. Elles sont noires, Bart Simpson plaqué sur la malléole de chaque côté. Il dit : « eat my shorts ! » ce qui veut dire « bouffe mon short ! » et qui a été curieusement traduit en français par « vas te faire shampouiner ! » Je veux dire quand même : qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? Elle me dit les chaussettes ce n’est pas grave car ça ne se voit pas. Je n’aborde pas la question du caleçon. Elle commence une phrase et je la coupe après le mot compétence, je dis : qu’en est-il de Yogi l’ours ? Elle dit Yogi quoi ? Je réponds Yogi l’ours. Le dessin animé. Je veux dire le type, enfin l’ours, se balade quand même avec un chapeau, une cravate, et rien d’autre. Ni chemise, ni pantalon, ni caleçon d’ailleurs. Est-ce que c’est toléré dans le monde de l’entreprise ? Est-ce que le dress code est clean ? Il faut croire, puisque Yogi l’ours a un boulot. Je veux dire c’est quoi ce bordel ? Elle n’a pas de réponse à cette question. Aucune des personnes que j’ai croisées par la suite n’avaient de réponse à cette question. C’est le genre d’argument contre quoi on ne peut rien. Elle me dit qu’elle a lu les recommandations transmises par mon ex-collègue : j’ai envie de lui dire quel rapport avec Yogi l’ours ? Elle me dit c’est très impressionnant. Elle me dit vous avez vraiment travaillé pour B sixteen ? Je lui dit pas pour lui, Svetlana, avec lui. Ensuite je croise les jambes et les mains sur les jambes et je ferme les yeux une seconde pour prendre un faux air satisfait. Les yeux fermés je ne la vois pas, mais je pourrais jurer qu’elle me trouve un air satisfait. Elle lit également sur son papier que je suis fiable et je précise que mon ex-collègue pédégère n’étant pas dyslexique, il faut bien comprendre fiable et non faible car la différence est de taille, même si ce sont les mêmes lettres mais dans un autre ordre. Je me pose d’ailleurs la question : est-ce qu’un candidat dyslexique est un candidat à problème ? Elle me dit je ne comprends pas, êtes-vous dyslexique ? Je lui dis Svetlana, votre totale incapacité à bien vouloir rire à mes blagues quand je me donne la peine d’en faire me désole et m’ennuie, puis je tire mon pantalon pour qu’elle puisse lire sur mes chaussettes la phrase : « eat my shorts ! », en espérant qu’elle comprenne. Elle me dit la dyslexie mise à part, je n’ai qu’un seul problème avec vous. Je dis lequel ? Elle me dit je n’arrive pas à vraiment vous cerner. Je me recule sur ma chaise. Est-ce que ça veut dire qu’elle voudrait tourner autour de moi dans le bocal ? Est-ce que ça veut dire qu’elle serait mentalement dérangée ? Elle me dit je vous explique, et elle le fait : vous avez un profil atypique (elle prononce a puis typique comme si c’était deux mots), vous avez fait des choses très différentes et j’ai du mal à le retranscrire sur papier. Je lui dis : vous retranscrivez sur papier ? Sans le dire elle me fait oui. Elle me dit je dois mettre des croix dans des cases, vous comprenez ? Je comprends. Je lui dis pourquoi ne pas mettre des demis croix ou des quarts de croix dans plusieurs cases ? Elle me dit le système ne l’acceptera pas. Je lui dis est-ce que c’est une impression de déjà-vu ? Elle fait pardon ? Je lui dis est-ce que c’est une impression de déjà-vu ? Elle me dit ça le devient. Je lui dis on est dans la matrice, comme ça, à son oreille, en italique. Elle coche quelque chose sur son papier. L’entretien est terminé. Elle me dit place aux tests. Aux quoi ? Aux tests (elle prononce tes puis teuh comme si c’était deux mots, comme si j’étais pas clair). Elle m’installe devant un PC et me dit : vous avez trente minutes. Par tests. Il y a trois tests. Le premier test est sur Word. Trente questions. Je dis mazette. Elle dit je vous laisse. Je clique sur commencer. Je me dis que l’écran gris me file faim, que j’ai une pizza quelque part dans mon frigo. Si vous deviez centrer le texte surligné, sur quelle partie de l’écran cliqueriez-vous ? Il me semble qu’elle est au jambon et aux champignons. Si vous deviez utiliser l’icône carafe, quelle fonction chercheriez-vous à effectuer ? Je me demande : ai-je déjà vu de toute ma vie l’icône carafe ? Je me demande : est-ce que la date de péremption n’est pas déjà dépassée ? Si vous deviez mettre le texte surligné en italique, sur quelle partie de l’écran cliqueriez-vous ? Si l’on se rend compte de l’expiration de la date après avoir ingéré la nourriture, est-ce qu’on doit se fourrer deux doigts dans la gorge sur le champ pour vomir illico ? Si vous deviez transformer le texte surligné en texte dynamique en 3D, sur quelle partie de l’écran cliqueriez-vous ? Qu’en disent les professionnels de la santé publique ? Si vous deviez transformer ce diagramme en camembert, sur quelle partie de l’écran cliqueriez-vous ? Qu’en disent les convenances ? Et est-ce qu’un camembert peut se périmer ? Est-ce que ce n’est pas déjà un peu moisi à la base ? Je quitte le bocal informatique. Je repasse par celle de l’accueil. Elle me demande avez-vous terminé ? Je dis oui. Je dis non. Je dis j’ai commencé à le terminer et puis je me suis arrêté en cours de route. Elle me dit pardon ? Elle ne plaisante pas. Je lui dis pourrais-je avoir un verre d’eau ? Elle me dit vous avez abandonné le test ? Je dis oui. Je dis ce serait juste un verre d’eau, elle n’a pas besoin d’être minérale. Elle me dit je peux savoir pourquoi vous avez abandonné le test ? Je lui dis divergences internes sur la moisissure. Je lui dis question de date de péremption possiblement expirée. Je lui dis je ne savais pas quoi faire de la carafe. Elle me dit est-ce que votre conseillère sait que vous avez abandonné les tests ? Je lui dis elle n’a pas besoin de savoir. Ça restera entre nous. Vous pouvez lui dire que je m’ennuyais, ou que je ne trouvais pas le démineur dans le dossier « Jeux ». D’ailleurs il n’y avait pas de dossier « Jeux ». Je lui dis vous pouvez lui dire tout ce que vous voulez. Et je lui tape sur l’épaule pour qu’elle comprenne qu’entre elle et moi y a connivence. Elle se rue sur son téléphone pour prévenir ma conseillère qui saute hors de son bocal pour me rattraper. Je savais que j’aurais dû lui faire un clin d’oeil plutôt que de lui toucher l’épaule. Elle me dit monsieur si vous partez maintenant votre dossier sera nul, on devra vous supprimer de nos listings. Je me dis merde. Je lui dis vas-y. Je lui dis franchement, c’est une énorme perte de temps ici. Elle me dit donnez moi juste une seule raison de ne pas passer ce test sur Word. Je lui dis mon ancien boss est un fada de l’open source. Je lui dis je ne veux pas être mis en relation avec des entreprises qui recrutent par QCM. Je lui dis est-ce que je dois vous montrer le slogan sur mes chaussettes encore une fois ?

  • kbb | Pierrot à 0606667778 #3

    26 février 2011

    Le texte suivant a été modifié et corrigé après sa première mise en ligne. Le texte affiché correspond à la dernière version en date. Pour accéder aux versions antérieures et consulter les retouches effectuées par la suite, cliquer sur le lien en bas de page.

    Respirer, Pierrot tu fais comment ? Mes respirations, depuis ta fuite, celle qui a comme effacé ton nom de toutes nos bouches fermées, elles ont même plus le sens du rythme. Je sors plus la tête de mes écrans. Mes parents flippent. Me disent : « il reviendra ». Me disent : de pas me mettre dans ces états « juste pour ça ». Moi les écrans me déforment, voilà ce qui me faut.

    Dans mes écrans, les mots sont calibrés. Dans les séries, les films, les fictions que j’empile, les dialogues sont toujours comme réglés au millimètre. Jamais de mots en moins ni même de mots en toc. Les silences durent toujours comme les écrans le dictent. Ils ont du sens. Chaque image. Chaque syllabe. Chaque regard. Grain de peau.

    Ils disent : j’aurais voulu m’excuser pour hier. Ils répondent : vous l’avez déjà fait.

    Ils disent : c’est quoi ton problème ? Ils répondent : mon problème c’est que tu veuilles qu’il y en ait.

    Ils parlent la langue invisible. Celle des bouquins que je lis jamais, ne font jamais aucune faute de français, syntaxe, conjugaison, prononciation, rien de tout ça. T’as déjà vu, Pierrot, un personnage de ces fictions ne serait-ce que bégayer à un moment où bégayer n’aurait pas de sens ? Moi je bégaye, me trompe dans les mots, les perds, sais plus comment dire. M’arrive des fois d’avoir l’éclair des flashs, des mots que j’aurais dû dire, les mots parfaits, script idéal, oui mais toujours trop tard, une heure après l’avoir vécu. Pendant : commencer un mot, finir avec un autre, péter l’idée en route, avoir la phrase dans les gencives qui mord, la laisser en suspens, oublier les syllabes, s’étaler dans des litres de silence, avoir la gueule bourrée de mots pourris, malades et comme décapités. Je reste les bras ballants, autour de moi y en a quarante et bien trop lourds. Eux, jamais. Tremblent pas, toussent pas, crèvent pas, ou alors car malades. Trébuchent jamais, se perdent encore moins dans le bordel des villes. Sauf si la trame le veut, sauf si le sens est mâché par les gestes. Mes gestes n’ont aucun sens. Les tiens je sais pas.

    Ils disent : je vais compter jusqu’à trois. Ils répondent : même sous la torture je dirai rien.

    Sous la torture je parlerai. Sous la torture, me faudrait que quelques secondes pour balancer à l’autre ce qu’il a besoin de savoir. Je balancerai même des mots, vrais ou faux, une autre fiction pour aveugle qu’il faudra décoder. Je dirai tout, Pierrot, et même et surtout ce que je sais pas.

    Ils disent : s’il vous plaît je vous en prie j’ai une famille des enfants. Ils répondent pas, ils tirent. Hésitent jamais, ignorent où tombe le corps. L’écran sait taire le corps. Je le vois pas tomber, mais je sais, je l’entends, c’est un bruitage qui veut dire qu’il est mort et tombé en même temps.

    Le flingue en main, la gâchette prête à prendre, je me laisserai avoir par leurs mots, tout leur n’importe quoi. Peut-être qu’il a zéro famille, aucun enfant, peut-être qu’il mériterait de bouffer sang froid mes tempes, ensuite s’enfuir, se retourner jamais. Je prendrais quelques secondes pour voir la scène devant mes yeux se dérouler avant qu’elle tombe. Peut-être suffisamment pour qu’il se relève, m’arrache l’arme des mains. Peut-être dans la lute serrer le doigt, gâchette : peut-être de cette manière le corps tombera sec sur le béton hors champ. Peut-être que mon doigt a glissé, peut-être le cran de sûreté même pas tiré, alors le flingue dans la main de l’autre, celui sans ou bien avec et famille et l’envers de l’image d’avant pourra tout inverser. Je dirais : s’il vous plaît je vous en prie j’ai une, etc. Il répondrait que dalle, tirerait. Et même ensuite, qui penserait instantanément à effacer les empreintes, charcuter le corps, le jeter dans un fleuve en huit ou quinze morceaux ? Et jusqu’où remonter dans l’effacement des traces ? Les empreintes digitales sur le flingue dans la main. Les empreintes de pas dans le ciment, la poussière, l’entrepôt loin derrière. Combien de fois apparaître dans combien de bandes de vidéo-surveillance ? Combien d’images de soi supprimer pour les effacer toutes ?

    Je mate les docteur, inspecteur, sergent, commissaire, capitaine et les autres, les mecs pas vrais qui ont toujours les mots, les répliques idéales, écrites comme un pense-bête sur l’une de leurs deux paumes. Quand je regarde l’intérieur des miennes : aucun mot mais des tâches.

    Passer mes journées sans prononcer le moindre mot, quelque part, je connais. Dans l’une de mes fictions, toutes en réalité, le personnage censé devenir moi déciderait, après coup, de partir à ta recherche, marcher sur des empreintes de toi, à supposer qu’elles soient pas, déjà, totalement effacées. Mais après combien de jours d’absence savoir qu’il faut y aller ? Et dans quel générique voir si, Pierrot, ton putain de nom s’y trouve encore ? Ou bien plutôt, le nom du mec qui t’incarne.


    Premier jet du 23/01/11

    Respirer, Pierrot, comment tu fais ? Mes respirations, depuis ta fuite, celle qui a même comme effacé ton nom, de nos bouches en tout cas, car toujours tatoué sur le mur des chiottes où j’avais mis mes mains, mes respirations n’ont plus le sens du rythme. Je sors plus la tête de mes écrans : télé, pc, portable, tous les autres. Mes parents flippent. Ils me disent : « il reviendra ». Ils me disent : de pas me mettre dans ces états « juste pour ça ». Mais moi je suis dans mes écrans.

    Dans mes écrans, les mots sont calibrés. Dans les séries, films, les fictions que j’empile, les dialogues sont toujours comme réglés au millimètre. Jamais de mots en moins ni même de mots en trop. Les silences durent toujours le temps qu’exige la scène. Ils ont du sens. Chaque image a du sens. Chaque syllabe. Chaque regard. Grain de peau.

    Ils disent : j’aurais voulu m’excuser pour hier. Ils répondent : vous l’avez déjà fait. Et tout est oublié. Ils passent à autre chose. Changent de plan, de séquence après la pub. Problème réglé.

    Ils disent : c’est quoi ton problème ? Ils répondent : mon problème c’est que tu veuilles qu’il y en ait. Ils parlent la langue invisible, celle des bouquins que je lis jamais, ne font jamais aucune faute de français, syntaxe, conjugaison, prononciation n’en parlons pas. T’as déjà vu, Pierrot, un personnage de ces fictions ne serait-ce que bégayer à un moment où bégayer n’aurait pas de sens ? Moi je bégaye, je me trompe dans les mots, je les perds, je sais pas comment dire, il m’arrive des fois d’avoir des éclairs, des flashs, des mots que j’aurais dû dire, les mots parfaits pour ça, le script idéal, oui mais toujours trop tard, une heure après les faits, alors que pendant, commencer par un mot, finir par un autre, perdre l’idée en route, ne plus savoir comment la phrase a commencé, la laisser en suspens, oublier des syllabes, s’embourber dans des litres silence, avoir la gueule remplie de mots pourris, malades et comme décapités. Pendant la scène je suis resté les bras ballants autour de moi. Eux, jamais. Ils tremblent pas, ne toussent pas, n’éternuent pas, ou alors car malades. Ne trébuchent jamais, se perdent encore moins dans une rue inconnue. Sauf si la trame le veut, sauf si le sens accompagne les gestes. Mes gestes n’ont aucun sens. Les tiens je sais pas.

    Ils disent : je vais compter jusqu’à trois. Ils répondent : même sous la torture je dirai rien. Sous la torture je parlerai. Sous la torture, me faudrait juste quelques secondes pour balancer à la gueule de l’autre tout ce qu’il veut savoir. Je balancerai même des mots, vrais ou faux, une autre fiction pour aveugle qu’il faudra déchiffrer. Je dirai tout, Pierrot, et même ce que j’ignore.

    Ils disent : s’il vous plaît je vous en prie j’ai une famille des enfants. Ils répondent pas, ils tirent. Ils n’hésitent pas, ne voient même pas tomber le corps. L’écran ne voit pas tomber le corps. Je ne vois pas tomber le corps, mais je sais, je l’entends, c’est un bruitage qui veut dire qu’il est mort et tombé en même temps. Le flingue en main, la gâchette prête à prendre, je me laisserai avoir par leurs mots, tout leur n’importe quoi. Peut-être qu’il n’a aucune famille, aucun enfant, peut-être qu’il mériterait le sang froid dans les tempes et le geste qui suit, ensuite s’enfuir, ne pas se retourner. Je prendrais quelques secondes pour voir la scène devant mes yeux se dérouler avant qu’elle tombe. Peut-être suffisamment pour qu’il se relève et m’arrache l’arme des mains. Peut-être dans la lute la gâchette est pressée, peut-être de cette manière le corps tombera sec, à son tour, sur le béton hors champ. Ou peut-être que mon doigt a glissé, peut-être le cran de sûreté même pas tiré, alors le flingue dans la main de l’autre, celui sans ou avec et famille et enfants et l’envers de l’image précédente pourra claquer l’écran. Je dirais : s’il vous plaît je vous en prie j’ai une, etc. Il répondrait que dalle. Il tire. Et même ensuite, qui penserait instantanément à effacer les empreintes, à charcuter le corps, à le jeter dans un fleuve en huit ou quinze morceaux ? Et jusqu’où remonter dans l’effacement des traces ? Les empreintes digitales sur le flingue dans la main. Les empreintes de pas dans le ciment, la poussière, d’un trop vague entrepôt. La marche vers l’entrepôt depuis l’arrêt transport le plus proche. Combien de fois apparaître dans combien de bandes de vidéo-surveillance ? Combien de reproductions de soi supprimer pour les effacer toutes ?

    Pierrot, je te jure, j’ai la gueule encastrée dans l’écran. La nuit, je ferme, les yeux, les papillons nocturnes, les étoiles dans les yeux ont la forme chez moi de pixels minuscules. Je vais en cours et je les vois encore. Je prends plus aucune notes. Je dessine, reproduis, de mémoire, la figure des images que je revois la nuit. Les docteur, inspecteur, sergent, commissaire, capitaine et les autres, ceux, toujours, qui ont toujours les mots, les répliques idéales, écrites comme un pense-bête sur l’une de leurs deux paumes. Quand je regarde l’intérieur de mes paumes, aucun mot mais des tâches. Des tâches, de l’encre, et l’envers de mes pages où je commence des mots que je sais pas finir. Les profs, ils sont pas dupes. Ils m’ont répertoriés lâcheur, abruti sans avenir. Un seul d’entre eux diffère. Tu sais auquel je pense. Il a disparu du lycée au même moment que toi.

    Passer mes journées sans prononcer le moindre mot, quelque part, je te rejoins. Quelque part uniquement. Je sais pas où ça peut être. Dans l’une de mes fictions, toutes en réalité, le personnage qui me remplacerait déciderait, après X jours, de partir à ta recherche et de marcher sur tes empreintes à toi, à supposer qu’elles ne soient pas, déjà, totalement effacées. Mais on peut pas penser à tout, pas vrai ? Il y a toujours un indice quelque part, Pierrot, quelque chose négligé. Voilà comment mon personnage pourrait trouver le tien. Dans cette fiction, je te ramènerai, avec les dents s’il faut, et facile pour savoir si mon délire pourrait marcher : regarder au générique si ton nom Pierrot s’y trouve encore. Ou plutôt, le nom de celui qui t’incarne.

  • kbb | Pierrot à 0606667778 #4

    26 février 2011

    Le texte suivant a été modifié et corrigé après sa première mise en ligne. Le texte affiché correspond à la dernière version en date. Pour accéder aux versions antérieures et consulter les retouches effectuées par la suite, cliquer sur le lien en bas de page.

    Je sais mieux que personne : où tu es, qui tu suis. Dans ta chambre vu le poster : Manuel Jodorov papier glacé avec lunettes de soleil en noir et blanc et rouge à lèvres. J’ai vu la photo où toi tu poses, lunettes de soleil noires et rouge à lèvres, devant le poster papier glacé et dans ta chambre papier glacé. Me demande pas comment je l’ai trouvée ou plutôt ce que j’ai fait pour l’avoir. Je sais qu’il est en tournée, connais même les villes qu’il traverse ou bien va traverser. Je sais que toi tu y es, quelque part prêt de lui pour chercher ce qui te manque ou bien pourrait te manquer. Je pourrais parier jusqu’à ton nom, si tu me laissais faire, Pierrot, mon truc le plus précieux. Mais t’en fais pas. Je dirai rien. J’essaierai même pas de chercher. Le plus loin où j’irai ? Écrire ton nom jusqu’à ce qu’il s’épuise.

    Mais rien à voir avec les écrans. Les images. Avec les bouts de télé, LCD ou tactile qui me tapissent la tête. Rien. D’accord ce que je vois maintenant a la forme précise des pixels assemblés mais c’est l’oeil. L’habitude. C’est le panorama qui mâche ou plutôt est mâché par toutes les images que je bouffais avant. Mais je suis dans un tel état, Pierrot, que c’est pas les images, pas les écrans ni rien de ces trucs.

    Je suis passé aux chiottes, juste avant de quitter le lycée et de rentrer chez moi. Dans les chiottes, dernier face au miroir, celui qui ferme. Je suis passé, comme tous les jours, pour y pisser, dans celui-là, celui où j’ai écrit ton nom, en minuscule et dans l’angle, au marqueur Stabylo pour qu’il s’efface jamais. Ton nom, Pierrot, le seul truc digne d’être vu qui soit pas sur l’écran. À l’endroit et dans l’angle, où j’avais mis mes mains, mes bras contre tes cuisses, ton jean sur les chevilles et puis mes doigts glacés. Ton nom, celui au Stabylo censé être indélébile, mais qui l’est pas, puisqu’il y est plus. J’ai cherché partout. Je te jure, Pierrot, dans tous les autres chiottes, des fois qu’il ait glissé, que l’angle ait craché l’encre, que les écrans, aussi, m’aient fait tourner la tête. Ils m’ont fait tourner la tête. Mais il est plus là, Pierrot, je te jure. Et j’ai cherché partout.

    J’avais pas le Stabylo sur moi. Et si je l’écris encore, Pierrot, ton nom, si je remplace celui écrit ce jour mais effacé depuis, comment savoir si ça marcherait pareil ?

    Je me suis enfermé. Ma chambre. J’ai pas mangé : pas envie de manger. Branché les écrans. Trois en même temps, panoramiques, des images différentes. Le son est marqué mute. J’ai gardé les images. Rien d’autre. Et contre ces images, une photo de toi Pierrot, la seule, celle que je possède. J’ai retrouvé l’image du poster en tapant sur Google toutes les lettres et tous les mots. Évidemment, sur celle-là, Jodorov et c’est tout. Toi, comme ici, comme dans les chiottes : nulle part. J’écoute. C’est sa voix plaquée sur l’écran, sur les images. Je me dis que si le son, le sien, recouvre l’image, il soufflera depuis sa gorge comme une espèce d’image de toi.

    Voilà pourquoi j’écoute. Manuel Jodorov. O superman. La voix, la vraie, la sienne et celle de ton dernier texto. Qui me déforme la tête depuis que j’ai lu. Autre image. Cette fois des mots. Lu bout portant, l’oeil collé sur l’écran, on peut voir la forme des pixels. Ceux de O superman, ceux de ta voix plaquée, Pierrot, derrière tes mots, et ceux issus des miens.


    Premier jet du 26/01/11

    Ça n’a rien à voir avec les écrans. Les images. Avec les bouts de télé, LCD ou tactile qui me tapissent la tête. Rien. D’accord ce que je vois maintenant a la forme précise de pixels assemblés mais c’est l’oeil. C’est l’habitude. C’est le panorama qui mâche ou plutôt est mâché par toutes les images captées d’avant. Mais je suis dans un tel état, Pierrot, que c’est pas les images. Pas les écrans. Rien de ces trucs.

    Pierrot je suis passé aux chiottes, juste avant de partir et de rentrer chez moi. Dans les chiottes du lycée, dernier face au miroir, celui qui ferme. Je suis passé, comme tous les jours, pour y pisser, dans celui-là, celui où j’ai écrit ton nom, en minuscule et dans l’angle, au marqueur Stabylo pour qu’il s’efface jamais. Ton nom, Pierrot, le seul truc digne d’être vu qui soit pas sur l’écran. À l’endroit, dans l’angle, où j’avais posé mes mains, mes bras contre tes cuisses, ton jean sur les chevilles. Ton nom Pierrot, celui au Stabylo censé être indélébile, mais qui l’est pas, puisqu’il y est plus. Je l’ai cherché partout. Je te jure, Pierrot, dans tous les autres chiottes, des fois qu’il ait glissé, que l’angle ait craché l’encre, que les écrans, aussi, m’aient fait tourner la tête. Ils m’ont fait tourner la tête. Mais il est plus là, Pierrot, je te jure. J’ai cherché partout.

    J’avais pas le Stabylo sur moi. Et si je l’écris encore, Pierrot, ton nom, si je remplace celui écrit ce jour-là, est-ce que ce sera pareil ? Est-ce que ce sera vraiment la même chose ? Est-ce que l’image est plus importante ? J’en sais rien. Pour ça que je demande.

    Je me suis enfermé dans ma chambre. J’ai pas mangé. J’ai pas envie de manger. J’ai branché les écrans. Trois marchent ensemble, panoramiques, ils diffusent des images différentes. Le son est mute. J’ai gardé les images. Juste les images. Et contre ces images, une photo de toi Pierrot, la seule, celle que je possède, toi dans ta chambre, derrière toi papier glacé poster de Manuel Jodorov, en noir et blanc, les lunettes noires, le rouge à lèvres rouges. J’ai retrouvé l’image du poster sur Internet. Évidemment, sur celle-là, tu n’y es pas. Uniquement Jodorov. Et je l’écoute. C’est sa voix que j’écoute superposée aux écrans, aux images. Je me dis que si le son, le sien, recouvre ces images, il soufflera depuis ailleurs, depuis sa scène, ses concerts, ses tournées, un petit bout de toi, Pierrot, toi qui le suit, je sais, faut pas me dire le contraire, je sais, je sais mais n’y vais pas, ne suis pas, je reste là, planté devant les écrans, les images, car les images, c’est tout, voilà ce que je peux tolérer. Comme cette photo. Ou comme ton nom au Stabylo. Comme les milliards d’autres. Toutes celles qui taisent dehors, la réalité.

    Voilà pourquoi j’écoute Manuel Jodorov. O superman 1. Celle de ton dernier texto. Celle qui me déforme la tête depuis que je l’ai lu. Une autre image. Cette fois des mots. Lu depuis si près, l’oeil collé sur l’écran, on peut voir la forme des pixels. Ceux de O superman, ceux de tes mots Pierrot. Ceux des miens.

    Mais Pierrot laisse-moi te poser une question. Si tu es avec lui, si tu le suis encore, Manuel Jodorov, laisse-moi savoir : est-ce que tu deviens lui ? Est-ce que c’est ça le but ? Et moi resté derrière, pourquoi j’y suis pas, pourquoi je me rattache à un nom effacé, aux images ressassées ? Et puis peut-être, dis moi, si ça se trouve, dis-moi Pierrot, je pourrais partir moi aussi, peut-être, moi aussi... ?

  • kbb | Pierrot à 0606667778 #5

    26 février 2011

    Le texte suivant a été modifié et corrigé après sa première mise en ligne. Le texte affiché correspond à la dernière version en date. Pour accéder aux versions antérieures et consulter les retouches effectuées par la suite, cliquer sur le lien en bas de page.

    J’ai préparé un sac. J’étais près à partir, rejoindre Jodorov, ne pas te chercher. Te trouver si ça se trouve. J’ai juré que je te chercherai pas, Pierrot, mais ça m’empêche pas d’essayer sans savoir. Si s’y vais les yeux clos, je tricherai pas, c’est pas pareil.

    Il faut que je te parle du film que j’ai vu aujourd’hui. Ça commence : une voiture. Le générique s’affiche, la limousine avance. De nuit. À l’intérieur une femme, devant elle un homme. Elle demande pourquoi il s’arrête. L’homme avec un flingue la braque. Avec un flingue, Pierrot, sorti de nulle part.

    Mon sac Eastpack. J’y ai mis quoi : des fringues, du fric, ce que j’ai pu tirer. Quoi d’autre ? Je me suis posé la question toute la journée. Je me suis retourné la tête pour savoir quoi rédondre.

    Une voiture arrive, des types roulent comme des dingues, ils les percutent par l’arrière. La deuxième voiture rentre dans le coffre de la première voiture : elle est projetée sur plusieurs mètres.

    J’ai demandé à ma mère de laver toutes mes fringues. De cette façon savoir quoi mettre et quoi porter. Je sais pas trop comment se fringuer quand on est, comment tu dirais, Pierrot : en fuite ? J’essaye de deviner quoi mettre sur moi, dans le miroir devant, recouvert de buée.

    La femme sort de la limousine sur le bord de la route. Elle boite, titube, s’enfonce dans un fossé. Au-delà un boulevard, la ville.

    Je sais pas si c’est vraiment important. Je sais déjà ce que portent ceux qui suivent les concerts de Jodorov, mais c’est pas exactement ça, pas vrai ?

    Elle remonte la rue, toujours en titubant, toujours la nuit, toujours elle boite. Elle arrive devant une maison. Quelqu’un part, entasse des bagages dans le coffre d’une voiture. Elle entre, se cache à l’intérieur de la maison. La voiture s’en va. Et elle à l’intérieur.

    Bien sûr que j’ai mon MP3, bien sûr qu’il est chargé. Mis à jour avec les derniers trucs trouvés. Des gigas, des heures, de son prévus pour. Quoi, j’en sais rien. Te suivre. Te voir. Ne pas te chercher. Trouver par hasard. Par hasard complètement. Je me demande juste quelle chanson mettre pour le moment où faudra bien passer la porte.

    Quelqu’un arrive. Une autre femme. Elle sort de l’aéroport, un taxi la dépose devant la maison, elle entre. Pose se affaires. Visite l’appartement. Ouvre la bouche en grand, les yeux. Elle entre dans la salle de bain. Il y a un bruit.

    Dans le miroir, la buée me censure. J’ai plus de visage, Pierrot, plus d’oeil, de membres. Tout ce que je vois, c’est silhouette faite de chair et de peau. Uniforme et puis floue. Je me dis que si je me force, c’est ton corps, Pierrot, que je pourrais imposer juste à la place du mien. Ta peau, tes os. je dois plisser les yeux si fort, Pierrot, pour te voir à ma place que des fois, pendant une seconde, juste une seconde pas plus, j’ai l’impression de plus rien voir du tout, d’avoir les yeux fermés.

    Il y a quelqu’un dans la cabine de douche. La femme du premier plan. Le verre est dépoli mais transparent, on voit qu’elle est à poil. L’autre femme s’excuse, elle savait pas qu’elle était là, on lui avait rien dit, dit-elle. La femme du premier plan terrorisée dit pas un mot. L’autre femme s’excuse et quitte la pièce et puis revient. Lui demande son nom. La femme du premier plan, à poil, a le regard qui tremble, elle est terrorisée mais plus encore qu’avant et elle sait pas répondre.

    Pierrot, je suis comme cette femme. Tremblante à poil, terrorisée, toute seule dans une douche mais sans eau, qui connaît pas son nom. Pour te voir, je ferme les yeux, la buée fond. Celui qui me vient, Pierrot, le nom qui me vient toujours quand j’y pense sans penser, Pierrot, c’est, putain, le tien. Toujours c’est le tien.


    Premier jet du 04/02/11

    J’ai préparé un sac, des affaires. J’étais près à partir, rejoindre Jodorov, ne pas te chercher. Peut-être te trouver. J’ai juré que je te chercherai pas, Pierrot, mais ça m’empêche pas d’essayer sans savoir. J’espère te trouver quand même.

    Pierrot laisse-moi te dire, c’est à propos du film que j’ai vu aujourd’hui. Ça commence : une voiture. Le générique s’affiche, une limousine avance. La nuit. À l’intérieur une femme, devant elle un homme. Elle demande pourquoi il s’arrête ici. L’homme la braque avec un flingue. Avec un flingue, Pierrot, sorti de nulle part.

    Un sac, des affaires. J’ai mis quoi ? Des fringues, un peu d’argent, ce que j’ai pu tirer. Quoi d’autre ? Qu’est-ce que je peux avoir que je voudrais emporter ? Pierrot, je me suis posé la question toute la journée. Je me suis retourné la tête avec cette question. Complètement. Le problème c’est pas que j’ai pas trouvé la réponse, le problème c’est que la réponse c’était du vent : que dalle, voilà.

    Mais une voiture arrive, des types roulent comme des dingues, ils les percutent par l’arrière. La deuxième voiture rentre dans le coffre de la première. La limousine est projetée sur plusieurs mètres.

    J’ai demandé à ma mère de laver mes fringues, toutes. De cette façon savoir quoi mettre et quoi emporter. Je peux pas tout emporter, je sais. Je sais pas ce qu’on est censé porter quand on est, comment tu dirais, toi, Pierrot : en fuite ? Moi, j’en sais rien. Moi, je me devine, dans le miroir devant moi, recouvert de buée.

    La femme sort de la limousine, celle du tout premier plan, elle sort de la voiture compactée sur le bord de la route. Elle boite, titube, elle s’enfonce dans un fossé, et au-delà un boulevard, la ville.

    Est-ce que c’est important Pierrot, est-ce qu’il faut s’habiller particulièrement pour sortir, pour ne jamais revenir ? Je sais déjà ce que portent ceux qui suivent les concerts de Manuel Jodorov, mais c’est pas exactement ça, pas vrai ? C’est pas exactement comme pour un concert, hein ?

    Elle remonte la rue. La femme du premier plan. Elle remonte la rue, toujours en titubant, toujours la nuit, toujours elle boite. Elle arrive devant une maison. Quelqu’un part, entasse des bagages dans le coffre d’une voiture. Elle entre, se cache a l’intérieur de la maison. La voiture s’en va.

    Bien sûr que j’ai mis mon MP3 dans le sac, bien sûr qu’il est chargé. Mis à jour avec les derniers trucs trouvés. Des gigas, des heures, de son prévus pour. Pour quoi, j’en sais rien. Pour te suivre. Pour te voir. Pour ne pas te chercher. Te trouver par hasard. Par hasard complètement. Je me demande quelle chanson je pourrais mettre pour le moment où je passerai la porte et ne me retournerai plus.

    Quelqu’un arrive. Une autre femme. Elle sort de l’aéroport, c’est un taxi qui la dépose devant la maison, et elle arrive. Elle entre. Pose se affaires. Visite l’appartement. Ouvre la bouche en grand, les yeux. Elle entre dans la salle de bain. Il y a un bruit.

    Dans le miroir, la buée m’anonyme. J’ai plus de visage, Pierrot, plus d’oeil, plus de membres. Tout ce que je vois, c’est silhouette faite de chair et de peau. Tout uniforme. Je me dis que si je me force, c’est ton corps, Pierrot, que je pourrais imposer juste à la place du mien. Ta peau, tes os. je dois plisser les yeux si fort, Pierrot, pour te voir à ma place que parfois, pendant une seconde, juste une seconde pas plus, j’ai l’impression de plus rien voir du tout, d’avoir les yeux fermés.

    Il y a quelqu’un dans la cabine de douche, la femme du premier plan. Le verre est dépoli mais transparent, on voit qu’elle est nue. L’autre femme s’excuse, elle ne savait pas qu’elle était la, on ne l’avait pas avertie. La femme du premier plan est terrorisée, ne dit pas un mot. L’autre femme s’excuse et quitte la pièce. Elle revient. Elle lui demande son nom. La femme du premier plan, nue, a le regard qui tremble, elle est terrorisée. Elle ne sait pas répondre.

    Pierrot, je suis comme cette femme, ce film. Pierrot, je suis cette femme. Tremblante à poil, terrorisée, toute seule dans une douche sans la moindre goutte d’eau, qui ne sait pas son nom. Je ferme les yeux pour te voir, la buée se dissipe. Celui qui me vient, Pierrot, le nom qui me vient quand j’y pense sans penser, Pierrot, c’est, Pierrot, le tien. Toujours c’est le tien.

  • fuir, là-bas fuir, par François Bon

    4 mars 2011

    Tu réponds à la tentation de fuir. Tu connais de si longtemps la tentation de fuir. Qui ne vit pas avec la tentation de fuir. Étais entré dans ta pièce un qui l’avait nommée : il était là, toi tu étais accroupi par terre, à écrire à ta machine branchée sur le réseau, comme d’habitude tu fais, ta paillasse auprès par terre aussi, et la porte là-bas au fond – voilà qu’il était là, il était debout devant toi et avait dit : « Tentation de fuir, la tentation de fuir », évidemment tu avais pensé, évidemment une notation juste mais le type était déjà reparti, toi à nouveau devant ta machine mais plus du tout sûr que ce soit par là. Tentation de fuir : l’écran sans doute, ou la lucarne là-haut, la vitre dépolie et de l’autre côté parfois selon le soleil deviner la présence d’un arbre, ou selon vent et heure la rumeur indéfinie de la ville, sirène ou engin de chantier, pression sourde. Ou la porte : puisque ce type était entré, puisque toi tu étais là mais que donc il y avait une porte et de l’autre côté possibilité libre de circuler, peut-être toi aussi d’aller vers le couloir (tu connaissais ce couloir), entrer dans d’autres cellules et dire à ceux qui s’y activaient derrière leur écran : « Tentation de fuir, la tentation de fuir ». Mais c’était si pareil dans les rêves : dans le rêve aussi tu étais dans cette pièce nue, avec paillasse et écran, dans le rêve aussi il y avait la ville profuse au loin dans sa rumeur sourde, dans le rêve aussi parfois tu allais dans le couloir et poussais les portes, une fois même c’est toi que tu avais trouvé, situation de double parfaite et tout aussi parfaitement menaçante, c’était perceptible dans le regard que vous aviez échangé, « tentation de fuir », cette fois tu n’avais même pas prononcé ce que tu devais dire, tu avais reculé sans le quitter des yeux, étais vite rentré ici. Il ne te ressemblait pas, celui qui tout à l’heure était venu, bien plus jeune et – il te semblait – plus dur, bien plus dur. Ceux d’aujourd’hui ont une dureté que nous n’avons pas, pensais-tu. Nous avons trop composé avec ce vieux monde d’où nous venons, pensais-tu. Donc il faudrait fuir. Tu es assis par terre dans la cellule grise, la couchette par terre aussi, et l’écran que tu manipules. Où est le dehors, tu penses, et tentes de le représenter, où le passage qui mène vers dehors. Et tu fais la liste de tes tentatives, des autres pièces où tu as pu t’installer, des autres couloirs, de l’autre côté d’autres cours, et le même ciel gris ou son absence. « Il n’y a pas de dehors », tu te souviens d’une conversation, une fois, avec un de ces types qui parfois – comme d’ailleurs toi-même parfois –, entrent dans votre pièce, et puis repartent. On s’incruste dans l’instant. On se concentre sur un problème complexe. On essaye de dénouer le temps, ces étapes du passé, et comment on en était venu là. On est en paix, on peut être en paix avec sa propre inquiétude. Parfois, tu envoies des messages. Parfois, ils te reviennent. Du mot « fuir » aussi on avait échangé : dans le 9ème alinéa de la définition de fuir par Littré tu avais trouvé « Terme de peinture. Il se dit des parties du tableau qui paraissent s’enfoncer dans le lointain. Ce fond fuit très bien. Terme de marine. La côte fuit dans telle aire de vent. » Mais là tout de suite, des années après, est-ce que ça avait de l’importance, tu pensais, est-ce que ça comptait ce genre d’explication, est-ce que ce n’était pas cela aussi qu’il te fallait fuir, que tu avais fui ? Demain tu changerais de pièce, tu te disais, tu irais dans l’autre cour, et puis plus loin.

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    Tiers Livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.

    Il se trouve que je réponds à la tentation de fuir. J’y réponds en permanence, ici et ailleurs. Grand plaisir, donc, d’accueillir ici ce texte de François Bon pendant que lui me reçoit, ailleurs, pour un texte issu d’avant, préparé pour après. Ce n’est pas aussi compliqué que ça en a l’air.

    Très content d’avoir été sollicité par François pour cet échange, d’abord parce que Tierslivre est un espace de lecture quotidienne, que je fréquente depuis longtemps, à l’origine pour moi c’était à l’occasion d’un colloque. Ensuite parce que ce texte issu du verbe fuir fait directement écho à des angoisses, des masques, des traits de caractères qui forment mon écriture et que j’orchestre ici, sur ce site biscornu. Enfin parce que cet autre texte mis en ligne sur le Tierslivre demandait à mordre depuis plusieurs mois maintenant, début sans doute d’une série que j’aimerais poursuivre, toujours chez les autres, à suivre alors sans doute lors de prochains vases communicants.

    Voilà la liste complète des vases communicants pour mars 2011 :


     Candice Nguyen et Christine Jeanney
     Sam Dixneuf et Stéphane Bataillon
     Juliette Mezenc et Christophe Grossi
     François Bon et Guillaume Vissac
     Michel Brosseau et Jean-Marc Undriener
     Estelle Javid-Ogier et Jean Prod’hom
     Anna Vittet et Joachim Séné
     Cécile Portier et Christophe Sanchez
     Clara Lamireau et Urbain trop urbain
     Anita Navarette-Barbel et Arnaud Maïsetti
     Morgan Riet et Murièle Modély
     Nolwen Euzen et Benoit Vincent
     Maryse Hache et Michèle Dujardin
     Elise et Piero Cohen-Hadria
     Anne Savelli et Franck Queyraud
     Dominique Hasselmann et Dominique Autrou
     Marlène Tissot et Vincent Motard-Avargues
     Kouki Rossi et Brigitte Célérier

  • kbb | Pierrot à 0679889047 #5

    6 mars 2011

    Je regrette rien. De ce que j’ai fait. Pas fait. De ce que j’ai dit, où je suis allée, qui j’ai aidé. Suivre ta mère, aller chez toi, ouvrir ton ordi. Je te dois rien. Tu me dois rien. On se connaît pas. Et on est quitte.

    Suivre ta mère m’a permis d’aller chez toi. Aller chez toi de voir ta chambre. Voir ta chambre trouver l’ordi. Puis c’est tout. Ça s’arrête là. J’ai vu, j’ai parlé. Rien de tout ça m’explique pourquoi. Pourquoi tu t’es barré, ce que t’as fuit au fait. Je pensais voir, pensais comprendre. Comme avec une esquisse où voir ça suffirait. Chez toi ça suffit pas.

    Je me suis posée la question. Savoir si je serai prête à fuir. À tout plaquer. Oublier, ma famille, le lycée, ma vie. Oublier toute celle encore écrite en pointillés. Oublier médecine et mes parents le répétant jusqu’à ternir le mot. Oublier mes marges, mes mots coincés à l’intérieur. Oublier mes esquisses, toi, moi, redéfinis par les mots, les marges, le reste. Je me pose encore la question. Je pèse le pour, le contre. Me demande si toi aussi. Si tu as pesé. Le même genre de pour et le même genre de contre, avant de prendre ta saloperie de décision. J’aimerais savoir : ce serait une décision qu’on prend ? Ou quelque chose qu’on sait ?

    Tu commences à me connaître. J’ai mis ces doutes dans de l’encre et puis cette encre je l’ai écrite. Ces questions. Du moins j’ai voulu. J’ai pris mes mots. Mes marges. Mes doigts silencieux balancés sur l’écran. Le clavier en sourdine, éteinte la lampe. Mes mots censés déplier des mystères. J’ai voulu. J’ai essayé. Mais mes mots, ils sont où ? J’ai cherché. Ni sur l’écran, ni dans mes marges, ni dans mes doigts. Encore moins dans ma tête. Je suis restée les bras autour. Tout autour de mon corps. À voir clignoter sur l’écran le curseur. À voir le noir jaillir. L’écran de veille pointer. Peut-être me suis même endormie, dans le noir si factice de l’écran trop éteint. Mes mots tus dans ma gorge. Des fourmis dans les doigts. Mes doigts inutiles. Les yeux secs, la langue lourde.

    Je crois que c’est pour ça, Pierrot, que j’arrive pas à te comprendre. Pour ça que l’écran blanc le reste. Que mes doigts sont silence. J’ai pas les mots pour. Ou bien je les cherche. Pour ça que moi, je pourrais pas partir. Parce que je cherche encore.


    Premier jet du 04/02/11

    Je regrette rien. De ce que j’ai fait. Ou pas fait. De ce que j’ai dit, où je suis allée, qui j’ai aidé. Suivre ta mère, aller chez toi, ouvrir ton ordi. Je te dois rien. Tu me dois rien. On se connaît pas. On est quitte.

    Suivre ta mère m’a permis d’aller chez toi. Aller chez toi de voir ta chambre. Voir ta chambre trouver l’ordi. Puis c’est tout. Ça s’arrête là. J’ai vu, j’ai parlé. Rien de tout ça m’explique pourquoi. Pourquoi tu t’es barré, ce que t’as fuit au fait. Je pensais voir, pensais comprendre. Comme avec une esquisse où voir ça suffirait. Chez toi voir ça suffit pas.

    Je me suis posée la question. Savoir si je serai prête à fuir. À tout plaquer. Oublier, ma famille, le lycée, ma vie. Oublier toute celle encore écrite en pointillés. Oublier médecine et mes parents le répétant jusqu’à ternir le mot. Oublier mes marges, mes mots coincés à l’intérieur. Oublier mes esquisses, toi, moi, redéfinis par les mots, les marges, le reste. Je me pose encore la question. Je pèse le pour. Le contre. Me demande si toi aussi. Si tu as pesé. Le pour, le contre. Avant de prendre ta décision. J’aimerais savoir c’est une décision qu’on prend ? Ou quelque chose qu’on sait ? Quelque chose qui est là. Évidence. J’aimerais savoir pourquoi.

    Tu commences à me connaître. J’ai mis ces doutes par écrit. Ces questions. Du moins j’ai voulu. J’ai pris mes mots. Mes marges. Mes doigts silencieux balancés sur l’écran. Le clavier en sourdine, éteinte la lampe. Mes mots censés déplier des mystères. Ailleurs, autres chambres, autres têtes : ça dort. J’ai voulu. Essayé. Mais mes mots, ils sont où ? J’ai cherché. Ni sur l’écran, ni dans mes marges, ni dans mes doigts. Encore moins dans ma tête. Je suis restée les bras tout autour. Tout autour de mon corps. À voir clignoter sur l’écran le curseur. À voir le noir jaillir. L’écran de veille se pointer. Peut-être je me suis endormie. Dans le noir si factice de l’écran éteint. Mes mots tus dans ma gorge. Des fourmis dans les doigts. Mes doigts inutiles. Les yeux secs, la langue lourde.

    Je crois que c’est pour ça, Pierrot, que je capte pas. Que l’écran blanc le reste. Que mes doigts sont silence. J’ai pas les mots pour. Ou bien je les cherche. Pour ça que moi, je pourrais pas partir. Pour ça que je cherche encore.

  • Comment faire disparaître environ dix mille personnes ?

    12 mars 2011

    J’ai toujours eu cette impression. Il y a des foules derrière mon dos qui se déplacent en contresens. Ensuite, seulement, j’ouvre les yeux. Ce qui ne veut pas dire qu’ils étaient fermés pour autant. Ça veut simplement dire ce que ça veut simplement dire.

    J’ai laissé tombé mon masque depuis longtemps. Mon masque de Rimbaud, quelque part il explose, oui mais sans moi. Les gars dans les camions m’ont fait de la place, ont dit : tu es mieux avec nous que contre nous. Ils disent que si j’étais resté, on m’aurait fait sauter. J’ai dit oui mais moi je voulais me faire sauter, j’avais la dynamite.

    J’ai vu le tremblement de terre sur l’écran, voilà ce qui a tout déclenché. Ils ont dit au micro que dans une certaine ville ils restaient sans nouvelle d’en tout dix mille personnes. Enfin encore toujours cette impression, la même, celle où les foules avancent. Je l’ai lâché mon masque, mon masque de Rimbaud. La dynamite ? C’en était pas. C’était de la nitro. Je l’ai lâchée aussi dans un grand container pour les matières plastiques.

    Les gars dans les camions m’ont fait de la place, ont partagé leur bouffe et même leurs bouteilles, de l’eau du robinet siphonnée de la veille, avant-veille, peut-être pire. Je leur dis que je suis ce qu’on appelle à l’écran un Rimbaud volontaire. Personne ne m’a forcé, endoctriné, lavé la tête, le reste. Et je ne veux pas mourir, pas plus que n’importe quel autre fou qui ne porte pas ou pas encore un masque de Rimbaud ou autre. Là-bas ce qu’on disait c’est que ce mec cherchait les catastrophes. Je suis ce mec, le même.

    Ils me disent qu’ils iront où le camion ira et ensuite, comme tout le monde, faudra gagner Dzoosotoyn Elisen. Aucun de ceux-là n’a mâché tous les sons du mot Dzoosotoyn Elisen, il aurait fallu prononcer, ils ont dit Elisen et j’ai compris malgré ce qui manquait. Tu devrais venir aussi, ils me disent, là-bas ce sera sûr et je dis rien n’est sûr, et moi je vais plus loin. Où ça plus loin ? J’ai dit il y a cette ville là où tout se déchire, j’ignore encore son nom.

  • Les éoliennes

    30 mars 2011

    J’ai laissé tomber le masque mais les tatouages résistent. « Je suis un éphémère » écrit à l’encre noire et puis du côté droit, en biais, dessous la clavicule.

    Les gars dans les camions m’ont laissé où je me perds, la forme des routes a disparu derrière eux une fois la poussière léchée par les cimes. À en croire les fous locaux qui nous ont indiqué le chemin plutôt avec les mains, avec les yeux qu’avec la gorge, Dzoosotoyn Elisen se trouve quelque part derrière ces montagnes.

    Je leur ai fait signe avant qu’ils disparaissent. J’ai étiré les bras et toutes mes épaules vers le haut comme s’il fallait voir mais voir au-delà de ce qu’offrent les yeux. Quelque chose a craqué au niveau du sternum. Il y a toujours quelque chose au niveau du sternum qui s’apprête à craquer. J’ai ramassé mes affaires et j’ai repris la marche précisément là où toutes les articulations crissent et forment aussi le rythme.

    Je me suis arrêté pour que l’ombre me calme la nuque. Bien sûr, ici, l’ombre des pales est circulaire et elle ne reste jamais en place. Je me suis dit au moins, pour une seconde à peine, j’ai connu la fraîcheur. Combien sur les collines, je ne les ai pas comptées, mais des centaines au moins.

    Plus loin entre l’ombre des pales j’ai repris ma route et je ne sais pas où je suis, qui pas mieux.

  • 050411

    5 avril 2011

    Avant départ ce samedi pour ailleurs, j’aimerais parvenir à liquider les trucs en cours, ce qui équivaudrait à liquider la Tête et tout ce qu’elle contient. Un ailleurs proche et quelques jours, pas plus, n’empêche que d’ici là j’aimerais que tous ces fichiers soient clos. D’abord (mais c’est en cours) s’occuper des mises à jour prévues sur Livre des peurs primaires et Qu’est-ce qu’un logement. Pour ce dernier version audio normalement terminée, simplement réécouter l’ensemble pour vérifier que c’est conforme. Pour le Livre des peurs ajout de 130 fragments au 100 fictions originelles et organisation des nouveaux textes comme une marelle, conformément à la structure mise en place sur le premier fichier. Après quinze jours passés à tout relire puis corriger puis réécrire ne reste plus dès à présent qu’à finaliser la mise en forme.

    J’aimerais aussi dès vendredi avoir terminé Infinite Jest. Je ne m’explique pas vraiment pourquoi mais l’intuition qu’un déplacement géographique peut influencer toutes mes lectures en cours, en fait je le sais d’avance. Combien de fois je me suis assis devant le livre en cours (ou bien le texte, ou bien le site) et me suis dit, ne me trouvant plus exactement à la même place que les jours précédents ni même sous les mêmes toits, que ma lecture était foutue pour cause d’incompatibilité de latitude ?

    ’Katherine, I will tell you a story about feeling so bad and saving a life. I do not know you but we are drunk together now, and will you hear this story ?’
    ’It’s not about Hitting Bottom ingesting any sort of Substance and trying to Surrender, is it ?’
    ’My people, we do not hit the bottoms of women. I am, shall we say, Swiss. My legs, they were lost in the teenage years being struck by a train.’
    ’That must have smarted.’
    ’I would have temptation to say you have no idea. But I am sensing you have an idea of hurting.’
    ’You have no idea.’

    David Foster Wallace, Infinite Jest

    Idem aussi pour la nouvelle d’Amy Hempel en cours de traduction, celle qui donne son titre au recueil : The Dog of the Marriage. La terminer, impossible, mais au moins arriver au bout d’une première version que je pourrais ensuite relire et corriger là-bas.

    Avant de partir aussi prendre la CB, télécharger directement un texte dont jusque là on n’a jamais trop entendu parler, auteure idem, et qui s’appelle Inferno. Peut-être le lire là-bas ? Alors qu’une certaine boite s’ouvre et se monte et se signale via Twitter pour attirer le client j’envoie, sait-on jamais, un message de moins de 140 caractères : est-ce que par hasard ils recrutent ? mais je me dis si jamais ils répondent, je ne serais plus là pour y être.

    Quant à Dzoosotoyn Elisen, pas la peine d’y penser. On est encore trop embourbé au niveau du ventre pour ne serait-ce que croire qu’une fin peut être atteinte.

  • 100411

    10 avril 2011

    J’ai dit à H., dans la bagnole, entre ici et là-bas, tu sais suis incapable de juste montrer sur une carte l’endroit qu’on va rejoindre et, ensuite, après notre arrivée hier et premier jour ce matin je saurai toujours pas, toujours pas comment dire, au juste, où on est ni pourquoi.

    Je crois que c’était ça le but.

    J’aurais envie d’écrire ici ou ailleurs, sur papier, sur écran, sur messagerie perdue dans un portable éteint, peu importe, que, chère maman, oui, nous sommes bien arrivés, que le voyage s’est bien passé et, oui, que c’est superbe ici, car il n’y a tout simplement pas le moindre son autre que nos propres respirations, idées, humeurs, pulsations sous le voile de la peau car c’est la nature, la vraie. Hier soir, nuit tombante, avons traversé un bois dans le noir ou le gris, au sol tapis entiers de fleurs de gaz, pétales bleus, bout de la tige, dans la nuit, l’air gris ras du sol, on aurait dit quelque part ou ailleurs (ailleurs, là encore) que la flamme Butagaz était là tout autour prête à servir de prétexte à sa détonation (mais j’avais pas d’allumette). J’écrirais également que, non, chère maman, nous n’avons ni allumé la télévision ni branché nos laptops, car la lumière et le jour sont ici véritables et, il se trouve que, non ce n’est pas une blague, il y a des chevaux juste à côté d’ici, là-bas, séparés de nous-mêmes par une simple barrière et, l’un d’entre eux, je le crains, serait du genre à nous tourner autour jusqu’à nous rendre fous, alors je me méfie, sois sûre, je me méfie big time.

    Comme dans la chanson, je voulais voir Honfleur, nous avons vu Honfleur, est-ce que sinon, surtout, le serveur du resto était libre ? Fallait, c’est vrai, lui poser la question. Sur la plage, plus loin, baignade interdite, vue sur Le Havre industriel, et entre nous navire, plate-forme plutôt, baptisé Atlantis, et dont le job était visiblement d’aspirer la tôle, la merde, la caillasse pris au fond de l’eau grise. On a maté, scrupuleusement, le métal remonter. La photo vient de là.

    Seulement, voilà, mes mots, ma lettre, le lendemain de l’arrivée, prendrait plutôt la forme d’un texto qui dirait simplement : chère maman, oui nous sommes bien arrivés, oui sommes toujours vivants (jusqu’à preuve du contraire). Plus tard, N. par texto me demandera si on peut se voir, si on peut juste se voir, mardi peut-être, et ce que je répondrai : je ne suis pas ici.

  • kbb | Pierrot à 0688879911 #2

    18 avril 2011

    Qui dans l’équipe savait ? À part moi, personne. Celui dans l’axe qui a repris ton numéro coupable dimanche d’une de ces fautes de marquage, du genre à me faire gueuler, dans le même souffle, à la fois « qu’est-ce tu fous » et puis « on se bouge, pas grave ». La saison dernière oubliée. Quatre ou cinq, en plus de toi, à avoir lâché entre temps, on a renouvelé les noms floqués sur le dos des maillots. Et qui pour juste regretter ta présence, ta couverture, ton numéro ? Je crois je suis le seul.

    Dans l’axe le type en question trois mètres derrière son mec, une tête, impact frappé niveau point de pénalty, ça pardonne pas. C’est inutile de faire semblant de plonger trois secondes après, la balle déjà dans le petit filet opposé avant même que le corps sache. Des fois, c’est tout, on peut rien faire. Le mec en face fusille, certains plongent pour faire genre, moi je plonge pas. Je sais déjà quand c’est foutu, quand c’est hors de portée, hors de mes bras du coup. Évidemment, si le défenseur avait fait son boulot, simplement le gêner dans son élan, le retenir par le maillot jusqu’à ce que l’épaule sorte par le col, le tout derrière l’oeil de l’arbitre histoire de pas se faire prendre... Mais en plein cœur du jeu, déjà trois mètres derrière, qu’est-ce tu veux faire ? Alors il a sauté pour faire genre il y était mais, non, il y était pas. Pour ça que j’ai dit « putain », pour ça que j’ai dit « allez », toujours dans le même souffle et moins de quinze secondes à peine pour servir d’intervalle.

    Ce match, on l’a perdu, on n’y était pas. J’en ai pris trois, de ces matins dimanche ou même la boue devant six mètres est dure comme de la terre figée. Sur le sol des douches l’eau coulait noire. Avant de rentrer nos peaux bleues l’étaient jusqu’aux coudes, en sortant rouges et bouillantes et la gueule déformée. À se rhabiller sans se voir, ranger maillot, les gants, le short, dans le sac et puis bye, sans trop de mot pour l’autre. Taper contre les murs les pompes pour que se détachent les mottes de terre bien sèches. Et fuir le stade sans voir, autour, trois autres matchs joués au même moment que le nôtre et qui se terminent mieux.

    Avant le match j’en ai parlé aux autres, je les ai juste prévenus, de toi je veux dire et de comment t’as fait pour fuir. Je te dirai pas ce qu’ils ont dit, et je crois pas que tu veuilles savoir et, même, je crois que tu sais. Je suis sorti sans eux pour l’échauffement. Tout seul face au mur du gymnase faire quelques prises de balle pendant qu’à l’intérieur le coach devait gueuler qu’il fallait mordre, ou qu’il fallait les prendre, les tenir, leur marcher dessus dès l’entrée de jeu. Moi aussi ça me fait marrer tu sais.


    Premier jet du 18/01/11

    Qui dans l’équipe savait ton absence ? À part moi personne. Celui dans l’axe qui a pris ton numéro coupable dimanche d’une de ces fautes de marquage qui m’a fait dire, dans la même phrase, à la fois « qu’est-ce tu fous » et « pas grave on se reprend ». La saison dernière oubliée. Quatre ou cinq, en plus de toi, à avoir lâché entre temps, l’effectif renouvelé. Et qui pour juste regretter ta présence, ta couverture, ton numéro ? Que moi, je crois.

    Le type en question trois mètres derrière son mec, une tête, point de pénalty, ça pardonne pas, même pas besoin de faire semblant de plonger trois secondes après, la balle déjà dans le petit filet opposé. Des fois, c’est tout, on peut rien faire. Le mec en face fusille, certains plongent pour faire genre, moi je plonge pas. Je sais déjà quand c’est foutu, et quand c’est hors de portée, hors de mes bras. Évidemment si le défenseur avait fait son boulot, simplement le gêner dans son élan, le retenir par le maillot jusqu’à ce que l’épaule sorte par le col, le tout derrière l’oeil de l’arbitre histoire de pas se faire prendre. Mais à trois mètres derrière, qu’est-ce tu veux faire ? Alors il a sauté pour faire genre il y était mais il y était pas. Pour ça que j’ai dit « putain », pour ça que j’ai dit « allez », toujours dans la même phrase et moins de quinze secondes dans l’intervalle.

    Ce match, on l’a perdu, on n’y était pas, je sais pas au juste où on pouvait être mais à côté sûrement. J’en ai pris trois, de ces matins glacés ou même la boue aux six mètres est dure comme de la terre congelée. Sur le sol des douches l’eau coulait noire. Avant de rentrer nos peaux bleues l’étaient jusqu’aux coudes, en sortant rouges et bouillantes et puis la gueule qui tire. À se rhabiller sans se voir, ranger maillot, gants, shorts, dans le sac et puis bye, sans un mot. Taper contre les murs les pompes pour que se détachent les mottes de terre bien sèches. Puis quitter le stade sans voir, autour, trois autres matchs joués en même temps que le nôtre qui se terminent.

    Avant le match j’ai dit aux autres, je les ai simplement prévenu, j’ai parlé de toi. Parti, j’ai dit disparu, où ça je sais pas mais ailleurs. Je te dirai pas ce qu’ils ont dit, je crois pas que tu veuilles savoir. Le fait est que j’ai rigolé deux minutes avec eux, je m’excuserai pas pour ça. C’est juste une façon de parler. Je suis sorti avant les autres pour mon échauffement. Tout seul face au mur du gymnase faire quelques prises de balle pendant qu’à l’intérieur le coach devait gueuler qu’il fallait mordre, ou qu’il fallait se bouger.

  • 220411

    22 avril 2011

    Je sais toujours jusqu’où m’asseoir une fois littéralement en train, à droite ou bien à gauche, pour ça faudrait encore qu’on soit soit le matin ou bien en fin d’après-midi car à ces heures précises je sais toujours sur quel bord versera le soleil (toujours je choisis l’ombre). À gauche en tenant devant moi le sens du train, toujours. En début d’après-midi tout est très différent (car le soleil ondule). Alors je suis jamais bien sûr de choisir quel côté, quelle bordure, quelle fenêtre, me couperait la lumière (car toutes les voies tortillent) alors je prends le risque de m’y exposer (et ça ne manque jamais).

    Sur la place où j’attends N. des flyers collés à même n’importe quel mur, du genre qui plaque sur le papier photo d’un mec qui s’y attendait pas et descriptif physique, son nom, son âge, ce qu’il portait le jour, le J, celui où il aurait radicalement disparu (en bas de la page un numéro à contacter si jamais si) et je me demande si finalement ce serait pas un peu tous notre cas, des disparus mais qui s’ignorent ? (Qui sait ensuite où j’ai bien pu aller.)

    J’ai dit à N. (entre autres) qu’évidemment il nous fallait consommer ; on est allé chercher des pages. N. un bouquin appelé Cornes et plumes dans la littérature médiévale (Attributs, signes et emblèmes), moi des mecs jeunes et inconnus que j’aurais choisis au pif (d’abord j’ai cherché niveau livre, ensuite aussi dans les revues, ensuite me suis souvenu que ces mecs là on les trouvait quasiment plus que sur le net et me suis dit ah oui). Dans les allées, tête de gondole, on a trouvé un livre pour célébrer le centenaire de Gallimard, un catalogue qui reprendrait visiblement tous les titres édités depuis 1911, le tout vendu pour une vingtaine d’euros, alors petite pensée pour l’ami @roideséditeurs en effleurant la tranche. Un peu avant N. m’a offert un livre intitulé N’espérez pas vous débarrasser des livres et je me suis dit qu’il y aurait peut-être comme un message caché.

    Pour retour je me suis mis à gauche en fixant devant moi sens de la marche, dans les wagons les mecs sentaient la bolognaise, où que je pousse l’oeil je voyais des orteils, everywhere des orteils alors j’ai lu au lieu de ces orteils moulus une scène de cul, la mieux écrite que j’ai pu lire depuis un bail au moins, c’était Le dernier monde signé Céline Minard et me suis dit chapeau (je le pensais, me mens rarement). J’ai pensé à ce type qui dansait le Kinect devant petit public posté autour de lui (mais bien plus tôt durant l’après-midi), son corps répercuté à l’identique dans la surface de l’écran devant lui : on aurait dit qu’il voulait y plonger.

  • Le piège, par Franck Thomas

    3 juin 2011

    Et vas-y, encore un coin paumé au fin fond de la galaxie ! Pfff, font chier ces péquenots. Alors, l’est où cette foutue planète... "Après le dernier paragraphe, tournez la page, puis lisez sur deux cents mots. Au prochain alinéa, vous êtes arrivé." Ben d’accord, mais c’est lequel, le dernier paragraphe ? J’y comprends rien moi, ça tourne dans tous les sens : y’a VRAIMENT une direction dans cette espèce de friche ? Et comment ça "tournez la page" ? T’es gentil mais j’aimerais bien t’y voir moi : tu les vois OÙ, les pages ? Quel bordel, je te jure. Il était temps que j’arrive. Bon, j’y suis, faut croire. Hé ben. Pas coquet, dis donc. Pffffffiou. Y’a du boulot. Allez courage, ma p’tite Svet. Mais, on rentre par OÙ ?

    — Oui ?
    — Gévissac ?
    — Qui le demande ?
    — Bonjour, ne-regardez-pas-les-caméras-s’il-vous-plait je suis Svetlana faites-comme-si-les-cameramen-n’étaient-pas-là-merci, votre nouvelle conseillère d’aménagement.
    — Svelte-la-nymphette-comme... Quoi ?
    — Euh, vous n’êtes pas Gévissac ?
    — Non. C’est pour quoi ?
    — Il n’est pas là, Gévissac ?
    — Non, il n’est pas là, Gévissac ! Vous êtes QUI et vous voulez QUOI ?
    — Ah non non non ouh-là-là, surtout pas les cameramen !
    — ... pardon ?
    — Ils n’existent pas eux ouh-là-là !
    — ... ils m’ont l’air bien réels...
    — Oui, mais c’est MOI qu’il faut regarder !
    — Écoute-moi bien, Shrek-l’âne-en-fête, plus je te regarde et plus j’ai envie de te mettre ma page 404 sur la tronche, alors si tu...
    — Okay. Bon, d’accord. On a pris un mauvais départ. On va se calmer, hein. Je viens pour Gévissac, donc si vous n’êtes pas Gévissac, vous n’avez aucune raison de vous mettre en colère. Et encore moins de —

    BLAM !
    Et une 404 dans la gueule, une.

    — C’EST PAS LA PEINE D’INSISTER, GÉVISSAC N’EST PAS LÀ ! FOUTEZ-MOI LA PAIX !
    — Mais... ma veste est coincée dans le pare-feu !
    — C’est ça, je connais la feinte. OUSTE !
    — Mais... je viens de loin, et je ne sais même pas si je suis arrivée à bon port !
    — Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ? !
    — Mais... la nuit tombe... et j’ai peur du noir !
    — ...
    — Et il y a des bruits bizarres !
    — ...
    — Et il commence à faire froid !

    Rustre ! Qu’est-ce que je vais faire, moi maintenant ? Bien maline, la Svet...
    Qu’est-ce qu’ils veulent, eux ? Quoi...? Mais bien sûr que vous coupez ! Vous voulez ma face d’ahurie en gros plan, c’est ça ? Et dire qu’il va falloir se les taper tout le long...

    — Vous êtes perdue ?
    Oh misère. Je rêve. Le petit prince.
    — Bonjour... ? Allô... ?
    En même temps, paumée sur une planète inconnue, il fallait bien que ça arrive.
    — Vous m’entendez ? Youhou, madame ?
    Pas le mouton. S’il te plait, pas le mouton. J’ai jamais su dessiner les caisses.
    — Madame, ça va pas ? Faites pas de bêtises avec ce crayon, ’tention !
    Et bien sûr, mes deux abrutis filment toujours. Souris, Svet. Professionnelle.

    — Bonjour, je suis Svetlana, conseillère d’aménagement mandatée par le Bureau de Reconstruction des Intermittents et Chômeurs, auprès de Gévissac.
    — Gévissac ? Mais ça fait un moment qu’il est plus ici.
    — Ah ? Euh, mais comment ça ? Ça fait longtemps ?
    — Un peu, oui. Sont mal renseignés, dans votre bureau.
    Et voilà. Définitivement paumée.
    — Dites, c’est à vous les deux grosses mouches, là ? Pourriez leur dire d’arrêter de me tourner autour, parce que j’ai un peu les oreilles qui bourdonnent là. Voire les poings qui me démangent.
    Eh ben. L’a bien changé le petit prince. Y’a plus de jeunesse.

    — Euh, mais alors, il est OÙ, Gévissac ?
    — Qu’est-ce j’en sais moi. Il s’est taillé, comme d’hab.
    — Comment ça : comme d’hab ? Il a quelque chose à se reprocher ?
    — Ah ça, j’sais pas. Mais on dirait bien que chez lui, fuir est une pulsion. Eh, ’tendez, bougez plus...
    Mais qu’est-ce que...
    BLAM !
    — Faut frapper fort pour les grosses comme celles-là. Sinon, ça les sonne juste, et elles repartent nous emmerder pendant des heures encore. Qu’est-ce qu’on disait ?
    Et un cameraman de moins, un. On va s’amuser au montage — si on arrive jusque là. Ne pas contrarier ce dingue. Jamais. Souris, Svet. Professionnelle.
    — Ah oui, Gévissac. L’est toujours barré, vous savez.
    — Mais comment on fait pour le joindre, alors ?
    — Ah, ça, ma p’tite dame...
    — Vous...
    — Ah, ’tendez, bougez pas, je vais faire la paire !
    — NON ! NON ! C’est bon ! Je la garde, celle-là !
    Oups. Je l’ai contrarié.
    Trouver un truc. Vite.
    — Euh... vous voulez que je vous dessine un mouton ?

    ***

    C’est étonnant l’existence. On croit déjà tout connaitre de sa vie, avancer sur des rails à vitesse de croisière, et soudain paf ! c’est l’aiguillage. Ça bifurque d’un coup, sans qu’on ait rien choisi, et v’là que la chaudière s’emballe. Y’a plus qu’à tenir la loco tant bien que mal, lancée à toute vapeur.

    Perdre deux cameramen d’un coup, c’est vrai que c’était un peu la flippe. Surtout quand le malade qui te les a allongés te demande de le suivre à l’autre bout de la galaxie. Mais, je me disais : la mission avant tout, il faut retrouver Gévissac. Plus de cameramen ? Tant pis pour le BRIC qui pleurera ses images, au moins je serai libre. Et puis, comme disait l’autre, de toute façon hein : l’essentiel est invisible pour les yeux. Alors j’ai suivi le taré. Eh ben la planète du petit prince, ça vaut le détour. Croyez-moi. Parce que si pour vous, les baobabs qu’on ratisse et les volcans qu’on ramone, c’était déjà une histoire de camé, changez carrément de pilule : on est dans une autre dimension.

    Oubliez le petit caillou mignon croqué par le père Antoine. Ici, c’est du lourd. On fait pas dans l’aquarelle. C’est des nasses. Du métal. Des rampes, des rails, partout enchevêtrées. Crasse, ombres, cris. Au milieu, des nuées anonymes et blafardes. Et le doute, partout. Un train-fantôme à l’échelle monde.
    Mais je n’avais pas peur. Un petit prince, ça rassure. Même celui-là.

    C’est une planète très vivante : chaque jour, des milliers de visiteurs y atterrissent en quête de sensations fortes. Lorsque je demandai à mon hôte s’il y avait des habitants permanents, je n’eus droit qu’à un vague hochement de tête — d’ailleurs, c’était à peu près la seule réponse qu’il opposait désormais à mes questions. Je n’arrivais pas très bien à saisir pourquoi il avait tenu à m’aider vu le peu de cas qu’il semblait faire de moi. Mais tout vient à point à qui sait attendre, je me disais.

    Ce ne fut pas long. Nous visitions l’immense domaine, entre catacombes et champs de bataille, quand le petit prince de l’horreur me fit signe. Sur le quai de la navette intérieure (in-terreur comme l’appelle mon hôte), un homme. Lunettes, sac en bandoulière, rien de bien particulier. Il attend comme les autres. Silencieux, l’appareil photo à la main, la nonchalance solitaire. Un touriste égaré croirait-on, calmé par une journée d’effroi bien remplie. Mais les groupes sont avachis, hébétés ou stridents ; lui seul scrute l’arrivée du train avec une placidité redoutable. C’est Gévissac.

    — Mon meilleur client. Discret, paie pas de mine. Toujours des passages furtifs. On a de la chance de l’avoir aujourd’hui. Z’auriez pu attendre des mois. Son truc, c’est les voies. Une sorte de fascination, je crois. Oh, il vadrouille un peu partout pour alimenter ses départs, mais il finit toujours par y revenir. C’est son carburant, on dirait. C’t’un voyageur, vous savez.

    C’est comme ça que je l’ai rencontré, l’homme qu’on m’avait confié. Pas l’air d’un diable, sur cette planète d’enfer pourtant. Encore un paumé, je me disais. Attaque-le en douceur. Souris, Svet. Professionnelle.
    Tu parles.

    Le Bureau pour la Reconstruction des Intermittents et Chômeurs, BRIC pour les intimes, est là pour veiller à l’optimisation des ressources humaines de la galaxie. Depuis le statu quo entre l’Empire et la Nébuleuse, des institutions officielles se sont immiscées en terrain rebelle pour harmoniser les structures galactiques. On veut de l’efficace, à ce qu’il paraît. Je suis douée pour ça, à ce qu’il parait aussi. On m’envoie consolider les constructions précaires fleuries un peu partout sur la Nébuleuse, les poussées autonomes et branlantes qui font — comment dire — tâche sur la toile. Je suis la consultante imposée pour une rentabilité esthétique, ergonomique et pratique. J’aime mon boulot. Je me sens utile. J’en ai reconstruites, des planètes. Mais là, le Gévissac, il m’a bien coiffée, faut dire.

    — Allo ! Allo ! BRIC à Brac’ : qu’est-ce que tu fous bordel ?
    Déteste qu’ils m’appellent comme ça ! Jalousie de petits cons... "Brac" c’est pour "bras cassés", comme ils me voient. Facile de pérorer planqués au bureau, les gars. Vont voir à mon retour. Si retour il y a, certes.

    Il m’a paru docile, au début. M’a écouté gentiment. Je lui ai expliqué pourquoi je le cherchais, je lui ai dit : allons chez vous. Il m’a demandé : chez moi ? Oui, ai-je dit, là où vous logez. Mais qu’est-ce qu’un logement ? m’a-t-il alors demandé. On partait de loin.

    Je viens vous aider à construire votre planète. Je viens pallier votre déficit structurel. Je viens vous inculquer les bases, vous remettre sur la voie. À ces derniers mots, ses yeux ont pétillé : je lui parlais enfin, de personne à personne. Il m’a écouté jusqu’au bout, ou du moins a-t-il fait semblant. Je sais maintenant que ça carburait dur en fait, pour extraire de mon discours le prétexte à un nouveau voyage. Quand il m’a demandé de le suivre, je ne me suis pas méfiée. Je l’ai suivi.

    — Oh, tu réponds Svet ou quoi ? Qu’est-ce qui se passe, t’en es où, là ? Tu l’as cravaté, le Gévissac ?

    J’en sais fichtrement rien, de où je suis. Embarquée dans son vaisseau, on a mis les bouts, mais certainement pas vers un quelconque chez-lui. Prise au piège, ouaip. Je coupe la communication.
    Gévissac se retourne vers moi. Souris, Svet. Professionnelle.

    ***

    Fallait bien que ça arrive, en fin de compte. Je l’ai eu.

    Il m’a bien baladé, le mignon, ça oui. Dès que je lui proposais une approche, que je lui présentais un ouvrier, que je préparais des plans, nous repartions de plus belle, mus par un imaginaire à l’abri de mes rectitudes. Combien de voyages ? Une vingtaine, sans doute. Cela dura pendant plusieurs mois. Entre deux périples que j’initiais bien malgré moi, il profitait de mon désarroi pour faire des détours, me montrer d’autres territoires, m’offrir de nouveaux paysages. Il m’impliquait davantage à chaque nouvelle aventure, je faisais petit-à-petit partie de son existence ; et il faut bien le dire, il remplissait entièrement la mienne. J’avais coupé ma radio depuis le premier jour.

    Je l’ai eu. Oh, ce fut simple finalement. Pris en sandwich. Acculé. Il ne s’y attendait plus. C’est une coriace, la Svet. Endort sa proie, à l’usure, mais toujours à l’affût. Je l’ai eu. Je gagne toujours à la fin, parait-il.

    Finis, les voyages. Les passages étranges aux confins d’une galaxie qui m’apparaissait bien rangée, avant. Finies, les beautés. Les surprises. Les sourires déposés au matin. J’ai gagné, parait-il.

    Il travaille maintenant. Il ne voyage plus. J’ai gagné. Je suis rentrée au bureau. Les abrutis me félicitent, me tapent dans le dos, je les déteste. J’ai gagné. Et je pleure.

    Avant que nous quittions sa planète, le petit prince est venu me voir. Il craignait la concurrence, il pensait à se recycler. Il voulait que je l’aide, que je ne l’oublie pas dans un avenir proche, lorsqu’il aurait besoin de moi. C’est pour cela qu’il m’avait aidé. Je suis seule aujourd’hui dans mon bureau, en attente d’une prochaine mission, d’un prochain pauvre hère à harceler.

    Vite, petit prince. Appelle-moi. Que je retourne sur cette planète de l’effroi où je bus pour la première fois la tasse. Un jour viendra où les travaux finiront, alors Gévissac reviendra se gorger de peurs primaires, et lorsque viendra ce jour, je veux être là, sur les voies, prête à repartir avec lui. Vite, petit prince.

    Appelle-moi.

    _________________________



    Tiers Livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.

    Voici venir le tour de Franck Thomas : je lui offre une page ici, et pendant ce temps je squatte un peu chez lui. Le texte qu’il m’a confié poursuit la tentative d’exploration d’une galaxie de l’intérieur entamée chez g@rp le mois dernier et je suis très content de vous le proposer même si, bien sûr, "toute ressemblance avec des personnes existantes ne serait que pure coïncidence". Merci à lui pour avoir, littéralement, joué le jeu. Vous retrouvez sur son site le quatrième volet de la série "Bientôt les Prudhommes" (peut-être, ou pas, le dernier).

    Voilà la liste complète des vases communicants pour juin 2011 :

     Nicolas Bleusher et Christopher Selac
     Martine Sonnet et Urbain trop urbain
     Anita Navarrete-Berbel et Brigitte Célérier
     Céline Renoux et Christophe Sanchez
     Franck Thomas et Guillaume Vissac
     Cécile Portier et Pierre Ménard
     Franck Queyraud et Loran Bart
     Anne Savelli et François Bon
     Carine Perals-Pujol et Joachim - Séné
     Isabelle Parriente-Berbel et Louise Imagine
     Maryse Hache et Laurence Skivée
     Chez Jeanne et Xavier Fisselier
    le roi des éditeurs et Nicolas Ancion
     Kouki Rossi et Jean Prod’hom
     Michel Brosseau et Jacques Bon
     Christine Jeanney et Christophe Grossi
     Caroline Gérard et Juliette Mezenc
     Ghislaine Balland et Dominique Hasselmann
     Piero Cohen-Hadria et Conte de Suzanne

  • kbb | Pierrot à 0642508833 #1

    20 juin 2011

    pierrot tu sais qui c’est j’aimeraisque tu répondes

    au moins une fois à mes appels j’aimerais que tu répondes j’aimerais ta voix j’aimerais entendre ta voix j’aimerais surtout ne pas parler dans le vide encore j’aimerais ne pas avoir à parler dans le vide encore pendant des heures et des heures j’aimerais au moins tu sais dis quelque chose j’aimerais entendre quelque chose ta voix j’aimerais l’entendre ta voix c’est trop te demander ta voix est-ce que c’est trop vraiment

    j’appelle je tombe chaque fois je veux dire chaque fois sur ton répondeur je peux plus je ne peux pas me satisfaire une mère ne peut pas se satisfaire d’entendre pierrot ta voix sur un répondeur une mère a besoin d’entendre la voix de son fils je ne peux plus ne veux plus encore entendre ton de répondeur cette saloperie je ne peux plus je suis à bout réponds ne serait-ce qu’une seule fois ou appelle appelle-moi ne serait-ce que pour me dire pour balancer un mot juste un mot je m’en contente m’en contenterai que je sache que tu es que ta voix au moins que ta voix je l’entende

    comprends moi pierrot il faut me comprendre il le faut c’est tout

    j’aimerais savoir savoir simplement où tu es j’aimerais que tu reviennes j’aimerais que tu m’appelles j’aimerais d’abord savoir où tu es et si tout se passe j’aimerais savoir si ça va où est-ce que tu es si tu manges si tu dors où tu dors ça fait maintenant je ne compte plus les jours je préfère ne pas les compter j’ai l’impression qu’une seule journée s’est écoulée c’est tout depuis que depuis tu es ailleurs maintenant j’ai l’impression que c’était hier quand tu étais encore j’ai l’impression qu’une seule journée s’est écoulée depuis que tu es parti et qu’hier encore tu étais là et je ne sais plus ne me souviens plus tu te rends compte je n’arrive plus à me souvenir me rappeler exactement quel était le dernier mot quelle dernière conversation on s’est qu’est-ce qu’on s’est dit pour la dernière fois avant juste avant que tu t’en ailles ce dernier mot lequel je ne sais plus je sais c’est inutile mais c’est une façon une ultime façon de me rapprocher me rapprocher de toi tu comprends j’aimerais que tu comprennes j’aimerais sincèrement que tu me que tu comprennes que l’on reprenne où l’on en était avant que tu me dises ce dernier mot peu importe lequel c’était je t’assure je suis une épave je ne sais même plus où tu étais avant avant de décamper partir où tu étais ce qu’on s’est dit et quand dis moi juste quand tu as fermé la porte

    j’ai besoin de respirer

    j’ai besoin que l’on m’aide

    ici je suis seule

    j’ai besoin de prendre sur moi

    j’ai parlé tu sais à qui j’ai parlé à beaucoup de personnes des gens différents je leur ai parlé je suis allée à ton lycée j’ai vu tes professeurs j’ai vu certains de tes professeurs j’ai vu des gens qui m’ont dit ils m’ont dit nous allons parler parler avec ses camarades ses camarades pierrot ils ont dit tes camarades c’est comme ça toi que tu dirais je ne crois pas ils ont dit qu’ils parleraient avec tes camarades et ils ont parlé à tes camarades je les ai vus aussi je leur ai parlé même peut-être ton lycée m’a dit peut-être l’un d’entre eux saura où il est où tu es pierrot peut-être que l’un d’entre eux va te balancer comme tu dirais je leur ai parlé ils ne m’ont rien dit ils m’ont dit madame je sais pas pierrot et moi ils m’ont dit on se connait mais après on se connait pas bien sûr qu’on se parlait des fois on s’est croisé oui une fois on a passé l’aprem on a mangé ensemble on est allé on a bu on a mangé on a joué à tel truc je ne sais plus on est allé macdo on a séché les cours j’ai dit moi je m’en fous à tes camarades tes camarades tu vois comme ta mère parle de tes potes je leur ai dit j’ai essayé de garder mon calme le plus possible mon calme dans la mesure du possible j’ai essayé de prendre sur moi j’ai dit d’une voix très douce très minuscule j’ai simplement besoin de savoir l’un d’entre vous a-t-il la moindre idée d’où il a pu aller d’où il se trouve et quel endroit quel genre d’endroit l’un de vous a-t-il la moindre idée et aucun d’entre eux n’avait la moindre idée tes camarades tes potes tes connaissances bien sûr mais enfin ils disaient qu’ils te connaissaient mal ils ont dit mais comment un truc pareil a pu lui passer par la tête mais enfin y a-t-il au monde une seule personne dans ton foutu lycée cette putain ville partout une seule personne qui sache une seule personne qui ait la moindre idée une seule personne qui sache qui tu étais

    non

    non ce n’est pas vrai c’est faux

    pierrot s’il te plaît je t’en prie je rappellerai tant qu’il faudra je n’ai pas dit étais je crois que tu es quelque part laisse-moi simplement savoir où je te promets

    rien je te promets je n’essaierai rien mais dis-moi dis-moi juste

    je t’attends


    Premier jet du 12/01/11

    pierrot tu sais qui c’est je voudrais que tu répondes

    au moins une fois à mes appels j’aimerais que tu répondes j’aimerais que ta voix j’aimerais entendre ta voix j’aimerais surtout ne pas parler dans le vide encore j’aimerais ne pas avoir à parler dans le vide encore pendant des heures des heures j’aimerais au moins tu sais dis quelque chose j’aimerais entendre quelque chose de ta voix j’aimerais entendre ta voix est-ce trop te demander ta voix est-ce que c’est trop vraiment

    j’appelle je tombe chaque fois je veux dire chaque fois sur ton répondeur je peux plus je ne peux pas me satisfaire une mère ne peut pas se satisfaire d’entendre pierrot ta voix sur un répondeur une mère a besoin d’entendre la voix de son fils je ne peux plus n’en peux plus d’encore entendre ton cette saloperie de répondeur je ne peux plus je suis à bout réponds ne serait-ce qu’une seule fois ou appelle appelle-moi ne serait que pour me dire pour balancer un mot juste un mot je m’en contente je m’en contenterai que je sache que tu que ta voix au moins je l’entende

    comprends moi pierrot il faut me comprendre il faut c’est tout

    j’aimerais savoir simplement savoir où tu es j’aimerais que tu reviennes j’aimerais que tu m’appelles j’aimerais d’abord savoir où tu es et si tout j’aimerais savoir si ça va où est-ce que tu es tu manges tu dors où est-ce que tu dors ça fait maintenant je ne compte plus les jours je préfère ne pas les compter j’ai l’impression qu’une seule qu’une journée s’est écoulée c’est tout depuis que depuis tu es ailleurs maintenant j’ai l’impression que c’était hier que tu étais encore j’ai l’impression qu’une seule journée s’est écoulée depuis que tu es parti et qu’hier encore tu étais là et je ne sais plus ne me souviens plus tu te rends compte je n’arrive plus à me souvenir me rappeler exactement quel était le dernier mot quelle dernière conversation on s’est qu’est-ce qu’on s’est dit pour la dernière fois avant juste avant que tu t’en ailles ce dernier mot lequel je ne sais plus je sais c’est inutile mais c’est une façon une ultime façon de me rapprocher de me rapprocher de toi tu comprends j’aimerais que tu comprennes j’aimerais tellement que tu me que tu comprennes que l’on reprenne où on en était avant que tu me dises ce dernier mot qu’est-ce que c’était je ne sais même plus même plus je t’assure je suis une épave je ne sais même plus où tu étais avant avant de décamper partir où tu était ce qu’on s’est dit et quand dis moi juste quand tu as fermé la porte

    j’ai besoin de respirer

    j’ai besoin que l’on m’aide

    ici je suis toute seule

    j’ai besoin de prendre sur moi

    j’ai parlé tu sais à j’ai parlé à beaucoup de personnes de gens différents j’ai parlé à je suis allée au ton lycée j’ai vu tes professeurs j’ai vu certains de tes professeurs j’ai vu des gens qui m’ont ils m’ont dit nous allons parler parler avec ses camarades ses camarades pierrot ils ont dit tes camarades c’est comme ça toi que tu dis je ne crois pas ils ont dit qu’ils parleraient avec tes camarades et ils ont parlé à tes camarades je les ai vus aussi je leur ai parlé même peut-être ton lycée m’a dit peut-être l’un d’entre eux saura où il est où tu es pierrot peut-être que l’un d’entre eux va te balancer je leur ai parlé ils ne m’ont rien dit ils m’ont dit madame je sais pas pierrot et moi ils m’ont dit on se connait mais après on se connait pas bien sûr qu’on se parlait des fois on s’est croisé oui une fois on a passé l’aprem on a mangé ensemble on est allé on a bu on a mangé on a joué à tel truc je ne sais plus on est allé macdo on a séché les cours j’ai dit moi je m’en fous à tes camarades tes camarades tu vois comme ta mère parle tes potes je leur ai dit j’ai essayé de garder le plus possible mon calme dans la mesure du possible j’ai essayé de prendre sur moi j’ai dit d’une voix très douce très minuscule j’ai juste besoin de savoir l’un d’entre vous a-t-il la moindre idée d’où il a pu où il se trouve quel endroit quel genre d’endroit l’un de vous a-t-il la moindre idée et aucun d’entre eux n’avait la moindre idée tes camarades mais enfin ils disaient ils ne te connaissaient pas bien ils ont dit mais comment un truc pareil a pu lui passer par la tête mais enfin y a-t-il au monde une seule personne dans ton foutu lycée cette putain ville partout une seule personne qui sache une seule personne qui ait la moindre idée une seule personne qui sache qui tu étais

    non

    non ce n’est pas vrai c’est faux

    ce n’est pas vrai je n’ai pas dit ça je m’excuse je n’ai pas dit ça je n’ai pas dit étais j’ai dit es je voulais dire je ne voulais pas dire au passé je ne veux pas dire que je n’ai pas dit ça je l’ai dit au présent crois-moi je l’ai dit je ne voulais pas le dire je le pensais c’est tout mais le présent c’est tout seul le présent compte

    pierrot s’il te plaît je t’en prie je rappellerai tant qu’il faudra je n’ai pas dit étais je crois que tu es quelque part laisse-moi simplement savoir où je te promets

    rien je te promets je n’essaierai rien mais dis-moi dis-moi juste

    je t’attends

  • kbb | Pierrot à 0642508833 #2

    20 juin 2011

    (Provisoire)


    Premier jet du 16/01/11

    pierrot tu sais qui c’est réponds au moins une fois réponds

    je voulais que tu saches que tu es déclaré que tu es déclaré comme absent disparu je ne sais pas comment ils disent mais ils savent il y a tes photos diffusées enfin ta photo une photo de ta tête j’ai pris celle où tu était le plus je crois reconnaissable mais qu’est-ce que ça veut dire au fond j’ai pris celle qui était la plus proche la plus proche de toi elle a été prise je ne sais pas ni où ni par qui ni quand mais de face ça je le sais et le reste ne sais pas n’en sais rien ça fait partie des choses des choses que je ne sais pas sur toi et sur le reste

    là bas les flics m’ont dit ils ont pris la photo ils ont dit c’est un mineur une fugue il va revenir et je vois pas j’avoue le lien de cause à effet j’ai failli lui dire à ce type qui voulait rassurer c’est tout mais contentez-vous de faire votre job le retrouver point barre mais j’ai rien dit enfin pas comme ça j’ai demandé à être appelée régulièrement pour savoir pour savoir où c’en est je lui aurais bien ce type fait bouffer sa gueule de con il va revenir sale type qu’est-ce qu’il en sait ce type et te connaît-il d’abord je ne crois pas non et moi je sais je t’ai fait je sais bien que tu es bien du genre à ne jamais revenir moi en tout cas je l’aurais fait si j’étais partie à ton âge mais ne l’ai pas fait voilà

    là bas les flics m’ont dit surtout il faut reposez-vous il faudrait que je me repose mais moi je ne dors pas je leur ai dit ils m’ont dit surtout prévenez-nous s’il essaie de vous joindre c’est bon signe et moi je leur disais mais il n’essaie pas de me joindre c’est ça le signe et c’est mauvais il ne répond jamais à mes messages le sale petit ils m’ont dit laissez-vous des messages et moi mais pour qui vous me prenez et eux dans cette situation laisseraient-ils des messages je leur ai posé la question là j’ai ouvert ma gueule ils m’ont dit tous les deux deux ils étaient un jeune et un gros et ils m’ont dit tous les deux mais sûrement et moi voulais savoir s’ils avaient des gosses et non ils ont répondu tous les deux j’en ai pas d’enfant et je leur ai dit moi je sais vous laisseriez des messages évidemment pour qui nous prenez-nous nous qui sommes là à attendre qu’en face on décroche

    là-bas les flics m’ont dit laisser des messages c’est bien y a-t-il eu un jour ou une nuit où le répondeur était plein où la messagerie bloquait le message et d’abord je n’ai pas compris non pas avant de comprendre j’ai dit moi les portables et ils m’ont dit non la messagerie était-elle pleine ils n’ont pas dit ça comme ça ils parlaient avec des manières pour faire semblant j’ai dit non jamais la messagerie a toujours été prête et jamais bloquée par rien et ils m’ont dit c’est bon signe cela veut dire par exemple ils n’ont pas dit cela veut dire mais autrement mais je me rappelle mal c’est tout et puis quelle importance cela veut dire ils ont dit que c’est bon signe qu’il vide progressivement sa messagerie qu’il écoute ses messages qu’il administre celui là je suis sûre car l’image est restée je trouvais ça poilant que tu administres quoi que ce soit c’était idiot vraiment ils m’ont dit cela veut dire qu’il écoute et qu’il administre son répondeur et j’ai répondu évidemment qu’il administre et ça n’avait aucun sens bien sûr

    ils m’ont expliqué m’ont dit par exemple si la messagerie était pleine ça pourrait vouloir dire d’abord ils ont voulu dire ton corps dans un terrain vague ou un cadavre à pic dans un fleuve quelconque mais se sont abstenus en tout cas moi tout ça je l’ai vu ils m’ont dit ça pourrait vouloir dire qu’il a des soucis des soucis ils ont dit vois un peu comme ils causent les flics j’y croyais pas vraiment alors là pensez-vous c’est bon signe cela signifie que son portable marche qu’il capte ça veut dire qu’il capte et qu’il fonctionne encore et même qu’il est chargé ils m’ont demandé est-ce que ça sonne avant le répondeur ou bien est-ce que le répondeur d’entrée s’impose sans tonalité j’ai répondu ce qui est vrai j’ai dit des fois ça sonne souvent ça sonne même une deux trois des fois cinq sonneries mais ça ne répond jamais non ça ne répond jamais ils m’ont dit bien c’est bon signe signe que son portable était chargé et je voulais leur dire mais en quoi est-ce bon signe enfin évidemment qu’il le tient chargé son portable c’est sa vie c’est tout ce à quoi il tient c’est le seul truc qu’il ait emporté évidemment qu’il le charge évidemment le prix ça coûte ces trucs et ils ont dit s’il le charge ça signifie qu’il est quelque part où il peut le charger un toit n’importe où un lieu avec une prise pour le charger de l’électricité et pas dans la rue quelque part à crever de faim ils n’ont pas dit ça ça c’est moi qui le pense c’est moi qui voit qui vit j’espère au moins franchement j’espère juste que c’est vrai

    là-bas les flics je leur ai demandé mais quoi faire pour qu’il réponde pour qu’il rappelle simplement pour qu’une fois un geste il fasse un geste un mot ils disent un mot simplement un seul comment faire pour franchement comment faire pour

    apparemment comme ils disent y a pas de recette miracle pour ça faut simplement attendre faut simplement être patient faut simplement il faut

    alors j’attends tu vois

  • kbb | Pierrot à 0642508833 #3

    20 juin 2011

    pierrot tu c’est qui c’est pourrais-tu pour une fois pourrais-tu me répondre

    maintenant le jeu a assez duré maintenant il est temps de revenir en arrière parce que les nuits sont froides parce que le monde est loin parce que je me lasse de tout parce qu’il le faut tout simplement

    ce n’est pas une vie de vivre ailleurs absent où on n’est pas ce n’est pas une vie tout ça j’en parlais l’autre jour avec mon avec le il se trouve que je vois quelqu’un en ce moment ce n’est pas de ta faute je vois quelqu’un c’est tout et tu n’y es pour rien mais oui je lui parle de toi autrement comment faire et je lui parle de toi d’autant plus que je ne ferme plus l’oeil il a fallu pour ça prescrire des doses pour que je puisse dormir pour qu’on m’assomme pour que l’idée de toi déjà mort quelque part ne m’achève pas pour que mon rythme cardiaque ma fréquence comme ils disent me permette de dormir plus de deux heures de suite sans me réveiller en plein milieu de la où en étais-je je ne sais même plus

    ce qu’il faut simplement retenir c’est qu’à présent il est temps il faut revenir cela a trop duré cela a duré oui trop longtemps ce n’est plus drôle ne l’a jamais été mais si c’était le but ce ne l’est plus drôle non ce n’est pas une blague une farce appelle ça comme tu veux mais c’est trop tard et ça a trop duré il faut faut impérativement je le dis comme je le pense tous les jours depuis tant de jours que ça dure et a bien trop duré il faut que tu reviennes et que tu abandonnes

    j’ai mis en mémoire sur mon téléphone celui avec lequel j’essaie en vain de te joindre de te convaincre de te toucher j’ai mis en mémoire dans mon répertoire les numéros de ceux susceptibles de savoir ou d’un jour pouvoir avoir quelques nouvelles de toi voilà ce que je cherche des nouvelles et des preuves que tu es que tu n’es pas enfin que la vie suit son cours que tout va bien pour toi dans la mesure du possible et dire que je ne sais même pas si tu manges où tu vis y a-t-il des murs autour de toi un toit la nuit au-dessus de ton crâne il y a bien des refuges pour ceux qui surtout en cette période de l’année il y en a heureusement qu’il y en a je sais bien qu’ils existent mais est-ce que toi tu irais dans des lieux pareils irais-tu honnêtement je ne sais pas comment savoir on ne se pose jamais la question évidemment maintenant je me la pose

    voilà pourquoi j’ai demandé à tes amis tes proches tes potes de tes nouvelles si jamais ils en avaient voilà pourquoi je les ai mis enregistrés dans mes contacts mon répertoire ma mémoire vive juste au cas où

    si même comme ça je n’arrive pas à t’attendre à t’atteindre pardon je voulais dire t’atteindre si même comme ça ce n’est pas possible j’en ai parlé au enfin à la personne le médecin qui me suit celui que je vois je lui en ai parlé il m’a dit que surtout il ne fallait pas que je tombe dans le négativisme total j’ai dit ben voyons vous pensez bien il m’a dit je sais bien que c’est dur je sais bien qu’on en crève il n’a pas dit en crever mais moi oui je le dis mais il faut tout faire pour essayer du mieux qu’on puisse et puis rester actif rester actif même dans l’absence c’est important rester soi-même peut-être même bien je suis d’accord c’est important bien sûr mais simplement comment faire il m’a dit le docteur m’a dit il m’a dit n’avez-vous aucun moyen de le faire réagir il m’a dit vous êtes sa mère oui vous devez savoir quelque chose qui ne vous serait pas venu à l’esprit car vous étiez sous le coup le choc encore pris dans l’instantané le flash du moment sur le coup je lui ai si je savais je l’aurai déjà fait vous pensez bien et il m’a dit bien sûr

    maintenant je vois ce qu’il a voulu dire

    je suis dans ta chambre pierrot je suis dans ta chambre à chaque fois que je t’appelle à chaque message que je laisse du plus court au plus long même un seul souffle j’y suis dans ta chambre toujours face à ton écran d’ordinateur mon reflet dans le noir de l’écran éteint je ferme les yeux maintenant car je n’aime pas me voir déformée à l’intérieur

    mais maintenant je vois ce qu’il a voulu dire tu entends l’ordinateur je l’allume comment j’ai pu ne pas y penser tout de suite évidemment qu’à l’intérieur peut-être quelque chose une piste n’importe quoi qui m’aide à te trouver écoute-le le voilà qui s’allume évidemment j’aurais dû y penser

    j’aurais dû je t’écoute je t’attends rappelle-moi juste pour une fois rappelle-moi je te laisse


    Premier jet du 19/01/11

    pierrot tu c’est qui c’est pourrais-tu pour une fois pourrais-tu répondre

    maintenant le jeu a assez duré maintenant il est temps de revenir en arrière parce que les nuits sont froides parce que le monde est loin parce que je suis lassée de tout parce qu’il le faut tout simplement

    ce n’est pas une vie de vivre ailleurs absent où on n’est pas ce n’est pas une vie tout ça j’en parlais l’autre jour avec mon avec le il se trouve que je vois quelqu’un en ce moment ce n’est pas de ta faute je vois quelqu’un c’est tout et tu n’y es pour rien mais oui je lui parle de toi autrement comment faire et je lui parle de toi d’autant plus que je ne ferme plus l’oeil il a fallu pour ça prescrire des médicaments pour que je puisse dormir pour qu’on m’assomme pour que l’idée de toi déjà mort quelque part ne m’achève pas pour que mon rythme cardiaque ma fréquence comme ils disent me permette de dormir plus de deux heures d’affilée sans me réveiller en plein milieu de la où en étais-je je ne sais même plus

    ce qu’il faut simplement retenir c’est qu’à présent il est temps il faut revenir cela a trop duré cela a duré oui trop longtemps ce n’est plus drôle ne l’a jamais été mais si c’était le but ce ne l’est plus drôle non ce n’est pas une blague une farce appelle ça comme tu veux mais c’est trop tard et ça a trop duré il faut faut impérativement je le dis comme je le pense tous les jours depuis tant de jours que ça dure et a bien trop duré il faut que tu reviennes que tu abandonnes

    j’ai mis en mémoire sur mon téléphone celui avec lequel j’essaie en vain de te joindre de te convaincre de te toucher j’ai mis en mémoire dans mon répertoire les numéros de ceux susceptibles de savoir ou d’un jour pouvoir avoir quelques nouvelles de toi voilà ce que je cherche des nouvelles et des preuves que tu es que tu n’es pas enfin que la vie suit son cours que tout va bien pour toi dans la mesure du possible et dire que je ne sais même pas si tu manges où tu vis y a-t-il des murs autour de toi un toit la nuit quelque part il y a bien des refuges pour ceux qui surtout en cette période de l’année il y en a heureusement qu’il y en a je sais qu’ils existent mais est-ce que toi tu irais dans des lieux pareils irais-tu honnêtement je ne sais pas comment savoir on ne se pose jamais la question évidemment

    voilà pourquoi j’ai demandé à tes amis tes proches tes potes de tes nouvelles si jamais ils en avaient voilà pourquoi je les ai mis enregistrés dans mes contacts mon répertoire ma mémoire vive

    si même comme ça je n’arrive pas à t’attendre à t’atteindre pardon je voulais dire t’atteindre si même comme ça ce n’est pas possible j’en ai parlé au enfin à la personne le médecin qui me suit celui que je vois je lui en ai parlé il m’a dit que surtout il ne fallait pas que je tombe dans le négativisme total j’ai dit ben voyons vous pensez bien il m’a dit je sais bien que c’est dur je sais bien qu’on en crève il n’a pas dit en crever mais moi oui je le dis mais il faut tout faire pour essayer du mieux qu’on puisse et puis rester actif rester actif même dans l’absence c’est important je suis d’accord c’est important bien sûr mais simplement comment faire il m’a dit le docteur m’a dit il m’a dit n’avez-vous aucun moyen de le faire réagir il m’a dit vous êtes sa mère oui vous devez savoir quelque chose qui ne vous serait pas venu à l’esprit car vous étiez sous le coup le choc encore pris dans l’instantané le flash du moment sur le coup je lui ai si je savais je l’aurai déjà fait vous pensez bien et il m’a dit bien sûr

    maintenant je vois ce qu’il a voulu dire

    je suis dans ta chambre pierrot je suis dans ta chambre à chaque fois que j’appelle à chaque message que je laisse du plus court au plus long même un seul souffle j’y suis dans ta chambre toujours face à ton écran d’ordinateur mon reflet dans le noir de l’écran éteint je ferme les yeux maintenant car je n’aime pas me voir déformé tout dedans

    mais maintenant je vois ce qu’il a voulu dire tu entends l’ordinateur je l’allume comment j’ai pu ne pas y penser tout de suite évidemment qu’à l’intérieur peut-être quelque chose une piste n’importe quoi qui m’aide à te trouver écoute-le le voilà qui s’allume évidemment j’aurais dû y penser

    j’aurais dû je t’écoute je t’attends rappelle-moi juste pour une fois rappelle-moi je te laisse

  • kbb | Pierrot à 0642508833 #4

    20 juin 2011

    pierrot tu sais qui c’est allez réponds

    j’imagine que tu sais si tu as écouté le dernier message si tu as écouté mon dernier message tu sauras et je suppose que oui puisque ta messagerie est libre il y a de la place encore comme disent les flics tu administres voilà comment ils avaient dit et si tu administres est-ce que tu écoutes pour autant ou bien est-ce que tu vides simplement dès que tu vois ou dès que t’entends que c’est ta folle de mère que c’est ta mère qui parle qui parle dans le vide encore une fois moi j’en sais rien mais j’ai ma petite idée je crois je crois que je l’ai oui car je sais comment tu fais comment tu vis et tu fonctionnes et ça te ressemble bien

    enfin je m’en fiche ce n’est pas ça pas ça l’important l’important c’est de te dire que j’ai allumé ton ordinateur pour voir pour chercher pour trouver quelque chose que je pourrais avoir que je pourrais utiliser savoir où tu es et où tu pourrais être où t’aurais voulu filer quand t’étais encore enfin avant que tu enfin quand t’étais là sous le même toit à portée de voix à portée de mains alors je l’ai allumé bien sûr que je l’ai allumé je l’ai dit derrière après je veux dire je l’ai dit après au médecin à la personne avec laquelle je parle de toi entre autre de toi surtout je lui ai dit je sais bien sûr que je sais que c’est violer son intimité je ne sais quoi ou sa vie privée bien sûr que je le sais mais il est parti déjà il est loin peut-être et cette confiance est-elle déjà foutue déjà foutue en l’air sinon il serait pas parti bien sûr alors au point où j’en suis bien sûr qu’idéalement je ne le ferai pas bien sûr que moralement c’est condamnable bien sûr que ce n’est pas bien mais qu’est-ce que ça peut me foutre je l’ai dit comme ça je me suis énervée il m’a dit après coup que j’avais bien fait de m’énerver que ça me soulageait je lui ai dit qu’est-ce que ça peut me foutre que ce soit moralement ceci ou cela ou merde j’ai dit merde faut voir dans quel état je suis j’ai dit la seule chose qui compte c’est de le retrouver ce serait d’avoir une piste ce serait de savoir un truc n’importe quoi qui pourrait déboucher sur ou qui pourrait m’aider à ce genre de chose et je serai prête à faire n’importe quoi pour juste une piste un détail un machin quelque chose de tangible quelque chose qui m’aide quelque chose qui me porte et après tout je lui ai dit au médecin et je me le suis dit à moi-même en même temps parce que je ne le savais pas vraiment c’était pas très conscient voire même pas du tout j’ai dit et puis j’ai rien à perdre voilà et bien sûr que c’était vrai ça l’est toujours

    je l’ai allumé oui mais voilà tu dois savoir je n’ai pas pu pas pu aller plus loin rien à voir avec la morale l’éthique peu importe rien à voir avec des scrupules rien à voir avec tout ça juste que l’écran le truc était bloqué comment savoir que le truc l’était comment savoir que ça s’ouvrait par mot de passe identifiant tout ça sur le mien c’est pas comme ça je savais pas que tu l’avais mis que tu l’avais oui verrouillé et d’abord j’ai pensé merde merde vraiment voilà le mot exact je me suis dit il faisait pas confiance il croyait juste que j’étais du genre à aller fouiller dans ses le petit con me faisait même pas même pas confiance là-dessus alors que jamais j’aurais pensé jamais je serai juste allée fouiller dans tes jamais pas une seconde j’y ai pensé ça me serait jamais au grand jamais passé par la tête ça non sauf que maintenant évidemment maintenant c’est différent il est plus du tout question de dire jamais plus question de se cacher derrière là dessus la morale ta vie privée tout ça le fait est que t’es absent loin de tout et moi malade à en crever que tu puisses être sec et mort alors la fin comme on dit justifie c’est sûr pas question que je passe juste à côté de ça cette solution cette sale possibilité pour t’attraper t’avoir savoir quelque chose mais le fait est que c’était bouclé et impossible de trouver quoi mettre login mot de passe c’était marqué et j’ai essayé bien sûr des trucs tout cons des trucs genre noms villes lieux date de naissance deuxième prénom toutes ces conneries j’ai même écrit tous les prénoms de tous les amis que t’as jamais eu même ceux même ceux que t’as oublié je suis sûr même ceux de la maternelle j’ai refait toutes les vieilles photos de classe pour pouvoir essayer tous les prénoms sans résultat

    alors quoi faire

    tu peux me le dire

    moi toute seule devant ton écran noir ton écran de merde ton écran ton je saurais même pas dire je saurais même pas dire combien ça me tue cette immobilité cette impuissance cette frustration d’être devant lui sans rien pouvoir trouver pour l’ouvrir net et puis fouiller à l’intérieur tu peux pas savoir ce que c’est et ce que ça fait d’entendre le bruit dans les enceintes qui me dit que non login mot de passe que c’est pas bon que ça passe pas c’est erroné alors ça bong ce bruit affreux insupportable ça me tue de l’entendre et je sais même pas non je sais même pas comment sur ton sale truc couper le son ou les enceintes j’ai eu envie pas plus tard que tout de suite de le balancer par la fenêtre ton truc de merde ton écran tous les câbles et tout balancer fini au revoir on n’en parle plus mais j’ai pas pu pas osé pas réussi à juste le faire mais c’est tant mieux il vaut mieux pas

    mais je sais ce que je vais faire

    appeler tout le monde tous tes amis s’il faut ceux du lycée tout le monde juste pour savoir rien que pour avoir oui ne serait-ce qu’une piste sur ton mot de passe sur ton login sur tes machins d’administrateur réseau de je ne sais quoi sinon je l’ouvre sinon je le casse sinon je le piétine ton truc je te jure

    faut que je me reprenne

    je suis à bout

    mais comprends-moi pierrot il faut que tu comprennes ce que c’est d’être à ma place et dans ma situation je suis peut-être pas une mère parfaite mais je te jure que je souffre en ce moment même je souffre t’as pas idée t’as pas idée de tout ce que c’est ou de ce que ça pourrait être et puis de fixer encore une fois l’écran noir l’écran en veille et jamais rien aucun mot plus rien qui puisse aller qui puisse convenir et puis ce bong qui va revenir c’en est insupportable c’est à s’arracher la tête les yeux le corps je te jure c’est si dur que ça de voir ce noir ou l’écran blanc qui bouge même pas et même les murs de ta chambre je supporte plus c’est juste immonde c’est juste abjecte tout ce silence et tous ces murs je supporte plus même les images je supporte plus même la moquette même le plafond même les posters je supporte plus et lui la gueule de lui ce type en face qui me murmure que t’es pas là ce poster de je ne sais quoi juste devant en permanence tout ce qu’il dit c’est que je suis nulle que j’y arrive pas que t’es trop loin que c’est foutu j’ai envie j’ai envie de l’arracher ce poster tout de suite de pas attendre de le déchiqueter de le balancer de l’oublier et surtout qu’il arrête qu’il arrête de me fixer tu sais duquel je parle et depuis quand tu voues un culte à un type pareil explique-moi ça

    voilà où j’en suis je rappellerai oh ça tu peux compter sur moi


    Premier jet du 28/01/11

    pierrot tu sais qui c’est allez réponds

    j’imagine que tu sais enfin si tu m’as écouté le dernier message je veux dire si tu as écouté mon dernier message et je suppose que oui puisque ta messagerie est libre il y a de la place encore comme disent les flics que j’avais vu tu administres voilà comment ils avaient dit ta boite vocale je suppose que c’est le cas et si tu administres est-ce que tu écoutes pour autant ou bien est-ce que tu vides simplement dès que tu vois ou dès que t’entends que c’est ta folle de mère que c’est ta mère qui parle qui parle dans le vide encore une fois moi j’en sais rien mais j’ai ma petite idée je crois je crois que je l’ai oui car je sais comment tu fais comment tu vis comment tu fonctionnes et ça te ressemble bien

    enfin je m’en fiche c’est pas ça pas ça l’important l’important c’est de te dire que j’ai allumé ton ordinateur je te l’ai dit la dernière fois pour voir pour chercher pour trouver quelque chose que je pourrais avoir que je pourrais savoir utiliser savoir où tu es où tu pourrais être où t’aurais voulu filer quand t’étais encore enfin avant que tu enfin que tu étais ici à portée de voix à portée de mains alors je l’ai allumé bien sûr que je l’ai allumé je l’ai dit derrière après je veux dire je l’ai dit après au médecin à la personne avec laquelle je parle de toi entre autre de toi surtout je lui ai dit je sais bien sûr que je sais que c’est violer son intimité je ne sais quoi ou sa vie privée bien sûr que je sais mais il est parti déjà il est loin peut-être et cette confiance est déjà foutue elle est déjà foutue en l’air sinon il serait pas parti bien sûr alors au point où j’en suis bien sûr qu’idéalement je le ferai pas bien sûr que moralement c’est condamnable bien sûr que ce n’est pas bien mais qu’est-ce que ça peut me foutre je l’ai dit comme ça je me suis énervée il m’a dit après coup que j’avais bien fait de m’énerver que ça me soulageait je lui ai dit qu’est-ce que ça peut me foutre que ce soit moralement ceci ou cela ou merde j’ai dit merde faut voir dans quel état je suis j’ai dit la seule chose qui compte c’est de le retrouver ce serait d’avoir une piste ce serait de savoir un truc n’importe quoi qui pourrait déboucher sur ou qui pourrait m’aider à ce genre de chose et je serai prête à faire n’importe quoi pour juste une piste un détail un machin un truc quelque chose de tangible quelque chose qui m’aide quelque chose qui me porte et après tout je lui ai dit au médecin et je me le suis dit à moi-même en même temps parce que je le savais pas vraiment c’était pas très conscient voire même pas du tout j’ai dit et puis j’ai rien à perdre voilà et bien sûr que c’était vrai ça l’est toujours

    je l’ai allumé oui mais voilà tu dois savoir je n’ai pas pu pas pu aller plus loin rien à voir avec la morale l’éthique peu importe et n’importe quoi rien avoir avec des scrupules rien avoir avec tout ça juste que l’écran l’ordi le truc était verrouillé comment savoir que le truc l’était comment savoir que ça s’ouvrait par mot de passe identifiant tout ça sur le mien c’est pas comme ça je savais pas que tu l’avais mis que tu l’avais oui verrouillé et d’abord j’ai pensé merde merde vraiment voilà le mot exact je me suis dit il faisait pas confiance il croyait juste que j’étais du genre à aller fouiller dans ses merdes le premier jour venu le petit con me faisait même pas même pas confiance là-dessus alors que jamais j’aurais pensé jamais je serai juste allée fouiller dans tes jamais pas une seconde j’y ai pensé ça me serait jamais au grand jamais passé par la tête ça non sauf que maintenant évidemment maintenant c’est différent il est plus du tout question de dire jamais plus question de se cacher derrière là dessus la morale ta vie privée tout ça le fait est que t’es absent loin de tout et moi malade à en crever que tu puisses être sec et mort alors la fin comme on dit justifie c’est sûr pas question que je passe juste à côté de ça cette solution cette merde possibilité pour t’attraper t’avoir savoir quelque chose mais le fait est que c’était bouclé et impossible de trouver quoi mettre login mot de passe c’est marqué et j’ai essayé bien sûr des trucs tout cons des trucs genre noms villes lieux date de naissance deuxième prénom toutes ces conneries j’ai même écrit tous les prénoms de tous les amis que t’as jamais eu même ceux même ceux que t’as oublié je suis sûr même ceux de la maternelle j’ai refait toutes les vieilles photos de classe pour pouvoir essayer tous les prénoms sans résultat

    alors quoi faire

    tu peux me le dire

    moi toute seule devant ton écran noir ton écran de merde ton écran ton je saurais même pas dire je saurais même pas dire combien ça me tue cette immobilité cette impuissance cette frustration d’être devant lui sans rien pouvoir trouver pour l’ouvrir net sec et mat et puis fouiller à l’intérieur tu peux pas savoir ce que c’est et ce que ça fait d’entendre le bruit dans les enceintes qui me dit que nom mon login mot de passe que c’est pas bon que ça passe pas alors ça bong ce bruit affreux insupportable qui me tue de l’entendre et je sais même pas non je sais même pas comment sur ton sale truc couper le son ou les enceintes j’ai eu envie pas plus tard que tout de suite de le balancer par la fenêtre ton truc de merde ton écran tous les câbles et tout balancer fini au revoir on en parle plus mais j’ai pas pu pas osé pas réussi à réellement le faire mais c’est tant mieux il vaut mieux pas

    mais je sais ce que je vais faire

    appeler tout le monde tous tes amis s’il faut ceux du lycée tout le monde juste pour savoir rien que pour avoir oui ne serait-ce qu’une piste sur ton mot de passe sur ton login sur tes machins d’administrateur réseau de je ne sais quoi sinon je l’ouvre sinon je le casse sinon je le piétine ton truc je te jure

    faut que je me reprenne

    je suis à bout

    mais comprends-moi pierrot il faut que tu comprennes ce que c’est d’être à ma place et dans ma situation je suis peut-être pas une mère parfaite mais je te jure que je souffre en ce moment même je souffre t’as pas idée t’as pas idée de tout ce que c’est ou de ce que ça pourrait être et puis de fixer encore une fois l’écran noir l’écran en veille et jamais rien aucun mot plus rien qui puisse aller qui puisse convenir et puis ce bong qui va revenir c’en est insupportable c’est à s’arracher la tête les yeux le corps je te jure c’est si dur que ça de voir ce noir ou l’écran blanc qui bouge même pas et même les murs de ta chambre je supporte plus c’est juste immonde c’est juste abjecte tout ce silence et tous ces murs je supporte plus même les images je supporte plus même la moquette même le plafond même les posters je supporte plus et lui la gueule de lui ce type en face qui me murmure que t’es pas là ce poster de je ne sais quoi juste devant moi en permanence tout ce qu’il dit c’est que je me plante que j’y arrive pas que t’es trop loin que c’est foutu j’ai envie j’ai envie de l’arracher ce poster tout de suite de pas attendre de le déchirer de le balancer de l’oublier et surtout qu’il arrête qu’il arrête de me fixer tu sais duquel je parle et depuis quand tu voues un culte à un type pareil explique-moi ça

    voilà où j’en suis je rappellerai oh ça tu peux compter sur moi


  • ↑ 1 L’extrait « here come the planes so you better get ready » est tiré de la chanson O Superman (For Massenet), de Laurie Anderson, sur l’album Big Science (1981). La chanson a été reprise en 1997 par David Bowie lors de sa tournée "techno/industrielle" Earthling Tour. Bowie est un modèle à peine dissimulé pour le personnage de Manuel Jodorov