Claire North



  • 200323

    20 avril 2023

    Réveillé à 4h du matin catastrophé à l’idée de travailler pour Spectre, où je perdrais une bonne partie de mon confort de vie, pas mal de valeurs, d’autant plus qu’au final compte tenu du ratio dépenses-gains je ne risque de ne pas tant m’en sortir que ça financièrement. Le problème, c’est que la nuit n’est que caisse de résonance aux angoisses. Que tout elle peint en noir. Qu’on ne peut pas se fier à elle. Ou pas entièrement à elle. Quoi qu’il arrive, je ne perds rien à me rendre à l’entretien, si ce n’est les 120€ de train qu’il m’en coûte, et une journée de temps. Je ne crois pas si bien dire. La rocade de Rennes est (légitimement) bloquée par des humiliés du 49.3. Des dépôts de bus le sont aussi, et s’agissant de ceux qui partent, s’ils partent, ils risquent de ne pas passer l’entrée dans la ville. Mon option, c’est de marcher 45 minutes jusqu’à la gare de Bruz. Ça se fait. Je ressemble à rien. C’est la vie. Le TGV et bondé, et entre mes lunettes de soleil conçues pour arpenter les glaciers et le FFP2, j’ai l’impression d’être un scaphandrier. C’est pas désagréable. Les toilettes du train sont en grève, elles aussi. Le vidage ne se fait plus. Un certaine quantité d’urine oscille. Celles de la gare sont hors service, et donc inaccessibles. Il faut aller à l’Atlantique proche, et commander un thé, ce qui fatalement remet une pièce dans la machine. Le siège de Spectre est avenue Foch. La six est coupée à Kleber à cause, dixit les annonces, de manifestants. Les mêmes (tout en n’étant pas les mêmes) qu’à Rennes. Sauf qu’une fois sur place, je ne verrai pas l’ombre d’un manifestant. Des cars de CRS si. Je suis en avance. Je fais un tour du quartier. C’est à la fois outrageusement bourgeois, et en même temps la même chose que partout (enseignes, mais pas que les enseignes). Indépendamment du degré d’ennui inhérent à la nature du job, je prenais plaisir à aller travailler chez STAT entre Madeleine et Opéra. C’était luxueux certes, mais assez grotesque pour être amusant (la place Vendôme, les Galeries et le Printemps Haussmann), ou alors jouxtant des lieux généralement calmes (Tuileries). À l’accueil, je me demande ce que je fais ici. Le DRH aussi. Une voix me murmure mais tire-toi. Une autre (nuance) : prends la thune et tire-toi. Si j’étais eux, jamais je ne me choisirais. Les deux entretiens passés je sors. Je descends à pied jusqu’au Trocadéro, où je peux récupérer la six, évitant de revivre la même scène qu’à l’aller (d’énormes touristes espagnols hurlant à l’apparition de la tour Eiffel qu’elle était là, ici, et qu’il ne fallait pas tarder si on voulait la prendre en photo, pendant que les usagers franciliens, blasés, restaient momifiés sur leur siège à regarder des pieds : les leurs, et pas que les leurs), me disant ces chaussures, je parle des miennes, toutes esthétiques qu’elles soient, ne sont pas faites pour marcher. Toujours pas de manifestants ici, mais des touristes et des poubelles en masse que personne n’a l’air de voir, ni de sentir. Un temps chez Tschann en attendant mon train de retour. André Markowicz a sorti un troisième volume à ses Partages. Emanuela Schiano di Pepe traduit Paolo Milone. Je lis et j’écoute des choses bien différentes, mais qui toutes m’éclairent, je veux dire en particulier aujourd’hui. Une pièce est une pièce, le jeu est le jeu (Le serpent 1). Comprenez donc que j’ai une conscience (Vie et destin 2). Même si : il avait signé, mû par un sentiment obscur, écœurant, de soumission (Ibid). Est-ce là ce que je ferai si Spectre a la drôle d’idée de me recruter ?


  • ↑ 1 Claire North, Bélial, traduction Michel Pagel

    ↑ 2 Vassili Grossman, L’Âge d’homme, traduction Alexis Berelowitch, avec la collaboration d’Anne Coldefy-Faucard