Michel Berger



  • 151111

    15 novembre 2011

    Lost Highway

    « Pourquoi, fils d’Agénor, regardes-tu ce serpent qui vient
    de tomber sous tes coups ? Toi-même un jour tu seras serpent
    comme lui. »

    À ces paroles menaçantes le héros pâlit ; la terreur lui a ra-
    vi l’usage de ses sens, et ses cheveux hérissés se dressent sur sa
    tête.

    Mais Pallas, qui le protège, descend de l’Olympe à travers
    les airs ; elle s’offre à ses yeux, et lui ordonne d’enfouir dans la
    terre entrouverte les dents du dragon, qui seront la semence
    d’un peuple nouveau. Cadmus obéit ; il trace de longs sillons ; il
    y jette ces semences terribles ; et soudain, ô prodige incroyable !
    la terre commence à se mouvoir. Bientôt le fer des lances et des
    javelots perce à travers les sillons ; puis paraissent des casques
    d’airain ornés d’aigrettes de diverses couleurs ; puis des épaules,
    des corps, des bras chargés de redoutables traits ; enfin s’élève
    et croit une moisson de guerriers.

    Ovide, Les métamorphoses, traduction de G.T. Villenave.

    Tout gèle, les pare-brises et la prune de nos yeux. Quatre jours off dans la nuque sont devenus des jours, des semaines. Les bureaux sont bien vides. Tout le monde s’est barré. Hubert Nyssen est mort. Je prends des coups de jus dans chaque tempe en écoutant Daft Punk. J’ai dans la tête Diego libre dans la sienne depuis la veille et matin. Alors je pense à N., P. Le gars de la gauche, le siège en face, ouvre sa fenêtre sur la nuit, inonde la rame des cinq degrés Celcius d’à côté et volatile l’alcool depuis sa peau vers les nôtres. Je décline : on m’appelle pour me donner du taf. Le correcteur automatique de l’iPhone m’impose au pouce le mot marché à la place de la marche. Je peste contre le sale diktat de la phynance.

  • 210818

    21 septembre 2018

    Et sinon t’as essayé avec du bicarbonate de soude ? Me voilà officiellement prêt à devenir grand-mère. Misère Balkaï doit être du genre à vouloir utiliser, en toutes circonstances, du bicarbonate de soude. Il y aurait un épisode comme ça où elle passerait son temps à l’essayer à toutes les sauces. Et ça fonctionnerait. Savoir si Balkaï est du genre à avoir les larmes aux yeux quand elle écoute des chansons... Par exemple, est-ce que La complainte de la serveuse automate l’émeut aux larmes ? Ou encore, cette cover étrange de Wicked Game par Pipilotti Rist intitulée I’m A Victim of This Song ? Peut-être bien que After all ça la fait pleurer. Je pourrais tout aussi bien laisser tomber cette série. Mais s’il y a bien une raison qui me pousse à m’accrocher (ou bien, qui sait, à m’entêter) c’est une scène tirée de l’épisode 4, encore inédit. On confie à l’héroïne la tâche de retrouver un document perdu en lui envoyant, par email, sa copie numérisée. C’est une image, ou un texte je sais plus. Et elle, elle trouve effectivement la trace de ce document. Elle se pointe au datacenter où est stocké le fichier. Voilà. C’est tout. Et ça me donne envie de republier les deux premiers (peut-être en les retouchant, en les simplifiant un peu) et les deux suivants. Il me faudrait un pseudonyme pour ça. Mais tous ceux que j’ai mis de côté jusqu’à présent (et dont je n’arrive pas, pour le moment, à trouver l’usage) ne vont pas. J’ai donc des identités sans textes et des textes sans identité. C’est pas très grave en soi. Juste, c’est là.

  • 220818

    22 septembre 2018

    Lui, c’est un photographe qui travaille l’envers de ses photos : au verso, il dessine ceux dont il a tiré le portrait sous les traits de personnages de la Bande à Picsou. Moi, je suis englué dans des histoires d’orthographe, d’accords, d’adjectifs qui sont, des fois, des adverbes. Et pourquoi la langue française est-elle aussi complexe ? Dans ces circonstances, il convient d’écrire xxxxx mais devant un adjectif féminin au pluriel et s’il a plu dans les dernières quarante-huit heures, il faut écrire xxxxy. Et bien entendu les auteurs auxquels on se réfère ont toujours cru bon d’écrire des trucs à leur sauce alors on ne sait plus s’il faut plutôt écrire comme Larbaud ou comme Bernadin de Saint-Pierre (j’ai mon idée) car, oui, Bernardin de Saint-Pierre est entré subitement dans ma vie aujourd’hui... et y est ressorti aussi sec. Du reste, ça n’explique pas pourquoi Johnny Rockfort prétend qu’il viole les filles dans les parkings quand il en est à arriver en ville. C’est un truc qui m’a frappé dans ma lecture — en cours à l’heure où j’écris ces lignes mais probablement achevée à l’heure où je les publierai (non) — de Kronos, le versant le plus intime du Journal de Gombrowicz. Voilà ce qu’il écrit (parlant d’une fille, car il tient le compte des personnes avec qui il a couché) celle-là que je n’ai pas pu violer. Un peu plus loin, toujours dans une énumération de conquêtes :

    2 putains de Mokotów. L’amie de Jadźka. La danseuse de Wilno. O’Brien de Lassy. La putain, chaude-pisse. La fille que je n’arrive pas à violer. Je me saoule, je me promène dans la ville. La bonne de Zaborów. La serveuse du Zodiak (avec Piętak)

    En 1938. Bon, c’est quand même préoccupant. Parce que, pendant ce temps, dans le monde présent, certains de ceux qui s’étaient offusqués, pendant #metoo, que l’on dénonçait des hommes intègres semblent se gargariser qu’Asia Argento, victime d’Harvey Weinstein, ait conclu un accord avec un jeune homme qui l’accusait d’agression sexuelle. Voilà d’où viennent ces trucs : de partout en définitive. Et voilà comment ils circulent au milieu d’autres préoccupations du jour. Par exemple : j’ai dû choisir un extrait de CdT à afficher sur la page qui me sera dédiée sur le site de la MéL. J’ai mis du temps. Ce n’est pas un texte dont on peut facilement isoler des extraits. La marque des mauvais livres ? Je sais pas. Ce que je sais, c’est que si c’était à refaire, je ferais probablement les choses très différemment. J’ai, finalement, choisi ce passage, situé dans la dernière partie du livre, qui n’est pas forcément celle à laquelle on pense finalement :

    Je suis mon père à la trace. Il sait pas que je le suis et je sais pas que c’est lui : tout le monde y gagne.

    Pour un pas posé sur le trottoir bouillant je plaque semelle idem dans le même mouvement. Mon corps furtif plié sous moi je l’abrite dans son ombre. Filature sans bruit. Vacarme en marge.

    Il force le pas. Je crois qu’il m’a vu dans un reflet vitrine. Mains dans les poches il accélère. Je suis. J’avale des glaires. Je crache ma faim. Je tiens quand même et même sous ses coups de speed je décroche pas.

    Il prend des voies détournées, piétine exprès dans les rues en travaux, s’enfonce par cœur dans les tranchées sens interdit. Je tourne avec lui.

    Il fuse le long des murs, slalome entre les corps, moi je traverse. Fonce.

    Il tourne à droite, moi je vais tout droit, cours un peu jusqu’au prochain carrefour, puis vire à droite et droite encore pour le coincer plein axe contre un feu rouge. Une fois qu’il est en face de moi et qu’entre nous y a plus personne et qu’on est seul dans le silence de la rue et que le soleil crépite vertical sur nos deux corps carbo, je me rends compte que derrière son visage c’est pas mon père et qu’en vrai c’est quelqu’un d’autre et je le laisse me cracher à la gueule parce que je lui dois bien ça.

  • 050322

    5 avril 2022

    Je peux savoir qui a mis la tête d’Eric Zemmour sur le corps d’un animal mort venu me visiter en rêve ? Ça se fait pas. Fin de la récolte 2019 : 68 passages mis de côté. J’ai détesté cette année. La relire et, je crois bien, la vivre. Je n’ai pas oublié Dario Cvitanich. Je prépare mes relances à envoyer aux auteurs dont il me manque la réponse pour les droits d’auteur 2021 en écoutant Starmania. Il y a plusieurs chansons dont je n’ai plus aucun souvenir, par exemple « Quand on n’a plus rien à perdre », dont il n’existe par ailleurs aucune cover correcte. Les chanteurs peu sûrs d’eux quand ils font des reprises passent leur temps à déformer la mélodie pour la tordre vers eux, et, croient-ils, la rendre singulière. Les écrivains peu sûrs d’eux font de même avec le roman.