Mueller



  • 080113

    8 janvier 2013

    Ras le bol de la vie grise. Envie d’ailleurs, où d’autres langues sont dites. Les tâches répétitives, ici, comprendre dans cette vie, se limitent pas aux tâches répétitives, elles contaminent les autres territoires de l’être. L’ailleurs auquel je pense n’a pas de nom, sauf dans une phrase qui revient très souvent et au carrefour de tous mes autres mots : une maison c’est 3000-€ au Groenland.

    Retour d’un thème /// : un corps nommé Mueller guide sur des terres arides des corps esclaves vers une destination suspecte. J’ai souvent songé à ce truc, indépendamment de /// (l’idée venue plus en amont) et ça me fait du bien de l’imaginer encore, infidèle aux autres esquisses mentales venues avec le temps, fidèle à ce que je crois être le truc original. Quelques incertitudes. Qui est Mueller. Parle-t-il. Qui sont les corps. Sont-ils humains. Sont-ils de chair changeante. Qui est ou qui sont sur leurs traces. Qui dit l’histoire de ce Mueller. Qui est Mueller.

    Tout le jour la tête hors les réseaux sauf cette seconde : Bowie sort une nouvelle chanson, la première depuis dix ans, et l’annonce d’un prochain nouvel album à paraître courant mars. Il y a dix ans que je l’écoute en fait (date de Reality) et n’ai jamais été confronté à la sortie d’un nouvel album. À la première écoute, cette chanson, Where Are We Now ?, tristouille, ressemble à celles de l’univers Heathen & Hours, ce qui n’est pas forcément trop un mal : j’ai aimé ces albums.

  • 090113

    9 janvier 2013

    Putain le monde réel. Le triste. J’essaye débrancher les radios mais non pas les radios les ondes ce sont les ondes qu’il faut faire taire : j’essaye de les faire taire ces ondes : marche pas : on en revient toujours aux foutues chaînes infos. Les autres gueules du monde sont toutes rivées sur le mot lakroâssance.

    Cette phrase d’Emaz sur Poezibao :

    Un travail salarié n’interdit pas d’écrire, il est même possible que la pression favorise l’expression.

    Sais qu’en période de chômage n’ai jamais rien écrit correct, pourtant ai eu le temps, le temps de bien faire. Des fois c’est ça qui tient.

    Retour aux tempes de la chanson Where Are We Now ?, le refrain entêtant fait where are we now were are we now. Pas dispo sur Spotify, pas achetée sur Itunes car le prix (1.29) est le même en dollar en euro. À quoi on est réduit pour se croire contester quelque chose pour juste quoi trente centimes (cette idée me dégoûte). La pirater ça résout pas le problème : je réagis à cette histoire de t(h)unes et j’arrive pas à pas la voir.

    Absurdité du monde réel : achète sur Epagine Les Enfants de Húrin : impossible de virer le DRM dessus : mon Epub DRM removal expiré : ils demandent des thunes pour la version réelle : encore le fric : finis par pirater le texte, acheté pourtant, via Alexandriz.

    /// : deux pages sur cette histoire Mueller. En juin 2010 voilà sur le vif ce que j’écris ailleurs dans l’un des journaux bis :

    Mueller conduit les corps. Il les guide à la corde, la corde secouée dans la neige, la neige foulée aux pieds nus quarante degrés, la neige changée en eau. On entend tordre le clapotis des peaux quand ils piétinent.

    À 22h45, les voilà ces deux pages :

    Celui nommé Mueller conduit les corps encordés &
    les corps vont, respirent des tambours massacrés
    dans les gorges & trachées, Mueller dit : - Köoz
    llosoy maghart ! ce qui en langue soyuz signifie
    des litres & des litres d’exécration pulmonaire.

    Il pleut. Il pleut depuis des torrents de jours.
    Depuis que les corps sont corps. Il pleut sur la
    bouche & les cordes & les dents de Le Cap, a.k.a
    Iav Samot la main jaune, a.k.a ce Mueller où les
    cordes vont toutes. Il les tient au poignet. Les
    corps sont reliés aux corps sont reliés à Le Cap
    par le poignet de la main jaune & quand l’un des
    corps se sursaute, la corde sursaute via le crin
    jusqu’au poignet de Le Cap & la main jaune aussi
    sursaute dans le poignet de Le Cap alors Mueller
    avale & il se tourne, il dit en langue soyuz des
    mots qui font frémir les cordes. Les cordes vont
    à la gorge des corps, ils ont les mains nouées à
    l’endroit du nombril par d’autres cordes en crin
    qui, elles, ne sont pas reliées à Le Cap la main
    jaune. Combien de corps encordés marchent, seule
    la main jaune le sait, elle les compte. Elle les
    compte, chaque fois que frotte le crin contre la
    paume de la main jaune. Ils ont tous peur de lui
    (Mueller, ils ont tous peur de lui). Il le sait.

    Mueller a dit en langue soyuz nous dormons là ce
    soir & les corps encordés commencent à obéir. La
    main jaune détend les cordes. Les corps allongés
    sur eux-mêmes se défont de leurs gestes. Mueller
    a planté ses talons dans la terre boue. Les bois
    des arbres dispersent le sel de la pluie. Gorgé,
    le crin salive & de l’écume fleurit. La lune est
    un croissant de lune. Silence, dit Mueller, mais
    sans plus savoir dans quelle langue il se parle.
    Lorsqu’il s’endormira, pas un des corps en corde
    ne viendra en silence contre lui pour lui coller
    1000 ongles noirs dans le sang de toute sa gorge
    noire, presque morte. Ils dorment. Lui aussi. La
    main jaune sur l’épine clavicule sous les peaux.

  • 100113

    10 janvier 2013

    Tenté de me soustraire aux ondes : échec. Touché le tuner en quête de piano : pas trouvé. Quant à France Culture : l’heure du réveil c’est le quart d’heure éco, revoilà lakroâssance : il faut faire taire ce triste monde. Autre sale cri du monde que je refuse d’entendre : les cartes de visite de corps pros très busy qu’on me file 270g entre le pouce, l’index. Stop.

    Sur la chanson Where Are We Now ? cette anecdote lue sur Culturopoing : à Berlin, lorsque David se baladait seul et totalement saoule, Coco disait souvent "Oh, he’s walking the dead"...

    Reçois faux message d’un ou une inconnu(e) par texto qui me demande si je suis bien rentré après la soirée pas trop dur j’espère lol (je corrige) et je répondrais bien des trucs fictifs salaces si c’était pas un piège pour pirater mon identité propre, mes rêves tabous et ma moelle épinière.

    Suite de l’histoire Mueller en vers de 48 caractères (572 mots) :

    Le soleil. Mueller met les mains dans les gorges
    des corps en sommeil. Il tire sur les anneaux or
    & ocres de rouille, les anneaux sont percés dans
    les mâchoires des corps, on y glisse le crin des
    cordes chaque matin pour les faire se lever. Iav
    Samot la main jaune lance tout son poids dans la
    charge des cordes (il surnomme cet instant là du
    jour la Charge) mais ce Mueller est frêle & donc
    Le Cap est frêle & Iav Samot la main jaune l’est
    aussi : ils retombent tous en eux-mêmes dans les
    torrents de boue séchée du sol & la boue rouille
    séchée se tatoue sur la peau de son corps plus &
    plus à mesure qu’il se lève pour la Charge. Mais
    la Charge le met au tapis 2 fois, 5 fois, 8 fois
    ou pire... Mueller : il a les carotides qui vont
    tordre. Elles dansent, elles pantellent... Quand
    il aura dompté le jour, les corps reprendront la
    marche derrière lui dans les torrents de cordes.

    En langue soyuz, Le Cap leur dit, il leur dit...
    Peu importe ce qu’il leur dit. En langue soyuz &
    des craies dans la voix sa voix creuse le sol ou
    la poussière du sol & les corps marchent, on dit
    que c’est l’écho des voix tues de la main jaune.

    Mueller ne connaît pas le nom des sentiers & des
    pierres sur lesquels il piétine. Parfois, Le Cap
    trébuche... Il n’est pas impossible que quelques
    corps, dans l’ombre des cordes & dans l’ombre de
    Le Cap, connaissent quelques uns de ces noms. On
    ne dit pas, parmi les corps, le nom des choses &
    la langue dans laquelle ont été dits ces noms la
    toute première fois où ils ont été dits. Mueller
    tire sur la corde. La corde & les corps encordés
    suivent & l’ombre tisse, sur le sol, de la soie.

    La pluie a séché sur leurs corps pendant la nuit
    & ce matin ils sentent sur leurs peaux une odeur
    inconnue. Iav Samot n’a pas de nom pour elle, il
    l’appelle, en langue sienne, l’odeur bruine. Iav
    n’a rien pour le noter ce mot & le vent s’avance
    (Mueller gronde : - Les vents se dressent ! dans
    la langue de leurs corps) & avant que Iav ait le
    temps de se retourner vers l’essaim de ces vents
    le mot a déjà disparu (ce mot là le mot bruine).
    Mueller charkhôl s’enroule dans une houppelande.
    Les corps, eux, ils s’enroulent en eux-mêmes, en
    cordes, pour tenir face au vent. Mueller hurle :
     Les vents ils sont presque sur nous ! dans une
    langue qui est une langue gutturale & les corps,
    sans rien savoir de cette langue, la comprennent
    ou bien la craignent, elle imprègne leurs peaux.

     Les vent nous tiennent ! hurle Mueller, contre
    le vent. - Savoz myellor kalgazst ! hurle Le Cap
    en langue soyuz. - Les vents nous mangent, dit à
    voix basse Iav Samot, sa voix mêlée aux voix des
    vents. Il est à terre maintenant & les corps eux
    ne font plus qu’un de part & d’autre du sentier.

    Il y a des ruines de pierres plus loin à l’ouest
    mais on ne les voit pas (le vent souffle) & dans
    la boue le calcaire s’est aggloméré à la mousse.

    Pris dans le vent les corps ne parlent pas, non,
    ils se taisent, ils communiquent avec la peau de
    l’autre plaquée à même la leur (personne ne sait
    ce qu’ils se disent alors, pas même le vent). Il
    les écoute, Le Cap, mais il ne les entendra pas.

  • 110113

    11 janvier 2013

    Autre échec sur les ondes. Radio classique, 7h40 : X minutes d’éco puis le journal. Rien sur lakroâssance mais la presssssiofiskâle et puis limpôkonfizkatouâre. Je veux plus rien entendre de ce monde réel.

    Tout est confiscatoire. Ouvrir les yeux le jour venu c’est confisquer à nos paupières les miettes les pigments d’ocre qu’en d’autres termes on appelle galaxies et qu’il est impossible de reproduire où que ce soit. Renvoyer sans un mot de plus de moins (sans ma langue) la copie imprimée de mon entretien annuel d’évaluation à mon boss c’est tout aussi confiscatoire (confiscatoire des mots). Rien dire sur le mariage pour tous ou sur la PMA c’est confiscatoire de toutes mes pensées propres : on est déjà tellement nombreux tellement…

    Emaz sur Poezibao (on pourrait tout copier) :

    Il ne s’agit pas de surprendre pour surprendre. Seulement ne pas s’enfermer de l’intérieur jusqu’à l’asphyxie. Il faut qu’une œuvre soit capable de générer ses excroissances, ses débordements. Il faudrait que l’on puisse dire, lisant, à la fois : « c’est lui » et « qui est-ce ? ».

    L’histoire de Mueller se poursuit. Quelque part, crois qu’elle est racontée par quelqu’un de présent. Sans trop l’avoir prévu trouve que c’est pertinent de la mettre en ligne à-même le journal, au fil de l’écriture. C’est un bon exercice. Ecrire quotidiennement au moins une ligne, le publier à la suite du jour, voir jusqu’où ça nous porte. Quelque part, c’est justice car ce récit prévu dans /// doit être dit au cours d’un long voyage où le héros est seul, face à lui-même, en mouvement dans l’espace, l’espace le noir et le confiscatoire, entre les miettes de toutes les galaxies. C’est un récit de l’extrême solitude et du temps révolu (le temps mythologique). Il est dit au fur et à mesure, et sans chronologie, et le regard laineux.

    Mueller donc (suite) : 128 mots.

    Derrière la fuite du vent, Mueller s’est relevé,
    a essuyé les épaules de ses bras & ses côtes, il
    s’est plongé dans le visage des corps & dans les
    yeux des corps pour effacer les marques du vent.
    Il a séché les peaux gercées par les essaims dès
    le retour par vagues sales de la pluie & surtout
    il a saisi avec les doigts les tâches formées là
    où l’orbite se ferme, entre l’humeur & la cornée
    & il a nettoyé les yeux des corps jusqu’à ce que
    la terre tourne autour d’eux. Autour d’eux terre
    & sable ont vu revenir les écumes de la boue qui
    ont gravi au fil du temps chaque paroi de chaque
    os alors enlisé dans la bourbe du sol ; mais les
    yeux étaient propres & les peaux étaient lisses.

  • 120113

    12 janvier 2013

    Spip Ulysse : le problème lié à la fonction hover sur les machines tactiles est réglé : suffit de mettre en lien le mot souhaité vers le mot clé correspondant (ici je parle d’un personnage) avec en titre du lien le titre du mot clé (le nom du personnage). Le titre du lien s’affiche toujours en infobulle au passage de la souris. Pour les tactiles suffira de cliquer simplement sur le lien. On oublie le code <abbr>.

    Envie de mettre à jour le Journal des activités migraineuses, échantillonnages de la douleur & tentatives de géolocalisation des crises (le temps manque). On complète pas plus de trois ans de crâne en deux trois jours. Création à venir d’une rubrique publications pour y stocker et les annonces de publication et les échos en réaction (idéalement avant la sortie de Coup de tête).

    Papier : m’offre L’empire des steppes et Le dit du Genji pour (re)nouer (avec) les civilisations.

    Avant la nuit lecture, ce roman digital comme ils disent, et ça s’appelle Caprice. Lecture désorientée, rien à voir avec les sons, les vidéos, la mise en scène, le code, mais l’impression d’avoir été laissé seul à l’orée de ce texte et sans clé pour le boire. Je screenshote quelques pages car elles me parlent ces pages. Comme souvent dans ces situations me dis je suis en faute et ce texte faudrait le relire pour l’assimiler mieux.

    31

    Mueller (221 mots) :

    Mueller sait dire ouvrez la porte de la ville en
    différents dialectes : il sait le dire en langue
    soyuz, il sait le dire en kiluminati, il sait le
    dire en kochaz, il sait le dire en tarmerlan, il
    sait le dire en diphtô oly os ô, il sait le dire
    en ourouk, il sait le dire en dialogue mehcheks,
    il sait le dire en ouzbèque & il sait le dire en
    bègue, il sait le dire en karabian de Naïma & il
    sait le dire en karabian de Vistülle, il sait le
    dire en Новосибирск, il sait le dire en lote, il
    sait le dire en ob, il sait le dire en dialectes
    subsanériens & en dialectes tssibils, il sait le
    dire en cav, il sait le dire en harn, il sait le
    dire en maurse, il sait le dire en langues ocres
    de Rouhrs & il sait même le dire en code liquide
    binaire tapant à plat ses poignets sur la porte.
    Mais il ne comprend pas cette langue : la langue
    qui dit :  & qui en langue
    des plaines veut dire : la ville est morte (elle
    l’est). La rauque derrière la porte bruine ébène
    répète la ville est morte ! la ville est morte !
    mais Le Cap (sa main jaune) continue de frapper.

  • 130113

    13 janvier 2013

    Malgré la fermeture des ondes ne peux éviter d’apprendre que nous serions en guerre quelque part très au sud. Ce que ces mots veulent dire : en guerre.

    črno-belo : un premier jet au sud il y a la guerre : encore une fois ça foire, et il est temps de se retenir de dire quand on n’a rien à dire (mais alors, est-ce que tout est à jeter ?).

    Migration probable sur le nouveau site Ulysse la semaine prochaine (ou après la fin du chapitre Télémaque ?). Transférer l’intégralité du texte sur ce nouveau site prendra sans doute trois mois quatre mois. Faire avec.

    La tête est toujours là : elle est là où qu’on aille et le fait est qu’on n’a jamais trouvé aucun médoc pour l’effacer.

    Réalise en publiant le journal du 09 que le Mueller publié à la suite (le premier) est trop long et je gagnerais à couper dans le texte (peut-être la moitié), mais laisse tel quel, c’est le jeu. Même constat pour črno-belo : sur plus de 15 000 mots faudrait en effacer combien ?

    Mueller (342 mots) :

    Il y a une route qui court dans les collines par
    laquelle on peut rejoindre Ixoa. Quelqu’un juste
    derrière la porte close explique à Mueller où la
    trouver, une voix qui sait comment dire quelques
    mots en binaire. Le Cap n’a rien pour écrire, il
    écrit la carte qu’on lui dicte binaire en fixant
    sur les corces des arbres, la cime de ces arbres
    ou les guïyes de ces arbres les directions qu’on
    lui confie sur le bois de la porte encore close.

    Mueller trouve son chemin l’oeil rivé sur chaque
    cime de chaque arbre, sur chaque corce de chaque
    arbre, sur chaque guïye de chaque arbre qui sous
    ses yeux délivrent les mnémotechnies enfouies en
    elles. Les corps le suivent. Le crin des cordes.

    La route qui court dans les collines est rouge &
    la pluie l’a gorgée. Les corps ont de la terre à
    la taille. Mueller est monté sur l’un d’eux pour
    ne pas perdre pied. L’ondée s’est tue depuis que
    nous avons quitté les plaines. Lorsque le soleil
    rouge balaye la route embourbée des collines les
    voix des corps se lèvent & entonnent un motet de
    l’époque médiévale antérieure à la nôtre. Le Cap
    ne connaît pas ce chant ni la langue de ce chant
    ni le timbre des corps qui le chantent. Ce n’est
    pas la langue propre des corps, ce n’est pas non
    plus aucune langue d’aucun peuple connu : Le Cap
    est à la fois triste & apaisé face à ce chant de
    gorges. La terre rouge s’étend le long des cimes
    de la colline jusqu’à perte de vue... Lorsque la
    nuit tombera, il faudra bivouaquer en bordure de
    la rouge, à ciel ouvert, exposé à quiconque. Iav
    Samot le sait & c’est à ça qu’il pense alors que
    le motet tout doucement commence à se dissoudre.

    Durant la nuit, Iav Samot les yeux ouverts & aux
    aguets de toutes choses, l’omoplate & les nuques
    encore raides de la nage dans la rouge, écoutera
    danser l’ombre blanche du motet tel que la nuit,
    la colline & la bourbe l’ont gorgé : un murmure.

  • 140113

    14 janvier 2013

    – sur l’emballage FUMER TUE, est-il inscrit en lourdes capitales, avec sur l’autre face un visage d’homme écorché de la gorge, larynx et cordes vocales enkystés de tumeurs rougeâtres ; et tu as connu de ces malades opérés, pour ainsi dire égorgés, que l’ablation de la sous-glotte avait rendus quasi muets, les sons ne trouvant plus dans leur bouche de résonance, et tu fumes et fumes, enviant cruellement leur sort, tu fumes et fumes dans ce coin jadis ombragé de platanes, abattus pour parfaire cet espace dédié aux bus, aux automobiles, aux taxis –

    Lionel-Edouard Martin, Magma, Publie.net

    Le ciel gorgé de neige. Couleur taupe dans les gris. Bientôt faudra couvrir la peau là où la peau dépasse et redire les degrés. C’est triste comme voir un gosse seize ans en costume pompes en cuir.

    J-1 pour renouveler le domaine omega-blue.net, vois pas de raison de le prolonger, prolonge. À quoi ça peut me servir hors archives mémorielles antérieures au site Fuir ?

    Lecture : Magma (Lionel-Edouard Martin) chez Publie. Plaisir comme avec un auteur dont on sait qu’on peut sentir ses textes les yeux fermés. Et (important) cloisonner ses lectures : celle du métro la principale mais pas la même que celle du soir, que celle de l’entre-jour (s’il faut lire quelque part lentement pas prévu mais ailleurs qu’au métro, sur l’iPhone très souvent) ou, surprise, que face l’écran noir d’une salle de ciné juste avant la séance (ça c’est Lotus Seven).

    20h : le ciel crève (les essaims de la neige).

    Mueller (27 mots) :

    La nuit : le ciel crève (des essaims de neige ou
    de coléoptères ruissellent). Le Cap les sent, ça
    pique. Il a les yeux écarquillés pour les boire.

  • 150113

    15 janvier 2013

    On n’est jamais qu’une potée de viscères cuisinés à la diable, au gré des circonstances. La cervelle : un viscère, et le cœur, et les tripes. Tout ce qui fait mal, qui s’ébroue en giclées de sécrétions. Rien d’autre : une chimie d’organes dans la cornue des mots.

    Qu’on est mal dans son corps quand c’est la première fois qu’on le porte ou bien qu’on marche avec.

    L’alcool manque de rondeur, proche du tord-boyaux. Tu l’as versé dans la tasse vide encore tiède, pensant l’améliorer, mais il n’y a gagné qu’un peu d’une chaleur raboteuse qui révèle au passage, comme une radiographie, bouche, gorge, trachée, paroi stomacale.

    Dehors la neige fondue nous gorge. On est seul on dit nous. On dit on. Deux secondes après l’heure H le ciel est bleu cobalt comme la poudre des pierres.

    Magma. Tu avales un volcan. Mais transparence de ta poitrine, jusqu’aux bronches bouillonnant sous l’effet des vapeurs inhalées.

    Lionel-Edouard Martin, Magma, Publie.net

    Lire Magma m’amène des bribes d’Amy Hempel (une nouvelle qui s’appelle Offertoire) et notamment la phrase, la phrase... Non. Y a pas de phrase. Les phrases apparues entre deux interlignes, mots, caractères, quasiment aussitôt, elles disparaissent, et je suis incapable de les retrouver une fois le noir venu.

    Note au tactile sur l’iPhone la phrase suivante, en prévision Mueller, ça fait : Les corps n’ont pas la notion des jours, ils ont la notion des chants, qu’ils soient vocalisés ou non. sans me soucier d’aucun vers justifiés. Il se trouve que ça tient. Un signe.

    Mueller donc (suite) : 267 mots.

    Les corps n’ont pas la notion des jours, ils ont
    la notion des chants, qu’ils soient vocalisés ou
    non. Ils ne savent pas que 13 lunes ont tourné à
    la verticale de leurs peaux depuis cette nuit au
    cours de laquelle ils ont fait connaissance avec
    la glace. Depuis, la neige a gonflé le lit de la
    rouge & ils ont tous un peu de la rouge dans les
    bronches, y compris Iav. Nous avons marché, nous
    avons bu & nous avons dormi, nous avons mastiqué
    de la rouge ces 13 dernières lunes & nous sommes
    aujourd’hui au pied des portes d’Ixoa les cœurs
    chauds & les corps froids. Nous sommes devant la
    porte rouge. Nous attendons qu’elle s’ouvre. Les
    vents nous frôlent. Le Lordofixoa doit dire s’il
    ouvrira ses portes aux barbares. Nous sommes les
    barbares, ensevelis sous les uns sous les autres
    pour propager le chaud. Iav a la carotide sèche.

    Nous avons tous un peu de la rouge à l’intérieur
    de nos bronches & tous nous avons marché avec un
    peu de la rouge dans nos corps oscillant face au
    vent & la rouge oscillant dans nos gorges & voix
    nues. Moi aussi j’ai pris part aux motets. Moi :
    celui que les corps croient quand je leur parle.

    Nous avons tous vu se perdre derrière nos pas le
    fantôme de nos plantes dans la chair de la rouge
    & dans toute la profondeur de son lit. Les corps
    ont piétiné. Mueller a piétiné. J’ai piétiné. La
    rouge s’est laissée faire. La route au cœur des
    collines n’est pas une route, c’est un boyau sur
    la terre qui serpente, respire. Brumes la rouge.

  • 160113

    16 janvier 2013

    Magma durant trois jours, l’ai lu exclusivement sous terre, c’est un texte étonnant, qui se termine un peu après les mots [j]ouïr la mer en coquillage quand la mer est gelée. Toujours en le lisant lever la tête voir les briques blanches des souterrains me dire : je suis bien là où je suis censé être ?

    Le jour : oscillations proche zéro, nous cachons dans nos poches quelques mains mais en laine. Le ciel est sec. Cette chanson je l’écoute, cherche pas à comprendre, ce qu’elle dit, je suis à peu près là.

    Sais très bien à qui je pense quand j’écris : nous gardons tous nos monstres au plus près de nos yeux pour bien les voir venir quand ils viendront nous prendre.

    L’obsession de cinq mots notés hier pour Mueller : un casque à bec d’ovipare.

    Ce soir ce luxe : ne s’attarder devant nul autre écran que celui qui porte en lui la langue, le texte (cet écran c’est les yeux).

    D’après l’historien chinois Sseu-ma Ts’ien, c’est dans la seconde moitié du
    IIIe siècle avant Jésus-Christ que les Hiong-nou paraissent s’être constitués
    en une nation unie et forte. A leur tête un chef appelé chan-yu, dont le titre
    complet est en transcription chinoise tch’eng-li kou-t’ou chan-yu, mots que
    les Chinois traduisent par « Majesté Fils du Ciel » et sous lesquels on discerne
    des racines turco-mongoles, tcheng-li, notamment, étant la transcription du
    mot turc et mongol Tängri, Ciel. Au-dessous du chan-yu se trouvaient
    « deux grands dignitaires, les rois t’ou-k’i, c’est-à-dire les rois sages de droite
    et de gauche » la transcription chinoise t’ou-k’i étant rapprochée du mot turc
    doghri, droit, fidèle. Dans la mesure où on peut parler de résidences fixes
    pour un peuple essentiellement nomade, le chan-yu résidait sur le haut
    Orkhon dans la montagneuse région où s’élèvera plus tard la capitale des
    Mongols gengiskhanides, Qaraqoroum. Le roi sage de gauche, qui est en
    principe l’héritier présomptif, réside à l’est, sans doute sur le haut Kéroulèn.
    Le roi sage de droite réside à l’ouest, peut être, pense Albert Herrmann, du
    côté de l’actuel Ouliassoutaï, dans les monts Khangaï. Au-dessous
    s’échelonnaient dans la hiérarchie hunnique les « rois » kou-li de gauche et de
    droite, les généralissimes de gauche et de droite, les grands gouverneurs de
    gauche et de droite, les grands tang-hou de gauche et de droite, les grands
    kou-tou de gauche et de droite, les chefs de mille hommes, de cent hommes
    et de dix hommes.

    René Grousset, L’empire des steppes, Bibliothèque historique Payot, P. 54.

    21h32 : casse les couilles d’H. au sujet du participe passé pour la phrase dans Mueller : Les corps se sont caché la gorge avec leurs coudes.

    Mueller (suite) : 311 mots.

    Nous sommes devant la porte rouge, nous avons un
    peu de la rouge dans les bronches & le froid via
    les os nous sillonne. L’un des corps caresse son
    casque, celui trop nain pour son crâne, trouvé à
    même la rouge plus tôt durant la marche. Mueller
    s’agrippe aux cordes comme on attrape la main de
    son dieu bras tendus vers les vagues une nuit de
    noyade. Un autre corps mâche ses propres dents &
    ses gencives. Grâce à la porte rouge ou au poids
    de la ville, les vents ne font que nous fissurer
    le visage & les dents. Des centaines d’yeux dans
    le khôl de la pierre, tout autour de la porte, à
    l’affût de nos gestes, nous observent & veillent
    sur nos corps sages. La rouge est dans nos pieds
    & ces yeux appartiennent aux corps d’Ixoa, rivés
    aux lèvres du Lordofixoa autant que nous, priant
    pour une réponse du roi prostré, imperturbables.

    Iav Samot a aperçu l’ombre d’un homme, plusieurs
    lunes en amont. Après avoir retenu la lente nage
    de ses corps, après avoir fait cabrer l’écorce &
    les cailles de leurs peaux, après avoir maté les
    genoux, les fémurs & les tarses & après avoir vu
    s’époumoner cet homme, Mueller a dit : - Surtout
    protégez-vous la gorge ! Les corps se sont caché
    la gorge avec leurs coudes. L’ombre de l’homme a
    enflé (Mueller l’a vue enfler) & une fois arrivé
    à notre hauteur il a dit en langue roz : - C’est
    inutile de remonter la rouge, Ixoa est une ville
    rance. L’homme n’était pas très lourdement armé.
    Les corps se sont tenus la gorge. - Quel est ton
    nom, muet, a dit l’homme appelé Föl (Föl a donné
    son nom). - Met Föl, a dit Mueller comme le veut
    la coutume de la langue roz, je suis connu comme
    Le Cap sous d’autres lunes. - Met Le Cap, a fait
    l’homme prénommé Föl dans la langue de sa gorge.

  • 170113

    17 janvier 2013

    Celsius : moins deux moins trois. Les gorges condensées la bouche. Le sec.

    Tout le jour dans la tête la Nocturne N°2 de Chopin, le soir venu le premier air sorti par Spotify c’est ça : la version Dick Hyman.

    J’arrive pas à répondre à mes mails. J’ouvre les mails j’y cris deux mots trois mots et je laisse en brouillon, je ferme. Y a pas les mots qui sortent.

    Tolkien, Contes et légendes inachevés (Le Premier Age) : « je suis un esclave en rupture de ban (...), un hors-la-loi, seul dans un pays désert ». Plus loin L’empire des steppes de René Grousset et cette phrase : « La route de la soie, partie d’Antioche, capitale de la Syrie romaine, passait l’Euphrate à Hierapolis (Menbidj), entrait dans l’empire parthe, traversait chez les Parthes Écbatane... » et ce mot Écbatane. Lève quelques uns des fantômes de la langue Guyotat (Tombeau pour cinq cent mille soldats : « En ce temps-là, la guerre couvrait Ecbatane » (Ecbatane sans accent)).

    Quand l’histoire de Mueller sera sèche, à son tour, pourquoi ne pas clore le texte par ces mots : Fin du premier chant de l’histoire de Mueller racontée par un âne triste ?

    Mueller (386 mots) :

    Nous sommes devant la porte rouge, nous avons un
    peu de la rouge dans les bronches & cet homme ou
    cette ombre d’homme appelée Föl a dit à Mueller,
    plusieurs lunes en amont, assoiffé & ruisselant,
    en langue roz, les mots suivants : - Cette ville
    est rance, la villofixoa. Elle ne vous apportera
    rien, peut-être même pas son hospitalité. - Nous
    nous dirigeons vers l’est, a dit la gorge de Iav
    Samot la main jaune, ses 2 mains à la source des
    cordes & chaque corps derrière lui se protégeant
    toujours la gorge de leurs épines de coudes. Föl
    a craché de la crache dans la rouge. - Là-bas, à
    Ixoa, ils n’aiment pas les voyageurs comme toi &
    tes corps, a dit l’homme nommé Föl. - Qui es-tu,
    toi qui craches sur ces terres ? & bien après le
    terme de ce jour, bien avant de nous retrouver à
    l’orée de la porte de la ville, Mueller a dit la
    phrase : - Cet homme est en rupture de ban... Il
    a toutes les raisons de cracher sur cette ville.
    Pas nous. L’homme nommé Föl n’a pas répondu. Les
    pigments rouges autour des cuisses des corps ont
    commencé à fondre. - J’ai une question pour toi,
    a dit Le Cap & puis j’ai une question à te poser
    & si tu craches sincèrement réponds-moi comme un
    cracheur d’eau claire : quelle langue parle-t-on
    là-haut dans la ville que tu quittes ? L’homme &
    son ombre ont répondu à Mueller & Iav a remercié
    Föl en langue roz sans un mot. L’homme est parti
    dans la rouge sans même un oeil en direction des
    corps, les corps se sont tous cramponnés à leurs
    coudes lorsqu’il les a frôlés & Mueller n’a rien
    dit à Föl sur le casque trouvé l’avant-veille...
    L’un des corps a ôté son coude de sous sa gorge,
    voyant l’ombre de l’homme s’éloigner en aval, le
    fantôme de ce Föl se désagréger dans les grammes
    de la rouge, il a ôté son coude de sous sa gorge
    & il a avalé tous les litres de crache & de crin
    qui s’étaient collés sous sa langue tout au long
    de la scène & il a ri & a caressé le casque nain
    coincé là, sur son coude. Tous les autres corps,
    à leur rythme & le moment venu, l’ont imité. Ils
    ont tremblé hors la peau la moiteur de la trouÿ.

  • 180113

    18 janvier 2013

    Il neige.

    D’autres neiges sur le mélaminé de bureau : ça s’appelle le papier : on froisse on froisse mais toujours ça revient.

    « Qu’est-ce donc qu’un esclave ? » dit Túrin.
    « Un homme qui fut un homme mais qui est traité comme une bête, répondit Sador. »

    J.R.R. Tolkien, La Geste des Enfants de Húrin in Contes et légendes inachevés, Le Premier Age, Presses Pocket, traduction Tina Jolas, P.113.

    Pense que les temps mythologiques se trouvent autant dans les noms Dor-lómin ou Beleriand que dans ces autres issus de notre histoire humaine, géographies réelles, et par exemple : le Gobi septentrional.

    Mueller (165 mots) :

    Nous sommes devant la porte rouge, nous avons un
    peu de la rouge dans les bronches & les os de Le
    Cap vont se tordre : la rouge déteint sur & sous
    l’envers même de sa peau : elle attaque cheville
    & malléole à droite, tibias, talon à gauche & le
    poids du corps de Iav chancelle. L’un des corps,
    le plus proche de Mueller, se plaque au cœur le
    casque nain qu’il porte au coude depuis quelques
    lunes : les corps s’étaient arrêtés face à lui :
    il était là : par terre : gorgé de la rouge & du
    sel dispersé par les vents. Le Cap l’a pris dans
    ses 2 mains, a dit très philosophiquement : - Un
    casque à bec d’ovipare... Puis il l’a laissé là.
    L’un des corps s’est rué, seul, dessus. Se l’est
    serti au coude, fier dedans. Des ovipares, voilà
    à quoi pense le crâne froid de Le Cap chancelant
    & voilà ce qui vrille ses paupières. Y-en a-t-il
    dans la ville d’Ixoa, tout en haut de la rouge ?

  • 190113

    19 janvier 2013

    La neige des veilles elle tient. Sous une douche d’Onslow tente comprendre comment le réécrire ce truc : au sud il y a la guerre. Piano à quatre mains, opus 22. Le déclic il vient des mots c’est faux. Garde une partie du premier jet de l’autre jour, pars dans une autre direction. Pas encore ça mais mieux. Puis 515 mots d’un truc que je nomme l’oeil gauche, très sec, pas inintéressant, pour lequel j’emprunte plus à Morel qu’à Joyce les mots buccins, cauris et rhombes.

    črno-belo : quatorze textes à ce jour, quatorze photos. Contrainte formelle oblige, besoin d’un multiple de trois. Dix-huit ou vingt-et-un, parait pas mal.

    Quant au titre : črno-belo, premier jet également. Tiens à ce que ce titre soit dit dans une langue autre, mais le sens est important. Trouverai fun que ça s’appelle juste en un mot pòtrè ou en deux pòtrè lòt.

    Faut profiter de ces moments de pure satisfaction, à chaud d’avoir écrit, sans avoir trop relu, surfer sur l’impression, faut profiter jamais ça dure.

    Mueller : 234 mots.

    Nous sommes devant la porte rouge, nous avons un
    peu de la rouge dans les bronches & Mueller près
    du bois de la porte est tombé. Les corps sont là
    & se serrent près de lui. Ses pieds sont bleus &
    gorgés de la rouge. La douleur monte jusqu’aux 2
    genoux secs, lézardés par les vents. Les yeux de
    la ville d’Ixoa, bien enfouis dans le khôl de la
    pierre, sont rivés sur le corps étendu de Le Cap
    & sur sa peau massacrée par des jours de marche,
    non : de nage, dans le lit de la rouge, cruelle.

    Bientôt la porte d’Ixoa s’ouvrira dans un râle &
    il en sortira quelqu’un : il attrapera Mueller :
    il le traînera par les épaules : il déposera son
    corps derrière les portes de la ville & il dira,
    en s’adressant aux corps, restés de l’autre côté
    de la porte : - Je suis le Capitaƞ de la Garde &
    je prends sur moi de vous ouvrir nos portes. Les
    corps invités rejoindront alors celui de Mueller
    & formeront un cercle autour de lui. Un mjek ira
    au chevet de Mueller (un soigneur dans la langue
    de gadheƞ) pour lui souffler quelques grammes de
    son souffle dans le sien mais pour l’heure celui
    que l’on appelle Mueller est à terre, le corps &
    l’esprit piétiné par la rouge, devant la porte &
    la pierre de la villofixoa, la ville qui n’a pas
    de langue propre
    dans la langue roz des espions.

  • 200113

    20 janvier 2013

    L’exaspérance elle est dans les montagnes russes du crire. Exemple : hier satisfait d’un fragment et puis (là) retomber dans l’incapacité à dire ce qu’on sent, ce qu’on voit à travers telle photo, celle sur quoi on a choisi de bosser. Ca vient se fiche non pas dans les épaules dans les vertèbres ou dans les os mais bien dans les orbites, c’est ça qui sèche les yeux c’est ça qui fait que ça pique c’est ça qu’appelle les doigts en permanence pour qu’ils s’y foutent dans les orbites : peut-être qu’inconsciemment on croit que c’est des orbites qu’ils vont venir les mots, peut-être qu’on tente comme ça de les y tirer je sais pas.

    Au piano superbe Canto Ostinato de Simeon ten Holt.

    Peut-être s’appuyer sur ça. Canto Ostinato. Et écrire ce fragment, le fragment mes estampes, à ce point décevant, en tentant de le crire minimalistement. Le plus dur c’est trouver le timbre ou la voix de celui qui le porte ce texte. Sais juste qui c’est, pas encore comme il parle.

    Mise en ligne dans la machine des sept prochains fragments d’Ulysse (ceux de la semaine qui vient) dans le nouveau site Spip. Restera plus qu’à boucler les mots clés et, surtout, continuer la migration des fragments un à un. Tombe aussi sur ce site le Walking Ulysses par le Boston College : ils ont repris les cartes critiques, géolocalisé les déplacements des personnages sur Google Map. M’en sert pour corporer à mes fragments la mini-carte iframed prise sur OpenStreetMap.

    Mueller (378 mots) :

    Il s’est passé des jours. Les lunes ont déferlé.

    Mueller est un homme neuf. Le mjek a sauvé ses 2
    pieds. Il pose ses yeux calcaires vers l’est qui
    est un désert d’ocre. L’heure viendra peut-être,
    un jour, de raconter le récit de Mueller tel que
    ce récit s’est déroulé alors, entre la vie & les
    morts de Mueller, dans le crâne & les cailles de
    Mueller & ce durant ces 13 jours de coma. Le Cap
    est l’otage d’Ixoa, la ville qui l’a vu renaître
    & qui lui a donné son nouveau nom d’homme libre,
    Langliuï : les pieds nus dans la neige en langue
    serve. Le mjek, serve lui-même de naissance, l’a
    baptisé ainsi bien avant que Le Cap se réveille.

    Le Lordofixoa est introuvable. Il fait creuser à
    sa garde les parois rocheuses qui encerclent les
    murs de la ville. Il les équipe de pioches. Leur
    destination semble se trouver au plus profond de
    la villofixoa, très en dessous du sol. On dit de
    lui qu’il est le roi prostré. Personne n’a vu ni
    aperçu son visage depuis des siècles. Aucune des
    filles du Lordofixoa, d’après ce qui se raconte,
    n’ont jamais mis un pied en surface. La ville se
    développe verticalement. En altitude, où l’air &
    les brises sont les plus fraîches, tous les yeux
    sont rivés sur le désert d’est. Vont-ils venir ?

    Le Capitaƞ de la garde a été déchu : il a repris
    son nom d’officier, son nom d’Imke Leal. Mueller
    le voit chevaucher seul sur son cervidé noir sur
    l’ocre du désert d’est & sous la nuée poussière.
     J’ai une dette de vie envers toi, Capitaƞ, lui
    a-t-il dit avant que les portes ne s’ouvrent. Un
    peu de la rouge continue de sortir des narines &
    dents de Le Cap. Quand le Lordofixoa a appris la
    nouvelle de l’ouverture de la ville aux barbares
    suite à la décision de son Capitaƞ, il a mandaté
    depuis les profondeurs un émissaire pour déchoir
    de son rang celui nommé Imke Leal. Cet émissaire
    a mis 6 jours pour réintégrer la surface. Il lui
    a délivré un nouvel ordre de mission & l’a privé
    de son casque de Capitaƞ. Voilà pourquoi il part
    à l’est. Voilà pourquoi la poussière le morcelle
    & l’émiette. On ne voit plus de lui qu’un grain.

  • 210112

    21 janvier 2013

    Une fièvre (elle est fictive). Durant la nuit quarante fois réveillé par ces mots obsédé :les hordes turco-mongoles ou bien encore les monstres mythologiques dont l’accès à l’Arche a été refusé par Noé. Au vrai réveil la tête comme en surimpression.

    Vie grise : de dix à seize planché sur ma prèz powerpoint pour le douze. Présentation des chiffres et rappels des fondamentaux et (merde) pourcentages, coûts, croissance…

    Il neige. Tentons vec H. réduire la viande alimentaire (la viande humaine, nada).

    La tête est dans l’oeil droit. Niquée midi oui mais, prudence, elle plane.

    Mueller (206) :

    Quant aux corps, ils sont posés dans des granges
    où ils dorment. Le Cap refuse de dormir ailleurs
    que dans ces granges, dans l’odeur, avec eux, il
    a dit : - Moi aussi je suis un Cap, je ne quitte
    pas mes corps. Il dort les yeux ouverts, la main
    jaune prête à jaillir sur le crin de ses cordes.

    Les granges n’ont, en réalité, ni porte ni toit.
    Les corps frottent, font & même se suent dessus.
    Mueller craint par-dessus tout les ovipares & il
    en a repéré quelques près des mâchicoulis. Ils y
    lèchent l’air du vent, sec-salé, celui de l’est.

    Il n’est pas impossible qu’à leur vue Iav devine
    cet instant à venir au cours duquel il verra son
    sabre rouge époumoner la cage thoracique de l’un
    d’eux. Il entendra sa voix crier : - Sung càbr !
    ce qui veut dire, en langue soyuz, quelque chose
    de bestial & de rauque, mais ce moment n’est pas
    encore venu & Samot ignore tout de l’odeur ou du
    goût de cette seconde future... Pour l’heure, il
    entend son instinct murmurer des sons inaudibles
    dans une langue moisie & qui le met en garde. Ce
    qu’elle souffle ce sont des airs de l’ocre & des
    airs jaunes des vents (ceux-là venant de l’est).

  • 220113

    22 janvier 2013

    Beau pas savoir où vais-je avec ce truc Mueller, qued visibilité sur ce qui sera dit dans les prochains jours, c’est stimulant lire ce que Lucien Suel, Antoine Bréa brièvement disent.

    Tolkien, façon de dire la mort : « Voici mon fils, transpercé d’une flèche. À présent, il est au-delà de la parole. »

    Mueller (114 mots) :

    Mueller ouvre les yeux : il sait les langues qui
    sont dites en surface dans la ville. Se souvient
    des paroles de ce corps nommé Föl quelques lunes
    en amont. À la question quelle langue parle-t-on
    dans cette ville ? Föl avait répondu à Mueller :
    des millions... Iav ouvre les yeux, il les voit.

    Il ouvre les yeux : entre le mjek & une saure il
    est question d’une caravane errante sur la route
    de l’Asoua, des lépreux diurnes qui se déplacent
    la nuit & dont la peau & les membres s’effritent
    sous la lumière du jour. Le mot caravane, dit en
    saure, se dit oloélan, lèvres fermées, la langue
    ronde. L’Asoua, c’est quelque part très au nord.

  • 230113

    23 janvier 2013

    Dans un mail à Thomas j’écris qu’écrire /// me rend heureux, vraiment, c’est le cas ? L’autre jour H. me dit quand t’écris le seul truc qui te donne l’air heureux c’est Ulysse, je sais pas si c’est vrai. Sais qu’écrire Ulysse ça veut dire 90% de technique et 10% d’écrire. Le /// à côté c’est partiellement mental. Mueller avance tout seul, en parallèle de moi, je sais pas où ça va. Pour l’instant je vais pas « à la mine » comme il dit. Tous les soirs l’écriture de ce truc, vingt minutes, oui, c’est du plaisir. Le jour où c’est la mine couper court et dire stop. Copier coller la phrase recopiée l’autre jour et finir.

    Envie, dans Mueller, d’y foutre des trucs pris à d’autres périphéries comme l’ait fait l’autre jour avec la phrase de Garcia Marquez. Le faire avec des textes, le faire avec des langues, le faire avec des airs et des musiques, d’ailleurs : écrire ce mot-là mine, ç’invoque de suite le Surintendant des mines de Jünger (celui d’Héliopolis).

    Mueller donc (308 mots) :

    Ixoa (la ville) repose sur le haut d’une colline
    creuse. La seule route qui mène aux portes de la
    villofixoa s’appelle la rouge. Devant les portes
    de la villofixoa la rouge se jette entre le khôl
    des pierres & les béances des fortifications. La
    rouge s’écoule au gré des interstices. Teinte le
    mur ouest, paraît-il, de la salle des fossés, là
    où la garde du lordofixoa a pour mission creuser
    la roche en profondeur. La rouge éponge à pic le
    mont sage sur lequel est bâti Ixoa. Le versant à
    l’est, celui qui donne sur le désert d’est, lui,
    on l’appelle le versant de la salte, il est face
    au vide, les créneaux mastiquent le sable d’est,
    celui-là même que gorge lentement la rouge, elle
    se répand de gramme en gramme, sur le versant de
    l’ouest, dans les profondeurs du mont sage, dans
    des cavernes & des cryptes légendaires inconnues
    de la mythologie des lörd. On dit que c’est elle
    qui colore d’ocre les sables & vents du désert &
    non le contraire. On dit même qu’elle s’évapore.

    Mueller ouvre les yeux : il sait : cet homme cav
    sait : celui qui traîne le cuir tanné de chacune
    de ses bottes : celui qui s’éloigne en murmurant
    des mots secrets dans la langue fresque des cavs
    & qui use de ses ongles pour saisir sur le derme
    à la nuque la peau muée d’une bête passée par là
    durant la nuit : il sait : cet homme cav perclus
    de piques & de morsures de bête : cet homme cav,
    même s’il n’a aperçu le visage de Mueller, caché
    sous l’houppelande, que 2 ou 3 secondes, il sait
    pertinemment, cet homme cav, il le sait bien que
    Mueller, en son temps, a prêté un serment sur la
    langue de sa gorge & qu’il l’a rompu. Il le sait
    cet homme cav : il l’a lu sur le derme du front.

  • 240113

    24 janvier 2013

    Daily Forecast il dit : -1°C, feels like 5°C. Avec la chute celsius la chute des mots. Ce qu’on dit à autrui, ce qu’on dit à soi-même.

    Pourrais me servir de la tête et en faire un herbier, l’inclure au journal des activités migraineuses, échantillonnages de la douleur & tentatives de géolocalisation des crises. Celle de telle heure la classifier pointue : soudaine, quasiment aussitôt repartie, durée de vie moyenne une vingtaine de minutes. Cartographier les autres selon symptômes, l’espèce.

    Canto Ostinato : l’écoute en linéaire. De longues minutes rythmiques avant déboucher sur les premières vraies mélodismes (grosso modo aux alentours de Part I : Section 78). Pense à quelle gueule ç’aurait un texte bâti comme ça : discours confus pendant des pages avant progressivement comprendre la langue qu’on dit.

    Sais pas combien durera le truc Mueller, le chant pourrait aller jusqu’à la mer. Une grande partie du truc concernera la villofixoa. Pourrait se retrouver disséminé dans tout /// via d’autres sources et d’autres manuscrits, d’autres copistes, voire différentes versions, noter ça, c’est pas mal.

    Mueller (395 mots) :

    Nichée sur les remparts, au nord, une coupole en
    forme de quartier de lune, poste d’observation à
    l’abris des vents ocres. Un officier de la garde
    s’y trouve toujours en faction & fait don de ses
    yeux. En cas d’alerte ou d’intrus, il peut lever
    plusieurs voiles de différentes couleurs. Chaque
    couleur déployée correspond à un son différent &
    chaque son émulé porte en lui un message codé en
    mineur : la mécanique mise en route par la levée
    des voiles est reliée à un tuyau en bronze ou en
    cuivre qui descend jusqu’au cœur du mont sage à
    la verticale. Le son quitte le tuyau tailladé au
    piochon spécialement à cet effet & siffle : dans
    chaque sphère de la ville encastrée il siffle. A
    la verticale de la ville, en quelques secondes à
    peine, l’alerte plonge & la fourmilière grouille
    si les barbares ondulent sur la pupille du guet.

    Mueller ouvre les yeux : la relève de la garde :
    là-bas : sur les remparts. Elle se fait sans les
    salamalecs d’usage. L’officier pose une main sur
    l’épaule de celui qu’il relève & celui-ci tourne
    l’épaule & salue & s’efface. Ces officiers, tels
    qu’ils oscillent dans les pupilles de Iav Samot,
    ils ont tous quelque chose de gravé sur la nuque
    en rouge & noir & jaune, les couleurs de l’Ixoa.

    Mais Mueller ouvre les yeux : il n’est pas dupe,
    non, Le Cap n’est pas dupe : il sait reconnaître
    un fal quand il en respire un : ce fal s’avance,
    les genoux écartés & les lèvres bouclées, il ose
    un oeil, une langue, en direction des corps dans
    la grange amassés & Mueller sait qu’on ne se fie
    pas à un fal, non, jamais, même un fal sec & mal
    comme ce fal, boiteux dans les appuis & grisable
    dans la carne, la laine mâchée, les paumes sales
    & les palmes du dos retroussées à la nuque : Iav
    va donc s’interposer entre lui et ses corps, lui
    dire : - Eh ! Fal sa’o saot se ! ce qui signifie
    en langue d’ourq un rappel à la propriété. Alors
    le fal se penchera, dira : - Melt’eh, melt’eh...
    ce qui peut se traduire à la fois par un acte de
    soumission & aussi par une proposition déguisée,
    en l’occurrence je t’offre mes chaussures car il
    montre ses pieds : Mueller crache, ce qui voudra
    dire non. Même le corps à la cicatrice stomacale
    comprend ce geste, le fal non. Ses yeux tournent
    tout autour de ses yeux & ses babines sourient !

  • 250113

    25 janvier 2013

    Fin du Premier âge. Sais pas si c’est lié au traducteur mais fou ces phrases, paragraphes, qui commencent par Or donc.

    Or donc ouvre un fichier Mueller dans les notes de l’iPhone, comme j’ai ouvert y a des mois un fichier /// dans les notes de l’iPhone pour compiler toutes les idées qui viennent pour ne pas oublier.

    Avec dix ans de retard termine ICO (quand la princesse elle saute un précipice je me précipite et sur R1 et sur le côté face au vide pour la tirer vers la surface quand bien même c’est idiot et, ouais, ça sert à rien).

    C’est tout.

    Mueller (368 mots) :

    La villofixoa en sa surface : le cratère du mont
    sage ressemble à un camp de réfugiés totes & par
    terre c’est de la terre battue & sur cette terre
    battue on a planté des tentes & dans ses tentes,
    brûlants, des corps d’hommes & de femmes, l’oeil
    rivé vers l’ocre désert d’est, les coudes fichés
    dans la pierre des remparts, ils encerclent tout
    au bord du cratère le village en surface & toute
    la journée les hommes & les femmes vont, soit de
    l’ouest vers l’est, soit de l’est vers l’ouest &
    ils surveillent qui viendra quand & d’où, ils se
    postent, les yeux mis dans le khôl de la pierre,
    les yeux mis dans les mâchicoulis & leurs gorges
    racontent à la face d’autres gorges des récits à
    voix sèche & ils disent : - Les barbares sont de
    la race des sôls... & ils disent : - Ils vont te
    tondre les dents ! & ils disent : - Les steppes,
    elles vont, elles viennent, elles soufflent... &
    ils disent : - Les barbares suivent les steppes,
    les steppes suivent le rythme des vents... & ils
    disent : - Les steppes suivent le rythme de leur
    respiration ! & ils disent : - Elles respirent &
    elles roulent, on peut les voir venir, comme les
    marées depuis la côte ! & ils disent : - Or donc
    quand ils viendront, nous seront libres ou morts
    ou bien entre les 2... & tant d’autres paroles &
    de mots misérables que Mueller n’écoute pas : il
    est là devant la grange où ses corps sont, juste
    l’houppelande grise sur l’épaule comme seul mot,
    les yeux épileptiques observant chaque partie du
    village, mais planté devant le grange toujours &
    toujours seul au cas où quelques fous approchent
    d’un peu trop près les corps. La grange est leur
    depuis l’intervention de l’ancien Capitaƞ & tout
    intrus qui s’approche hérisse le sang de Mueller
    & son poing est serré, figé devant cette grange.

    Or donc Mueller ouvre les yeux : il voit : 2, 3,
    4 ovipares ensemble près des bourbes, celles que
    l’on appelle latrines, échanger dans leur langue
    des mots très volatiles : la langue des ovipares
    est connue sous le nom de la langue sans langue,
    voilà ce que ça sonne : - §) : ;,( ‘(‘| - §&, ==
    & voilà comment Mueller l’entend. Ce que Mueller
    suppose c’est que ces mots sans langue, ces mots
    de becs & secs rancis, ce sont des complotances.

  • 260113

    26 janvier 2013

    Toute une vie en nous, non visible, circule
    Et s’enchevêtre en longs remous intermittents

    Georges Rodenbach, Les vies encloses

    Réécriture du fragment mes estampes via Jeroen van Veen. 2148 mots secs. Répétitifs ça aide. Réécriture dans la bouche d’un jeune bègue. Macéré toute la semaine pour l’écrire. Bonnes impressions le bègue. Bonnes ouais.

    Me souviens, avais été saisi, lecture adolescente, en lisant Spanbauer, In the City of Shy Hunters, le narrateur c’est un bègue, il est bègue, ça allait dans les virgules et surtout dans les répliques, les dialogues, ça faisait il dit, il dit, il dit trois fois par ligne, peut-être c’est revenu pour hanter mes estampes (tant mieux). Moi pas de ponctuation, simplement du discours, juste à la voix la haute (faut voir si dans le temps ça tient).

    Cherché par hasard un City of Shy Hunters en epub, en trouve à 7 ou 12€, jamais DRM free, dommage, idem tombé sur Collected Stories d’Amy Hempel, même chose, passe mon chemin.

    črno-belo toujours, autres titres possibles (tous veulent dire "par la bouche") : mondeling, gojarisht, şifahi, устно, oralman, usmeno, parole, suullisesti, ar lafar, orálisan, melalui mulut, ó bhéal, munnlega, mutiski, žodžiu, усно, secara lisan, muntlig, doustnie, усмено, ústne, Erally, pasalita, bằng miệng (liste non exhaustive).

    Dedans la file d’attente avant Django : lecture chapitre "Danse de mort" (Lotus seven) et noté :

    On parle de tout de rien, ma mère bavarde, de temps en temps quand on s’arrête, son souffle à scruter, il est calme ? elle demande, il n’a pas mal. Puis il déraille, explique des mécaniques complexes, des engrenages et des leviers, une diode, un fil électrique, il bricole pendant qu’il meurt, je relance avec des questions factices.

    Un moyen de rester autour, il a du mal à murmurer des réponses compréhensibles mais il m’entend lui demander et il répond, nous parlons à travers la paroi de la boule blanche, son visage écarquillé, ma caresse, son poignet gonflé, ses veines et son corps remplis d’eau, les signaux qu’on s’envoie de moins en moins intelligibles.

    Christine Jeanney, Lotus Seven, Publie.net

    Mueller (149 mots) :

    Les ovipares font du troc près des mâchicoulis :
    le voilà leur manège : l’oeil de Mueller a capté
    & il plisse : les ovipares croqués par les coins
    de la paupière se brouillent : ils échangent des
    denrées périssables & des plumes, de la poudre &
    des casques forgés par leurs pères : ils ont les
    ongles des pattes sur le sol qui se crissent car
    la poussière les cerne : en volute elle se lève.

    Mais Mueller ouvre l’oeil : d’autres villageois,
    d’autres hommes & d’autres femmes vont rejoindre
    les ovipares près des mâchicoulis. Les voix vont
    se vernir. Les gorges chuinter. Les langues vont
    traduire d’autres langues. Un même objet passera
    d’une main à une autre via 1000 autres mains. Ce
    même objet finira mort & moisi dans une poche ou
    bien sec & fripé entre 2 khôls de pierre ou même
    pire, dans une paume prêt à être croqué mais des
    semaines après le troc, acide & rance & gercé...

  • 270113

    27 janvier 2013

    Réécriture de l’écrivain du mal : resté de longues minutes devant l’écran (pas la page, la photo) à rien écrire : des fois rien écrire c’est écrire même un peu. Comme pour le truc mes estampes d’hier faudra que ça macère un peu le long de la semaine. À la place recopie pour l’intitulé ce que la télé a à nous dire (1) le fragment du discours de Bayrou cut-upé y a quelques temps. Prévois un ce que la télé a à nous dire (2) pour un cut-up numéro deux ce soir.

    En écoutant Enihcam me dire pourquoi ne pas écrire un fragment à l’envers ? Tout entier à l’envers.

    Putain : mettant à jour les 17h34 de ces trois dernières semaines me rends compte que la photo du 23 elle y est pas : y a pas de photo : pas la date : y a rien dans l’SD card. Faut gratter dans la mémoire interne mais peu probable d’avoir juste oublié de prendre la photo alors quoi ? soit un problème interne dans l’appareil soit un putain de coup de fil au plus mauvais moment. Alors gratter dans la mémoire interne, prendre le journal sec du jour, déjà cerner c’était quel jour le 23 et remonter les infos factuelles pour savoir tu faisais quoi au moment X dis-moi ? À en croire les notes, finir un mail. Ca tient : l’heure de l’envoi c’est 17h39. Prends la photo antidatée avant la mise en ligne. Demande à H. surtout le dis à personne, ok ? Il est ok.

    Mueller (335 mots) :

    Loin des tentes, près du puis, un gosse à cornes
    joue de la viole, mais mal. Il a un criquet dans
    le ventre. Les superstitieux tourks croient sans
    doute que ça les fera jouer juste. Un autre fils
    de tourks à cornes lui demande : - Sal-cad-asc ?
    (c’est le même criquet ? en langue des tourks) &
    l’autre gosse à cornes lui dit : - Sae-valea-mar
    (c’est le même, il a les mêmes antennes). Sur la
    corde vocale d’un des corps (peut-être celui qui
    a une cicatrice stomacale ?) les notes de viole,
    grincées, trouvent écho. Elle murmure. La corde,
    elle murmure. L’air s’imprègne dans le crâne, la
    moelle, les muscles, la peau de Mueller. Elle se
    hérisse, la peau. Déferle le long de la chair...

    Mueller ouvre l’oeil : chaque soldat de la garde
    est passé sous la main d’un graveur. Leur parole
    suffit lorsque la villofixoa les fait membres de
    la garde : ils prêtent serment sur leur gorge ou
    leur cœur... Ils sacrifient ensuite une once de
    leur nuque & le graveur y grave quelques grammes
    d’Ixoa. Sur ces nuques scarifiées on peut y lire
    l’histoire de la villofixoa & de la dynastie des
    Lörd. Mueller a offert un poignard kiluminati au
    graveur, là-bas, près des bourbes, en échange de
    quelques mots en rôk : - Kkoekkoe akekkkeankeaok
    B-a koekao ! Mueller l’a remercié & a quitté les
    bourbes, est vite retourné près des corps au cas
    où quelque autre corps les renifle de trop près.

    Mueller sait à présent que l’homme qu’il cherche
    s’appelle Ba. Il saura le reconnaître, ainsi que
    lui a dit le graveur dans sa langue (ou dans une
    langue intermédiaire) par la scare de son cou, à
    savoir la construction de la coupole en forme de
    quartier de lune, au nord, mise sur les remparts
    pour déclencher l’alerte, au cas où les barbares
    reviennent. Si Le Cap s’intéresse à ce Ba, c’est
    uniquement pour la clé qu’il garde autour du cou
    en permanence. Il est le gardien de la face est.

  • 280113

    28 janvier 2013

    Nous avons perdu la trace des Hiong-nou occidentaux à partir de l’année
    35 avant Jésus-Christ, date à laquelle le chan-yu dissident Tche-tche,
    après avoir entraîné une partie des tribus hunniques de la haute Mongolie
    vers les steppes au nord de l’Aral et du Balkhach, avait été rejoint et tué par
    une colonne expéditionnaire chinoise. Les survivants des tribus conduites par
    lui dans cette région durent s’y perpétuer pendant des siècles, mais, faute
    d’avoir été voisins de quelque grand peuple civilisé qui mentionnât leurs faits
    et gestes, nous ne savons rien sur leur histoire. Ce n’est qu’au IVe siècle de
    notre ère que nous entendons de nouveau parler d’eux quand leur passage en
    Europe les fait entrer en contact avec le monde romain.

    René Grousset, L’empire des steppes, Bibliothèque historique Payot, P. 115-116

    Oublié, hier, de cut-uper le PSG-Lille comme prévu pour fragment ce que la télé a à nous montrer (2), zappé, vraiment, revenu dans la journée sans prévenir : pas grave : cut-uperai le prochain.

    Vérifie quinze fois si le Mueller du jour est bien sauvé avant delete et je le prends comme un signe, ça veut dire bon boulot. L’écris tous les jours et c’est vrai : je sais pas où je vais avec ça. De vagues idées en tête mais jamais je les mets quand j’écris. Un autre truc se pose et les vers justifiés me donnent une langue inconnue, je l’écris. C’est ce rythme de 48 caractères qui me porte. Il raconte ce qu’il veut raconter. Aujourd’hui, une autre histoire de faim. D’autres langues. Visages. La villofixoa en est pleine. N’avais même pas prévu, à la base, de villofixoa car à la base, Mueller, c’était quoi ? un western. Des terres immenses et la marche des corps et Mueller les tirant. Tout ce qu’il y a dans ma tête vide.

    C’est pas la postapocaypse, c’est autre chose, sais pas ce que c’est : cet article évoquant le stockage des données dans de l’ADN, mais je note.

    Mueller (580 mots) :

    Les corps sont affamés. Mueller les nourrit avec
    le poing, le poing dedans leurs bouches jusqu’au
    poignet, le poing enduit de glose ukmôle, tiédie
    à l’air libre, remuée dans les cendres de braise
    par une femme ukmôle dont le visage, ridé & sans
    dents mais moissonné de haut en bas, ressemble à
    la pelure d’une pomme croupie, gorgé de liquides
    mûrs. L’ukmôle a refusé son troc. Mueller a posé
    sa houppelande sur ses épaules, elle a dit : - O
    kmalimo soy, en langue soyuz, avec un accent mek
    & sans faire les accords, alors Mueller a repris
    sa houppelande. L’ukmôle n’a pas offert sa glose
    pour autant. Elle a demandé, en mime, avec toute
    sa bouche & ses gencives, de la crache à Mueller
    & de la crache mousseuse pour finir sa glose. Il
    a craché, Mueller, il a craché dans le pot où la
    glose commençait à lever & l’ukmôle a montré les
    gencives, elle a dit : - Rakoy, ce qui en langue
    soyuz signifie quelque chose de concret & de peu
    réfractaire : elle a honoré sa parole : versé sa
    glose dans une grande gamelle creuse & remplie à
    ras bord de flaques drues. Ca tient sur le derme
    quand Mueller serre le poing, tout enduit, avant
    de le plonger dans la gorge des corps. Ca colle,
    sur la langue & le palais, les dents, la trachée
    & la glotte. Ca coule, dedans la gorge ça coule,
    sous la succion des corps toutes lèvres ouvertes
    & les crânes renversés, à genoux devant leur Cap
    & les yeux suppliants, une larme aux commissures
    en équilibre, prête à être aspirée par la pluie.

    Mueller ouvre les yeux : il a les yeux qui vont,
    qui tournent & qui vacillent : la nuit est lente
    à tomber ferme sur le mont sage. La nuit oscille
    comme oscillent les pupilles de Le Cap martelant
    les paupières de Le Cap, comme suppliant d’enfin
    les soustraire au jour. Les corps reposent, tous
    yeux ouverts. Mueller a dû s’asseoir en tailleur
    devant la grange car aucun squelette, dessous sa
    peau, ne le soutiendra plus en position debout :
    le voilà à présent qui se lèche les mains libres
    & les poignets tordus pour s’abreuver au derme &
    drainer, via sa langue, tout ce qui lui reste de
    glose sur les mains. Il s’aspire les doigts, les
    10, les uns après les autres & il racle sous ses
    ongles le plâtre dépôt immiscé. Il a favorisé la
    bouche des corps. La sienne est vide, est sèche.
    L’estomac gronde. Les syllabes dans sa langue se
    mélangent & les langues se mélangent. Des femmes
    enturbannées de peaux disparates (des cuirs gris
    & des cuirs rouges) mastiquent une langue faajne
    avec un accent d’est mais Mueller ne les entend,
    ne les comprend pas. La tente de l’ukmôle est du
    côté des grills, là où le mjek fait griller soit
    de la carne soit des abats carcamelés, le matin,
    lendemain de massages ou de soins aux soldats de
    la garde. Mueller est fier, il ne retournera pas
    voir le mjek. Il lui devait la vie, il l’a payée
    trop cher. Plutôt que le mjek, il ira trouver la
    femme, l’ukmôle, la femme de la glose. Pour cela
    il doit encore attendre que la nuit tombe noire.
    Elle tombe : si lente : si légère... Or tant que
    la nuit n’est pas noire les corps ne sont pas en
    sécurité, pas assez. Voilà pourquoi Mueller, fou
    de famine, se tord le torse & les épaules, assis
    par terre & le crâne renversé, l’orbite orange &
    une pupille brûlée, dans l’attente palpitante de
    la nuit, encore claire, bientôt & presque noire.

  • 290113

    29 janvier 2013

    Les Turcs, nous dit Théophylacte Simocatta, tiennent le feu en honneur d’une manière très extraordinaire. De fait nous savons que l’influence du mazdéisme iranien se faisait sentir chez eux jusqu’à l’adoption du dieu Ormuzd ou Khormouzda. « Ils vénèrent aussi l’air et l’eau » et de fait nous verrons le respect des eaux courantes poussé chez les Gengiskhanides jusqu’à l’interdiction des ablutions musulmanes ou du lavage des vêtements en dehors de certaines conditions. « Mais ils n’adorent et n’appellent dieu que l’auteur seul du ciel et de la terre, ils lui sacrifient des chevaux, des bœufs et des moutons », et tel est bien en effet le culte du Tängri, du ciel divinisé, commun aux anciens peuples turco-mongols. Enfin ce que nous dit Théophylacte sur « leurs prêtres qui leur paraissent prédire l’avenir » s’applique aux chamans turco-mongols, encore si influents à l’époque gengiskhanide.

    René Grousset, L’empire des steppes, Bibliothèque historique Payot, P. 129

    Hier un vidéogramme (le mot vidéogramme donne l’impression de vivre dans une uchronie steampunk), c’est The Social Network. Outre l’exploit d’avoir conçu un film aussi correct sur un sujet aussi rébarbatif, l’arrière-goût d’un dégoût de notre monde réel (encore), obnubilé par la croissance, lakroâssance et ce quelque soit le chiffre en jeu. Et même nous : la croissance : derrière nos microstatistiques : le nombre de clics : de visites : de lecteurs : de RT : ça me gave.

    Et lu chez lui ces deuxtrois mots : « la barbarie économique ».

    L’arrière-goût lavé par le son du réveil : non plus l’éco, le CAC ou lakroâssance mais un quatuor à cordes et ce truc de Steve Reich : Check it out (City Life) qui me tire genre quinze ans en arrière : moment au cours duquel j’ai fait connaissance avec la glace, non : avec la musique zarb.

    C’est lié à ce film, pas que, j’y pense le long : la possibilité de publier Ulysse ou (Dieu sait quand) /// libre de droit directement. Sais pas si c’est possible ni si c’est très malin, j’y pense.

    Une semaine que j’ai pas planté mes dents dans de la viande alimentaire (on s’en passe), là Twitter me chuchote que le paracétamol tue (ça je peux pas m’en passer).

    Un truc possible pour dans /// : glossaire discret sur une colonne et sur chaque page pour définir les mots trangers, les mots fictifs.

    Mueller (446 mots) :

     Ye pieux tie faire de la requinque, mon bieau,
    qu’elle lui a dit, la vieille ukmôle, sans dents
    mais en chuintant les lèvres, quelque part, près
    des bourbes, une fois la nuit tombée, bien avant
    l’évasion de Mueller, mais juste après lui avoir
    siphonné plusieurs litres de fluides corporels &
    les avoir stockés dans des bocaux lucides & gros
    dans ses bras maigres. C’est devenu leur cirque.
    Chaque nuit Mueller s’en allait la voir près des
    bourbes & chaque nuit Mueller faisait don de son
    corps pour remplir ses bocaux. Avec elle mitonne
    de la glose, de la sioupe, de la mixiure ou bien
    de la requinque dont elle offre quelques rations
    à Mueller en échange. Mueller, avec, nourrit les
    corps, ensuite il se nourrit lui-même & le cycle
    se répète. – Tiout le mionde il se triouve kiéks
    ciombines piour suvive ici bias, qu’elle lui dit
    sans une dent la vieille ukmôle. C’est pas faux.

    Mueller ouvre les yeux : 2 pauvres parlent : ils
    parlent la langue des cavs (mais ils ne sont pas
    cavs) : ils parlent d’eux à la sixième personne,
    l’inconséquente : ils parlent d’eux à voix basse
    & à tâtons : ils parlent d’eux dans un futur peu
    lointain (peut-être hypothétique, peut-être pas)
    ou dans un avenir proche : ils parlent & parlent
    d’eux devenus citoyens de la ville ensevelie, la
    villofixoa réelle & non ce simulacre de ville en
    surface : ils parlent d’eux après leur mutation,
    de la surface vers les tages inférieurs : ce que
    ces pauvres disent, ils le disent le cœur gros,
    la voix frêle : ce qu’ils disent est fragile, ce
    qu’ils disent est dit en équilibre sur la glotte
    comme sur un fil de soie invisible à l’oeil nu :
    ce qu’ils disent, et bien, ce sont des contes ni
    plus ni moins : ce qu’ils se disent, au fond, ce
    sont des histoires de pauvres qui se voient tout
    sauf pauvres : ce sont des rêves ouverts mais de
    ces rêves sitôt dits, sitôt crus, sitôt fanés ou
    morts : ce sont des calchitzes, comme disent les
    ukmôles : une chose qui mérite que l’on crache :
    d’ailleurs les pauvres savent : ils savent : ils
    se parlent en morvant : ils se parlent avec tous
    leurs ongles tenus dans leurs paumes respectives
    de rage folle de savoir leurs mots faux : ils se
    parlent la babine dressée & l’oeil jaune, car en
    réalité ils se haïssent : ils se parlent pour ne
    pas se sauter l’un & l’autre à la gorge : ils se
    parlent pour ne pas l’un & l’autre se décapiter.

    Le Cap ouvre les yeux : il cherche sur son corps
    la trace, le dénivelé, de sa douzième côte. Elle
    était là jadis. Le fait est que la vieille avait
    raison : ses mixiures l’ont quinqué. Il le sent.

  • 300113

    30 janvier 2013

    Le monde est formé d’une superposition d’étages. Les
    dix-sept étages supérieurs forment le ciel, royaume de la Lumière, les sept ou
    neuf étages inférieurs le monde souterrain, séjour des ténèbres ; entre les
    deux, la surface de la terre où vivent les hommes. Le ciel et la terre obéissent
    à un être suprême qui habite l’étage le plus élevé du ciel et qu’on désigne
    sous le nom du Ciel divinisé, Tängri. Le ciel est aussi le séjour des âmes
    vertueuses, comme le monde souterrain est l’enfer des méchants. La
    mythologie turque comportait encore plusieurs divinités, dont la déesse
    Oumaï, qui prenait soin des enfants, et les innombrables génies qui
    habitaient « la terre p.132 et les eaux » (yer-soub, turc moderne yär-sou),
    spécialement ceux qui peuplaient les monts et les sources, lieux saints (iduq)
    dont nous verrons le culte se perpétuer à l’époque et dans la législation
    gengiskhanides.

    René Grousset, L’empire des steppes, Bibliothèque historique Payot, P. 131

    Les yeux ouverts entre 2h, 4h. Beaucoup gerbé en rêve. Rêvé d’un accident de voiture sur des routes de montagne, moins inhabituel.

    Au ralenti j’avance. Dois m’enfoncer dedans des tâches répétitives et aliénantes pour pouvoir faire sans être. Quel soulagement alors que ce soit ça mon job, précisément.

    Retour (vivant sur toutes mes jambes) par la 14 car la 8 est stoppée : quelqu’un je crois est mort.

    Mueller (280 mots) :

    Les gosses à cornes jouent des rythmes ka-nnos &
    ils chantent. Ce qu’ils chantent a avoir avec la
    tourmente & la poussière intérieure, celle qui a
    le temps de s’écouler quand on ravale en soit ce
    qu’on porte en nous d’humanité avilie. Mueller :
    il sait de quoi je parle (il sait). Mueller sait
    aussi que ces chants qu’il supporte (les gosses,
    toutes cornes dressées points & virgules vers le
    ciel, rocaillent leurs voix antépubères dans les
    tempes de Mueller) il les a déjà entendus, avant
    ce jour, quelque part près d’ici. – Je t’attends
    là, qu’ils piaillent, où rien bouge maintenant !

    Mueller ouvre les yeux : il sait : il les a déjà
    entendus ces chants : c’était durant les fièvres
    de son coma rouge : ses 13 jours de nuit noire à
    la suite du malaise dans le lit de la rouge : la
    fièvre lui avait façonné dans les yeux quantités
    d’images récursives dans lesquelles il se voyait
    se vomir lui-même comme un ouroboros à l’envers.

    L’entendre à nouveau lui tenaille le bas-ventre.
    Quelque chose tape aux parois nombriliennes pour
    éclore. – Même si je ne te vois pas, ça braille,
    je peux retrouver ce qu’on cherche dans la nuit,
    ils chantent fort, même si c’est très difficile,
    je danserai mon chemin avec les loups ! Le corps
    à la cicatrice stomacale tape le rythme du chant
    sur sa gorge & son torse & le corps à sa gauche,
    le corps à sa droite & le corps au casque trouvé
    sur la rouge vont l’imiter. Mueller, vomi depuis
    sa propre gorge comme à l’heure de la fièvre, un
    doigt noir pointé vers la grange & les corps, se
    tourne face à eux, un oeil noir, pour dire stop.

  • 310113

    31 janvier 2013

    —  Pourquoi, qu’il disait, pourquoi qu’on supporterait pas la vie du moment qu’il suffit d’un rien pour vous en priver ? Un rien l’amène, un rien l’anime, un rien la mine, un rien l’emmène. Sans ça, qui supporterait les coups du sort et les humiliations d’une belle carrière, les fraudes des épiciers, les tarifs des bouchers, l’eau des laitiers, l’énervement des parents, la fureur des professeurs, les gueulements des adjudants, la turpitude des nantis, les gémissements des anéantis, le silence des espaces infinis, l’odeur des choux-fleurs ou la passivité des chevaux de bois, si l’on ne savait que la mauvaise et proliférante conduite de quelques cellules infimes (geste) ou la trajectoire d’une balle tracée par un anonyme involontaire irresponsable ne viendrait inopinément faire évaporer tous ces soucis dans le bleu du ciel. Moi qui vous cause, j’ai bien souvent gambergé à ces problèmes tandis que vêtu d’un tutu je montre à des caves de votre espèce mes cuisses naturellement assez poilues il faut le dire mais professionnellement épilées. Je dois ajouter que si vous en esprimez le désir, vous pouvez assister à ce spectacle dès ce soir.

    Raymond Queneau, Zazie dans le métro

    Eh, toi, à droite, y a le SAMU qui fonce et qui découpe la ville devant, derrière, y a deux fois une seule moto de flics pour lui ouvrir la route, et je crois que sur la tranche, dessous, ou sur le mot SAMU, c’est écrit pédiatrique.

    Dans le wagon, près des vitres : Kurt Cobain des Carpates.

    Car j’en parle dans un mail je ressors soir venu mon Cyclocosmia III pour relire ce texte intitulé Ernesto & variantes et quelques années après son écriture, parution, je reste fidèle à l’idée que j’en avais à l’époque : ça fonctionne.

    Mueller (270 mots) :

    Le Cap, les yeux rivés sur ce soldat de la garde
    qui répond au doux nom de Ba, celui dont on dit,
    à raison, qu’il est le gardien de la clé, la clé
    de l’ocre, Le Cap, donc : il a faim de partir...

    Mueller ouvre les yeux : ce Ba se met des perles
    blanches dans sa jungle de crâne & il marche, de
    la porte fine qui donne sur l’est à la porte sur
    le sol près des parois du sud : celle qui permet
    de descendre vers les tages inférieurs. Mueller,
    depuis ses pieds plantés dans la poussière juste
    devant la grange, il a compris, à force d’user &
    d’esquinter ses yeux sur sa silhouette noiraude,
    que ce gardien de l’est ne fait que passer, ici,
    dans le village surface. Il passe des jours hors
    des murs d’enceinte auprès des bêtes, dit-on, là
    où la paroi du mont sage abrite un escalier dans
    la roche même puis, au niveau du désert d’est, à
    l’intérieur d’une grotte, sous la villofixoa, un
    carré de verdure mastiqué par les bêtes. Lorsque
    Ba remonte au sommet du mont sage, Mueller capte
    son ombre & le suit du regard & le voit se figer
    accroupi près de la porte sur le sol, il voit ce
    moment au cours duquel il pourrait l’étrangler &
    discrètement, par l’arrière, lui tirer cette clé
    hors du cou mais son corps ne bouge pas, non son
    corps ne bouge pas : Mueller reste mimétiquement
    là, accroupi sur le sol de lui-même comme ce Ba,
    posé près de sa porte, dans la position reine de
    la caque, immobile. Un jour il le fera. Un jour.