Portishead



  • 050109

    5 janvier 2009

    Je vois monter la couche neigeuse sur les bords de quai sans pour autant voir tomber la neige. Je me pose la question de savoir quelle heure on est, il ne devrait pas faire nuit, ce n’est pas le cas d’habitude lorsque je suis ce rythme là, puis comprends que le train s’est engouffré dans un tunnel depuis plusieurs minutes. Je vois émerger les bulldozers caressés par les lampadaires de huit heures, les camions en file aux sorties des entrepôts et les traces sur l’asphalte mi-blanc. Les usines fument ou ne fument pas, la mécanique du matin broie les carcasses de voitures pétrifiées dehors. Le train avance comme on pourrait marcher, rarement plus vite, les quais on les frôle. Je tombe mon MP3 (main gauche) dans l’attente à force de poignets trop lâches. La personne en face de moi tricote une tête de dinosaure entre ses doigts et puis ses ongles longs battent en rythme sur ses genoux avant le terminus.

    Dehors la neige tombe trop fine : depuis que j’ai quitté St-Etienne aucune neige ne tient plus nulle part. Elle tombe sur le Louvre à côté et sur le Café du Louvre en face puis elle fond vite à peine l’asphalte effleurée. Je cherche à voir la neige fixer la rue mais non, les voitures circulent normalement.


    Durant ma lecture de midi, je tombe sur :

    L’hallucination consistait en ce que mon esprit semblait se déplacer librement à travers la pièce. Une source de lumière unique tombait de façon uniforme sur la table. Olivecrona (à moins que ce soit moi), se penchait en avant. Sa blouse s’était prise dans le grand tabouret et je le vis la dégager avec son pied. La lampe fixée à son front projetait sa lumière dans la cavité béante de mon crâne. Il avait déjà drainé le liquide jaunâtre. Les lobes du cervelet avaient l’air de s’être affaissés et séparés l’une de l’autre et il me semblait voir l’intérieur de la tumeur ouverte. Il avait cautérisé les veines sectionnées avec une aiguille chauffée au rouge. L’angiome était visible, étalé à l’intérieur de l’abcès, un peu de côté. La tumeur elle-même ressemblait à une grosse boule rouge. Dans ma vision, elle paraissait de la taille d’un petit chou-fleur. Sa surface en relief formait un motif, comme un camée ciselé. Le modèle suggérait vaguement un buste de femme. Oui, une femme embrassant son enfant. Sur la tête de la mère, se dessinait une dentelle italienne. Le bambino, vu de profil, s’accrochait à son cou.

    Frigyes Karinthy, Voyage autour de mon crâne, Viviane Hamy, trad : Françoise Vernan, P.225.

    puis regarde ma salade de pâtes jaunes aux Surimi d’un œil affecté. J’hésite puis ne finis pas.


    Durant l’après-midi je


    pense aux fictions très courtes que je pourrais disséminer entre les pages du Journal, l’une partirait dans l’espace et l’on ramasserait des débris, des ordures, pour recyclage – me dis que janvier est un bon mois pour lire Antoine Volodine mais je n’en aucun sous la main – espère que ce con là qui me prend pour son chien ne rappellera plus – essaie d’écrire les quelques lignes de ce billet entre deux commandes à enregistrer – tente de me souvenir du titre de cette chanson piégée depuis ce matin entre mes tempes, sans succès – vois tomber la neige encore, mon chauffage privé collé au mur qui brasse de l’août à plein régime contre moi – me dis que je mangerais bien quelque chose de joli ce soir.


    Dehors : six minutes pour gagner le 16h37, et gare à pas se laisser prendre dans la boue brune des trottoirs, la neige des centre-villes, qui laissent plier les chevilles. Plus haut, mes gants trop grands que je ne sais pas où mettre.


    Je vois dans le train du retour qu’une chaussette noire stagne dans une flaque de boue séché entre les deux portes et personne pour s’y intéresser. Arrêté un moment en gare de C. nous repartons finalement au moment même où un autre train type Secteur 7 démarre sur un quai voisin, celui-ci dans l’autre sens : la plaque de béton prise entre, celle qui dit Ne pas descendre ici semble bloquée dans un paradoxe temporel, incertaine du mouvement à suivre, déchirée entre les deux trains antagonistes. Le paradoxe se poursuit : assis à l’envers du sens du rail, l’impression d’être aspiré par le temps, de remonter l’ordre des choses (la vitesse aussi). Un peu plus tôt : un étang près de G. complètement gelé en contrebas et la neige déposée par dessus comme une feuille de calque. Y retrouver par hasard le titre de ma chanson perdue ; c’était Nylon smile.

  • 240120

    24 février 2020

    Personne ne tilte mais Blonde Redhead et Radiohead, bien sûr que c’est le même groupe. Ça se finit pareil après tout. Là, Thom Yorke est absent, et il se trouve que Kazu Makino est un algorithme. Un seul guitariste fait tout. Pour ce que j’en sais, Portishead c’est lui aussi. C’est un super concert. Il chante une chanson de Franck Ocean : Every night you were in my room, etc. J’ai oublié pourquoi je suis venu à Tampa, Floride. Le vol était pas cher. On m’y a fait venir. Dans un vieux château près de l’océan, il y a des projections holographiques de soi. Il faut faire attention à ne pas se commander soi-même en VOD par inadvertance (ça arrive). Savoir alors ce qui se passe et comment. Mais le temps me manque. Il y a toujours des choses à faire avant telle date, avant telle heure. L’heure surtout. Elle file. On est déjà bientôt la fin de ce mois. Moi, je suis encore coincé dans l’heure d’hier. J’essaye d’écouter ce que tout le monde écoute de nos jours mais je m’ennuie bien souvent. Si je ne suis pas de mon temps, à quelle époque est-ce que j’aspire ? J’apprends via ces plateformes de streaming musicales sans-âme qui exploitent la moelle des musiciens et des créateurs sans être elles-mêmes rentables que Lauryn Hill ne s’appelle plus Lauryn Hill mais Ms Lauryn Hill. Bien. Et dans à peu près tout ce que je lis je n’arrive jamais à me souvenir du nom des personnages. C’est pareil dans la vie, remarque, et je dois en passer par des moyens mnémotechniques biaisés pour parvenir à mes fins. Il y a quand même un problème de taille dans ces romans de super-héros : pour que ça vaille le coup, le récit se construit autour de plusieurs personnages dotés de pouvoirs. , ils sont sept. Mine de rien, c’est beaucoup sept quand chacun doit avoir de l’épaisseur, et de l’importance. Mais admettons. Le problème, c’est que chacun a deux identités (l’état civil et l’alter ego) et un (ou plusieurs) pouvoir(s). Comment retenir tout ça ? Soit l’intrigue est exceptionnellement prenante, et c’est naturel (ce n’est pas le cas ici). Soit on s’emmêle très vite les pinceaux et on en vient à confondre non seulement qui sont les personnages entre eux mais quel est leur pouvoir, donc la manifestation dans le fil narratif de leur personnalité. On ne sait plus qui ils sont ; donc en s’en fiche un peu. Trouver comment y remédier pour LS, dont le titre pourrait finalement tout à fait être It’s weird to walk in the street at night with my own head in a jar... 1. Voilà qui ferait aussi une très bonne chanson de Radio-Blondered-Portis-head.


  • ↑ 1 C’est chelou de déambuler la nuit dans la rue avec ma propre tête dans un bocal.