Paolo Milone

Chaque fois que je télétravaille, le VPN se coupe, généralement à la même heure, un peu avant 17 h. Manière de me faire comprendre que je ferais mieux de faire autre chose que travailler ? Je n’apprends pas grand-chose, si ce n’est que le Vatican fait partie de la zone euro. Que les chats sont insensibles au sucre. Le rythme est lent aujourd’hui. Je fais peu de choses. Je pense peu de choses. Pour une fois, je n’ai pas peur du vide. Je sors. Quelqu’un a installé une boîte à livres près du centre commercial les Jonquilles. Il y a Colette, il y a Virgile. Sur le chemin du retour, je vois venir une fille amputée des deux avant-bras, au niveau du coude. Elle conduit un scooter. C’est faux, c’est une impression fausse. Elle conduit bien un scooter, mais elle n’est pas amputée. Je note l’image et je rentre. Soir venu, au lieu d’écrire, je regarde cette purge de Roma - Leverkusen et ça ne me fait ni chaud ni froid. Le match qui a lieu dans le volume 16 d’Ao Ashi mérite plus d’attention que le vrai. J’arrête RMC sport. Je n’écris rien. Je lis L’art de lier les êtres ¹. Je lis :

Si je vois quelqu’un qui bascule,

je tends ma main pour l’empêcher de tomber

et tandis que je le tiens, je lui demande ce qu’il voit.

Je suis un lâche

contemplant l’abîme avec les yeux des autres.

Les radis mauves coûtent dix centimes de moins que les rouges. On écrit pas grand-chose avec un trait d’union, mais pas grand monde sans. Fin du chapitre des Sirènes dans la traduction Ulysse, pendant que Charybde & Scylla en termine lentement côté mise en ligne. Basalte. Toujours je m’arrange pour noter les corrections que je veux faire sur la même double-page d’un carnet, même et surtout si je n’ai pas la place de tout faire rentrer au même endroit. Alors il s’agit d’écrire dans les quelques zones vierges, en tout petit, illisiblement quoique lisiblement. Et ensuite je barre au fur et à mesure le moindre des éléments de la liste, d’une autre couleur, si bien qu’au bout du compte, on n’y comprend plus rien. C’est ça que je recherche et c’est les vases communicants : plus le manuscrit se clarifie (dans son expression, dans son architecture, dans sa narration), plus le carnet croule sous les traces d’encre, les ratures, les mots. Voilà, / tu es shooté, / de mots. / La moins chère des drogues. Dixit Paolo Milone ². N. pense à moi après être retombé sur un brouillon d’oral de fac que nous avions fait ensemble sur Proust. Je pense à L. comme chaque fois que j’utilise ses moules à muffins ³. Selon toute vraisemblance, et pour assurer un bon équilibre du triangle affectif, L. doit penser à N.

Je lis une liste des choses à faire avant de boire son café le matin. Je ne bois pas de café le matin. Signe que peut-être ce matin j’aurais eu besoin de boire un café ? On ne saura pas. Ce que l’on sait en revanche, c’est que la compta d’avril est faite, les commandes de la semaine prêtes à partir, la librairie partenaire de Féroce trouvée, et remerciée pour son accord de principe, avant lecture d’un extrait de Jachère enregistrée dans le jardin, sous le gazouillement des oiseaux, comme capsule de deux trois minutes pour donner un avant-goût du roman et contribuer à faire monter l’Ulule. Il me reste l’après-midi pour me remettre à Basalte, prendre mon vélo, déposer mes commandes à la Poste bruzienne (oise ?), faire quelques courses au U de là-bas, revenir. Entre, le premier coquelicot de l’année sous nos latitudes, bien rouge dans une marée de vert. Des moutons zeppelins sommeillant au soleil. La file d’attente sereine des vaches avant leur retour à l’étable. Savent-elles qu’un rapport européen préconise que chaque vache devrait avoir accès à un espace intérieur total (y compris une aire de couchage) d’au moins 9 m² ? Là encore, on ne saura pas. Je relis Basalte. Je n’écris rien. Je lis L’art de lier les êtres ⁴. Je lis :

Quand elle est arrivée devant moi, la Dame s’est arrêtée

et elle m’a soufflé au visage :

tu n’as plus de trains à rater,

tu n’as plus de rendez-vous à oublier,

tu n’as plus de vêtements à mal choisir,

tu n’as plus d’amours à décevoir,

tu n’as plus de piètres figures à éviter,

tu n’as plus de larmes à retenir,

 

maintenant tu es ce que tu étais en principe, avant ta naissance, un verre consigné.

Et cela m’appartient.

Je suis venue le récupérer.