Philip Roth



  • 140213

    14 février 2013

    Soit je me suis précipité hier pour le dire, soit c’est faux, soit l’oeil ment mais voilà : l’oeil gauche est reparti, il saute. Je pose mon doigt dessous pour sonder les mouvements et je le sens se battre.

    J’ignore si c’est à classer dans toutes les merdes de la postapocalypse mais c’est un soulagement d’avoir stoppé la viande alimentaire à l’heure de lire ces compte-rendus de bouffe et de cheval mixés dans la viande destinée à des plats préparés. Il semblerait que cette mixture ait un nom, ça s’appelle du minerai, ça comprend de la viande dernier choix de cheval, des muscles, des os, du collagène, on dit même qu’il pourrait y avoir de l’âne ou du mulet, ce qui m’attriste assez, sympathiques animaux. J’espère n’avoir jamais mâché de baudet en guenilles. Mais rien à voir avec la postapocalypse : c’est notre réel bien présent, c’est notre époque, voilà.

    Lis via Le Monde l’interview de Philip Roth avec cette impression qu’aurait peut-être un toxico entendant témoigner un ancien toxico de sa vraie vie passée, l’addictive, et de sa vie présente, clean. Il parle de ne plus écrire. Mais je n’ai jamais aimé Philip Roth (ou, tout du moins, ce que j’en ai lu, et le fait est que je n’ai plus aucun souvenir ni de J’ai épousé un communiste ni de A Plot Against America). Et n’ai jamais compris quiconque distingue des vrais lecteurs d’autres lecteurs, mais faux. Roth nous donne une recette : un vrai lecteur lit le soir, de vrais livres, en papier, au moins « quatre fois par semaine », et jamais sur la plage, et plutôt des romans. Quant à l’agitation médiatique autour de sa décision, voilà simplement un vieil homme de soixante-dix balais qui a pris sa retraite.

    Tenter d’éradiquer de mes pensées automatiques ce genre de phrases, celles qui disent : je suis sûr qu’il gagne plus que moi. Vite l’éradiquer. Peut-être que la postapocalypse, la vraie, sauvera l’Homme de notre âge actuel, l’âge des thunes.

    Tu ne sais pas ce que peut l’argent ? à quoi il sert ? À acheter du pain, des légumes, une mesure de vin, et au-delà tout ce qu’on ne peut refuser à notre nature humaine sans en souffrir. Mais veiller nuit et jour, mort de peur, à redouter les méfaits des voleurs, les incendies, les esclaves qui peut-être vont s’enfuir en te dépouillant, c’est ça ton plaisir ? Si ce sont là des biens, je prierais, moi, pour en être toujours le plus pauvre.

    nescis, quo ualeat nummus, quem praebeat usum ?

    panis ematur, holus, uini sextarius, adde

    [75] quis humana sibi doleat natura negatis.

    an uigilare metu exanimem, noctesque diesque

    formidare malos fures, incendia, seruos,

    ne te conpilent fugientes, hoc iuuat ? horum

    semper ego optarim pauperrimus esse bonorum

    Horace, Satires, traduction Danielle Carlès, Publie.net

    La lecture d’Horace version Danielle Carlès est surprenante. J’ai peu suivi finalement la mise en ligne au jour le jour de ces Satires (contrairement à L’Énéide dont je ne manque pas une miette), alors je les découvre. Étonnamment modernes. L’impression d’y lire comme un autre journal. Pour cette raison ce devrait être une lecture soir et non une lecture diurne (et encore moins une lecture souterraine) et pourtant je le lis en lecture principale dans les wagons, les rames.

    Lorsque les premiers hommes, prenant vie, sortirent en rampant de la terre, ils n’étaient que des bêtes muettes et grossières. Ils se battaient pour des glands et une tanière avec les ongles, avec les poings. Puis ils prirent des bâtons et, le temps passant, des armes que l’expérience leur avait fait imaginer, jusqu’au moment où ils inventèrent les mots et les noms pour noter les paroles et les idées.

    cum prorepserunt primis animalia terris,

    [100] mutum et turpe pecus, glandem atque cubilia propter

    unguibus et pugnis, dein fustibus atque ita porro

    pugnabant armis, quae post fabricauerat usus,

    donec uerba, quibus uoces sensusque notarent,

    nominaque inuenere ; dehinc absistere bello,

    [105] oppida coeperunt munire et ponere leges,

    ne quis fur esset neu latro neu quis adulter.

    Ibid.

    Mueller 1 (176 mots) :

    Le soir ils bivouaquent sous une longue vague de
    sable. L’ocre a disparu déjà depuis des jours de
    la texture des grains. Les corps en mâchent pour
    que les mandibules ne rouillent pas (or donc les
    dents craquent). Le cervidé a du sel dans l’oeil
    & sa pupille s’humecte. Mueller cherche entre la
    robe & la croupe de la nuit l’ombre du phare. Il
    rêve du phare la nuit & le jour quelques fois. A
    l’est il sait qu’il danse mais il ignore combien
    de jours de marche il leur faudra encore compter
    pour l’atteindre. Les corps ont la gorge dans le
    torse. Le cervidé avance la langue sèche & grise
    détendue. Mueller lui-même est mal. Les gourdes,
    les gorges, les estomacs sont vides. Il n’y a ni
    eau pour boire ni pluie soudaine pour attirer ou
    le crabe sec ou le tröhn. Tout retour en arrière
    est impossible & le vent sable & sel bouleverse,
    chahute & aveugle la carte des étoiles le jour &
    la nuit. Seule l’ombre de ce phare se dessine. A
    l’est oscille cette seule destination. Un phare.

  • 281019

    28 novembre 2019

    Il y a un bug amusant avec cette série d’articles parus dans la Paris Review que j’ai mis de côté via Pocket il y a des années (et oublié de lire) : ils se sont mélangés. Je veux parler de ces interviews d’auteurs illustres qui ont fait la renommé de cette revue : The Art of... À compléter par le nom de la personne concernée. J’ai enregistré celui menant vers William Gass, j’ai eu P.D. James (!). Alice Munro ? Non, David McCullough. John Steinbeck ? Philip Roth. J’ignore à quoi c’est dû, et en définitive je m’en fiche. J’en viens même à me dire que ce n’est peut-être pas plus mal, car autrement je n’aurais jamais cliqué sur l’entretien menant vers Philip Roth, alors que là je l’ai lu. Il dit quelque chose d’assez fin sur l’entrée dans un nouveau manuscrit, et comment la plupart du temps, les premières pages qu’on commence ne sont en rien le début du livre : elles le précèdent. Voilà le passage en question :

    I type out beginnings and they’re awful, more of an unconscious parody of my previous book than the breakaway from it that I want. I need something driving down the center of a book, a magnet to draw everything to it—that’s what I look for during the first months of writing something new. I often have to write a hundred pages or more before there’s a paragraph that’s alive. Okay, I say to myself, that’s your beginning, start there ; that’s the first paragraph of the book. I’ll go over the first six months of work and underline in red a paragraph, a sentence, sometimes no more than a phrase, that has some life in it, and then I’ll type all these out on one page. Usually it doesn’t come to more than one page, but if I’m lucky, that’s the start of page one. I look for the liveliness to set the tone. After the awful beginning come the months of freewheeling play, and after the play come the crises, turning against your material and hating the book.

    J’en parle à T. dans un café étrange. En sous-sol, dans les toilettes, une affiche de The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars. Le tout dans un quartier pas très accueillant il faut bien le dire mais (je crois que c’est comme ça qu’on dit) touristique. Qu’on le veuille ou non, le Louvre est à quelques minutes à pied même si, à pied, dans la nuit et le tissu de faisceaux électriques des éclairages publics et des phares des voitures, je peine à me situer. Quelques heures plus tôt j’écris à T. je n’ai pas mes lunettes, ce sera à toi de me trouver. Et il le fait.


  • ↑ 1 Note du 20/02 : Suite à une erreur de mise en ligne sur l’article d’hier, le Mueller du jour est une redite de celui de la veille, désormais corrigé...