8 avril 2011Chaque fois que j’ouvre le premier volume du Black Herald, paru en tout début d’année, j’entends des airs issus de Black guitar, chanson de Blonde Redhead, et ça me plaît. The Black Herald est une revue de littérature bilingue, au sommaire exigeant, qui n’a a priori rien à voir avec Blonde Redhead. The Black Herald s’ouvre sur plusieurs langues, la plupart des textes présentés dans ce premier numéro sont donc en anglais ou français, traduction à l’appui pour la plupart. Sont proposés également des textes traduits du russe, du néerlandais, de l’allemand, du portugais ou du roumain avec, presque toujours, le texte original associé. Une revue éclectique et exigeante dont l’édito (qui curieusement n’est pas traduit en français) s’ouvre sur cette citation de Wyndham Lewis : « Beyond Action and Reaction we would establish ourselves ». La ligne éditoriale de la revue s’attache avant tout à établir un horizon élargi et diversifié de genres (beaucoup de poésie dans ce premier numéro, mais aussi des extraits de romans, de la fiction courte, de la critique littéraire), de langues et de styles. Aucun thème ni mouvement commun, simplement (et c’est là que se trouve tout le sel de ces pages) l’articulation d’hémisphères, quelques terres inconnues reliées les unes aux autres pour que le style, justement, de la revue, ce soit ce point de convergence des textes entre eux. Parmi les auteurs présents dans ce premier numéro, évacuons d’abord le cas Claro dont j’ai déjà dit tout le bien que je pensais de son Cosmoz : il en propose plusieurs extraits, accompagnés par leur traduction en anglais signée Brian Evenson. Sébastien Doubinsky est également de la partie avec une version anglaise de son On ne crache pas sur l’homme mort déjà publié il y a un an environ dans le Quarterly des éditions Zanzibar. Au cœur de la revue signalons également ces deux textes très forts de Philippe Rahmy, extraits tirés de Demeure le corps et Mouvement par la fin dont le corps, justement, est au centre (« je ne tiens pour vrai que ce qui me mutile »).
Comme signalé plus haut, la poésie tient une place très importante dans cette revue qui se veut pourtant ouverte sur tous les genres, et c’est assez rare pour être signalé, puisqu’elle représente plus de la moitié des textes proposés au sommaire. Mais au-delà du genre en lui-même, et au-delà des époques, c’est tout un éventail de littératures modernes qui est déployé dans ce numéro qui semble prôner l’ouverture et surtout l’éclatement, avant tout géographique puisqu’on ose ici mélanger même les langues et les destinations (« There is no north, no south, / no east or west in space, / no up or down, / all fixed points are arbitrary », écrit Darran Anderson dans Ghost in the Machine). Même chose s’agissant des époques, puisque le plus proche contemporain (extrait du Livre des Visages ou La chienne de l’analyste de Sylvie Gracia, initialement publié au jour le jour sur Facebook et continue de l’être) peut également côtoyer Cioran, Georg Trakl ou Rodenbach. Quant à Andrew O’Donnell, poète anglais que je découvre, il signe un texte à la folie précieuse (« let me be mad enough to sing this heaven »), dont l’impact est tel qu’il est happé par l’oeil littéralement, déformé par les hachures opérés sur le rythme, déformé par le style télégraphique éparpillé, déformé par l’agencement des paragraphes, un texte marquant comme un « passeport pour le silence, c’est tout ».
Autre réalité, cette lettre d’Emil Cioran, vingt ans, bien avant l’écriture de son premier livre, que le Black Herald intercale entre un « why it all / suddenly / stops » de Darran Anderson et « le corps est l’orifice naturel du malheur » de Philippe Rahmy, et qui se termine comme suit :
Longtemps après que Black guitar s’est dissipé, j’ai toujours mon Black Herald entre les mains et je découvre. Au-delà d’une revue au sommaire soigné et à la vision étendue, je découvre des voix et auteurs pour moi jusque-là totalement inconnus, comme un « portal / to un-smelt air / in which the ear knocks gently & U try to answer » (Andrew O’Donnell encore). |