Trails



  • 160822

    16 septembre 2022

    Il faudrait que je puisse redevenir une page blanche, ne serait-ce que l’espace (ou plutôt le temps) d’une journée. 23°, orages. 8 h 17 il fait si sombre que l’éclairage synthétique est requis. Pendant des années on n’a parlé que de lentilles et de haricots, là c’est l’heure du pois chiche. Oui, tous les dix jours au moins faire de soi une page blanche et repartir de zéro le lendemain. Il y a un mois si j’ai acheté Depuis une fenêtre, le troisième des Joyeux animaux de la misère de Guyotat, sans avoir lu le II ni terminé le I, c’est pour mettre la main sur des notes télégraphiques censées baliser le texte et qui sont la marque des inachevés, comme c’est le cas dans Pétrole (et d’autres, penser à dresser un corpus de texte inachevés, éclairés par leurs zones d’ombre), du style : En même temps, intensification de la guerre, destruction de toute organisation, famine (scènes de faim, de cannibalisme), etc., R. et ses triplés auront à éviter le rapt et la mangerie. Le jour où je parviendrai à compresser des chapitres entiers en ce genre de phrases (ou qui sait les sortir du premier coup dans cette sorte de supraconductivité électrique), je serai arrivé quelque part. Le site http://ladivinecomedie.com est temporairement inaccessible. Le problème devrait être résolu dans la journée. Il faut que je m’amuse dans ce que je fais, autrement, non seulement je ne me serais pas amusé dans ce que j’aurais fait, mais en plus on verra de suite que je ne me suis pas amusé dans ce que j’ai fait, de sorte que tout le monde (y compris moi) se fera mortellement chier. Lorsque le stationnement est payant, j’introduis des pièces de monnaie dans un horodateur pour retirer un ticket que je place derrière le pare-brise, de sorte qu’il soit lisible depuis le trottoir. Quoi qu’on te propose, décliner : désolé, pas aujourd’hui. Je ne suis qu’une page blanche. Entre la poire et le fromage @Europhobe dit : En 1973, la France était la 4ème puissance économique du monde. Cette performance ne devait rien à l’Europe. L’Institut Hudson prédisait même que l’industrie française dépasserait l’industrie allemande en 1985. En 1974, tout bascule avec Giscard. Les européistes ont tout cassé. Effacer c’est avancer, m’écrit Roxane (elle a raison). J’écoute Porter. J’ai mes raisons. À première écoute de Las Batallas, je me dis mazette, c’est très impactant. À Luô qui s’acharne à vouloir danser sur la plage, et à souffler sur les braises de son passé, Miyako dit : Arrête de t’acharner, c’est du sable.

  • 310822

    1er octobre 2022

    En moins de deux semaines, on est passé de Kylian Mbappé a voulu faire virer Neymar du PSG à si Mbappé a la preuve vidéo que Paul Pogba l’a fait marabouter, il refusera de jouer avec lui en équipe de France. Sur les réseaux, on compare la bisbille médiatique entre les frères Pogba à Abel et Caïn. Dose, répond quelqu’un, et je dois demander à H. ce que ça veut dire. Comme tous les ans, le mercato d’été dure trois mois mais les trois quarts des transactions ont lieu les trois derniers jours. Il est temps d’inventer de nouveaux sports farfelus, comme la folga, qui consiste à voir s’opposer des tireurs de paintball sur le toit de trains en mouvement, et qui à elle seule nécessiterait que je revienne à l’écriture de ///. Un jour. Mais trois choses étranges ont lieu pendant que je pense à des sports. D’abord, Dune après avoir déjoué le mur de Berlin censé l’empêcher de monter à l’étage est allée rendre visite à Poulpir et, choquée de la trouver là, est revenue au rez-de-chaussée en quatrième vitesse l’air d’avoir vu un grizzli. À l’étage, Poulpir était elle cachée sous un meuble en catatonie, l’air d’avoir vu un grizzli. Voilà pour la première de ces choses. La deuxième de ces choses, c’est que les premières mesures de la Passion selon Saint-Matthieu me font l’effet désagréable que doivent faire à celles et ceux qui sont sensibles aux ondes un appel téléphonique passé à portée de leur cerveau. C’est bien la première fois que ça m’arrive. Je veux dire, avec la Passion selon Saint-Matthieu. Enfin, passant un certain temps à réécrire dans l’après-midi ce que j’ai écrit hier (et déjà désécrit la veille), je perds une page. Je la cherche pendant une demi-heure : impossible de remettre la main dessus. Ce n’est pas possible sur ce genre d’applications de perdre des pages : non seulement tout est backé en cloud en permanence, mais en plus même les pages mises à la poubelle je ne les supprime pas, je les archive. J’en suis à me résoudre à récupérer une veille version de cette même page, précisément dans les archives, qui date d’il y a presque six mois, avant de comprendre ma bévue. Plutôt que d’écrire un passage intercalé dans une page neuve, j’ai écrit par dessus ce qui me manque, sans même m’en rendre compte. Je n’ai qu’à restaurer la version du 30 août au soir pour la récupérer. Denis Roche 1 : Au moment où j’éjacule, la douleur bute avec violence derrière mon front, je pense au bruit que fait la tête d’une bête sur le bois qui entoure l’arène et qui est tout autour d’elle comme les os de mon crâne autour de ma pensée.

  • 241022

    24 novembre 2022

    Pas très agréable de se balader dans l’écho régulier des fusils de chasse, dont on peine à estimer la proximité. Quoi que ces gens chassent, et où qu’ils soient, un renard finit par se réfugier à quelques mètres des habitations. Voyant ce renard, ne sachant rien de ce renard, et m’entendant dire à voix haute à l’attention d’H. c’est un renard, je me demande s’il s’agit du même individu renard que celui aperçu près d’ici il y a maintenant 1 an, 4 mois et 5 jours. Je n’ai pas la réponse. Terminant Les particules élémentaires (Il y a des êtres, il y a des pensées. Les pensées n’occupent pas d’espace. Les êtres occupent une portion de l’espace, nous les voyons. Leur image se forme sur le cristallin, traverse l’humeur choroïde, vient frapper la rétine.), j’ai l’étrange impression, sans pouvoir l’argumenter ni la soutenir, que ce livre et Vernon Subutex sont un seul et même livre.

  • 180623

    18 juillet

    Palais de Mari, tu ne peux pas l’avoir dans la tête. Sa musique ne peut pas te hanter. Elle te cantonne aux temps présents. C’est ce que j’attends d’elle. Ce n’est pas tout à fait vrai. Les quatre premières notes t’engagent, et reviennent. Je veux dire : elles reviennent longtemps après avoir été ouïes. Je ne sais pas si c’est un problème ou une solution. Ou rien du tout. Je sais, en revanche, que ce voisin, cette voisine (lequel, laquelle ?) qui s’exerce au violoncelle me fait du bien : son bruit tient à distance toutes ces musiques qui appuient sur ma bande passante. Le Ulule de Jachère a stagné ces derniers jours. C’est difficile pour Roxane et moi de le porter, et de l’alimenter sur un temps aussi long tous les jours, sachant que bien sûr nous avons d’autres horizons désormais. On m’invite en Suisse à une fête annuelle des insécables mais moi, c’est à Samarcande que j’aimerais aller. Dans la presse locale, le principal libraire de Rennes déclare, au sujet de l’espace qui commence à manquer dans son échoppe, et qui motive l’ouverture d’un nouveau lieu de ventes pour respecter le diktat de la croissance : on en arrivait à faire des choix entre certains livres. C’est une chose très difficile pour un libraire. Entre le Semainier d’Anne Savelli, les discussions que je peux avoir ici et là ces derniers jours, la fin de l’API open bar de Twitter, et grosso modo des années à m’agacer que ma présence sur les réseaux se résume à de l’auto-promotion permanente, j’en viens à me dire qu’il vaut mieux arrêter d’y publier ces annonces du journal et d’Ulysse chaque jour. Les lecteurs et lectrices peuvent s’abonner via leur agrégateur, lire la livraison mensuelle par email, ou tout simplement se rendre manuellement sur le site. Ça me libère d’un poids. Quant à Basalte, c’est terminé. Les dernières retouches sur le texte sont apportées. La présentation est écrite. L’envoi est fait aux deux premiers (seuls ?) éditeurs que j’ai en vu pour ce truc.

  • 210623

    21 juillet

    Des gens s’écrivent dans FMR la nuit, le jour. Je lis sur leurs épaules leur correspondance. J’ignore s’ils sont deux, trois, quatre, un, et surtout qui ils sont, et d’où ils se parlent. Quel est leur âge, leur genre, leur état d’euphorie, d’ennui ou de détresse. C’est étonnant à vivre, et pas exempt de douceur à 5h44 du matin. Je lis aussi Mathieu Simonet, c’est à la page 14 2.

    T. venait parfois dormir dans ma chambre sur un lit pliant. Un jour, il a lu mon journal en cachette : il a découvert que j’étais amoureux de lui ; le lendemain, il me l’a avoué. J’avais honte. On a cherché ensemble des solutions ; il était hétéro, mais il ne voulait pas me perdre. Il était prêt à faire des efforts, à m’offrir toute la tendresse qu’il pouvait accomplir sans dégoût, par exemple me tenir la main pendant la nuit. J’acceptais tout. Je m’en délectais, et je souffrais. Je ne dormais plus ; sa main dans la mienne était un cœur qui battait.

    Je ne suis pas sûr d’apprécier la façon dont la voisine a dit à cet homme, qui voulait qu’elle lui tienne la porte pendant qu’elle sortait de l’immeuble et que lui y entrait, mais, vous habitez ici ? Ce n’est pas tant la fin de la phrase que le mais. Tout était dans ce mais. Il n’y a qu’une mélodie que je tolère d’avoir dans la tête, et c’est aussi ma sonnerie de portable professionnel. Dans Xenoblade Chronicles 3, elle sert à faire passer les morts de l’autre côté, avant que l’on découvre que l’autre côté n’est qu’un éternel recommencement de la vie passée, soit grosso modo une bonne illustration de la vie professionnelle, qu’un temps dans ce journal j’appelais la vie grise. La presse se passionne pour ce qui est perdu. Quand ce n’est pas Xavier Dupont de Ligonnès, ce sont des enfants dans la jungle en Colombie, et quand ce ne sont pas eux (qui ont, depuis, été retrouvés vivants), c’est un chien de l’armée parti à leur recherche, et disparu à son tour (Wilson m’ont dit B. et E. qu’il s’appelait la semaine dernière). Aujourd’hui, c’est un sous-marin parti explorer l’épave du Titanic, et 2,5 Milliards de dollars aux États-Unis disparus au niveau de l’assurance chômage du Massachusetts durant la crise covid ; demain quoi ? Le système de protection sociale français vendu à la découpe dans l’idée de pouvoir fictivement renouer avec les 3% de déficit du PIB en 2027 ? Plutôt que de ne parler à autrui que de mes nuits écourtées ou de considérations pécuniaires, peut-être pourrais-je pronostiquer ce qui est susceptible de disparaître dans les prochains jours ou semaines, et combien de temps l’opinion se passionnera pour remettre la main dessus. Par exemple le Pont Neuf à Paris, privatisé hier par Bernard Arnault et ses sbires pour l’organisation d’un défilé eau de couture (sic). Avis de la Commission du 16 juin 2023 concernant le projet modifié de rejet d’effluents radioactifs provenant du démantèlement de la centrale nucléaire de Brennilis dans le département du Finistère, en France : « Le projet modifié prévoit une augmentation des limites de rejet autorisées pour les effluents radioactifs dans l’air. » Mais « n’est pas susceptible d’entraîner, que ce soit en fonctionnement normal ou en cas d’accident du type et de l’ampleur envisagés dans les données générales, une contamination radioactive des eaux, du sol ou de l’espace aérien d’un autre État membre qui soit significative du point de vue sanitaire, eu égard aux dispositions énoncées dans la directive sur les normes de base » car « la frontière la plus proche d’un autre État membre, en l’occurrence l’Irlande, est [à] 468 km ». Depuis maintenant deux mois que j’épluche pour des raisons professionnelles chaque jour le Journal officiel de l’UE, c’est déjà la deuxième fois que je vois passer ce genre d’avis (pour deux sites français différents).

  • 270623

    27 juillet

    J’ai tendance à oublier qu’ici je suis perçu comme l’assistant de quelqu’un. Sauf que je ne suis pas l’assistant de quelqu’un : je suis l’assistant de quelque chose. En l’occurrence d’un service. Moi, je n’ai tendance à voir que la revue à laquelle je consacre les trois quarts de mon temps. Le reste, c’est de la littérature. Parfois ça me pèse un peu d’être un larbin. Parfois ça me soulage de n’avoir à décider de rien. Mais la vérité, c’est que la plupart du temps, je m’en fous complètement, et ça n’est même pas sur mes radars. // Comme beaucoup de petits éditeurs indés qui abhorrent Amazon, Amazon se dit aussi favorable à la mise en place d’un tarif d’expédition postal dédié au livre comme cela se pratique déjà pour les envois à l’étranger. Cette histoire de frais postaux n’est au fond que l’application au marché de la livraison de livres d’un théorème absolument hyper-démocratique puisqu’il s’applique à tous, en permanence, pauvres comme riches, quel qu’en soit le sujet : j’aimerais mieux que quelqu’un d’autre assume ce coût à ma place. // Après l’invention des cercueils de sieste verticaux pour mieux micro-dormir en entreprise, voilà des work-pods pour pouvoir s’isoler en open-space et se couper du bruit. Ça prend la forme de cabines à suicide téléphoniques appelées sound booths, donc d’aquariums ou de bocaux, avec un bureau, un siège, un ordinateur, le tout vitré de toutes parts et même sans glue ni bois. Le futur. // Cette autre scène de bureau est un diptyque. D’un côté, une vidéo mutée de Macron parlant donc au micro dans le vide avec, au second plan, ses ministres réduits à l’état de décor, contraint d’observer le PR faisant à leur place ce que donc ils ne font pas. De l’autre, un titre d’article du Bulletin Joly du travail qui dit : « Les méthodes managériales agressives et délétères : un nouvel élément renforçant le faisceau d’indices constitutif du harcèlement moral ». // Une crémation rejette dans l’atmosphère plus que l’équivalent d’un trajet en voiture allant de P. à St-Etienne. // Je rentre à pied en suivant les zones d’ombre ménagées par la pierre (comme dans l’expression investir dans la pierre, ce que par ailleurs je ne fais pas) et le parc Monceau est gorgé de gens. Pendant, un autre propriétaire que celui d’hier répond à mon message pour un studio pas loin d’ici, mais non seulement il m’envoie un message type qui ne répond en rien aux seules deux questions que j’avais à lui poser mais en plus l’adresse du bien loué par ses soins ne s’avère pas du tout près d’ici mais à l’autre bout de Paris.

  • 280623

    28 juillet

    L’une des répliques qu’on entend le plus dans Victory Gundam est que font tous ces enfants dans un vaisseau militaire ? Aux États-Unis, comme il y a peu au Canada, pour faire face à la pénurie de main d’œuvre, dans certains États des lois passent ou s’apprêtent à passer pour que s’abaisse l’âge de travail des mineurs, qui pourront notamment bénéficier d’un permis de conduire spécial pour aller à l’usine (puisque c’est d’usine qu’il s’agit), jusqu’à 14 ans. Un député précise qu’ils vaut mieux que ces gamins soient à l’usine (en l’occurrence de nuit, pour l’industrie de la viande, à nettoyer des machines à découper les os avec des produits chimiques capables de leur brûler les mains) que devant des écrans. Aujourd’hui, entre les réunions à l’extérieur et le télétravail des uns et des autres, je suis seul au bureau. Bien que je ne fasse pas rien, j’assiste, de fait, mais à rien. Simenon 3 : tout paraissait en place, et d’autant plus qu’il pleuvait, ce qui augmentait la stagnation des choses. Manuel Vilas 4 : Quoi qu’il arrive, évite de mourir, surtout pour une raison très simple à comprendre : ce n’est pas nécessaire. Il n’est pas nécessaire de mourir. Avant, on pensait que oui, que mourir était nécessaire.

  • 300623

    30 juillet

    Ce vendeur Vinted qui a intitulé son compte tout à un euro vend des trucs à deux. Lui, tout son dressing est composé de chemises à carreaux. Partout des chemises à carreaux. Cet autre, il vend tout, même ses chaussettes déjà portées (d’ailleurs il les porte sur des photos aux mises en scène douteuses). Lui, toutes les photos sont prises en faisant écran, alors l’ombre portée du téléphone s’incruste dans les fibres de tout ce qu’il propose, et tout semble maculé d’une même grosse tache de gras rectangulaire. Scrollant dans ces monceaux de pages, je me dis : après des semaines à avoir eu trop chaud j’ai froid. Et puis je n’aime pas quand on traduit le mot blocs par pâtés de maison, probablement parce que personne ne dit vraiment pâtés de maison (façon pour moi de considérer que moi, cette expression, je ne l’utilise pas). Dans Sing to it, je change pour encablures, ce qui est un peu hypocrite : personne ne dit ça non plus. Mon correcteur orthographique est malade. Il remplace fierté par fierté, aujourd’hui par aujourd’hui. Si seulement on pouvait se retrouver remplacé à notre insu par une copie identique de nous-même, qui ferait illusion au point d’ignorer elle-même n’être pas l’être originel... Mais comment savoir si ce n’est pas déjà advenu ? J’ai l’impression que toute ma vie je passerai mon temps à me répéter que je n’ai jamais été aussi fatigué de toute ma vie. Ordesa 5 : Brûler les morts est une erreur. Ne pas les brûler aussi. C’est la première fois que la finesse des pages me gêne à la lecture d’un livre. Je ne sais pas quel est le grammage du papier mais la page suivante se sait par transparence, et là c’est particulièrement marqué. On serait sur une liseuse à encre électronique, je n’aurais qu’à forcer un refresh de la page pour me débarrasser du ghosting, mais parfois les choses, c’est pas du numérique : c’est du concret.

  • 100723

    10 août

    Pour être corporate j’use du mot corporate. Certains disent codir. D’autres disent copil. En fait, ce n’est pas la même chose. La clim ne marche pas et tous les hommes portent des chemises, des fois des vestes. Je n’ai pas le temps d’écrire ce que j’écris (ces phrases). Je le prends. Tout le temps que je ne passe pas avec d’autres à faire du small talk, je le mets dans l’écriture de ces mots. Est-ce pour autant du big talk ? Ce n’est rien du tout. Le boulot que je fais, est-il avilissant ? Pas plus que n’importe quel autre. Je veux dire, aucun travail n’est avilissant. Et tous le sont. Le temps passé à le faire n’est pas déduit de l’espérance de vie. Aujourd’hui je n’ai pu commencer à veiller qu’à 16h30. D’habitude, c’est la première chose que je fais le matin à mon arrivée au bureau. Moi aussi à présent je peux dire à autrui pas maintenant, je suis en bouclage. Sauf que je ne le dis pas. Je prends note de mots brefs sur des carnets petits, ou pas si petits. Et après je barre des trucs, ou j’entoure des trucs, ou des gens m’appellent au téléphone pour répondre oralement à ce que je leur avais pourtant écrit. Pourquoi tant de paroles ? Pour ne pas laisser de trace ? Quoi d’autre ? Par exemple le mot satisfecit. Pourquoi le mot satisfecit ? Note que ça ferait un bon titre, Satisfecit. Sans doute est-ce déjà pris 6. Les aéronefs sans équipage à bord sont interdits à Luxembourg-Ville et à Esch-Belval aujourd’hui et demain. En fait, tant que je suis ici, je veux dire au bureau, avenue Foch, je ferais mieux de manger tous les midis plutôt que de la viande du poisson. Et le soir ? On n’en est pas au soir. Et puis, fatalement, si.

  • 180723

    18 août

    Il devait faire beau mais il fait laid. Tant mieux. Jusqu’à ce que, fatalement, la laideur se lève et la beauté retombe. Tant pis. Avant que la laideur reprenne le dessus, etc. Le règlement grand-ducal du 25 avril 2001 concernant la commercialisation des matériels de multiplication des plantes ornementales ne dit rien de ce que tolère ou ne tolère pas la police du style en matière de chemises à manches longues portées avec un short. D’ici quelques années : des porte-containers à voiles, dont les voiles ressembleront à des rouleaux de Sopalin géants. Les gens qui ne parlent pas fort ne veulent pas qu’on entende ce qu’ils disent ; ceux qui écrivent mal ne veulent pas qu’on puisse les lire. Je ne parle pas fort et j’écris mal. L’autre jour quelqu’un a dit dans un cadre informel il y a travail et travail. On ne dit pas steam cells mais stem cells. Un journaliste du Guardian australien s’interroge : We live in an anxious world. So why am I so happy ? Au parc Monceau, les gens ont un corps et ils veulent que ça se sache. Ils veulent aussi se départir, en s’exposant à la lumière émise par la fusion nucléaire des astres, de leur couleur naturelle qui est celle du jambon nitrité, quand bien même leur couleur naturelle les immunise contre les contrôles d’identité inopinés et faciessés dont use quotidiennement la maréchaussée (et présentement quelqu’un de non-nitrité se fait précisément contrôler au faciès par une escouade de policiers municipaux pendant que, de mon côté, je marche libre, incontrôlé depuis que je suis né, c’est-à-dire depuis grosso modo l’explosion du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl). Il fait chaud sec mais personne n’a une ombre. Quelqu’un sur un banc fume un barreau de chaise. J’aime bien comment les chiens longs marchent.

    Apollon Apollonovitch, entre veille et sommeil, se rappelait toutes les anomalies de la journée, tous les bruissements, toutes les petites silhouettes cristallographiques, et les étoiles courant dans les ténèbres (une de ces étoiles avait inondé le sénateur d’une pluie brûlante et dorée : il éprouva des fourmis sur le crâne). Il évoquait tout ce qu’il avait vu la veille, afin de mieux l’oublier le lendemain.

    Andréi Biély, Pétersbourg, traduction Georges Nivat et Jacques Catteau, L’age d’homme

  • 210723

    21 août

    Dans le temps (c’est-à-dire jusqu’à l’année dernière) déposer nos comptes annuels sur Infogreffe consistait à cocher quelques cases et à charger en pdf le PV annuel d’approbation des comptes certifié conforme et le bilan de l’année (compter une vingtaine de minutes). Désormais, c’est par l’INPI qu’il faut passer et j’y passe justement ma matinée. Non seulement il faut faire des allers-retours avec le comptable pour être sûr de bien lire le bilan et de ne pas dire n’importe quoi, mais en plus il faut en passer par un module de certification des signatures qui te demande de te reconnecter non pas sur tes identifiants d’entreprises mais sur tes identifiants personnels via FranceConnect+, ce qui a pour effet de ne plus avoir d’accès à ta déclaration déposée en brouillon. Il faut donc tout refaire, puis signer numériquement la chose sauf que via FranceConnect+, ça ne fonctionne pas, me dit une bonne âme au téléphone après quelques minutes d’attente. Il vaut mieux utiliser un logiciel de signature certifié. Lequel ? Je vous envoie une liste, dit-elle, sauf que ce n’est pas une liste : c’est une page qui recense tous les degrés de précautions légales en la matière dans le respect de la directive (UE) 2009/767/CE au milieu de laquelle est caché un lien qui mène à une liste, liste elle-même truffée d’opérateurs privés te vendant leurs services de signature dématérialisée, et quand tu en passes par des versions d’essai gratuite pour n’avoir pas à débourser un centime, moyennant l’abandon brut de toutes tes données propres, il faudra tester quatre opérateurs différents pour trouver celui proposant le niveau de certification requis (qui récupère au passage un scan recto-verso de ta carte d’identité en cours de validité parce que pourquoi se priver). Dans Féroce je lis : Nous sommes devenus trop pauvres pour nous permettre de nous passer des armes qui nous détruisent. Dans Pétersbourg 7 : On eût dit une araignée décapode. Parmi les choses qu’on me recommande indirectement ce jour figurent : Sands of destruction (DS), Soulvars (Android), Crimson Gem Saga (PSP), Cosmicstar Heroine (Switch), O Gemma Lux (Huelgas Ensemble), la poêlée artichauts - purée d’olive (Picard). Deuxième refus pour Basalte.

  • 270723

    27 août

    Comment appelle-t-on une porte qui grince la nuit même close ? J’appelle ça vivre dans une maison hantée, moi. J’aime assez le concept de hantise, mais de maison moins. Faut-il que ce soit un lieu ? Ou une personne ? Ou un objet ? Par exemple, un téléphone dit intelligent, par exemple celui dont je me sers pour envoyer des messages tout azimut à des gens que j’aime et qui sont présentement loin de moi, parfois sous des prétextes fallacieux (les kinder bueno sont-ils une relique du passé ?, personne n’est dupe je pense). Je porte un short et un hoodie orange. Je suis le jour et la nuit par rapport à la veille. Quand j’écris quelque chose j’écris des choses qui seront très mystérieuses à autrui. Et plus encore à moi. Il fait 20° juste. C’est la nuit tout le jour. Dehors c’est plein de silence. H. est parti tôt et, en attendant de le rejoindre demain au nord-ouest d’ici, je passe beaucoup de temps dans son bureau pour tenir compagnie à Tartelette qui passe le sien de temps à dormir, tant c’est un vieux lapin à présent, un aussi vieux lapin je pense que le chat de la rue B. est un chat vieux. Les vielles bêtes ont cette noblesse bien à elles, et puis, comment dire, elles ont gagné le droit avec le temps d’être aussi acariâtres qu’elles le souhaitent sans que personne ne trouve rien à y redire, et c’est très bien comme ça.

  • 151023

    15 novembre

    Au moindre tout qu’on nous brandit opposer un rien. Dimanchesauvegarder, ça appartient auquel ? Accumuler les backups, un tout ; vider la base chaque fois qu’on l’enregistre un rien. Éphémérisation de nos sites. Un hectare vaut deux acres, comme un tiens deux tu l’auras. Au moment d’écrire le mot nostalgie mes doigts fourchent : ce que je finis par écrire, c’est nostaligue. Sujet pour un atelier d’écriture sportif : inventez le plus précisément possible la discipline et les règles régissant la nostaligue. Pendant huit heures je reprends ma traduction de Sing to it et j’en ai un peu marre, depuis pas mal de temps maintenant, de faire passer mon écriture après celle des autres.


  • ↑ 1 Temps profond, Seuil

    ↑ 2 De Anne-Sarah K., Seuil

    ↑ 3 Les inconnus dans la maison

    ↑ 4 Ordesa, Éditions du sous-sol, traduction Isabelle Gugnon

    ↑ 5 Manuel Vilas, Editions du Sous-sol, traduction Isabelle Gugnon

    ↑ 6 Apparemment non, mais quand je fais une recherche dans la base d’un libraire en ligne dominant, ne trouvant rien sur Dilicom, le moteur me sort un livre qui s’intitule A quoi sert ma vie ? Moi aussi, je me le demande.

    ↑ 7 Andréi Biély, Pétersbourg, traduction Georges Nivat et Jacques Catteau, L’age d’homme