Dag Solstad



  • 220223

    22 mars

    Un temps je suis dans un bus à crever de chaud ; un temps je cours sur un quai pour attraper un RER (sic) pour Daumesnil. La fin se déroule à l’intérieur de la rame pour ne trouver aucune place assise et errer, pendant que le train part. Si ce rêve a du sens, je ne crois pas qu’il signifie que j’aimerais inconsciemment retourner dans le passé. Peut-être est-ce conséquence de mes recherches actuelles, de plus en plus concentrées sur Paris, et pour quel genre de postes, il faut voir ça. À main gauche, Tiffany (le Tiffany de Breakfast at Tiffany’s, encore qu’aujourd’hui il faudrait plutôt parler du Tiffany de Bernard Arnault) : 5+ ans d’expérience en gestion d’entreprise et de projet, avec un accent sur le soutien aux cadres de haut niveau dans des environnements fortement matriciels. À main droite (ou plutôt le contraire), une marque d’euphorisants spécialisée dans le Poppers et dans le CBD. Quand ce n’est pas : Bernard Cazeneuve 2027 ! Quel monde ! Quelle époque pour être en vie ! Finalement, je repostule pour Yalta, la seule entreprise pour laquelle j’ai enregistré une alerte dédiée sur mes applications diverses : un nouveau poste de CDV, un peu différent du précédent, vient de s’ouvrir. Ça, et je lis Dag Solstad 1 :

    Son ventre causait à Bjørn Hansen des douleurs lancinantes. Le Dr Schiøtz tenait absolument à en trouver la cause. Penchant pour la théorie selon laquelle les douleurs abdominales de Bjørn Hansen étaient le symptôme de tout autre chose, il ordonna des examens supplémentaires. Qui, en totalité, revinrent négatifs – ou positifs, tout dépendait de ce que l’on recherchait. Ce qui signifiait que Bjørn Hansen allait maintes et maintes fois en consultation chez ce très respecté Dr Schiøtz, où il s’entendait parler de choses qu’il n’avait jamais dites à personne, à commencer par lui-même. Tandis que le médecin hospitalier l’écoutait avec joie, sous l’emprise de stupéfiants, vraisemblablement.
  • 181023

    18 novembre

    Dans la six une femme s’est appuyée sur moi comme si soit je n’existais pas, soit j’étais un objet. Puis elle s’est tournée dans ma direction et m’a regardé avec une expression de fétiche aztèque, tout à fait sereinement. Comme si c’était normal, au fond, que je sois un objet et qu’elle en use pour maintenir son équilibre pendant des mouvances. Quelques minutes plus tôt, je venais de lire ce passage de T. Singer 2 :

    Il se foutait de tout. Il gâchait sa vie à force de l’observer, cependant que le temps s’écoulait et la jeunesse avec lui, sans que Singer ait levé le moindre petit doigt pour retenir cette jeunesse et profiter de son état si enviable. C’était un cogiteur dépourvu de caractère, un négateur de la vie dépourvu d’identité, un esprit exclusivement négatif qui observait tout d’une manière presque autosacrificielle.
  • 301023

    30 novembre

    Les lundis je compte plus lentement que les autres jours. L’armée israélienne parle en phases en matière d’offensives à Gaza comme les studios Marvel parlent en phases dans leur entreprise d’affadissement du cinéma. Dans le train une femme explique passer la semaine à Paris pour un cycle de formation qui vise à l’aider à dire ce qu’elle pense vraiment en réunion et les pubs à Montparnasse vantent l’autobiographie de Britney Spears : Enfin mon histoire, avec mes mots. Il n’y a presque personne au bureau aujourd’hui et j’en viens à me demander : est-ce que j’ai vraiment envie d’avoir le cœur qui bat ? Je me comprends. Du moment que je ne pense pas des trucs comme : Trying a CEO’s Morning Routine For a Day. Cela, en revanche, je l’ai pensé : personne ne sait que je suis là (où que je sois), sauf qu’entre-temps c’est sorti comme personne ne sait qui je suis (ce n’est pas faux non plus). Dans les rues, il n’y a rien ni personne et la soupe de poissons chez Naturalia est à -10%. T. Singer 3 : La mort nous transforme en bêtes sociales. Nous ne sommes jamais plus proches du bestial qu’en sa présence ; nous sommes engloutis, corps et âme, par l’instinctif.


  • ↑ 1 Onzième roman, livre dix-huit, Notabilia, traduction Jean-Baptiste Coursaud

    ↑ 2 Dag Solstad, Éditions Noir sur blanc, traduction Jean-Baptiste Coursaud

    ↑ 3 Dag Solstad, Éditions Noir sur blanc, traduction Jean-Baptiste Coursaud