kiss bye boy



  • 060610

    6 juin 2010

    Numéro du TGV du jour. Étudiants japonais investissent le wagon et je me dis que peut-être ce serait cool d’en vrai encore être étudiant. Ou que ce que serait cool de partir vivre à l’étranger le temps d’y croire et d’oublier que ça aurait pu être différent. Plus loin Bronsky fait portier de nuit pendant trois semaines (Fuck America) et je me dis que peut-être ce serait cool de bosser de nuit pendant trois semaines. Plus loin corps voisin monté gare de Perrache traverse le sas Converse noires montantes aux chevilles et je me dis que peut-être ce serait cool, etc.

    100_2201.jpg

    Je relis encore Coup de tête, j’y comprends rien : tout est à chier depuis que je lis Hilsenrath : fuck lui. Larbaud au moins était envahissant, lourd à traîner, ok, mais avec lui j’avais pas ce problème. Dans le train aussi difficulté à se concentrer. Faut être ailleurs. Faut mieux bosser.

    Vendredi vu L. et I. pour une soirée. Pas vu L. depuis quoi ? des années ? Je lui dis salut. Prends des nouvelles. Elle me demande où j’en suis maintenant : la dernière fois qu’on s’est vu tu vendais des machins sur Internet. Je lui dis putain mon Journal est en ligne et t’es même pas foutue d’avoir accès à ma vie privée ? Puis je lui explique. C’est à dire que je sais plus trop où je suis ni trop où je vais ni quand. Elle me ramène dans sa voiture en panne. Me dit faudra se revoir.

    Le contrôleur du 6393 me dit franchement faudra changer la photo de la carte 12-25 parce qu’on n’a plus 16 ans. Lui réponds que j’ai pas demandé à plus l’être.

    Voisine de droite chiale retournée contre sa vitre place 80. Elle vérifie de temps en temps qu’autour on l’entend bien chialer et qu’on est là. Voilà maintenant qu’elle me demande un kleenex.

    Aperçu hier P. comme Pierrot qui s’endormait quand il m’a vu. J’ai pris des photos à bout portant droit sur l’écran, droit sur la cam quand il dormait. J’ai pas cadré le visage, enfin je crois pas. Je crois plus qu’il pourra être mon personnage de kiss bye boy qui est un ado, certes, mais qui n’est pas lui, et surtout qui est ailleurs. Et puis kiss bye boy n’existe pas, c’est juste un titre avec des notes que je complète des fois. Tout à l’heure corrigé le fichier, j’y ai supprimé toute la ponctuation, j’arrive à trois pages titre compris, alors on est nulle part. D’ailleurs il me parle par monosyllabe et il s’endort encore. Je lui dis bonne nuit Pierrot et me déconnecte. Torse nu figé sur la cam qui freeze quand on éteint.

    J’aimerais juste être partout où je suis pas (c’est à dire à côté) mais quand je bouge y a tout qui suit, alors je râle. J’ai dit hier la fameuse phrase à P. : « rien ne sera jamais possible entre nous parce que je suis marié ».

  • 210710

    21 juillet 2010

    Si le crash disque dur du Macbook survenu dimanche après l’attaque de Rafael Valls dans le Col de Pailhères mais avant le cirque Schleck / Contador dans l’ascension (comme il semblerait que cela se confirme dans les jours qui viennent) et si aucune récupération des données n’est possible, cela signifierait la perte de :

     40 pages de corrections Coup de tête effectuées samedi ainsi que toutes les versions intermédiaires effectuées depuis septembre 2009

     550 pages de journal quotidien non mis en ligne

     environ 130 fragments compilés d’Accident de personne

     30 fragments du Livre des peurs primaires

     5 pages de kiss bye boy

     environ 10 pages de Prudhommes.rtf

     tous les brouillons de tous les machins, écrits ou pensés

     tous les machins commencés, oubliés et jamais terminés

     tous les fichiers sources d’Omega-Blue, Qu’est-ce qu’un logement. et Fuir est une pulsion

    C’est pas vraiment pire que le pire de mes cauchemars mais c’est pas terrible non plus : le pire est sauf (Coup de tête pas mort, Accident de personne éparpillé dans mes Ipod/Iphone) et toutes les pertes concernent surtout le back office : c’est à dire le labo du texte. Mais à suivre...

  • 170910

    17 septembre 2010

    Paris gare de Lyon en travaux : bientôt gare va s’extirper de l’ombre dans laquelle je l’ai fixée en écrivant Coup de tête. Ce n’est pas, en soit, un sacrifice puisque la gare telle que je l’ai arpentée en repérages et fréquentée au quotidien n’a jamais pu correspondre au lieu évoqué dans le texte, le temps du récit étant situé quelques années trop tôt. V. me demandait autrefois pourquoi ces détails liés aux lieux étaient si importants : je n’ai pas vraiment pu répondre à l’époque, je n’ai toujours pas la réponse aujourd’hui.

    J’attends, Gare de Lyon, l’arrivée de E. au pied du TGV : c’est pour cette raison que je traverse encore cette gare. Rien à voir avec Coup de tête. E. arrive à l’heure, son TGV sur les épaules. Aux guichets, près des Départs Express Pro dont il est brièvement question dans la deuxième partie elle change son billet de retour. Midi différé quatorze heures mangeons thaï au Num proche les Halles. Plus loin Tuileries via le Louvre. Météo : soleil, 15 degrés de septembre. Je lui raconte mercredi, mon entretien Pôle Emploi. Les phrases retenues sont les suivantes : 

    1) Pôle Emploi n’est pas là pour vous trouver du travail
    2) les licenciés économiques comme vous ne sont pas comptabilisés dans les chiffres du chômage et
    3) désormais c’est un cabinet privé qui va vous prendre en charge.

    E. me parle de faire le tour du monde. Je lui dis tous les deux on se supporterait pas, quelque part ce serait marrant. Je lui dis je sais pas trop si faire un tour du monde ça me tenterait. Je lui dis tu crois pas qu’au fond on y retrouverait quand même notre même petite vie banale, même au bout du monde ? Elle me dit si. Derrière nous des mecs jouent au foot, se foutent à poil. Au cœur de Paris elle me déplie New York, la ville qui n’existe pas. Elle me parle de ceux qu’elle croise. Sans prononcer son nom, elle demande P., des nouvelles ? Je lui réponds nous avons disparu simultanément l’un pour l’autre. Peut-être, sans doute, est-ce une fiction factice de plus qu’il me faudra gommer. Et kiss bye boy n’existe plus.

    Avant de repartir je lui demande si elle veut bien lire Coup de tête une fois que le truc sera bien terminé. Elle me laisse pas finir ma phrase pour accepter.

    En quittant Gare de Lyon je me rends compte que tous les Escalators traversés aujourd’hui étaient inversés depuis mes derniers jours de boulot. Bizarre. Ça fait déjà un mois, ça fait à peine deux heures. 

  • 290910

    29 septembre 2010

    Ce matin trop peu dormi, parti retrouver Juliette Mézenc au Louvre, déjeuner au Num (décidément), saumon je crois. Ce matin 8h H. me réveillait car j’avais laissé la clé sur la porte et la porte (donc) n’ouvrait pas. J’ai dit franchement, 8h, quoi, 8h... M’a dit fallait pas laisser la clé gros malin. Me suis recouché.

    Dans le train pour venir poursuite Vies de saints, un mec bourré derrière explique qu’à l’enterrement on lui a rien filé mais on lui a tout pris. Et hier croisé P., très brièvement, sur messagerie instantanée me demandant pourquoi j’avais flingué kiss bye boy et lui répondant que ce n’était pas très important, que c’était foutu déjà, il se vexe. Et qu’est-ce que ça me coûterait de l’ajouter au site Fuir est une pulsion qui prendra la suite du blog dans quelques semaines, me suis demandé. Réponse à venir. "La suite sous peu." (© g@rp)

    « Moi, j’ai fait la guerre, Max, et pas toi », pense Alejo. « Toi, tu es plus jeune que Nina et ça me dégoûte un peu, je ne sais pas très bien pourquoi. Tous ces muscles ne peuvent certainement pas cacher plus de dix-huit, dix-neuf ans. Tu es un petit gamin du millénaire et moi j’appartiens à cette espèce bizarre en voix d’extinction. Pour toi, je suis un animal préhistorique. Le fait que tu puisses me tuer à coups de pied sans grand effort n’empêche pas que je sois bien plus digne d’attention pour le monde entier, que je possède plus de valeur et que je sois plus important que toi. Cela dit, il est vaguement vraisemblable qu’un petit gamin de notre millénaire soit mieux assemblé qu’un légitime survivant des inoubliables et lointaines années 1980. C’est vaguement vraisemblable... »
    Rodrigo Fresán, Vies de saints, Passage du Nord Ouest, trad : Serge Mestre, P.93.

    Juste avant de se retrouver cour carrée du Louvre Juliette, ne m’ayant jamais rencontré précédemment et ne sachant pas précisément quelle tête j’avais, a visiblement accosté un de mes doubles qui n’était, sauf lourde erreur de ma part, pas moi. Le double lui a répondu je ne suis pas Guillaume mais bon courage et a pensé, sans doute, à une rencontre Meetic ou un blind date occasionnel. Je ne sais pas quelle tête avait ce double et si son ombre était réellement une déclinaison possible de la mienne (j’aime le penser) mais je me pose la question de savoir quelle a été, par la suite, la progression de sa journée. Peut-être l’envers de la mienne.



    Plus tard, au Num, entre deux saumons, Juliette m’explique la poursuite du journal du brise-lames dont j’avais accueilli ici-même un épisode lors d’un vase communicant précédent. Je lui explique mon chômage tombé du ciel, la fin de Coup de tête. Je prononce même la phrase, très improbable mais bien réelle « je vendais des chiottes, et oui, sur internet ».

    Un peu plus tard, après que Juliette soit repartie de son côté, achat du dernier Philippe Vasset. Achat aussi de Tanganyika Project, de Sylvain Prudhomme, sans doute pour fêter silencieusement l’annonce de la poursuite du Tigre.

  • 301010

    30 octobre 2010

    Des trois films vus cette semaine (Kaboom mardi, A Single Man jeudi, Into the Wild hier), lequel le plus propice à me propulser vers une fuite fictive mais concrète ? Lequel de ces trois corps le mieux armé pour disparaître ? Thomas Dekker, Colin Firth ou Emile Hirsch ?



    Et surtout pourquoi moi, l’oeil à l’envers de l’écran, choisirais encore d’y voir la fuite, dans ces trois trajectoires et pourquoi elle me fascine ? Je l’écris comme je le pense, en surexposition aux 2’24 de Cocoon : I will be gone.

    Je cherche vaguement a situer ces trois corps par rapport à Trois pylônes, dont j’ai pensé brièvement hier que je pourrais en faire un recueil : un recueil de versions alternatives de la même nouvelle. Ça ne m’aide pas beaucoup à déterminer quelle est la trajectoire de ce corps sans histoire qui marche, la nuit, le long d’une départementale, et surtout où il va : j’ignore encore comment cette histoire pourrait finir.

    kiss bye boy est dans le même état : une fuite qui ne dit pas son nom. J’avance millimètre par millimètre à coup de quelques mots hasardeux mais confus. Lorsqu’une voix demande à Pierrot pourquoi il fuit, voilà le texto qu’il envoie :

    y répondre ce serait comme accepter de revenir ou n’être jamais parti à la base, étouffer

    J’aime penser que le texto est bouffé par une erreur réseau quelconque et que la suite ne pourra jamais apparaître.

  • 081110

    8 novembre 2010

    Retrouvé mes parents de passage à Paris quelques jours, fin de matinée, il pleut. Dans le train pour venir, sur le siège voisin, une capote oubliée. D’abord trouver un parapluie.

    En venant de nombreuses idées justes pour articuler kiss bye boy, récit fantôme dont le squelette n’a jamais été posé, mais je ne les ai pas notées. J’y pensais en lisant Les vagues, j’ai eu d’autres envies en écoutant podcast de Sur la route ce week-end. Reste à articuler.


    Quelques librairies et je n’ai pas acheté les livres suivants : Méridiens de sang, Impressions d’Afrique, Nouvelles impressions d’Afrique, Les jardins statuaires, Into the wild, Suicide, 13 cents, L’affaire N’Gustro, Correspondance Elie Allegret – André Gide, ni aucun livre primé d’ailleurs, récemment ou pas.

    Dans l’église St Sulpice, un mec pionçait, godasses défaites, les pieds sur une bouche de chauffage. Dehors de beaux corps buvant Starbucks, les grands gobelets, mais en marchant.

    Dans le train du retour revoir la nuit couler sur les vitres, des chansons d’autres temps planent dans l’Iphone et je remonte le temps en me tenant la nuque. Les douleurs d’hier sont passées par derrière, maintenant j’ai mal au dos. En rentrant collé post-it sur la table de la cuisine pour rappeler à mon moi futur (donc parallèle) de demain matin de surtout ne pas déjeuner, rester à jeun pour l’échographie de 8h45 qui me fera, j’espère, vomir ces aiguilles.

  • 131110

    13 novembre 2010

    Hier soir retrouvé N., V. et M. devant la fontaine des Innocents, et pendant que je les attendais, plaquant sur les corps qui traversaient mon champ de vision leurs visages, ou ce que je me souvenais de leurs visages, une femme le vent dans la tête me demande si
    1) je suis parisien et
    2) je sais où se trouve le restaurant Le pied de cochon, et le plus étonnant n’est pas tant que l’on me pose la question mais que je sache y répondre, et je lui réponds, ça y est, et elle y disparaît.
    C’est un peu après que je prends cette photo : les yeux surexposés, je crois.


    V. me parle d’Ernesto & variantes, notes à l’appui, et je lui lâche que c’est bien « le meilleur truc que j’ai jamais écrit » et le pense réellement. Plus tôt, matin, j’ai reçu mes manuscrits fraichement imprimés et Coup de tête pourra bientôt partir, tout prêt qu’il est à m’être renvoyé dans la même enveloppe en retour pas même décacheté.

    L’émission semblait avoir une passion pour le classement des choses en listes de dix. Nous avons vu ce que l’équipe de recherche du Late Night considérait comme les dix pires publicités au monde. Je me souviens du numéro quatre ou cinq : un fabricant de voitures allemand tentait de lier l’achat de sa voiture en forme de boîte à la satisfaction sexuelle en montrant, sur un décor de bois de pins, une langoureuse femme nordique qui succombait aux charmes du levier de vitesse.
    « Ah oui, je vois le rapport », a dit Letterman à la fin de la vidéo. « Et vous, mesdames et messieurs ? »

    David Foster Wallace, Mon image in La fille aux cheveux étranges, Au diable Vauvert, trad : Charles Recoursé, P.232-233

    M. nous parle d’un livre de médecine légale qu’il a récupéré et qui « montre littéralement l’effet et le cheminement d’une balle et sa pénétration dans le corps » et je me dis putain ce bouquin est pour moi et je le veux. Il n’y a pas si longtemps, finalement, en sortant de la fac descendre à pieds par la rue Michelet et acheter chez un bouquiniste quelques dictionnaires de médecine, anciens ou non, et les ramener chez moi pour les lire, absolument fasciné. C’est cette absolue fascination que me procure la simple image mentale d’une balle déchiquetant et explosant à l’intérieur du corps, n’importe lequel, et photos à l’appui pour en montrer l’impact, le sens et les répercussions. Et quand on me demande ce que j’écris, je réponds « des trucs minuscules et même sans importance » mais ce que je ne dis pas, c’est que kiss bye boy, dans ma tête tout du moins, est tout à fait prêt à être posé sur l’écran et écrit véritablement, mais que j’ai réellement peur de le commencer, peur de le rater une fois encore et de n’avoir plus, cette fois, rien à écrire du tout. V. me dit qu’en tout cas j’ai « beaucoup publié cette année » et c’est vrai, même si pour moi cette période n’est pas cette année, mais à des dizaines de kilomètres de ma mémoire immédiate, voire a million miles away from home, comme le dit la chanson.

    Au Zam-Zam, bouis-bouis où on mange, et plutôt bien, les mecs à la fin viennent nous offrir le thé à la menthe, et d’autres mecs nous vendent des fleurs, beaucoup de fleurs, parfaitement plastiques, nécessairement roses, et conçues très certainement pour supporter le terrorisme international en explosant synthétiquement au moment où on l’offrirait au corps encore adoré, mais nous ne sommes pas dupes et n’achetons pas de fleurs. Je crois que la conversation au Zam-Zam, à l’angle de la rue St-Denis, s’est terminée un peu après la phrase « et tous les choix qu’on peut faire encore au cours de la vie sont mauvais, et pas un seul n’est le bon puisque ces choix c’est nous (et par nous j’entends je) qui les faisons ». Tant pis pour Sacado, Amérique du Sud, et ses trekkings solos le long de la Cordillère des Andes que N. rêverait de faire mais ne fera jamais, on reste là et puis on se sépare, quelque part avant minuit, moment où les caillasses grêlent sur la carlingue des trains en marche. À l’intérieur avec N. (V. et M. sont repartis dans leur hôtel de luxe, et nous plongés direction la banlieue de banlieue), le mec à ma gauche crache un peu partout ses ongles et N. me dit décembre il faudra qu’on se revoit.

  • 291110

    29 novembre 2010

    J’essaie de situer l’envoi du tout premier manuscrit : qu’est-ce que c’était et surtout c’était quand ? Il n’y a rien à ce sujet dans les archives du Journal, j’ai vérifié, mais il me semble qu’il pourrait s’agir d’un truc appelé Point d’interrogation et que j’avais envoyé, je crois, à 17 ans pas plus, à deux ou trois éditeurs qui l’ont refusé.

    Je me souviens à peu près de mon état d’esprit après avoir reçu ces réponses négatives (ou si je ne m’en souviens pas je peux très facilement les reconstituer) mais je n’ai rien sur mon état d’esprit d’avant l’envoi. Ce que j’essaie de savoir c’est si ces premiers envois étaient totalement enthousiastes ou totalement corrompus par une impression de « déjà foutu » que je traverse actuellement, au moment de préparer physiquement les envois de Coup de tête. En un mot « est-ce que ça pourrait prendre » et quelle confiance au texte je pouvais avoir alors.

    Point d’interrogation c’était l’histoire d’un truc dont je pouvais à l’époque dire que c’était, justement, une histoire, et que je pouvais résumer en une phrase. C’était l’histoire, donc, d’un type qui était passeur et qui poussait les morts du Vivant vers ailleurs. En finissant les préparatifs du projet Accident de personne, je me rends compte à présent que l’un de ces 160 et quelques fragments le ramène momentanément à la vie, ce personnage là trouvé à 17 ans, sous la forme suivante :

    on l’appelle le passeur, il te donne la main, te dit suivez le guide, et te demande juste un pourboire avant de te lâcher sur la voie

    C’est après-demain qu’Accident de personne sera « propulsé » et le travail sur ce projet est déjà terminé, ne reste plus qu’à tout entrer dans TweetDeck pour que la machine, elle-même et à heures fixes, lâche automatiquement les fragments composés. Je reprendrai ensuite, c’est prévu, un bout de
    Qu’est-ce qu’un logement pour le compléter, et idem pour le Livre des peurs primaires qui approchera bientôt des 200 « peurs » en ligne. Ces petits projets éparpillés me demandent du temps, mais surtout me permettent de remettre à plus tard cette autre chose à écrire, plus longue et plus dense et que je veux retenir, par peur de la faire exploser en vol. Faudra voir en janvier.

  • 251210

    25 décembre 2010


    Bach, Cello Suite #1 In G, BWV 1007 - 1. Praeludium) - Interprété par Paul Tortelier.

    J’expliquais à ma mère, mon père, que Paul Tortelier était Bach. Car ce disque je l’ai toujours vu trainer ici ou là, prêt à être joué, joué parfois jusqu’à l’indigestion, et, étant gamin, la pochette du disque étant le disque, par métonymie, j’avais mis la gueule sévère et stricte de Paul Tortelier sur le nom de Bach, qui n’était lui-même pas un nom ni un mot mais un son, un son qui derrière appelait d’autres sons. J’ignore à quel instant précisément je me suis rendu compte de mon erreur et quand précisément les corps se sont désassemblés. Le son, lui, est toujours le même, et ce n’est qu’à présent, plus de quinze ans plus tard, que je l’embarque à mon tour dans ma propre mémoire mobile de musique en mouvement.

    Par dessus Bach lire C’était, cadeau de circonstance de Joachim Séné, livre miroir du précédent, à lire ou télécharger gratuitement sur son site. C’était serait sans doute l’envers de Sans. Composé de contributions au site Convoi des Glossolales, C’était est une compilation. Je l’ai lu d’une traite dans la soirée. Derrière, en fond d’écran paramétrable de Stanza, j’ai mis les ombres de quelques lunes issues, je crois, de Jupiter.

    C’était partir le midi avant les autres, « j’ai un déj », uniquement pour se retrouver seul, dans un restaurant que l’on savait jamais fréquenté par les collègues ou dans un parc, une cour d’immeuble proche et tranquille, avec un sandwich et un livre.

    C’était voir arriver un nouveau, jeune diplômé, en costume, bien rasé, bien coiffé, timide, volontaire, et savoir que, petit à petit, il ferait tomber la cravate, et puis le costume, et prendrait autant de pauses café que nous.

    Et puis c’était attendre, sachant pourtant déjà que c’était foutu, que P. ou Q. qui sait se connecte, sur l’un ou l’autre des logiciels de conversation instantanée, tout simplement pour aligner deux mots et s’en voir répondre deux autres en retour, car c’est maintenant qu’on se sent prêt à démarrer l’écriture de kiss bye boy tout en sachant, pourtant, pertinemment, que sans eux on ne le pourra pas.

  • 251210

    27 décembre 2010

    J’aimerais que la voix, pour ce texte, soit semblable à celle de Thom Yorke, soit une espèce de chanson fermée de Radiohead, de celles où Yorke respire bien fort. J’ai toujours eu, je crois, un faible pour les chanteurs asthmatiques, les cages thoraciques qui s’accrochent. C’est le cas sur Jigsaw falling into place. Björk et Matthew Bellamy aussi font ça très bien. Hier, discutant avec Q. (et H. me demandant qui est Q., ma réponse : Q. est un autre P.), l’écran d’Ipad incliné sur le côté pour y projeter un monde qui craque et crève et finit sous les eaux, il me dit qu’il voudrait, lui, comme tomber amoureux. L’un des personnages de kbb serait comme ça : ce serait lui.

    J’ai relu dans l’après-midi, avant Radiohead, avant dehors, une partie de ce que j’avais écrit il y a quelques semaines mais abandonné trop vite. C’est pas trop mal mais pas terrible. Je me sens m’approcher du moment où je pourrais l’écrire tout en sachant qu’on y est pas encore. Par exemple : je ne saurais même pas par quel(s) mot(s) commencer.

    Je suis celui, dans les chiottes du lycée, qui t’a sucé avant plus rien. Avant putain que tu décampes. J’y suis toujours.

  • Comptes

    3 janvier 2011

    Créer, dans le dossier Journal, un nouveau sous-dossier « 2011 » et, derrière, encore un autre intitulé « Janvier ». C’est pas le premier geste de l’année mais pas loin. Quand à 2010, son dossier est archivé, et les bonnes résolutions des premiers jours, n’ayant pas été écrites, sont oubliées.

    Je termine ce matin la compilation du projet Accident de personne en version, disons, intégrale. Je l’ai porté où je voulais, ai fixé ce qu’il fallait, avec dispositifs parfaitement déportés de ma tête vers l’écran. Ce chapitre est clos.

    C’est à moi, c’est chez moi.
    Je l’ai trouvé seul, comme on invente le lieu où on aura sa vie. Au début je dormais dans le parking, mais ce n’était pas commode, parce qu’ils ferment le soir à neuf heures et n’ouvrent que le matin à six heures. Alors il fallait arriver tôt, et repartir avant qu’ils fassent la première ronde. Dans le renfoncement, je laissais mon sac de couchage. L’avantage c’est la température. À partir du second sous-sol, c’est une température constante, l’hiver comme l’été.
    Et même au mur je l’ai écrit en gros, à la peinture : Morsure, et comme ça tous ceux qui me connaissent savent qu’ici c’est chez moi.

    François Bon, Grève, Publie.net

    Je l’ai écrit quelque part, dans mes fameuses archives, dès le début, que kiss bye boy était comme un Coup de tête bis, pour ça d’ailleurs entre autres qu’au tout début je rechignais à y penser. Avec le temps, et après lecture des Vagues, découverte de Sur la route via la version audio de France Culture, j’ai retourné le texte, pourtant encore inexistant. Ce que Coup de tête raconte (et, oui, ce mot j’y tiens) c’est une fuite adolescente. Ce que je veux chercher dans kiss bye boy, ce serait l’envers, depuis l’oeil de ceux qui sont restés. Le disparu, celui qu’on appelle Pierrot, ne s’exprime que par textos en début de chapitre dont ce serait le titre. Ensuite la voix de cinq corps restés en retrait, appelés successivement dans mes brouillons (car bien sûr ils sont sans nom) : Mère, Prof, Mec, Fille, Foot. De sorte que finalement Pierrot, bien que partout, n’est véritablement nulle part, et comme absent du texte.

    Derrière P., cam freezé sur l’image, photo de Bob Dylan et des lunettes. Pierrot, lui, aura derrière son crâne image de Manuel Jodorov.



    Dire que j’ai déjà commencé l’écriture serait un bien grand mot, mais depuis trois nuits j’empile les brouillons, écrits directement sur l’Ipad, d’abord pour tester PlainText, ensuite par habitude de la veille, quand les yeux secs me brûlent, signe que c’est un moment à creuser. Je dois encore me défaire de quelques mimétismes mais c’est déjà mieux engagé qu’avant. Et le principal problème qui reste, ce n’est pas que je n’ai pas les mots, mais plutôt pas la langue. Pas un problème de ton mais de timbre. Je dois d’abord trouver comment ces voix je peux les aborder et les organiser ensemble. Une fois ces éléments trouvés, ce problème résolu, je commencerai à mettre en ligne directement le texte, au fil de l’écriture, et on verra ensemble jusqu’où ça court.

  • 060111

    6 janvier 2011

    J’ai rempli mon planning, lu ce qu’il fallait, écrit comme je devais, par strates comme décidé la veille, mais résolument sans âme et nécessairement en toc, un clavier en carton, l’écran format A4, les mots des tâches d’encre, et derrière rien de solide, rien qui soit vraiment bon, dans aucun des domaines traversés, et si j’ai rempli mon planning, lu ce qu’il fallait, écrit comme je devais, je l’ai fait sans plaisir aucun et sans aucune réussite, journée comme celles de Larbaud quand il écrit que « l’irrégularité de l’écriture [viendrait] en partie de l’irrégularité du pouls », j’ignore si c’est de là que ça pourrait venir, de l’intérieur de mes poignets et de ma gorge, j’ignore si c’est ici que ce qui coule n’est jamais bon mais c’est le cas.

    Il se préparait maintenant à un travail qui lui prendrait encore plusieurs années et qui risquait de l’anéantir. « Non, dit-il, je ne me laisserai pas anéantir. »

    (…)

    Revenant à son activité d’écrivain, il dit qu’il faisait à présent, « au cours de ces dernières semaines », des découvertes décisives pour son travail. Grâce à son isolement, « grâce au vide régnant ici », il était en mesure de « réaliser un formidable cosmos d’idées ». Tout, à présent se réalisait en lui. Et il s’appliquait de toutes ses forces à mener son travail à bonne fin.
    Afin de ne plus être dérangé dans son travail, il avait fait supprimer « la dernière véritable distraction » qu’il eût encore à Hauenstein : il avait fait abattre, rassembler et distribuer « autant que possible aux pauvres » de la région du Bundscheck, la totalité du gibier qui se trouvait encore dans les bois de Hauenstein.
    « Maintenant, je n’entends plus rien quand j’ouvre les fenêtres, dit l’industriel, rien. Un état de choses fantastiques. »

    Thomas Bernhard, Perturbation, L’imaginaire Gallimard, traduction de Bernard Kreiss, P.57

  • 080111

    8 janvier 2011

    J’ai ouvert kbb, posté premier « sas » pour un projet nommé KOR que j’ai dans la tête depuis plusieurs mois. Chaque page de ces trucs est accompagnée de photos. Ces photos chaque fois prises tout contre l’écran, l’objectif si proche de lui qu’il y révèle le quadrillage du LCD. De cette façon obtenir des images complètement pixelisées, très au delà du « net ». Ensuite avec un filtre (sépia dans le cas de KOR) ou en forçant les contrastes ou la saturation, déterminer une sorte de grain que l’on pourra reprendre pour la prochaine fois, faire une série, avoir une cohérence graphique. Cette pratique est naturellement issue de trois ans et plus de pratique 17h34 : combien d’écrans sur un total de plus de 1100 photos ? Sérieusement, la réponse m’intéresse.

    Ai réalisé par la suite combien cette pratique, venue d’elle-même avec le temps, était en lien avec avant. Je me souviens mon père, c’était il y a dix ans facile

    Matriochka

    C’est une époque que je situe dans la cuisine. Cette époque où mon père, encore lui, repeignait la cuisine avec des éponges et des photos de Provence, de Roussillon, un peu moins d’un an après mon appendicite. La cuisine était ocre, j’étais devant la télé, terminais Final Fantasy IX en trois semaines, une semaine par CD, du coup Final Fantasy IX, qui était comme un conte, était ocre également. Ma mère dans son bureau la journée, même pendant la semaine, arrêtée X jours voire semaines, je crois, pour dépression. C’est une époque où les volets de ma chambre restaient fermés le jour. Époque où je remontais depuis l’en bas des vieux meubles inutiles pour meubler en haut. Ce que je lisais, en noir et blanc et à l’envers, des histoires de rônin qui ne finissaient pas, et ma seule obsession d’alors, simplement de savoir la suite. Époque où je ne retenais jamais aucune violence hors de moi-même, où mes parents littéralement me subissaient. Je me souviens d’un jour, j’ai oublié l’histoire, la raison, le prétexte, ma mère entrant dans le noir de ma chambre où j’étais, peut-être un peu de lumière électrique, marchant sur des œufs, articulant la phrase que bien des années plus tard H. à son tour reprendrait : « tu devrais peut-être aller voir quelqu’un ». Aller voir signifiant consulter, consulter signifiant être mal. Et moi ne voulant rien d’autre que de connaître la suite de Kenshin, rien que le volume suivant.

    quand il peignait encore, une de ses expos place Jean Jaurès. Il avait fait une série de photos de danseuses, combien je ne sais plus, mais une partie de l’expo seulement, pas la totalité. Cette série, les danseuses, rares œuvres de mon père dont j’ai pu être témoin direct durant leur conception. Et le modus operandi comme on dit était le suivant : d’abord mon père, à quinze centimètres de l’écran télé à peine qui, à cette époque, n’était pas encore LCD, photographiait X figures de danseuses et X positions de corps. L’image était d’autant plus terne que la source était enregistrée sur VHS, du coup les couleurs et la forme des corps, cela laissait des grains, des pixels avant l’heure. Je me souviens très bien, assistant à ces scènes, mon père recroquevillé tout contre la télé, l’objectif de son appareil encore plus contre, et ce moi de l’époque, râlant, traînant, déçu adolescent, se demandait pourquoi, franchement, pourquoi il avait besoin de prendre la télé comme on disait alors et qui plus est pour ça ? Les photos n’étant pas encore numériques, mon père attendait qu’elles soient développées sur de grands formats, de mémoire, du moins pour certaines, au moins A3 sinon plus. Pourquoi les avoir étalées dehors, sur le balcon, je l’ignore mais je crois que le truc s’est passé plus ou moins par hasard : dehors et sous le soleil, le soleil se reflétant sur elles et elles reflétant sa lumière et les formes du ciel, mon père a refait une nouvelle série photos, justement pour attraper ces reflets papier glacé diffusés sur le corps des danseuses. Les œuvres au bout du compte, la série des danseuses, consistaient dans l’assemblage ou l’agrandissement des ces photos écrans puissance trois : une première captation pour la danseuse filmée, une deuxième pour la photo sur VHS, une troisième pour la séance reflets sur le balcon. Ces danseuses (il y en a encore aujourd’hui une ou deux chez mes parents, les autres vendues, offertes ou stockées Dieu sait où), ce sont les œuvres de mon père que je préfère, que j’ai toujours adorées sans pour autant, bien sûr, prendre la peine de simplement lui dire.

  • Écrire kbb #1

    16 janvier 2011

    J’écris volontiers avec les initiales, ça me rappelle sans doute groupe de rap quasi homophone que j’écoutais mais brièvement, il y a bien longtemps.

    Revenant sur kiss bye boy je ferai sans doute un premier bilan mais plus tard, quand j’aurais au moins vingt ou trente fragments sur la table. Ça fait à peine plus d’une semaine que le truc est parti, déjà une dizaine de pages mise en ligne, j’avoue j’y croyais peu. Je veux d’abord revenir sur cette impulsion.

    La forme je l’avais en tête, ça fait des mois, articuler le truc sur des textos d’abord, ceux d’un fugueur, et puis derrière la réaction de ceux qui sont restés derrière. Les personnages, cinq en tout, sont venus progressivement. Les organiser par numéros de téléphone, pas la meilleure idée qui soit, pas très lisible, probablement je supprimerai. Dans mes brouillons, c’est organisé comme suit : il y a le mec (0606667778), la fille (0679889047), le goal (0688879911), le prof (0612193605) et la mère (0642508833). D’abord le mec et la mère, ensuite les autres se sont greffés. Le mec celui « qui a sucé Pierrot dans les chiottes du lycée », avant de partir, et qui voudrait partir mais pas « le chercher. » La fille celle dont ses parents disent « leur fille fera médecine » et qui écrit dans ses marges en cachette de tout le monde. Le goal celui qui ne voit rien que depuis sa ligne de but et sur ses doigts des gants double épaisseur. Le prof celui qui attend devant sa fenêtre que les flics viennent le prendre si Pierrot l’a balancé. La mère celle qui voudrait bien joindre son fils mais qui n’y arrive pas : le répondeur toujours. Et Pierrot, celui absent, l’auteur des textos. Voilà comment se sont formés ces personnages.

    Les premières difficultés rencontrées, et ce dès premier jour, tiennent aussi du support. J’ai mis en ligne de suite, et ai continué à le faire, les fragments au fil de l’écriture. Une seule limite à cet élan d’instantané : ne jamais mettre en ligne le jour même, avoir toujours au moins un jour pour le recul et pour si besoin tout refaire. C’est arrivé parfois. Certaines voix je les maîtrise mieux que d’autres. L’autre difficulté vient aussi de cette fausse transparence : d’ordinaire, sur ce type de récit, j’écrirais premier jet de quarante, cinquante pages avant de revenir sur moi et de relire, réécrire, voire recommencer. La publication en si léger différé d’écriture m’a obligé à être sûr de ce que je voulais voir, ce qu’évidemment je n’étais pas. Fallait donc, fallait vite, trouver quel(s) étai(en)t le(s) problème(s) et puis corriger. Les trois ou quatre premiers jours ont été compliqués. Ensuite le rythme a fait le reste.

    Anne Savelli disait hier, à l’occasion de l’anniversaire des dix ans de remue.net, lors de la table ronde « Ce qu’internet change dans votre rapport à l’écriture », parlant de son livre en cours d’écriture, qu’il n’était pas question pour elle de tout poster sur son blog. Moi me suis dit et pourquoi pas ? C’est dans cette optique que kiss bye boy a été propulsé sur cette partie du site. Ces premiers fragments mis en ligne au rythme de presque un par jour (ce n’était pas prévu, le rythme tout seul s’est imposé) constituent les premiers jets. Pas les premiers jets bruts, bien sûr, mais des premières versions, on n’est pas encore très sûr d’où on va et comment. Par la suite, une fois revenu sur ces premières pages, je remettrai en une les textes accompagnés de leurs corrections. Toutes les variantes resteront accrochées sur la page, on pourra naviguer de l’une à l’autre. Et poster pourquoi pas captures d’écran des pages du traitement de texte gardant en mémoire toutes les corrections faites d’une version à l’autre. Je crois que c’est aussi comme ça qu’on peut se servir de l’outil de la page web. Avoir une construction complètement transparente. Et puis que le lecteur, en même temps que l’auteur quasi, ou en pseudo différé d’un jour ou deux, puisse suivre ce cheminement.

    L’autre problème venait des voix. Il vient toujours. Chaque personnage, chaque voix, s’exprime par monologue. Il n’y a pas ou peu d’interaction entre eux. Chacun devrait avoir la sienne, de voix, propre ou presque. Et pour ça j’ai besoin d’aller trouver la folie de chacun, de pouvoir exploiter leurs déviances et leurs ratés de langage, car c’est toujours plus facile d’arriver non pas à écrire mais à « faire parler » lorsque le personnage est fou (pour ça que le personnage de Nil, pendant l’écriture de Coup de tête venait quasi tout seul et que sa voix était fixée). Je n’ai pas encore trouvé pour tous. Pour la mère c’est facile : elle parle à bout de souffle. Le fait de la faire parler littéralement contre le vide (le silence d’un répondeur, d’une messagerie automatique) permet une mise en place très simple de paragraphes sans ponctuation, et le voilà le souffle, voilà son identité. Avec la fille j’ai voulu rester le plus possible dans l’économie. L’économie de langue, de mot. Couper le plus possible, en faire des phrases très courtes, car c’est quelqu’un, je crois, qui vit entre parenthèses. L’expression récurrente concernant ses parents qui disent « leur fille fera médecine » directement empruntée à Virginia Woolf lorsque, dans Les vagues bien sûr, Louis répète aussi souvent son père « banquier à Brisbane » et l’accent australien qui le pèse. Le goal car j’ai toujours voulu écrire quelque chose là-dessus, plus que simplement le foot le poste si spécifique du gardien de but, obsédé sur sa ligne par une forme qui bouge au loin, un poste de seul au monde qui parfois, dans un match, n’aura besoin d’être là qu’une seule fois mais doit rester concentré tout du long. Le prof est un des personnages à problème, je n’ai pas encore bien le bon ton, le bon timbre, j’essaie pour ça de lui calquer une silhouette, celle de Colin Firth, A Single Man : « it takes time for me to become George ». J’ai besoin, pour lui, de beaucoup réécrire, et sa folie est si maniaque que j’ai du mal à la trouver. Le mec un dernier personnage à problème car il pourrait tout être, et c’est bien tout le problème. Je me suis rendu compte, mais trop tard, que sa simple figure d’amoureux transi n’était pas suffisante, j’ai essayé de compenser sur le deuxième fragment en le faisant projeter un peu ailleurs (« je suis tombé dans un coma d’images »). Avec lui toujours écrire en tâtonnant car son identité est trop fine, et sa folie mal dessinée. À ce niveau là je reste le même : je ne cherche de voix que pour des personnages avec pathologie(s). On n’en sort pas (et c’est à suivre).

  • 250111

    25 janvier 2011

    Week-end passé entre la mise en ligne d’Accident de personne sur Publie.net et l’envoi tout azimut de CV et autres lettres soit disant motivées pour tout un tas de trucs ou offres pour la plupart déjà oubliés.

    Matriochka

    Je pense à la cravate. Pire que la cravate, il y aurait les chaussures. Du genre en cuir et qui brillent, du genre pointues devant et longues. Si je devais me retrouver un jour à devoir en porter, je crois que ce détail aux pieds serait susceptible de me faire dire ou, pire, penser, la fameuse phrase fantôme qui revient quelque fois : « mais comment j’ai pu en arriver là ? »

    Hier écrit tant de mails que j’ai déjà zappé d’en attendre une réponse. Terminé deux nouvelles dont l’une d’elle n’existait pas quelques secondes plus tôt. Me suis servi de Photoshop pour faire comme de la poésie. Ai terminé un premier jet de traduction toute barbouillée pour une nouvelle d’Amy Hempel appelée Jesus is waiting, résolument la plus, comment dire, bizarre, que je n’ai jamais lue. J’ai mal à la gorge, ne lâche quasiment aucun mot. Je me dis que kiss bye boy devrait me tenir un an : cinq mois de premier jet, et puis le reste pour corriger, réécrire. D’ici la fin de la semaine prochaine terminer la première partie, enchaîner avec la deuxième dès ensuite. Faut dire que le temps tourne. Et Jésus qui attend (ou pas).

    Je marchai vers le Sud. Mon travail ne concernait pas la
    zone où j’allais. J’entendis qu’elle me suivait. Une demi-
    heure de marche. Où vas-tu ? furent ses premières
    paroles. Je répondis : au Sud. Je continuai mon chemin.
    Elle appela à l’aide. Je me retournai, prêt à courir vers
    elle et à la faire taire. Personne ne vint. J’étais parti trop
    loin, les gardes ne s’y attendaient pas, ils savaient
    qu’elle me surveillait encore, arme en main. Personne,
    dit-elle. Où vas-tu ? Je répondis : au Sud. Et je continuai.
    Je ne devais pas. Elle non plus. Elle avait appelé sans
    espoir de réponse, elle me le confia plus tard. Nous
    marchions depuis une heure ou deux, quand je vis un
    bosquet, que je connaissais pour y avoir déjà pêché :
    derrière, il y avait un étang. Je dis : connais-tu cet
    étang ? Non, elle ne connaissait pas. Elle dit : où est-ce ?
    Nous nous sommes approchés du bosquet, l’avons
    contourné et choisi un endroit où nous asseoir, d’où
    contempler l’eau calme, les libellules, les araignées
    d’eau, l’horizon où des nuages se dispersaient.

    Joachim Séné, Maître et esclave, texte offert sur son site.

  • kbb | Pierrot à 0606667778 #1

    26 février 2011

    Le texte suivant a été modifié et corrigé après sa première mise en ligne. Le texte affiché correspond à la dernière version en date. Pour accéder aux versions antérieures et consulter les retouches effectuées par la suite, cliquer sur le lien en bas de page.

    J’écris Pierrot, ton nom, en minuscules, dans l’angle des chiottes du lycée, dernier face au miroir, celui qui ferme. Ton nom, marqueur Stabylo, indélébile comme c’est marqué, lettre après lettre j’attends qu’elles sèchent.

    Mon nom, bien sûr, t’as oublié. Jamais lâché peut-être. Et je me demande quelles lettres du coup s’affichent au dessus du numéro dans ton portable. Des blancs, points de suspension, que dalle ou d’interrogation ? Ça m’est égal et revient au même. Moi je suis celui, dans les chiottes du lycée, qui t’a sucé avant plus rien. Avant putain que tu décampes.

    Elle m’a demandé, c’est vrai. Ta mère. Où t’étais, pourquoi. Je lui ai pas dit qui j’étais, à supposer qu’elle sache, et je crois pas qu’elle sache, lui ai dit exactement comme tu demandes, mais avant d’avoir lu, je lui ai dit : Pierrot je le connais mal, je connais son nom, des fois on se parle mais souvent pas. Je lui ai dit, Pierrot, que je savais pas où tu pouvais être mais que si ça se trouve tu reviendrais tout seul car, oui, moi je l’espère. Je lui ai dit que tu créchais pas chez moi, et crécher ça sonne malade, je crois bien, personne parle plus comme ça et elle non plus je parie. Elle a vu un par un ceux que le lycée a rassemblé susceptibles de savoir, te connaître, d’avoir une idée d’où t’as pu disparaître. Elle est partie rapidement, ta mère, et je crois pas qu’aucun de nous ait lâché l’info, à supposer qu’on sache et t’es balèze : personne ne sait. T’aurais coupé tout le monde simplement avec trois phrases et dix textos.

    À midi on s’est parlé entre nous, et toi, Pierrot, ton nom dans toutes les bouches. Ceux qui savaient ont dit, les autres silence, pas plus. Et nous qui savions avant tout le monde, et même avant le lycée, avant ta mère, on s’est retrouvé à trois, c’est tout, on se connaissait pas, le dénominateur commun, Pierrot, encore une fois c’était ton nom. Le prof nous a rejoint, tu vois duquel je parle, pour que l’on crache, comme il a dit. Mais tous on était sec. Après on s’est barré, chacun sa direction. Ton nom suffisait plus pour nous retenir.

    Je suis retourné dans les chiottes avant de rentrer, pour voir, pour vérifier c’est tout, que le nom était toujours là. Indélébile mais si ça se trouve... Dans le dernier chiotte face au miroir, celui qui ferme, celui contre lequel t’as mis tes mains pour t’appuyer pendant que moi j’étais tout contre, tu vois, j’ai vérifié. Il y est toujours. Indélébile encore. Ce que je t’ai pas dit par contre, c’est que cette fois là c’était la première, la première et la seule : Pierrot mon seul goût dans la bouche.

    Je sais bien que tu t’en fous. Qu’une fois tourné la tête, une fois fermé la porte, tout ça pour toi se tait. Pas d’excuse, pas de regret, ton leitmotiv de merde. Le mien, différent. Le mien à l’envers. Le mien envie le tien putain vraiment à chaque seconde.


    Premier jet du 07/01/11

    J’écris Pierrot, ton nom, en minuscules et dans l’angle, dans les chiottes du lycée, dernier face au miroir, celui qui ferme. Ton nom, marqueur Stabylo, indélébile comme c’est marqué, lettre après lettre j’attends qu’elles sèchent. Signe qu’un jour, une fois au moins, t’étais là, moi aussi.

    Mon nom, le mien, bien sûr, t’as oublié. Jamais lâché peut-être. Et je me demande quelles lettres du coup s’affichent au dessus de mon numéro dans ton portable. Des blancs, points de suspension ou d’interrogation ? Ça m’est égal et revient au même. Moi je suis celui, dans les chiottes du lycée, qui t’a sucé avant plus rien. Avant putain que tu décampes. J’y suis encore, ne suis que ça. Un nom, de toute façon, ça fait pas mieux exister, pas vrai ?

    Elle m’a demandé, c’est vrai. Ta mère. Où t’étais et pourquoi. Je lui ai pas dit qui j’étais, à supposer qu’elle sache, et je crois pas qu’elle sache, je lui ai dit exactement comme tu demandes, mais avant d’avoir lu, je lui ai dit : Pierrot je le connais mal, je connais son nom, des fois on se parle mais souvent pas. Je lui ai dit : je sais pas où il est, si ça se trouve il reviendra. Je lui ai dit que tu créchais pas chez moi, et crécher c’est un mot qui sonne con. Elle a vu un par un ceux que le lycée a rassemblé susceptibles de savoir. De te connaître, d’avoir une idée d’où t’as pu disparaître. Elle est partie rapidement, ta mère, et je crois pas qu’aucun de nous ait lâché l’info, à supposer que l’un de nous sache. Je crois que personne ne sait. Que t’as coupé tout le monde simplement avec trois phrases et dix textos.

    À midi on s’est parlé entre nous, de toi Pierrot, ton nom dans toutes les bouches. Ceux qui savaient ont dit, les autres ont dit je m’en fous. Et nous qui savions avant tout le monde, et même avant le lycée, avant ta mère, on s’est retrouvé à trois, pas plus, on se connaissait pas, le dénominateur commun, Pierrot, encore une fois c’était ton nom. Le prof nous a rejoint, tu vois duquel je parle, pour que l’on crache, comme il a dit. Mais tous on était sec. Après on s’est barré, chacun sa direction, parce que ton nom suffisait plus pour nous retenir.

    Je suis retourné dans les chiottes avant de rentrer pour voir, pour vérifier c’est tout, que ton nom était toujours là. Indélébile mais on sait pas. Dans le dernier chiotte face au miroir, celui qui ferme, celui contre lequel t’as mis tes mains pour t’appuyer pendant, tu vois, j’ai vérifié. Il y est toujours. Indélébile encore. Ce que je t’ai pas dit par contre, c’est que cette fois là c’était la première, la première et la seule. Pierrot mon seul goût dans la bouche.

    Je sais bien que tu t’en fous. Qu’une fois tourné la tête, une fois fermé la porte, tout ça pour toi se tait. Pas d’excuse, pas de regret, ton leitmotiv. Le mien, différent. Le mien à l’envers. Le mien envie le tien putain vraiment à chaque seconde.

    Je sais ce que personne ne sait. Où tu es, qui tu suis. J’ai vu le poster dans ta chambre, Manuel Jodorov papier glacé avec lunettes de soleil en noir et blanc, le rouge à lèvres rouge. J’ai vu la photo où toi tu poses, lunettes de soleil noires et rouge à lèvres rouge, devant le poster papier glacé et dans ta chambre papier glacé. Me demande pas comment je l’ai trouvée ou plutôt ce que j’ai fait pour l’avoir. Je sais qu’il est en tournée, que la tournée s’appelle « Europe », je connais même les villes qu’il traverse ou bien va traverser. Je sais que toi tu y es, quelque part prêt de lui pour chercher ce qui pourrait te manquer. Je pourrais parier jusqu’à ton nom, si tu me laissais faire, Pierrot mon truc le plus précieux. Mais t’en fais pas. Je dirai rien. J’essaierai même pas de chercher. Le plus loin où j’irai ? Écrire ton nom jusqu’à ce qu’il s’épuise.

  • kbb | Pierrot à 0606667778 #2

    26 février 2011

    Le texte suivant a été modifié et corrigé après sa première mise en ligne. Le texte affiché correspond à la dernière version en date. Pour accéder aux versions antérieures et consulter les retouches effectuées par la suite, cliquer sur le lien en bas de page.

    Dans vingt ans dire « quand j’avais tel âge », dérouler l’image devenue déformée et puis meubler pour compléter. J’avais tel âge, des os, de la peau, pas de gueule. Je parlais futur proche. Le présent un temps simple pour moi comme étranger. Mes phrases préférées commençaient par « plus tard ». Mes potes disaient « moi je », aucun sens à mes yeux. J’écoutais mal. À côté. Me retenais de chercher quoi que ce soit, qui pas mieux, à commencer par toi. Aux questions les plus simples je savais pas répondre. De peur de répondre, répondre des « j’en sais rien ». Jusqu’à ce que les questions comme des bombes me tombent dessus mais de plus loin. Des pluies de terre droit sur mon corps, je me protégeais avec le coude.

    Je suis tombé dans un comas d’image. Pierrot n’était nulle part, je le cherchais partout, dans le contour des pixels. Les immeubles, comme dans l’écran des jeux de l’époque, s’affichaient péniblement et puis l’un après l’autre, on disait du cliping. Sur le bord de leurs corps, tous ceux croisés puis vus : des effets d’escalier. L’oeil porté trop proche d’un écran mis sur pause. Voilà comment je croyais vivre et comme je traversais. Avec une arme à la main, automatique et noire, parfois un silencieux collé au bout du flingue, les deux mains fondue contre, la crosse entre les paumes. Je pointais l’arme contre les corps croisés. Niquais tous les pixels. Le sang, le même, il était rouge. Je tirais en réseau. Pierrot n’était nulle part. Je cherchais pas Pierrot. Derrière tous les pixels, je rentrais dans les zones interdites. Les flics me chopaient. Les rebelles tiraient sur moi. Pierrot n’était nulle pas. Je tirais sur les rebelles. Décapitais les flics. Pierrot n’était nulle part. Ma gâchette s’appelait R1. J’avais mal à l’index et au pouce à force de trop crisper. Fallait lâcher rafale d’Uzis, M16 ou pire sur des corps innocents qui couraient tous en rond jusqu’au bord de leurs corps. Ensuite ils tombaient morts sous mes coups : mes coups c’était des balles. Je tirais dans les pneus, pétais du coude les vitres mais côté conducteur. Pierrot n’était nulle part. Je payais des putes. Jamais des mecs. Les faisais monter à l’arrière. Renversais des corps aux visages censurés. Écrasais les pixels. Piétinais les pixels. Éventrais les pixels. Les flics revenaient. Pierrot n’était nulle part. Les rebelles revenaient. Je prenais d’assaut Kaboul et moi j’étais tout seul. Pierrot n’était pas là. Ne cherchais pas Pierrot. Les rebelles revenaient. Leurs balles mitraillaient dans la nuit ma face gauche. Les tirs venaient de là car le rouge venaient de là. Le sens des balles à ras venait de là. Pierrot venait de là. Pierrot n’était nulle part. Je tuais les rebelles. Les rebelles revenaient. J’avais plus de munitions. Les balles se disaient ammo. Je volais d’autres armes. Tuais d’autres corps. Tuais les rebelles et les rebelles revenaient. Je savais pas au juste de quoi les rebelles l’étaient. Contre quoi ils tiraient, oui, mystère. Je tirais, tuais, cherchais sans le son. Sur mon oeil droit logo qui disait mute en vert. Mes balles silencieuses l’étaient. Les cadavres au sol s’évaporaient, eux aussi, en silence. Pierrot sous ces corps n’était nulle part. Les cadavres invisibles des fois revenaient. Ils tiraient des balles silencieuses et moi je traversais. Pierrot n’était pas ces cadavres. Les cadavres crevaient encore. Mes balles invisibles les faisaient éclater. Des fois corps balancés depuis troisième étage, baie, vitre, explosée, corps en bas écrasés. Une dernière dans la tête, juste pour être sûr. Le sang pixel après l’autre maculait LCD le polygone. Dessus la mort des mecs y avait Bach. Pierrot n’était nulle part mais Bach y était. Des heures de Bach en boucle pendant que d’autres claquaient, que des bombes faisaient tourner le sol, que la tôle des caisses fausses s’encastraient dans d’autres tôles, tout aussi fausses, à l’intérieur desquelles Pierrot n’était jamais. Je cherchais pas Pierrot. Ne cherchais pas Bach. Bach au feu rouge tapait. La voiture traversait sans s’arrêter et sans un choc. Une Porsche Cayenne où caisse fictive. La Porsche prenait l’autoroute à contresens, Bach suivait. Les flics suivaient, trois étoiles au radar, des fois tiraient depuis le bord des routes. La Porsche roulait sur les flics au bord des routes. La Porsche faisait vibrer l’écran, assez pour qu’il déforme la vue intérieure. Mains sur le volant, et sur elles, non, aucune goutte et pas de sang. La vue intérieure montrait l’intérieur cuir et puis le tableau de bord. Les sièges, la finition en toc. Derrière des balles de flingues à pompe faisait péter la vitre. Les éclats de verre : autant de pixels invisibles et bientôt. Pierrot n’était pas là. Ni sur le siège arrière, ni à la place du mort. Je cherchais pas Pierrot. La Porsche contre le rail de sécurité, droite ou gauche c’est le même, faisait des étincelles. Les rebelles revenaient. Des trous dans la route à coups de lance-roquette. Les flics revenaient. Les cadavres revenaient. Bach revenait. Pierrot n’était nulle part. C’était piano, c’était des fugues. Elles répétaient les mêmes notes, les mêmes touches, aux mêmes moments des morts, aux mêmes têtes éclatées. La Porsche perdait progressivement sa tôle. Plus de capot, plus de toit, plus de portes, plus de pare-chocs, de jantes. Bientôt plus de roue arrière gauche, faisait braquer la caisse contre ma volonté. Au moment où le rail de sécurité s’arrête, la Porsche : un vol plané. Les flics aussi plongeaient. Tous les rebelles en bas. Bach plongeait. Pierrot n’était nulle part. C’était tout sauf Kaboul. Une autre ville, guerre idem. Bach fuguait. La Porsche fuguait. Pierrot fuguait. La Porsche finissait dans le canal. Rien à voir avec Kaboul. L’eau la nuit la rendait noire. J’abandonnais la Porsche, la Porsche à pic coulait. Les balles de flingues à pompe fusaient. Bach fuguait. Pierrot n’était nulle part. Plus loin fallait plonger. Même sous l’eau les balles fusaient. Même sous l’eau les pixels claquaient cliping, toujours en décalé. Ma jauge d’air épuisée, Bach épuisé, les rebelles épuisé, les flics épuisés : mon corps à la surface. C’était tout sauf Kaboul. Bach : nulle part. Les rebelles : nulle part. Les flics : nulle part. L’indice de recherche remis à zéro. Mes flingues : nulle part. Pierrot, pas mieux. Le jour sur l’eau montait. Dire de tout ça, demain, tout ça c’est du passé. Dans vingt ans dire « quand j’avais tel âge », Pierrot n’était nulle part, je suis tombé, c’est vrai, dans un comas d’images. Je l’ai cherché partout, je l’ai cherché nulle part et c’est là qu’il était, et je l’ai pas trouvé.


    Premier jet du 14/01/11

    Dans vingt ans dire « quand j’avais tel âge », dérouler l’image devenue déformée d’alors et puis meubler pour compléter. J’avais tel âge, plus d’os que de peau, et la gueule, non, ne pas finir la phrase. Je parlais futur proche. Le présent un temps simple qui ne comportait rien. Mes phrases préférées commençaient par « plus tard ». Mes amis disaient des trucs comme « moi je », aucun sens à mes yeux. J’écoutais mal. J’étais à côté. Je me retenais de chercher quoi que ce soit, qui pas mieux, à commencer par toi. Aux questions les plus simples je savais pas répondre. De peur de répondre, répondre des « j’en sais rien ». Jusqu’à ce que les questions comme des bombes me tombent dessus mais de plus loin. Des pluies de terre droit sur mon corps, je me protégeais avec le coude.

    Je suis tombé dans un comas d’image. Pierrot n’était nulle part, je le cherchais partout, dans le contour des pixels de ma vue. Les immeubles, comme dans l’écran des mes jeux de l’époque, s’affichaient péniblement et puis l’un après l’autre. Sur le bord de leurs corps, tous ceux croisés que je voyais, des effets d’escalier, l’oeil porté trop proche d’un écran mis sur pause. Voilà comment je croyais vivre et comme je traversais. Avec une arme à la main, automatique et noire, parfois un silencieux collé au bout du flingue, les deux mains tout contre elle. Je pointais l’arme contre les corps croisés. Je défaisais tous les pixels. Le sang, le même, était rouge. Je tirais en réseau. Des fois solo. Pierrot n’était nulle part. Je cherchais pas Pierrot. Derrière tous les pixels. Je rentrais dans les zones interdites. Les flics me chopaient. Les rebelles tiraient sur moi. Pierrot n’était nulle pas. Je tirais sur les rebelles. Décapitais les flics. Pierrot n’était nulle part. Ma gâchette s’appelait R1. J’avais mal à l’index et au pouce à force de crisper. Je lâchais rafale d’Uzis, M16 ou pire sur des corps innocents qui couraient en rond jusqu’au bord de leurs corps. Ensuite ils tombaient morts sous mes coups, mes balles. Je tirais dans les pneus, pétais du coude les vitres conducteur. Pierrot n’était nulle part. Je payais des putes. Jamais des hommes. Les faisais monter à l’arrière. Renversais des corps aux visages censurés. Écrasais les pixels. Piétinais les pixels. Éventrais les pixels. Les flics revenaient. Pierrot n’était nulle part. Les rebelles revenaient. Je prenais d’assaut Kaboul et moi j’étais tout seul. Pierrot n’était pas là. Ne cherchais pas Pierrot. Les rebelles revenaient. Leurs balles mitraillaient dans la nuit ma face gauche. Les tirs venaient de là car le rouge venaient de là. Le sens des balles fusantes venait de là. Pierrot venait de là. Pierrot n’était nulle part. Je tuais les rebelles. Les rebelles revenaient. Je n’avais plus de munitions. Je volais d’autres armes. Je tuais d’autres corps. Je tuais les rebelles et les rebelles revenaient. Je ne savais pas au juste de quoi les rebelles étaient rebelles. Contre quoi mystère. Je tirais, tuais, cherchais sans le son. Sur mon oeil droit petit logo qui disait mute. Mes balles silencieuses précisément l’étaient. Les cadavres sur le sol ensuite disparaissaient, eux aussi, silencieusement. Pierrot sous ces corps n’était nulle part. Les cadavres invisibles des fois revenaient. Ils tiraient des balles silencieuses qui ne m’atteignaient pas. Pierrot n’était pas ces cadavres. Une nouvelle fois les cadavres mourraient. Mes balles invisibles les faisaient éclater. Des fois corps balancés depuis troisième étage, baie vitrée explosée, corps en bas écrasés. Une dernière dans la tête, oui, juste pour être sûr. La tête des cadavres en silence éclatait. Le sang pixel après l’autre maculait LCD le pavé-polygone. Dessus la mort des mecs y avait Bach. Pierrot n’était nulle part. Bach y était. Des heures de Bach en boucle pendant que d’autres y crevaient, que des bombes faisaient se retourner le sol, que la tôle des caisses fausses s’encastraient dans d’autres tôles, tout aussi fausses, des tôles où Pierrot n’était jamais. Je ne cherchais pas Pierrot. Je ne cherchais pas Bach. Bach au feu rouge tapait. La voiture traversait le boulevard sans s’arrêter et sans un choc. Une Porsche Cayenne où une caisse fictive. La Porsche prenait l’autoroute à contresens, Bach suivait. Les flics suivaient, trois étoiles au radar, des fois tiraient depuis le bord des routes. La Porsche roulait sur les flics au bord des routes. La Porsche faisait vibrer l’écran, assez pour qu’il déforme la vue intérieure. Mes mains sur le volant, et sur elles, non, aucune goutte de sang. La vue intérieure montrait l’intérieur cuir et puis le tableau de bord. Les sièges, la finition ronce de noyer. Derrière des balles de flingues à pompe faisait péter la vitre. Les éclats de verre, autant de pixels invisibles bientôt. Pierrot n’était pas là. Ni sur le siège arrière, ni à la place du mort. Je cherchais pas Pierrot. La Porsche contre le rail de sécurité, droite ou gauche c’est le même, faisait des étincelles. Les rebelles revenaient. Des trous dans la route à coups de lance-roquette. Les flics revenaient. Les cadavres revenaient. Bach revenait. Pierrot n’était nulle part. C’était piano, c’était des fugues. Elles répétaient les mêmes notes, les mêmes touches, aux mêmes moments des morts, aux mêmes têtes éclatées. La Porsche perdait progressivement sa tôle. Plus de capot, plus de toit, plus de portes, plus de pare-chocs, de jantes. Bientôt plus de roue arrière gauche, faisait braquer la caisse contre ma volonté. Au moment où le rail de sécurité s’arrête, la Porsche : un vol plané. Les flics aussi plongeaient. Les rebelles étaient en bas. Bach plongeait. Pierrot n’était nulle part. Ce n’était plus Kaboul. C’était une autre ville, guerre idem. Bach fuguait. La Porsche fuguait. Pierrot fuguait. La Porsche finissait dans le canal. Ce n’était plus Kaboul. L’eau de la nuit la rendait noire. J’abandonnais la Porsche, la Porsche à pic coulait. Les balles de flingues à pompe fusaient. Bach fusait. Pierrot n’était nulle part. Plus loin je plongeais. Même sous l’eau les balles fusaient. Même sous l’eau les pixels, couches après l’autre, apparaissaient en décalé. Ma jauge d’air épuisée, Bach épuisé, les rebelles épuisé, les flics épuisés : mon corps à la surface. Ce n’était plus Kaboul. Bach était nulle part. Les rebelles étaient nulle part. Les flics étaient nulle part. Mon indice de recherche remis à zéro. Mes flingues étaient nulle part. Pierrot nulle part, pas mieux. Le jour se levait sur l’eau. Dire de tout ça, demain, tout ça c’est du passé. Dans vingt ans dire « quand j’avais tel âge », Pierrot n’était nulle part, je suis tombé, c’est vrai, dans un comas d’images. Je l’ai cherché partout, je l’ai cherché nulle part et c’est là qu’il était, et je l’ai pas trouvé.

  • kbb | Pierrot à 0606667778 #3

    26 février 2011

    Le texte suivant a été modifié et corrigé après sa première mise en ligne. Le texte affiché correspond à la dernière version en date. Pour accéder aux versions antérieures et consulter les retouches effectuées par la suite, cliquer sur le lien en bas de page.

    Respirer, Pierrot tu fais comment ? Mes respirations, depuis ta fuite, celle qui a comme effacé ton nom de toutes nos bouches fermées, elles ont même plus le sens du rythme. Je sors plus la tête de mes écrans. Mes parents flippent. Me disent : « il reviendra ». Me disent : de pas me mettre dans ces états « juste pour ça ». Moi les écrans me déforment, voilà ce qui me faut.

    Dans mes écrans, les mots sont calibrés. Dans les séries, les films, les fictions que j’empile, les dialogues sont toujours comme réglés au millimètre. Jamais de mots en moins ni même de mots en toc. Les silences durent toujours comme les écrans le dictent. Ils ont du sens. Chaque image. Chaque syllabe. Chaque regard. Grain de peau.

    Ils disent : j’aurais voulu m’excuser pour hier. Ils répondent : vous l’avez déjà fait.

    Ils disent : c’est quoi ton problème ? Ils répondent : mon problème c’est que tu veuilles qu’il y en ait.

    Ils parlent la langue invisible. Celle des bouquins que je lis jamais, ne font jamais aucune faute de français, syntaxe, conjugaison, prononciation, rien de tout ça. T’as déjà vu, Pierrot, un personnage de ces fictions ne serait-ce que bégayer à un moment où bégayer n’aurait pas de sens ? Moi je bégaye, me trompe dans les mots, les perds, sais plus comment dire. M’arrive des fois d’avoir l’éclair des flashs, des mots que j’aurais dû dire, les mots parfaits, script idéal, oui mais toujours trop tard, une heure après l’avoir vécu. Pendant : commencer un mot, finir avec un autre, péter l’idée en route, avoir la phrase dans les gencives qui mord, la laisser en suspens, oublier les syllabes, s’étaler dans des litres de silence, avoir la gueule bourrée de mots pourris, malades et comme décapités. Je reste les bras ballants, autour de moi y en a quarante et bien trop lourds. Eux, jamais. Tremblent pas, toussent pas, crèvent pas, ou alors car malades. Trébuchent jamais, se perdent encore moins dans le bordel des villes. Sauf si la trame le veut, sauf si le sens est mâché par les gestes. Mes gestes n’ont aucun sens. Les tiens je sais pas.

    Ils disent : je vais compter jusqu’à trois. Ils répondent : même sous la torture je dirai rien.

    Sous la torture je parlerai. Sous la torture, me faudrait que quelques secondes pour balancer à l’autre ce qu’il a besoin de savoir. Je balancerai même des mots, vrais ou faux, une autre fiction pour aveugle qu’il faudra décoder. Je dirai tout, Pierrot, et même et surtout ce que je sais pas.

    Ils disent : s’il vous plaît je vous en prie j’ai une famille des enfants. Ils répondent pas, ils tirent. Hésitent jamais, ignorent où tombe le corps. L’écran sait taire le corps. Je le vois pas tomber, mais je sais, je l’entends, c’est un bruitage qui veut dire qu’il est mort et tombé en même temps.

    Le flingue en main, la gâchette prête à prendre, je me laisserai avoir par leurs mots, tout leur n’importe quoi. Peut-être qu’il a zéro famille, aucun enfant, peut-être qu’il mériterait de bouffer sang froid mes tempes, ensuite s’enfuir, se retourner jamais. Je prendrais quelques secondes pour voir la scène devant mes yeux se dérouler avant qu’elle tombe. Peut-être suffisamment pour qu’il se relève, m’arrache l’arme des mains. Peut-être dans la lute serrer le doigt, gâchette : peut-être de cette manière le corps tombera sec sur le béton hors champ. Peut-être que mon doigt a glissé, peut-être le cran de sûreté même pas tiré, alors le flingue dans la main de l’autre, celui sans ou bien avec et famille et l’envers de l’image d’avant pourra tout inverser. Je dirais : s’il vous plaît je vous en prie j’ai une, etc. Il répondrait que dalle, tirerait. Et même ensuite, qui penserait instantanément à effacer les empreintes, charcuter le corps, le jeter dans un fleuve en huit ou quinze morceaux ? Et jusqu’où remonter dans l’effacement des traces ? Les empreintes digitales sur le flingue dans la main. Les empreintes de pas dans le ciment, la poussière, l’entrepôt loin derrière. Combien de fois apparaître dans combien de bandes de vidéo-surveillance ? Combien d’images de soi supprimer pour les effacer toutes ?

    Je mate les docteur, inspecteur, sergent, commissaire, capitaine et les autres, les mecs pas vrais qui ont toujours les mots, les répliques idéales, écrites comme un pense-bête sur l’une de leurs deux paumes. Quand je regarde l’intérieur des miennes : aucun mot mais des tâches.

    Passer mes journées sans prononcer le moindre mot, quelque part, je connais. Dans l’une de mes fictions, toutes en réalité, le personnage censé devenir moi déciderait, après coup, de partir à ta recherche, marcher sur des empreintes de toi, à supposer qu’elles soient pas, déjà, totalement effacées. Mais après combien de jours d’absence savoir qu’il faut y aller ? Et dans quel générique voir si, Pierrot, ton putain de nom s’y trouve encore ? Ou bien plutôt, le nom du mec qui t’incarne.


    Premier jet du 23/01/11

    Respirer, Pierrot, comment tu fais ? Mes respirations, depuis ta fuite, celle qui a même comme effacé ton nom, de nos bouches en tout cas, car toujours tatoué sur le mur des chiottes où j’avais mis mes mains, mes respirations n’ont plus le sens du rythme. Je sors plus la tête de mes écrans : télé, pc, portable, tous les autres. Mes parents flippent. Ils me disent : « il reviendra ». Ils me disent : de pas me mettre dans ces états « juste pour ça ». Mais moi je suis dans mes écrans.

    Dans mes écrans, les mots sont calibrés. Dans les séries, films, les fictions que j’empile, les dialogues sont toujours comme réglés au millimètre. Jamais de mots en moins ni même de mots en trop. Les silences durent toujours le temps qu’exige la scène. Ils ont du sens. Chaque image a du sens. Chaque syllabe. Chaque regard. Grain de peau.

    Ils disent : j’aurais voulu m’excuser pour hier. Ils répondent : vous l’avez déjà fait. Et tout est oublié. Ils passent à autre chose. Changent de plan, de séquence après la pub. Problème réglé.

    Ils disent : c’est quoi ton problème ? Ils répondent : mon problème c’est que tu veuilles qu’il y en ait. Ils parlent la langue invisible, celle des bouquins que je lis jamais, ne font jamais aucune faute de français, syntaxe, conjugaison, prononciation n’en parlons pas. T’as déjà vu, Pierrot, un personnage de ces fictions ne serait-ce que bégayer à un moment où bégayer n’aurait pas de sens ? Moi je bégaye, je me trompe dans les mots, je les perds, je sais pas comment dire, il m’arrive des fois d’avoir des éclairs, des flashs, des mots que j’aurais dû dire, les mots parfaits pour ça, le script idéal, oui mais toujours trop tard, une heure après les faits, alors que pendant, commencer par un mot, finir par un autre, perdre l’idée en route, ne plus savoir comment la phrase a commencé, la laisser en suspens, oublier des syllabes, s’embourber dans des litres silence, avoir la gueule remplie de mots pourris, malades et comme décapités. Pendant la scène je suis resté les bras ballants autour de moi. Eux, jamais. Ils tremblent pas, ne toussent pas, n’éternuent pas, ou alors car malades. Ne trébuchent jamais, se perdent encore moins dans une rue inconnue. Sauf si la trame le veut, sauf si le sens accompagne les gestes. Mes gestes n’ont aucun sens. Les tiens je sais pas.

    Ils disent : je vais compter jusqu’à trois. Ils répondent : même sous la torture je dirai rien. Sous la torture je parlerai. Sous la torture, me faudrait juste quelques secondes pour balancer à la gueule de l’autre tout ce qu’il veut savoir. Je balancerai même des mots, vrais ou faux, une autre fiction pour aveugle qu’il faudra déchiffrer. Je dirai tout, Pierrot, et même ce que j’ignore.

    Ils disent : s’il vous plaît je vous en prie j’ai une famille des enfants. Ils répondent pas, ils tirent. Ils n’hésitent pas, ne voient même pas tomber le corps. L’écran ne voit pas tomber le corps. Je ne vois pas tomber le corps, mais je sais, je l’entends, c’est un bruitage qui veut dire qu’il est mort et tombé en même temps. Le flingue en main, la gâchette prête à prendre, je me laisserai avoir par leurs mots, tout leur n’importe quoi. Peut-être qu’il n’a aucune famille, aucun enfant, peut-être qu’il mériterait le sang froid dans les tempes et le geste qui suit, ensuite s’enfuir, ne pas se retourner. Je prendrais quelques secondes pour voir la scène devant mes yeux se dérouler avant qu’elle tombe. Peut-être suffisamment pour qu’il se relève et m’arrache l’arme des mains. Peut-être dans la lute la gâchette est pressée, peut-être de cette manière le corps tombera sec, à son tour, sur le béton hors champ. Ou peut-être que mon doigt a glissé, peut-être le cran de sûreté même pas tiré, alors le flingue dans la main de l’autre, celui sans ou avec et famille et enfants et l’envers de l’image précédente pourra claquer l’écran. Je dirais : s’il vous plaît je vous en prie j’ai une, etc. Il répondrait que dalle. Il tire. Et même ensuite, qui penserait instantanément à effacer les empreintes, à charcuter le corps, à le jeter dans un fleuve en huit ou quinze morceaux ? Et jusqu’où remonter dans l’effacement des traces ? Les empreintes digitales sur le flingue dans la main. Les empreintes de pas dans le ciment, la poussière, d’un trop vague entrepôt. La marche vers l’entrepôt depuis l’arrêt transport le plus proche. Combien de fois apparaître dans combien de bandes de vidéo-surveillance ? Combien de reproductions de soi supprimer pour les effacer toutes ?

    Pierrot, je te jure, j’ai la gueule encastrée dans l’écran. La nuit, je ferme, les yeux, les papillons nocturnes, les étoiles dans les yeux ont la forme chez moi de pixels minuscules. Je vais en cours et je les vois encore. Je prends plus aucune notes. Je dessine, reproduis, de mémoire, la figure des images que je revois la nuit. Les docteur, inspecteur, sergent, commissaire, capitaine et les autres, ceux, toujours, qui ont toujours les mots, les répliques idéales, écrites comme un pense-bête sur l’une de leurs deux paumes. Quand je regarde l’intérieur de mes paumes, aucun mot mais des tâches. Des tâches, de l’encre, et l’envers de mes pages où je commence des mots que je sais pas finir. Les profs, ils sont pas dupes. Ils m’ont répertoriés lâcheur, abruti sans avenir. Un seul d’entre eux diffère. Tu sais auquel je pense. Il a disparu du lycée au même moment que toi.

    Passer mes journées sans prononcer le moindre mot, quelque part, je te rejoins. Quelque part uniquement. Je sais pas où ça peut être. Dans l’une de mes fictions, toutes en réalité, le personnage qui me remplacerait déciderait, après X jours, de partir à ta recherche et de marcher sur tes empreintes à toi, à supposer qu’elles ne soient pas, déjà, totalement effacées. Mais on peut pas penser à tout, pas vrai ? Il y a toujours un indice quelque part, Pierrot, quelque chose négligé. Voilà comment mon personnage pourrait trouver le tien. Dans cette fiction, je te ramènerai, avec les dents s’il faut, et facile pour savoir si mon délire pourrait marcher : regarder au générique si ton nom Pierrot s’y trouve encore. Ou plutôt, le nom de celui qui t’incarne.

  • kbb | Pierrot à 0606667778 #4

    26 février 2011

    Le texte suivant a été modifié et corrigé après sa première mise en ligne. Le texte affiché correspond à la dernière version en date. Pour accéder aux versions antérieures et consulter les retouches effectuées par la suite, cliquer sur le lien en bas de page.

    Je sais mieux que personne : où tu es, qui tu suis. Dans ta chambre vu le poster : Manuel Jodorov papier glacé avec lunettes de soleil en noir et blanc et rouge à lèvres. J’ai vu la photo où toi tu poses, lunettes de soleil noires et rouge à lèvres, devant le poster papier glacé et dans ta chambre papier glacé. Me demande pas comment je l’ai trouvée ou plutôt ce que j’ai fait pour l’avoir. Je sais qu’il est en tournée, connais même les villes qu’il traverse ou bien va traverser. Je sais que toi tu y es, quelque part prêt de lui pour chercher ce qui te manque ou bien pourrait te manquer. Je pourrais parier jusqu’à ton nom, si tu me laissais faire, Pierrot, mon truc le plus précieux. Mais t’en fais pas. Je dirai rien. J’essaierai même pas de chercher. Le plus loin où j’irai ? Écrire ton nom jusqu’à ce qu’il s’épuise.

    Mais rien à voir avec les écrans. Les images. Avec les bouts de télé, LCD ou tactile qui me tapissent la tête. Rien. D’accord ce que je vois maintenant a la forme précise des pixels assemblés mais c’est l’oeil. L’habitude. C’est le panorama qui mâche ou plutôt est mâché par toutes les images que je bouffais avant. Mais je suis dans un tel état, Pierrot, que c’est pas les images, pas les écrans ni rien de ces trucs.

    Je suis passé aux chiottes, juste avant de quitter le lycée et de rentrer chez moi. Dans les chiottes, dernier face au miroir, celui qui ferme. Je suis passé, comme tous les jours, pour y pisser, dans celui-là, celui où j’ai écrit ton nom, en minuscule et dans l’angle, au marqueur Stabylo pour qu’il s’efface jamais. Ton nom, Pierrot, le seul truc digne d’être vu qui soit pas sur l’écran. À l’endroit et dans l’angle, où j’avais mis mes mains, mes bras contre tes cuisses, ton jean sur les chevilles et puis mes doigts glacés. Ton nom, celui au Stabylo censé être indélébile, mais qui l’est pas, puisqu’il y est plus. J’ai cherché partout. Je te jure, Pierrot, dans tous les autres chiottes, des fois qu’il ait glissé, que l’angle ait craché l’encre, que les écrans, aussi, m’aient fait tourner la tête. Ils m’ont fait tourner la tête. Mais il est plus là, Pierrot, je te jure. Et j’ai cherché partout.

    J’avais pas le Stabylo sur moi. Et si je l’écris encore, Pierrot, ton nom, si je remplace celui écrit ce jour mais effacé depuis, comment savoir si ça marcherait pareil ?

    Je me suis enfermé. Ma chambre. J’ai pas mangé : pas envie de manger. Branché les écrans. Trois en même temps, panoramiques, des images différentes. Le son est marqué mute. J’ai gardé les images. Rien d’autre. Et contre ces images, une photo de toi Pierrot, la seule, celle que je possède. J’ai retrouvé l’image du poster en tapant sur Google toutes les lettres et tous les mots. Évidemment, sur celle-là, Jodorov et c’est tout. Toi, comme ici, comme dans les chiottes : nulle part. J’écoute. C’est sa voix plaquée sur l’écran, sur les images. Je me dis que si le son, le sien, recouvre l’image, il soufflera depuis sa gorge comme une espèce d’image de toi.

    Voilà pourquoi j’écoute. Manuel Jodorov. O superman. La voix, la vraie, la sienne et celle de ton dernier texto. Qui me déforme la tête depuis que j’ai lu. Autre image. Cette fois des mots. Lu bout portant, l’oeil collé sur l’écran, on peut voir la forme des pixels. Ceux de O superman, ceux de ta voix plaquée, Pierrot, derrière tes mots, et ceux issus des miens.


    Premier jet du 26/01/11

    Ça n’a rien à voir avec les écrans. Les images. Avec les bouts de télé, LCD ou tactile qui me tapissent la tête. Rien. D’accord ce que je vois maintenant a la forme précise de pixels assemblés mais c’est l’oeil. C’est l’habitude. C’est le panorama qui mâche ou plutôt est mâché par toutes les images captées d’avant. Mais je suis dans un tel état, Pierrot, que c’est pas les images. Pas les écrans. Rien de ces trucs.

    Pierrot je suis passé aux chiottes, juste avant de partir et de rentrer chez moi. Dans les chiottes du lycée, dernier face au miroir, celui qui ferme. Je suis passé, comme tous les jours, pour y pisser, dans celui-là, celui où j’ai écrit ton nom, en minuscule et dans l’angle, au marqueur Stabylo pour qu’il s’efface jamais. Ton nom, Pierrot, le seul truc digne d’être vu qui soit pas sur l’écran. À l’endroit, dans l’angle, où j’avais posé mes mains, mes bras contre tes cuisses, ton jean sur les chevilles. Ton nom Pierrot, celui au Stabylo censé être indélébile, mais qui l’est pas, puisqu’il y est plus. Je l’ai cherché partout. Je te jure, Pierrot, dans tous les autres chiottes, des fois qu’il ait glissé, que l’angle ait craché l’encre, que les écrans, aussi, m’aient fait tourner la tête. Ils m’ont fait tourner la tête. Mais il est plus là, Pierrot, je te jure. J’ai cherché partout.

    J’avais pas le Stabylo sur moi. Et si je l’écris encore, Pierrot, ton nom, si je remplace celui écrit ce jour-là, est-ce que ce sera pareil ? Est-ce que ce sera vraiment la même chose ? Est-ce que l’image est plus importante ? J’en sais rien. Pour ça que je demande.

    Je me suis enfermé dans ma chambre. J’ai pas mangé. J’ai pas envie de manger. J’ai branché les écrans. Trois marchent ensemble, panoramiques, ils diffusent des images différentes. Le son est mute. J’ai gardé les images. Juste les images. Et contre ces images, une photo de toi Pierrot, la seule, celle que je possède, toi dans ta chambre, derrière toi papier glacé poster de Manuel Jodorov, en noir et blanc, les lunettes noires, le rouge à lèvres rouges. J’ai retrouvé l’image du poster sur Internet. Évidemment, sur celle-là, tu n’y es pas. Uniquement Jodorov. Et je l’écoute. C’est sa voix que j’écoute superposée aux écrans, aux images. Je me dis que si le son, le sien, recouvre ces images, il soufflera depuis ailleurs, depuis sa scène, ses concerts, ses tournées, un petit bout de toi, Pierrot, toi qui le suit, je sais, faut pas me dire le contraire, je sais, je sais mais n’y vais pas, ne suis pas, je reste là, planté devant les écrans, les images, car les images, c’est tout, voilà ce que je peux tolérer. Comme cette photo. Ou comme ton nom au Stabylo. Comme les milliards d’autres. Toutes celles qui taisent dehors, la réalité.

    Voilà pourquoi j’écoute Manuel Jodorov. O superman 1. Celle de ton dernier texto. Celle qui me déforme la tête depuis que je l’ai lu. Une autre image. Cette fois des mots. Lu depuis si près, l’oeil collé sur l’écran, on peut voir la forme des pixels. Ceux de O superman, ceux de tes mots Pierrot. Ceux des miens.

    Mais Pierrot laisse-moi te poser une question. Si tu es avec lui, si tu le suis encore, Manuel Jodorov, laisse-moi savoir : est-ce que tu deviens lui ? Est-ce que c’est ça le but ? Et moi resté derrière, pourquoi j’y suis pas, pourquoi je me rattache à un nom effacé, aux images ressassées ? Et puis peut-être, dis moi, si ça se trouve, dis-moi Pierrot, je pourrais partir moi aussi, peut-être, moi aussi... ?

  • kbb | Pierrot à 0606667778 #5

    26 février 2011

    Le texte suivant a été modifié et corrigé après sa première mise en ligne. Le texte affiché correspond à la dernière version en date. Pour accéder aux versions antérieures et consulter les retouches effectuées par la suite, cliquer sur le lien en bas de page.

    J’ai préparé un sac. J’étais près à partir, rejoindre Jodorov, ne pas te chercher. Te trouver si ça se trouve. J’ai juré que je te chercherai pas, Pierrot, mais ça m’empêche pas d’essayer sans savoir. Si s’y vais les yeux clos, je tricherai pas, c’est pas pareil.

    Il faut que je te parle du film que j’ai vu aujourd’hui. Ça commence : une voiture. Le générique s’affiche, la limousine avance. De nuit. À l’intérieur une femme, devant elle un homme. Elle demande pourquoi il s’arrête. L’homme avec un flingue la braque. Avec un flingue, Pierrot, sorti de nulle part.

    Mon sac Eastpack. J’y ai mis quoi : des fringues, du fric, ce que j’ai pu tirer. Quoi d’autre ? Je me suis posé la question toute la journée. Je me suis retourné la tête pour savoir quoi rédondre.

    Une voiture arrive, des types roulent comme des dingues, ils les percutent par l’arrière. La deuxième voiture rentre dans le coffre de la première voiture : elle est projetée sur plusieurs mètres.

    J’ai demandé à ma mère de laver toutes mes fringues. De cette façon savoir quoi mettre et quoi porter. Je sais pas trop comment se fringuer quand on est, comment tu dirais, Pierrot : en fuite ? J’essaye de deviner quoi mettre sur moi, dans le miroir devant, recouvert de buée.

    La femme sort de la limousine sur le bord de la route. Elle boite, titube, s’enfonce dans un fossé. Au-delà un boulevard, la ville.

    Je sais pas si c’est vraiment important. Je sais déjà ce que portent ceux qui suivent les concerts de Jodorov, mais c’est pas exactement ça, pas vrai ?

    Elle remonte la rue, toujours en titubant, toujours la nuit, toujours elle boite. Elle arrive devant une maison. Quelqu’un part, entasse des bagages dans le coffre d’une voiture. Elle entre, se cache à l’intérieur de la maison. La voiture s’en va. Et elle à l’intérieur.

    Bien sûr que j’ai mon MP3, bien sûr qu’il est chargé. Mis à jour avec les derniers trucs trouvés. Des gigas, des heures, de son prévus pour. Quoi, j’en sais rien. Te suivre. Te voir. Ne pas te chercher. Trouver par hasard. Par hasard complètement. Je me demande juste quelle chanson mettre pour le moment où faudra bien passer la porte.

    Quelqu’un arrive. Une autre femme. Elle sort de l’aéroport, un taxi la dépose devant la maison, elle entre. Pose se affaires. Visite l’appartement. Ouvre la bouche en grand, les yeux. Elle entre dans la salle de bain. Il y a un bruit.

    Dans le miroir, la buée me censure. J’ai plus de visage, Pierrot, plus d’oeil, de membres. Tout ce que je vois, c’est silhouette faite de chair et de peau. Uniforme et puis floue. Je me dis que si je me force, c’est ton corps, Pierrot, que je pourrais imposer juste à la place du mien. Ta peau, tes os. je dois plisser les yeux si fort, Pierrot, pour te voir à ma place que des fois, pendant une seconde, juste une seconde pas plus, j’ai l’impression de plus rien voir du tout, d’avoir les yeux fermés.

    Il y a quelqu’un dans la cabine de douche. La femme du premier plan. Le verre est dépoli mais transparent, on voit qu’elle est à poil. L’autre femme s’excuse, elle savait pas qu’elle était là, on lui avait rien dit, dit-elle. La femme du premier plan terrorisée dit pas un mot. L’autre femme s’excuse et quitte la pièce et puis revient. Lui demande son nom. La femme du premier plan, à poil, a le regard qui tremble, elle est terrorisée mais plus encore qu’avant et elle sait pas répondre.

    Pierrot, je suis comme cette femme. Tremblante à poil, terrorisée, toute seule dans une douche mais sans eau, qui connaît pas son nom. Pour te voir, je ferme les yeux, la buée fond. Celui qui me vient, Pierrot, le nom qui me vient toujours quand j’y pense sans penser, Pierrot, c’est, putain, le tien. Toujours c’est le tien.


    Premier jet du 04/02/11

    J’ai préparé un sac, des affaires. J’étais près à partir, rejoindre Jodorov, ne pas te chercher. Peut-être te trouver. J’ai juré que je te chercherai pas, Pierrot, mais ça m’empêche pas d’essayer sans savoir. J’espère te trouver quand même.

    Pierrot laisse-moi te dire, c’est à propos du film que j’ai vu aujourd’hui. Ça commence : une voiture. Le générique s’affiche, une limousine avance. La nuit. À l’intérieur une femme, devant elle un homme. Elle demande pourquoi il s’arrête ici. L’homme la braque avec un flingue. Avec un flingue, Pierrot, sorti de nulle part.

    Un sac, des affaires. J’ai mis quoi ? Des fringues, un peu d’argent, ce que j’ai pu tirer. Quoi d’autre ? Qu’est-ce que je peux avoir que je voudrais emporter ? Pierrot, je me suis posé la question toute la journée. Je me suis retourné la tête avec cette question. Complètement. Le problème c’est pas que j’ai pas trouvé la réponse, le problème c’est que la réponse c’était du vent : que dalle, voilà.

    Mais une voiture arrive, des types roulent comme des dingues, ils les percutent par l’arrière. La deuxième voiture rentre dans le coffre de la première. La limousine est projetée sur plusieurs mètres.

    J’ai demandé à ma mère de laver mes fringues, toutes. De cette façon savoir quoi mettre et quoi emporter. Je peux pas tout emporter, je sais. Je sais pas ce qu’on est censé porter quand on est, comment tu dirais, toi, Pierrot : en fuite ? Moi, j’en sais rien. Moi, je me devine, dans le miroir devant moi, recouvert de buée.

    La femme sort de la limousine, celle du tout premier plan, elle sort de la voiture compactée sur le bord de la route. Elle boite, titube, elle s’enfonce dans un fossé, et au-delà un boulevard, la ville.

    Est-ce que c’est important Pierrot, est-ce qu’il faut s’habiller particulièrement pour sortir, pour ne jamais revenir ? Je sais déjà ce que portent ceux qui suivent les concerts de Manuel Jodorov, mais c’est pas exactement ça, pas vrai ? C’est pas exactement comme pour un concert, hein ?

    Elle remonte la rue. La femme du premier plan. Elle remonte la rue, toujours en titubant, toujours la nuit, toujours elle boite. Elle arrive devant une maison. Quelqu’un part, entasse des bagages dans le coffre d’une voiture. Elle entre, se cache a l’intérieur de la maison. La voiture s’en va.

    Bien sûr que j’ai mis mon MP3 dans le sac, bien sûr qu’il est chargé. Mis à jour avec les derniers trucs trouvés. Des gigas, des heures, de son prévus pour. Pour quoi, j’en sais rien. Pour te suivre. Pour te voir. Pour ne pas te chercher. Te trouver par hasard. Par hasard complètement. Je me demande quelle chanson je pourrais mettre pour le moment où je passerai la porte et ne me retournerai plus.

    Quelqu’un arrive. Une autre femme. Elle sort de l’aéroport, c’est un taxi qui la dépose devant la maison, et elle arrive. Elle entre. Pose se affaires. Visite l’appartement. Ouvre la bouche en grand, les yeux. Elle entre dans la salle de bain. Il y a un bruit.

    Dans le miroir, la buée m’anonyme. J’ai plus de visage, Pierrot, plus d’oeil, plus de membres. Tout ce que je vois, c’est silhouette faite de chair et de peau. Tout uniforme. Je me dis que si je me force, c’est ton corps, Pierrot, que je pourrais imposer juste à la place du mien. Ta peau, tes os. je dois plisser les yeux si fort, Pierrot, pour te voir à ma place que parfois, pendant une seconde, juste une seconde pas plus, j’ai l’impression de plus rien voir du tout, d’avoir les yeux fermés.

    Il y a quelqu’un dans la cabine de douche, la femme du premier plan. Le verre est dépoli mais transparent, on voit qu’elle est nue. L’autre femme s’excuse, elle ne savait pas qu’elle était la, on ne l’avait pas avertie. La femme du premier plan est terrorisée, ne dit pas un mot. L’autre femme s’excuse et quitte la pièce. Elle revient. Elle lui demande son nom. La femme du premier plan, nue, a le regard qui tremble, elle est terrorisée. Elle ne sait pas répondre.

    Pierrot, je suis comme cette femme, ce film. Pierrot, je suis cette femme. Tremblante à poil, terrorisée, toute seule dans une douche sans la moindre goutte d’eau, qui ne sait pas son nom. Je ferme les yeux pour te voir, la buée se dissipe. Celui qui me vient, Pierrot, le nom qui me vient quand j’y pense sans penser, Pierrot, c’est, Pierrot, le tien. Toujours c’est le tien.

  • kbb | Pierrot à 0679889047 #1

    6 mars 2011

    J’écris la nuit. Une fois tout le monde couché. Derrière les portes fermées des autres, claquées des fois, poussées, j’allume l’écran blanc. Le remplis avec mes doigts. Ce que j’écris, silence. Des mots précis rien que de moi vers moi. Personne, jamais, n’y a jeté un oeil.

    Ma chambre : pas grande. Faut pas taper trop fort. Pas de musique non plus. Sinon les vieux débarquent, me font dormir. Mes frères aussi se pointent et collent derrière mes lettres des pointillés, des signes qui gâcheront tout. Dormir, c’est pas pour moi. Ou alors demain. En cours, entre deux. Moment dans les couloirs allongée devant la porte. Jamais dehors. Pour ça, je crois, qu’on s’est pas trop croisé. On fréquentait jamais les mêmes coins du lycée. Devant la grille pour fumer la dernière clope avant de monter. Au bar d’en face, une bière. La grille, c’est le matin, le soir. Entre : jamais. Là-bas je marche vite. Les yeux par terre où sont mes semelles. Ne pas trop respirer vos clopes, vos fringues, vos yeux. Assise par terre, devant la porte de la salle, fixer le mur d’en face. Un tag sûrement tagué dessus. J’attends que l’heure reprenne. Quand vous remontez, tous, ensemble ou par vagues, la même odeur sur vous. Profs et élèves : la même. Mais pas la même fumée et pas les mêmes endroits.

    De profil je te vois. À l’autre bout de la salle, contre rangée fenêtres. Te voir sans vraiment voir. Ton absence se contourne. L’habitude. À cette heure, dans cette salle, tel prof, matière, soleil plongeant, je dois planter la main devant les yeux pour mieux t’avoir. Ton profil est fait d’ombre et l’ombre de tes mains sur ta feuille la balaye. Ce que t’écris, comment savoir ? Moi j’écris ce que je sais. Pas des histoires mais des situations. Sur le bord de mes cours, dans la marge ou autour, des mots lâchés sans voir. Ni penser. Des mots éparpillés en t’attrapant, suie noire, le visage pris dans l’ombre. L’ombre surexposée. J’écris dans les marges. Rien que les marges. Mes feuilles de cours sont vides. Blanches à l’intérieur, quadrillées. Rien que les marges. Elles m’observent. J’y dessine ton ombre face aux fenêtres en t’écrivant. Moi dont mes parents disent « ma fille fera médecine » je ne prends plus mon cours. Ne regarde plus rien, sinon l’ombre chinoise, ton profil devant moi. Le prof peut s’approcher, tu sais lequel. Ne pas bouger. Il voit ma feuille sous mes coudes et me traite de sale conne. Même pas besoin d’ouvrir la bouche. Quand même j’entends sale conne. Les mots résonnent dans la salle vide. Sale conne aussi écrit au tableau, à la craie, au feutre, au stylo. Sur le mur au Stabylo indélébile. Sur la feuille de présentation, un quart A4 et quadrillé, en début d’année scolaire, j’ai écrit dans les marges, après les mots « quoi faire plus tard ? » ce que mes parents disent. Leur fille fera médecine.

    Je n’ai jamais dit à personne « j’écris ». J’ai honte, possible, pourquoi ça m’est égal. Toi par exemple, un mec normal, à part textos de temps en temps, tu n’écris pas. Les autres pareil. Je regarde les filles de la classe ou bien d’autres classes (les mêmes). Leurs marges remplies de dessins, mais aucunes lettres : des signes ou des visages. Angéliques, et des regards mangas qui font, en te voyant, trois fois le tour de toi. Je regarde mes frères, rentrant du lycée, collège, balancés dans l’écran où ils bousillent le monde. Aucun n’écrit. Je sais. Autre certitude : les étudiants sérieux n’écrivent pas, et surtout pas en Médecine. À toi qui est absent, je peux dire. C’est différent. Je sais combien c’est sans conséquence. Je sais aussi que tu reviendras pas. À toi je pourrais dire n’importe quoi. De ce n’importe quoi qui n’est que vrai. Je pourrais même ouvrir cage thoracique et te faire voir dedans. Même si écrire ce n’est pas ça.


    Premier jet du 08/01/11

    J’écris la nuit. Une fois tout le monde couché. Quand je vois depuis la fenêtre les lucioles, les pare-chocs clairsemés. Derrière les portes fermées des autres, claquées des fois, poussées, j’allume l’écran blanc. Je le remplis avec mes doigts. Ce que j’écris silence. C’est des mots précis rien que de moi vers moi. Personne, jamais, n’y a jeté un oeil.

    Ma chambre, pas grande. Ne pas taper trop fort. Pas de musique non plus. Sinon parents débarquent et me feraient dormir. Mes frères aussi se pointent et collent derrière mes lettres des pointillés, des signes qui gâcheront tout. Dormir, pas moi. Ou alors demain. En cours, entre deux. Moment dans les couloirs allongée devant la porte. Jamais dehors. Pour ça, je crois, qu’on s’est pas trop croisé. Fréquentait pas les mêmes coins du lycée. Devant la grille pour fumer la dernière clope avant de monter. Ou bar d’en face, une bière. Voir glisser MTV à droite, à gauche MCM. L’inverse. J’ai mis les pieds là-bas une fois. Une. La grille, c’est le matin, le soir. Entre, jamais. Généralement je passe vite. Les yeux par terre où sont mes semelles. Ne pas trop respirer vos clopes, vos fringues et vos yeux. Assise par terre, devant la porte de la salle, fixer le mur d’en face. Un tag sûrement tagué dessus. J’attends que l’heure reprenne. Quand vous remontez, tous, ensemble ou par vagues, la même odeur sur vous. Profs et élèves pareil. Mais pas la même fumée et pas les mêmes endroits.

    C’est de profil que je te vois. À l’autre bout de la salle, contre rangée fenêtres. Je te vois sans voir. Ton absence se contourne. L’habitude. À cette heure, dans cette salle, tel prof, matière, soleil plongeant, je dois planter la main devant les yeux pour mieux t’avoir. Ton profil tout fait d’ombre et l’ombre de tes mains sur ta feuille qui balaye. Ce que t’écris, comment savoir ? Moi j’écris ce que je sais. Pas des histoires mais des situations. Sur le bord de mes cours, dans la marge ou autour, des mots lâchés sans voir. Sans penser. Des mots éparpillés en te voyant, suie noire, le visage pris dans l’ombre. L’ombre surexposée. J’écris dans les marges. Rien que les marges. Mes feuilles de cours sont vides. Blanches à l’intérieur, quadrillées. Rien que les marges. Elles m’observent. J’y dessine ton ombre face aux fenêtres en t’écrivant. Moi dont mes parents disent « ma fille fera médecine » je ne prends plus mon cours. Ne regarde plus rien, rien qu’ombre chinoise, ton profil devant moi, à l’autre bout, et mes mots dans les marges. Le prof peut s’approcher, tu sais lequel. Ne pas bouger. Il voit ma feuille sous mes coudes et me traite de sale conne. Sans même ouvrir la bouche. Quand même j’entends sale conne. Les mots « sale » et « conne » résonnent dans la salle vide. Sale conne aussi écrit au tableau, à la craie, au feutre, au stylo. Sur le mur au Stabylo indélébile. Sale conne, sale conne, sale conne. Sur la feuille de présentation, un quart A4 et quadrillé, en début d’année scolaire, j’ai écrit dans les marges, après les mots « quoi faire plus tard ? » ce que mes parents disent. Leur fille fera médecine.

    Je n’ai jamais dit à personne « j’écris ». J’ai honte, possible, pourquoi ça m’est égal. Toi par exemple, un mec normal, à part textos de temps en temps, tu n’écris pas. Les autres pareil. Je regarde les filles de la classe ou bien d’autres classes (les mêmes). Leurs marges remplies de dessins, pas de lettres, de signes et de visages. Angéliques, et des regards mangas qui font, en te voyant, trois fois le tour de toi. Je regarde mes frères, rentrant du lycée, collège, balancés dans l’écran où ils bousillent le monde. Aucun n’écrit. Et tous les autres pareil. Je sais. Autre certitude : les étudiants sérieux n’écrivent pas, et surtout pas qui font médecine. À toi qui est absent, je peux dire. C’est différent. Je sais combien c’est sans conséquence. Je sais aussi que tu ne reviendras pas. À toi je pourrais dire n’importe quoi. De ce n’importe quoi qui n’est que vrai. Je pourrais même ouvrir cage thoracique et te faire voir dedans. Même si écrire ce n’est pas ça. Écrire c’est dessiner d’autres cages thoraciques qui n’ont pas été conçues pour moi. Écarteler squelette. Voir la gorge devenir rouge, juste après la toux. Deviner quel groupe sanguin fera l’affaire pour qu’un greffon digère. Ou pas. Mes parents disent que leur fille fera médecine. Au moins j’ai les mots.

  • kbb | Pierrot à 0679889047 #2

    6 mars 2011

    Pas de bus. 2 Ce que je vois parking, en dessous le lycée, grillage vert, derrière la pelouse une borne incendie, le long de la route chemin pour aller au gymnase, portail fermé, à cette heure, ouvert le matin, les toits en tuile des bâtiments comme des villas, panneau triangle à l’intérieur une croix, parking de la loge, bâtiment annexe vue sur terrain de foot, boites aux lettres et local à poubelles, l’intérieur du gymnase, vue sur les cages de Hand et mur d’escalade, pub pour du golf, le parking du gymnase, quartier résidentiel, un local électrique, entrepôt, Fly, zone réception marchandises, des containers jaunes, des containers bleus, une flèche en haut marquée « ici », d’autres bus, jamais le mien, le dépôt, des bus tous à l’arrêt, cailloux par terre, un rond-point, des arbres taillés en forme de queue, des flèches pour montrer où tourner et surtout dans quel sens, une pub pour du Ricard, pour des couches, un panneau pour dire la ville d’après, tourner à gauche à cent mètres, des maisons, des murs, des jardins, des portails, des vitres, des murs, un panneau stop, un autre, une flèche à gauche oui mais barrée, un autre entrepôt Fly, une flèche, une autre, qui pointe à droite marquée « entrée », une pub pour canapés, une pub pour téléphones portables, une flèche en blanc sur bleu qui montre à droite pour donner le sens, un terrain vague derrière la flèche, des travaux, un camion jaune, sa benne vide, des pneus énormes, une pub pour un opérateur de téléphonie mobile, à droite station essence, des prix en jaune sur noir, SP 98, SP 95, Gazole sans soufre, Gazole tout court, Gaz, un parking, un magasin Aubert, un King Jouet, des pompes à essence, un supermarché, un parking, des cadis dans des cadis tous encastrés sur bien dix mètres, un supermarché, un parking, un supermarché, des pelleteuses, une pub pour un supermarché, un fast-food, un panneau marqué « vous n’avez pas la priorité », un parking, une pub pour un parc d’attractions, un magasin de surgelés, un magasin cuisine et salle de bain, une pizzeria, un rond-point, dedans des arbres taillés en forme de glands, un garage, un panneau, une flèche, et derrière le mot « fleurs », une pub pour un téléphone portable, un panneau sens interdit, un magasin de stores et volets, une pub pour un magasin de stores et volets, une pub pour un magasin de canapés, une pub une vache sur l’un des canapés, une pub pour un opérateur de téléphonie mobile, une flèche marquée « à 800 mètres », une pub pour un fast-food, un panneau à louer, un numéro de téléphone portable, un panneau indiquant villes ailleurs les plus proches, une autoroute après la flèche, un magasin GIFI, une affiche « ouvert même le dimanche », un parking, un terrain vague, une pub pour un magasin de vêtements, un panneau « céder le passage », autre panneau un feu à l’intérieur, un parking, un magasin de déco, un panneau limitation de vitesse, un parking, une pub pour un magasin de bricolage, un magasin de bricolage, un panneau interdit de tourner à droite, un feu, un parking, un arrêt de bus, un magasin de cuisines, un panneau interdit de stationner, des cailloux sur le trottoir, un magasin de bricolage, un parking, une borne incendie, une haie mal taillée, une haie bien taillée, un portail, une boite aux lettres, des escaliers, des ronces, des fleurs, une terrasse, des pavés, un paillasson, une porte, ma clé dans la serrure, dedans derrière la porte, retrouver toutes mes marges au plus vite.


    Premier jet du 13/01/11

    Pas de bus. Ce que je vois parking, en dessous le lycée, le grillage vert, derrière la pelouse, une borne incendie, le long de la route chemin pour aller au gymnase, portail fermé, à cette heure, ouvert le matin, les toits tuile des bâtiments comme des villas, panneau triangle à l’intérieur une croix, parking de la loge, bâtiment annexe vue sur terrain de foot, boites aux lettres et local à poubelles, l’intérieur du gymnase, vue sur les cages de Hand et mur d’escalade, pub pour du golf, le parking du gymnase, quartier résidentiel, un local électrique, entrepôt, Fly, zone réception marchandises, des containers jaunes, des containers bleus, une flèche en haut qui dit « ici », d’autres bus mais pas le mien, le dépôt, des bus tous à l’arrêt, des cailloux par terre, un rond-point, des arbres taillés en forme de bite, des flèches pour montrer où tourner et surtout dans quel sens, une pub pour du Ricard, une pub pour des couches, un panneau pour la ville d’après, tourner à gauche à cent mètres, des maisons, des murs, des jardins, des portails, des vitres et des murs, un panneau stop, un autre, une flèche à gauche qui est barrée, un autre entrepôt, Fly, une flèche, une autre, qui pointe à droite et dit « entrée », une pub pour un canapé, une pub pour un téléphone portable, une flèche en blanc sur bleu qui montre à droite pour suivre le sens, un terrain vague derrière la flèche, des travaux, camion jaune, sa benne vide, des pneus énormes, une pub pour un opérateur téléphonie mobile, à droite station essence, des prix en jaune sur noir, SP 98, SP 95, Gazole sans soufre, Gazole tout court, Gaz, un parking, un magasin Aubert, un King Jouet, des pompes à essence, un supermarché, un parking, des cadis dans des cadis sur bien dix mètres, un supermarché, un parking, un supermarché, des pelleteuses, une pub pour un supermarché, un fast-food, un panneau qui dit « vous n’avez pas la priorité », un parking, une pub pour un parc d’attractions, un magasin de surgelés, un magasin cuisine et salle de bain, une pizzeria, un rond-point, dedans des arbres taillés en forme de glands, un garage, un panneau, une flèche, et derrière le mot « fleurs », une pub pour un téléphone portable, un panneau sens interdit, un magasin de store et volets, une pub pour un magasin de store et volets, une pub pour un magasin de canapés, une pub une vache sur un canapé, une pub pour un opérateur téléphonie mobile, une flèche qui dit « à 800 mètres », une pub pour un fast-food, un panneau à louer, un numéro de téléphone portable, un panneau indiquant villes ailleurs les plus proches, autoroute après la flèche, un magasin GIFI, une affiche « ouvert même le dimanche », un parking, un terrain vague, une pub pour un magasin de vêtements, un panneau « céder le passage », un panneau un feu à l’intérieur, un parking, un magasin de déco, un panneau limitation de vitesse, un parking, une pub pour un magasin de bricolage, un magasin de bricolage, un panneau interdit de tourner à droite, un feu, un parking, un arrêt de bus, un magasin de cuisines, un panneau interdit de stationner, des cailloux sur le trottoir, un magasin de bricolage, un parking, une borne incendie, une haie taillée, un portail, une boite aux lettres, des escaliers, des ronces, des fleurs, une terrasse, des pavés, un paillasson, une porte, ma clé dans la serrure, dedans derrière la porte.

    Voilà ce que portent mes marges.

  • kbb | Pierrot à 0679889047 #3

    6 mars 2011

    Toujours mes parents disent : « ma fille fera médecine ». Je prends de l’avance. Examine même l’anatomie. Je suis de celles muettes et qui observent. Toi, les autres. Les autres, toi. Mes marges donnent le verdict. Là où d’autres dessinent moi j’écris des portraits. Portraits de lettres. Phrases et mots sont mes pigments. J’organise carnets de croquis, esquisses classées par noms, par lettres. Les tiennes rangées sous P. Les tiennes vues contre-jour devant rangées de fenêtres à l’autre bout de la salle.

    Tout le monde savait combien tu étais autre, alors je t’ai fixé. Analyse faite de l’oeil avant que le stylo n’enchaîne. Jamais vraiment adressé la parole l’un l’autre, entre nous deux aucune réelle conversation. Étrange : je me suis rapprochée juste après ton exil. Alors mes esquisses : incomplètes complètement. De mémoire, difficile à écrire. Besoin de ce support du corps. Voir comment la lumière fait ressortir la peau. Comment l’ombre portée sur les tables, le sol, les autres corps, se déporte. Retour chez moi, le soir, écran blanc et de face, j’essaye, faut croire, de te ressusciter. Rien ne fonctionne.

    Je sais pas toi mais j’ai jamais aimé. Mes parents disent : « ma fille fera médecine » et pensent sans prononcer qu’un médecin ça ferait bien. Me verrai plutôt en couple avec un infirmier. Façon pour moi de retourner le cliché, d’être la femme et l’homme et lui serait les deux. Il serait jeune, j’aurais vingt ans de plus, déjà divorcée, prête à vivre ma vie après l’avoir gâchée. Dans mon souvenir à l’envers, nous deux emmêlés dans un placard comme dans les films, les yeux derrière la porte ouverte, garde commune à l’hôpital Machin, brillent comme des ahuris. Ils sont horrifiés, le disent. Les gorges grognent. Une fois la porte fermée, je perds le fil de la scène. Comme si j’étais avec la foule de l’autre côté de la porte et pas avec mon corps. Parfois cette impression dans les rêves. D’être comme dissociée. Dans les rêves, et pas que dans les rêves.

    Tout le monde savait tes goûts, ta différence, je voulais te demander, en silence ou ailleurs, comment ça pouvait être de se faire pénétrer par un autre. Jamais eu l’occasion. Ni ta réponse. J’aimerais savoir.


    Premier jet du 21/01/11

    Mes parents disent : « ma fille fera médecine ». Je prends de l’avance. Examine même l’anatomie. Je suis de celles muettes et qui observent. Toi, les autres. Les autres, toi. Mes marges donnent le verdict. Là où d’autres dessinent moi j’écris portraits de lettres. Phrases et mots, mes pigments. J’organise carnets de croquis, esquisses classées par noms, par lettres. Les tiennes à P. Les tiennes vues contre-jour devant rangées de fenêtres à l’autre bout de la salle.

    Tout le monde savait, alors je t’ai fixé. Analyse faite de l’oeil avant que le stylo n’enchaîne. Jamais vraiment adressé la parole l’un l’autre, jamais eu de vraie conversation. Paradoxalement nous nous sommes rapprochés juste après ton exil. Alors mes esquisses : incomplètes complètement. De mémoire, difficile à écrire. Besoin de ce support du corps. Voir comment lumière fait ressortir la peau. Comment l’ombre portée sur les tables, le sol, les autres corps, se déporte. Retour chez moi, le soir, écran blanc et de face, j’essaye, faut croire, de te ressusciter. Rien ne fonctionne.

    Je sais pas toi, moi j’ai jamais aimé. Mes parents disent : « ma fille fera médecine » et pensent sans prononcer qu’un médecin ça ferait bien. Je verrai plutôt un couple avec un infirmier. Façon pour moi de retourner le cliché, d’être la femme et l’homme et lui serait les deux. Il serait jeune, j’aurais vingt ans de plus, déjà divorcée, quelques enfants peut-être, prête à vivre ma vie après l’avoir gâchée. Dans mon souvenir à l’envers, nous deux emmêlés dans un placard comme dans les films, les yeux derrière la porte ouverte, garde commune à l’hôpital Machin, brillent comme des ahuris. Ils sont horrifiés, le disent. Les gorges grognent. Une fois la porte fermée, perds le fil de la scène. Comme si j’étais avec la foule de l’autre côté de la porte et pas avec mon corps. Parfois cette impression dans les rêves. D’être comme dissociée. Dans les rêves, et pas que dans les rêves.

    Tout le monde savait, je voulais te demander, en silence ou ailleurs, ce que ça pouvait être de se faire pénétrer par un autre. Jamais eu l’occasion. Ni ta réponse. J’aimerais savoir.

  • kbb | Pierrot à 0679889047 #4

    6 mars 2011

    Les parents, je fais gaffe. Toujours trop compliqué. Les miens, ceux qui expliquent que leur fille fera médecine, n’ont que ces mots à la bouche. N’entendent ne voient ne boivent plus rien d’autre. C’est leur langue, leur peau. Mes mots à moi : silence. Les comprendre impossible. Je hurle, ma gorge aussi. Personne pour entendre.

    Je dis parents à cause des tiens. Ta mère je veux dire. Elle m’a appelé. Parlé. Invité à venir. Proposé même de me véhiculer. Je préférais te dire. Que tu saches.

    J’aimerais te dire pourquoi. Pourquoi j’ai accepté. Pourquoi venir me trouver, pourquoi monter dans sa voiture, pourquoi dire oui. Mon oui cette fois plutôt audible. Un mot cette fois mais sans médecine. Aucun rapport. Mon oui l’a fait sourire. Mais c’est pas la raison. J’aimerais te dire j’ai peur. Parce que peut-être tu serais en train. De crever, de bouffer le sol ou les emmerdes. Non. J’aimerais te dire tu comptes. Et tu comptes. Mais non. J’aimerais te dire que j’ai pitié. Ta mère, toi, tous ceux qui. Se barrent. Souffrent. Font souffrir. Mais non. J’aimerais te dire l’impératif catégorique. Mais non. La vraie raison ailleurs. Je suis montée pour moi. Je suis du genre intéressée. Je voulais voir ta chambre. Ta mère m’a dit je pouvais.

    J’ai vu ta chambre. Carrée, photos collées aux murs. Fenêtre avec vue sur la nuit. PC allumé, ton bureau. Je connaissais rien, et surtout rien de toi. Je l’ai dit dès le début. Encore moins ton mot de passe. C’est pas grave, elle a dit. Elle a dit ensemble on va trouver. On va trouver quelque chose on va trouver ensemble. Dans un souffle. L’impression que ta mère est genre malade du souffle. Elle me donne envie, moi, de le reprendre. Mieux respirer et surtout plus souvent.

    J’ai tout essayé elle a dit. Nom prénom date numéros. J’ai dit on va voir. J’y croyais pas. Je te connais mais pas assez. Pour deviner un mot caché derrière des signes, astérisques, étoiles. Foutu avant même de commencer mais on savait. Elle comme moi. Il fallait faire comme si. Ta mère moins monstrueuse qu’une autre. Elle m’a servi à boire. Voulait savoir ce que j’étais. Pour toi. Amie camarade petite amie qui sait ? Je suis quelqu’un, voilà j’ai dit, on s’est croisés c’est tout. Elle a dit oh, comme ça. Et puis chercher. Taper, noter, barrer à mesure que temps file. Je suis pas restée longtemps. Je pensais pas trouver.

    Tout ce que j’ai dit c’était regarde. Autour de moi et dans la pièce. Devant moi le poster, tu sais lequel. J’ai tapé dans l’écran le nom : Manuel Jodorov, espace, sans espace, minuscules, majuscules, initiales. Raté. Alors j’ai demandé à ta mère ta chanson préférée. Elle savait pas. Moi pas mieux. J’ai cherché dans ma tête, trouvé mon portable. Texto à deux ou trois mecs. Une réponse. Le mec savait. Tu sais lequel. The Motel 3 écrit sur mon écran. J’ai tapé The Motel. J’ai tapé the motel. Tapé TheMotel. Tapé themotel. Tapé THEMOTEL. Tapé une à une les paroles et les phrases. L’écran s’est ouvert derrière it’s lights up boys. Sans majuscules. Avec espaces. Mais ça tu sais.


    Premier jet du 29/01/11

    Les parents, je fais gaffe. Toujours trop compliqué. Les miens, ceux qui expliquent que leur fille fera médecine, n’ont que ces mots à la bouche. N’entendent ne voient ne comprennent plus rien d’autre. C’est leur langue, leur peau. Mes mots à moi silence. Les comprendre impossible. Je hurle, ma gorge aussi. Personne pour entendre. Ça arrive des fois dans les rêves. Pas que dans les rêves.

    Je dis parents à cause des tiens. Ta mère je veux dire. Elle m’a appelé. Parlé. Invité à venir. Proposé même de me véhiculer. Je préférais te dire. Que tu saches. Mais comment savoir si mes mots sont audibles, s’ils vont jusqu’à toi ?

    J’aimerais te dire pourquoi. Pourquoi j’ai accepté. Pourquoi venir me trouver, pourquoi monter dans sa voiture, pourquoi dire oui. Mon oui cette fois audible. Un mot cette fois mais sans médecine. Aucun rapport. Mon oui l’a fait sourire. Mais c’est pas la raison. J’aimerais te dire j’ai peur. Parce que peut-être tu serais en train. De crever, de bouffer le sol ou les emmerdes. Non. J’aimerais te dire tu comptes. Et tu comptes. Mais non. J’aimerais te dire pitié. Ta mère, toi, tous ceux qui. Se barrent. Souffrent. Font souffrir. Mais non. J’aimerais te dire l’impératif catégorique. Mais non. La vraie raison ailleurs. Je suis montée pour moi. Je suis du genre intéressée. Et puis je voulais voir ta chambre. Ta mère m’a dit je pouvais.

    J’ai vu ta chambre. Carrée, posters aux murs. Fenêtre avec vue sur la nuit. Pc allumé, ton bureau. Je connaissais rien de tout, et surtout rien de toi. Je l’ai dit dès le début. Encore moins ton mot de passe. C’est pas grave elle a dit. Elle a dit ensemble on va trouver. On va trouver quelque chose on va trouver ensemble. Dans un souffle. L’impression que ta mère est genre malade du souffle. Elle me donne envie, moi, de le reprendre. Mieux respirer et surtout plus souvent.

    J’ai tout essayé elle a dit. Nom prénom date numéros. Ok. J’ai dit on va voir. J’y croyais pas. Je te connais mais pas assez. Pour deviner un mot caché derrière des signes, astérisques, étoiles. Foutu avant même de commencer mais on savait. Elle comme moi. Il fallait faire comme si. Ta mère sympa. Elle m’a servi à boire. Sans alcool mais pas grave. Voulait savoir ce que j’étais. Pour toi. Amie camarade petite amie qui sait ? Je suis quelqu’un, voilà j’ai dit, on se croisait juste. Oh, elle a dit. Et puis chercher. Taper, noter, barrer à mesure que temps file. Je suis pas restée longtemps. Je pensais pas trouver.

    Tout ce que j’ai dit c’était regarde. Autour de moi et dans la pièce. Devant moi le poster, tu sais lequel. J’ai tapé dans l’écran le nom : Manuel Jodorov, espace, sans espace, minuscules, majuscules, initiales. Raté. Alors j’ai demandé à ta mère ta chanson préférée. Elle savait pas. Moi pas mieux. J’ai cherché dans ma tête, trouvé mon portable. Texto à deux ou trois mecs. Une réponse. Le mec savait. Tu sais lequel. The Motel écrit sur mon écran. J’ai tapé The Motel. J’ai tapé the motel. Tapé TheMotel. Tapé themotel. Tapé THEMOTEL. Tapé une à une les paroles et les phrases. L’écran s’est ouvert derrière it’s lights up boys. Sans majuscules. Avec espaces. Mais ça tu sais.


  • ↑ 1 L’extrait « here come the planes so you better get ready » est tiré de la chanson O Superman (For Massenet), de Laurie Anderson, sur l’album Big Science (1981). La chanson a été reprise en 1997 par David Bowie lors de sa tournée "techno/industrielle" Earthling Tour. Bowie est un modèle à peine dissimulé pour le personnage de Manuel Jodorov

    ↑ 2 L’extrait « seems i got it wrong
    i was chasing after something that was gone »
    est tiré de la chanson Impossible Soul, de Sufjan Stevens, sur l’album The Age of Adz (2010).

    ↑ 3 Comme pour la reprise de O Superman, la chanson The Motel est l’œuvre de David Bowie, elle se trouve sur l’album Outside (1995).