Édouard Louis



  • 190414

    27 avril 2014

    Faudrait vraiment dresser une grille des tunes pour Ulysse. Voulais le faire, pas eu le temps de le faire. Cherchant dans les archives la valeur d’une guinea dans les précédents épisodes, je tombe sur trois fragments différents (le 83, le 160 et le 495), lesquels m’indiquent qu’une guinea, dans notre version actuelle, vaut tantôt dix euros, cent euros et cent-cinquante euros (parfois ce sont des balles). Harmoniser tout ça.

    Relu Transoxiane (le deux) sur de l’Eink Kobo. Quelques petites choses à modifier demain et ce sera bon.

    Trouvé N., I. et L. de passage à Paris (St Michel), un peu shooté peut-être (oui mais shooté à quoi ?). On me trouve fatigué, et bien c’est que je le suis, frigorifié aussi. L. me demande t’es heureux ? C’est le Louvre où nous sommes, je dis quelque part j’ai travaillé ici à un moment donné (je montre avec la main vaguement), L. me dit c’est censé être la Joconde ? Faut croire. Elle est pixélisée. Marchons marchons le long de nous-mêmes jusqu’à un resto entre le Num et le Pied de cochon qui n’est ni l’un ni l’autre. Je me brûle nos genoux. Quelqu’un dit subterfuge. Parlons de chais pas quoi. Quelqu’un dit encore une fois la phrase je sais pas ce qu’il faut faire. Prends des nouvelles de gens que je croyais plus ou moins méconnus (j’ai oublié des noms) : F. et Grenouille 1 ils font des vacations. F. n’a pas terminé son Master. Sur quoi il travaillait ? Proust. Je dis ah. N. m’offre le Eddy Bellegueule. Repars plus en vie que n’étais arrivé. Eux prennent un train pour le sud du sud de la ligne (et moi pas).

  • 250414

    2 mai 2014

    Through a gap in the breastwork he saw then a tiny silver egg, with a flame, pure and steady, issuing from beneath, lighting the forms of men in suits, sweaters, overcoats, watching from bunkers or trenches. It was a rocket, in its stand : a static test.

    The sound began to change, to break now and then. It didn’t sound ominous to Franz in his wonder, only different. But the light grew brighter, and the watching figures suddenly started dropping for cover as the rocket now gave a sputtering roar, a long burst, voices screaming get down and he hit the dirt just as the silver thing blew apart, a terrific blast, metal whining through the air where he’d stood, Franz hugging the ground, ears ringing, no feeling even for the cold, no way for the moment of knowing if he was still inside his body. . . . Feet approached running. He looked up and saw Kurt Mondaugen. The wind all night, perhaps all year, had brought them together. This is what he came to believe, that it was the wind. Most of the schoolboy fat was replaced now by muscle, his hair was thinning, his complexion darker than anything Franz had seen in the street that winter, dark even in the concrete folds of shadow and the flames from the scattered rocket fuel, but it was Mondaugen sure enough, seven or eight years gone but they knew each other in the instant.

    Thomas Pynchon, Gravity’s rainbow

    J’en finis, moi aussi 2, avec Eddy Bellegueule, le livre d’Édouard Louis paru au Seuil. N’ai rien lu d’aucune presse sur ce livre, et si je suis vaguement au courant d’une espèce de polémique concernant le bouquin 3, je ne suis jamais allé au-delà des titres des articles aperçus sur les flux RSS ou Twitter, ce qui me paraît être la distance idéale avant de commencer à lire un livre : n’en rien savoir du tout, n’avoir rien lu dessus, n’être pas recouvert par aucun mot des autres à son sujet, voilà. Je m’intéresse souvent à des textes d’auteurs jeunes (bien souvent ce n’est pas grand chose, bien souvent c’est un truc marketing), Édouard Louis a donc 21 ans (c’est écrit en chiffre sur la quatrième de couverture). Ce n’est pas un texte inintéressant, ça n’est pas, non plus, un texte qui puise beaucoup dans la littérature. Deux langues : l’une plus pertinente qu’une autre, c’est le discours rapporté des classes laborieuses, mis à distance de la narration par l’italique (apparemment cet italique a fait jaser, je peine à voir pourquoi). L’autre langue est celle du récit autobiographique. C’est assez peu pertinent de savoir ce qui relève ou non de la fiction, ça ne m’a jamais intéressé tout ça. La narration est parfaitement académique, en cela elle est grise, un peu seule, triste aussi. L’auteur semble plus intéressé par l’analyse des mécanismes sociologiques que par la langue qui la prononce ou par les ressorts narratifs mis en place pour la mettre en scène, c’est son choix (je crois que c’est aussi son domaine de compétence), c’est ce qui refuse au livre sa dimension poétique. Car c’est la langue de l’italique pour moi la plus habitée. M’imagine plus ou moins ce qu’aurait été un livre composé quasi exclusivement de cette langue italique (la langue pauvre et orale, vulgaire souvent, non pas la langue d’une région géographique ou d’une classe sociale comme on a pu le dire mais la langue de l’agressivité permanente, de la tension et de la peur de l’autre), Prostitution de Guyotat ressemble à ça 4, du moins c’est à lui que j’ai pensé 5. Je ne peux pas m’étonner de l’éloge d’une certaine presse sur ce livre car je ne lis plus cette presse. Je m’étonne en revanche de la déception de ceux qui s’attendent, de la part de cette presse (tout ou partie de cette presse), à un autre niveau de réflexion, à d’autres aspirations, à une autre soif littéraire tant il est clair qu’on ne peut pas exiger grand chose de la critique journalistique traditionnelle et ce depuis combien de temps (pour ça précisément que des organes tels que le FFC existent, c’est d’autant plus vital). M’étonne également que ça tombe sur Bellegueule qui n’est pas un mauvais livre, qui n’est pas dépourvu, et c’est déjà quelque chose, d’une identité propre. J’ai lu avant l’Eddy Bellegueule, il y a quelques années ou quelques mois, des livres comme Mes illusions donnent sur la cour ou bien L’été slovène 6, qui étaient bien plus vides que celui-là. Je me demande souvent, lisant ces livres-là, pourquoi leurs auteurs, quels qu’ils soient, ne s’intéressent pas plutôt à ce qu’ils ne sont pas plutôt qu’à ce qu’ils sont, je l’ai déjà écrit quelque part. Malgré, parfois, leur sujet, il n’y a pas de prise de risque dans ces livres, il n’y a pas de dangerosité, il n’y a pas d’urgence. J’ai lu quelque chose de très imparfait et de pleins de défauts cet été, c’était une femme, je crois qu’elle est, depuis, morte cette femme, mais elle avait leur âge plus ou moins quand elle était vivante. Elle s’appelait Vickie Gendreau. Je crois que quelque chose sort d’elle aux éditions Le Quartanier. En réalité, j’ai fini par écrire le contraire de tout ce que je croyais ressentir. Je ne suis pas là pour écrire une sentence et je pars du principe qu’un livre qui m’aura fait écrire autant de lignes que ces lignes n’est pas un livre nul (je veux dire vain, inepte). Crois que ce qui m’étonne, c’est qu’on reproche à ce livre le médiocre niveau de la critique à son endroit, c’est pour le moins paradoxal. J’y ai corné deux pages, ce qui est peu. L’une est une fuite adolescente, c’est purement factuel. En reste une, qui ne vient pas de la langue ni même de la formule mais de la stricte réalité des choses.

    Il aurait été logique que lui aussi se fasse traiter de pédé. Le crime n’est pas de faire, mais d’être. Et surtout d’avoir l’air.

    Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule, Seuil, P.163

  • 180921

    18 octobre 2021

    J’ai tendance à confondre Mubi, la plateforme de films en streaming que je paye chaque mois et dont je profite bien peu faute de temps pour en regarder aucun 7, et dont le slogan est le choix du cinéma, avec Muji, la chaîne de magasins japonais dans laquelle la mère d’H. m’avait acheté, il y a 826 jours, un petit carnet Open-flat notebook qui correspond juste à la taille et à l’épaisseur parfaite pour un carnet, et dont le slogan est Nature, naturally, Muji. Parce que les slogans sont partout. En gare (où par ailleurs personne ne scannera les pass sanitaires de personne), le slogan est matraqué par des enceintes tout au long du voyage : un billet, un masque, un pass sanitaire. Le slogan n’a plus vocation à représenter sous une forme synthétique une réalité, mais à la remplacer purement et simplement. On le doit probablement à l’agence de communication TBWA\Paris à qui la SNCF confie sa com’ et la gestion de son image depuis vingt ans. Dans une agence de communication, tout relève de la communication. Par exemple, le choix de relier le nom de l’agence à la ville de Paris, comme le font les marques de luxe. Par exemple, intercaler un antislash et non un slash ou un tiret entre les deux doit être porteur de sens, créant un effet de symétrie et de parallélisme avec la dernière branche du W de part et d’autre du A. De cette façon, le nom de l’agence devient son propre logo. D’autres slogans sont à trouver dans d’autres sphères, censées correspondre au domaine de la pensée, mais qui ont en réalité les deux pieds dans la communication. Sombre et lumineux comme un tableau de Soulages. / Une langue brutale et affûtée, infiniment poétique. / Entre coups de poings et coups de bassin, entre Le Petit Nicolas et Jean Genet - il y a de l’espace. Ces gens sont des professionnels de la critique littéraire. Comprendre qu’on les paye pour écrire des slogans, qui seront ensuite utilisés par l’éditeur du livre concerné pour qu’il se vende (la plupart du temps, ce sera un échec). Ils fonctionnent comme une agence de com’, faisant partie intégrante de la chaîne du livre. C’est du moins ainsi, me semble-t-il, que beaucoup se perçoivent. La plupart du temps, ces blurbs sont bien faits, entendre par là qu’ils sont efficaces. On les suit comme on suivait en 1991 la pub télé nous assurant que Sironimo c’était ri-go-lo (or, non, Sironimo n’était pas rigolo : c’était sucré). On pourrait se dire que ces critiques sont intelligentes (la plupart du temps elles le sont, mais pas dans le sens qu’on imagine : elles ne font pas avancer la question de la littérature, ni ne servent à en décrypter les rouages, elles délivrent simplement en bonne intelligence une fonction commerciale de promotion de l’ouvrage), qu’elles n’iront pas sciemment jusqu’à se caricaturer elles-mêmes. À moins qu’elles soient déjà, de base, une caricature de caricature (je me répète). C’est précisément ce qui permet à certains d’écrire en préambule d’un article : Et si Edouard Louis était le nouveau Balzac ? En toute honnêteté, le site de cet hebdomadaire, quand on refuse les cookies, nous indique via un message qu’il serait bon dans ce cas de nous abonner au journal, car les revenus du site relèvent soit des abonnements soit de la publicité. Ce qu’il ne précise pas en revanche, c’est que le journal produit de la publicité. Cet article, mais au fond bon nombre de critiques culturelles, et sans doute au-delà. On parlera de ça pas mal, avec T. et A. au café des Anges qu’il y a rue de la Roquette. Je les y rejoints après trois heures de réunion pas loin. Je suis allé chez Muji pour acheter mon carnet Open-flat Notebook, et ensuite je me suis rendu dans ce qui dans ma tête est toujours chez Philippe. Un an après ma dernière visite, je me souviens toujours du digicode du bâtiment, lequel est en travaux sur toute la façade donnant sur la cour intérieure, laquelle est méconnaissable. J’en ressortirai avec un classeur très épais intitulé sobrement SAS, social. À Paris, il y a beaucoup de monde. Dans les rues et partout. Les gens sont souvent bien habillés, et beaux. Je me fais cette réflexion. Je laisse à A. un carton plein de livres d’une valeur marchande totale de 738,50 €. Mais si je m’étais fait voler ce carton pendant mon voyage, par exemple dans le train pendant que j’écoutais une lecture radio d’un récit d’Emmanuel Bove, ce même carton plein de livres atteindrait une valeur proche ou égale à zéro, tant il aurait été difficile, cette marchandise, pour le voleur, de l’écouler. La littérature, c’est ça. Ce grand écart permanent entre valeur et non-valeur, entre matérialité et légèreté, entre le commerce et la haine du commerce. Quelque part c’est un rapt qui n’a pas eu lieu, et qui n’aura pas lieu, car même si le degré de lisibilité est gonflé artificiellement par des slogans tous plus dithyrambiques (et, au fond, ridicules) les uns que les autres, au bout du compte les livres sont très peu lus. Et ça ne fait rien. Car dans ce modèle économique, la seule chose qui compte, c’est qu’ils soient achetés. Et donc, par définition, vendus.


  • ↑ 1 Ce n’est pas son vrai nom Grenouille, c’est nous qui l’appelions comme ça, enfin par nous encore je veux dire moi.

    ↑ 2 L’article paru aujourd’hui (non : hier) sur le Fric-Frac Club est intéressant, mais je ne partage pas du tout sa voix ni ses égarements musicaux vers la fin.

    ↑ 3 Lu après coup cette réaction à un article du Nouvel Obs.

    ↑ 4 C’est un livre que je me refuse d’acheter ou de lire (j’ignore pourquoi) et qui revient si souvent me lécher la mémoire (mais c’est aussi une référence toute proportion gardée).

    ↑ 5 Il est vrai que j’aime lire, dans les plis ou les failles des textes existants des textes qui n’existent pas ou qui n’ont pas eu vocation à être mis au monde.

    ↑ 6 L’auteur semble fort sympathique sur Twitter mais il n’y a pas beaucoup de langue dans son livre.

    ↑ 7 Mon temps pour regarder des trucs correspond plutôt à la durée d’un épisode d’animé, soit 20 à 25 minutes, au mieux deux fois par jour.