Lucien Suel



  • 150810

    15 août 2010

    Faut que je m’entraîne à jouer du Kinzoute : quelques semaines de vacances blanches m’attendent. J’en ai eu la confirmation hier ou vendredi, la semaine de boulot qui arrive sera bien ma dernière. J’ai quelques papiers à remplir, quelques têtes à vider et simplement faire semblant d’être là (et y être).

    Je réponds à l’enquête lancée par Christophe Petchanatz : « Pourquoi j’écris ? ». J’écris d’abord pour dissimuler ce que je pense réellement.

    Lucien Suel, Versets de la bière, Dernier télégramme, P. 37.

    Je pense occuper ma semaine en recopiant les récentes lettres recommandées AR reçues dans le cadre de ce licenciement à peu près propre pour les ajouter au fichier Prudhommes.rtf dont il est probable que je ne fasse rien.

    on est grave --- on est franchement ringard --- on a le cerveau lavé bien profond --- on se regarde dans la glace --- on déborde sur les côtés --- on se fait son petit chorus pour la célébrité --- on se baigne dans l’eau recyclée régénérée réoxygénée --- les poissons aveugles stagnent à la sortie des égouts

    P. 56

    J’ai récupéré mon MacBook vendredi. Passé le week-end à faire des transferts de données, à réinstaller ce qui ne l’était plus. Le mac est neuf ou quasiment. J’ai gagné presque un an d’utilisation matériel en tapant dessus l’autre jour : c’est mal, oui (oui mais l’avait bien cherché).

    Je ne crains pas l’ennui, ni l’adversité, n’attends rien des mutations de la société.

    Je compare le terreau de mon jardin et la matière interstellaire. La mort des étoiles produit des atomes qui produiront d’autres étoiles.

    P.60

    J’ai repris hier les relectures et corrections de Coup de tête partie 3. Il n’y a rien (de neuf) à en dire. Ma deadline initiale a été compromise par le crash du MacBook et reportée d’un mois. Je me fixe à présent fin septembre pour finir. Après se poser la question du qu’en faire et du l’envoyer.

    Avril 1997, Pays de Galles, liste des pubs dans lesquels j’ai bu des peintes de bière :

    The Holly Bush (St Hillary, The Tavern, Mulligan’s, King’s Cross (Cardiff), Victoria Inn (Pen-y-Bont), Plough & Harrow (Nash Point)

    O’Neill’s, The Angel, The Pheasant (Bridgend), The Sawyer’s Arms, Malsters Arms (Maesteg), Harry Ramsden’s (Cardiff) ; c’est dans celui-ci que j’ai remporté le Harry Ramsden’s Challenge : Avaler entièrement un gigantesque fish & chips.

    P. 68

    J’ai l’impression de prendre le Journal à l’envers : je n’y consigne pas ce que j’ai pu faire, j’anticipe sur les jours, semaines à venir. Des fois même je pipotte, je joue du Kinzoute, je remplis des vides. Je traverse aussi l’étonnant journal (1986 – 2006) de Lucien Suel, et donc il me traverse aussi. J’ai besoin d’autres journaux encore pour mieux vivre d’autres vies. Prochainement, une fois Omega Blue terminé et Fuir est une pulsion ouvert, je mettrai en ligne les archives du Journal préparées initialement pour Publie.net. Une version compilée 2006-2008, ni plus fictive ni moins fausse que la version actuellement en ligne, mais légèrement réécrite et réorganisée.

  • 180610

    17 août 2010

    J’attends une demi-heure en gare de C. que le train reparte. En profite pour écouter le premier épisode du Voyage en Transsibérien d’Olivier Rolin sur France Culture (podcast d’hier). Écouteurs vissés près des tympans, n’entends plus rien du monde (le vrai). Les pieds collés au ciment, sur le quai, le train fixe et les rails secs, j’entends pourtant les rails taper, le train filer vers l’est : mais c’est pas le même : l’audio remplace le son. Je termine aussi Les versets de la bière, qui me rappelle Cambouis l’année dernière.

    on possède un jardin secret --- la lune n’a pas de profil --- tous les nombres premiers sont ex aequo --- la vie ne tient qu’à un fil --- on peut vendre son sang au détail dans certains pays --- les soldes se déroulent pendant les jours fous fous fous --- on enterre les monstres à six pieds sous terre --- un entrepreneur de démolitions entasse des briques dans son bas de laine --- on fait le plein de larmes aux pompes funèbres --- l’infarctus du myocarde est provoqué par la thrombose des artères coronaires

    Lucien Suel, Les versets de la bière, Dernier Télégramme, P.151.

    En lisant besoin de placer des voix, des sons, sur les paroles papier (exemple : Quentin Compson est Chet Baker) ; en écoutant parler, lire, digresser Olivier Rolin besoin de placer un corps (une image) entre ses sons : j’y vois Brian Cox.

    Olivier Rolin a une belle phrase pour parler des notes à la volées qu’il prend à même le train, des brouillons fracturés de l’écriture, il dit : « comme un sismographe ». Je pense effectivement que la nature des notes que je rassemble actuellement via le fichier Prudhommes.rtf correspond à cette métaphore.

    Boulot (ou ce qu’il en reste) : les jours de la dernière semaine blanche s’écoule lentement (J-3) et les métros, les trains, sont bien vides à 15h, bien plus qu’ailleurs.

  • Écrivains en séries, saison 2

    12 janvier 2011

    À la manière d’un tueur (en série), la collection LaureLi, éditions Léo Scheer, revient sur les lieux dits du crime. Un an et demi plus tôt, début 2009, paraissait Écrivains en séries (saison 1, ce n’était pas dit mais tout le monde a compris), sous-titré « Un guide des séries télé » et qui était comme dit le sous-titre « un guide des séries télé ». 117 séries, précisément, que s’appropriaient 71 écrivains, précis eux aussi. Je renvoie à mon article de l’époque pour plus d’éléments sur cette saison 1. Si vous êtes attentifs et que vous allez jusqu’au bout, vous constaterez qu’en fin de billet je m’interrogeais sur l’absence de séries phares telles que Friends, Urgences ou Damages et lançais invitation à moi-même pour aller voir une prochaine (et alors hypothétique) saison 2. Alléluia, mon voeu est exhaussé. Écrivains en séries saison 2 est paru cet automne, même éditeur, même collection, et Friends, Urgences, Damages sont de la partie.

    La saison 2 reprend la même formule que la première. Au programme 120 séries, 92 écrivains. Certains ont prolongé pour une saison supplémentaire, d’autres ont été remplacés par de nouvelles plumes. Le principe de base, lui, reste le même : laisser carte blanche aux auteurs pour évoquer leurs séries de cœur (ou pas), celles de leur jeunesse (ou pas) ou celles qui les passionnent (ou pas). D’un article à l’autre (une page pour les plus courts, dix ou quinze pour les plus longs) le genre peut varier, de l’article plutôt analytique à la parodie décalée, de l’expérimentation littéraire à la description pure. Comme pour le premier volume, cela permet de toucher tout le monde et tout le monde s’y retrouve, qu’on connaisse ou pas, d’ailleurs, la ou les série(s) mentionnée(s). Comme pour le premier volume encore cela entraîne (forcément) des irrégularités dans la lecture, puisqu’il n’est pas vraiment possible de tout apprécier de la même façon. Alors parcourir ce guide justement comme un guide, piquer à droite à gauche, lire ici et là, parfois en dilettante parfois pas, tant qu’à faire devant la télé et une bonne vieille série évidemment.

    Quand le Père Pivoine actionne son manège et que résonne l’insupportable petite ritournelle de l’enfance mise en orbite, nous savons qu’aucun retour en arrière n’est plus possible. Les 500 épisodes de la série d’animation Le Manège enchanté, créée en 1964 alors qu’explose la première bombe atomique chinoise, constituent un processus cauchemardesque sans précédent, mêlant éléments psychotiques inédits et propension quasi obsessionnelle à résoudre les conflits. La vie aurait pu être différente, est-il besoin de le rappeler.

    Claro, Le Manège désenchanté, ou : Ce qui ne tourne pas rond, in Écrivains en séries saison 2, Léo Scheer, collection LaureLi, P.441

    J’avoue avoir un faible pour les articles qui acceptent volontiers de se décoller de la série sur laquelle ils écrivent. Les textes humoristiques (celui de Claro en est un parfait exemple), les expérimentations littéraires (Danièle Momont sur les New Avengers, notamment) et les fictions décalées (voir pour ça l’extrait suivant sur Les Chevaliers de Wimbledon, mettant en parallèle Les Chevaliers du Zodiac et un match de tennis entre Roger Federer et Pete Sampras, très réussi) ont donc ma préférence. Les articles plus analytiques, bien que souvent réussis (celui sur Mad Men notamment), sont généralement plus lourds à digérer, moins fun à lire, mais comme dit précédemment c’est le propre des ouvrages composites.

    L’intrigue des épisodes qui me reviennent alors en mémoire paraîtra farfelue aux non-initiés. La princesse Saori, réincarnation d’Athéna et porte-drapeau du Bien, est une sorte de roi Arthur en jupons : elle est entourée de toute une armée de Chevaliers fervents dont Seiya (Pégase), Hyôga (le Cygne), Shiryû (le Dragon), Shun (Andromède) et Ikki (Phoenix) – des Chevaliers de bronze toujours prêts pour un bras de fer, la version manga de Federer, nos héros. Le plus fidèle lieutenant de Saori est censé être le Grand Pope qui veille sur le Sanctuaire, en Grèce, protégé par douze Chevaliers d’or, des Sampras à belles armures répartis dans les douze Maisons du Zodiaque de leur signe respectif : il y a ainsi le Chevalier du Bélier, celui du Taureau, des Gémeaux, du Cancer, du Lion, de la Vierge, de la Balance, du Scorpion, du Sagittaire, du Capricorne, du Verseau, des Poissons.

    Louis-Henri de La Rochefoucauld, Les Chevaliers de Wimbledon, P.168-169.

    L’une des nouveautés de cette saison 2, c’est l’apparition d’illustrations qui prennent part directement au sommaire et qui ne sont pas là simplement pour décorer. Exemple avec l’entrée Goldorak, avec reproduction du « Degaulledorak » du Tampographe Sardon, tampon que l’on peut commander, soit dit en passant, sur la page suivante.

    En prenant appui sur des fictions aussi codifiés que les séries télé, certains auteurs parviennent à en détourner les codes ou en exploiter les ficelles. Ici cette conversation en avion avec le Ross de la série Friends, retournant le rapport acteur/personnage (« Le deal était le suivant : nous devions mener la vie rêvée. », par Fabrice Colin), là une réinvention des deux premières saisons d’Urgences signée Lucien Suel qui s’appuie sur les titres de chaque épisode comme base d’un récit à contrainte (voir l’extrait ci-dessous, chaque passage en gras correspondant à un titre d’épisode), ailleurs un résumé des cultes Sopranos en quelques phrases ciselées (« On a pas toujours été gros faut pas croire », par Alban Lefranc). Voilà comment ces auteurs parviennent à réinventer la fiction tout en plongeant les mains à l’intérieur : la fiction comme matériau de base, c’est connu. Et c’est aussi l’enjeu d’un livre tel qu’Écrivains en séries saison 2.

    Nuit blanche à Chicago : Le professeur B. Obama prépare son cours pour le lendemain. D. Ross fait la tournée des duchesses avec son papa. Le docteur Benton rêve qu’il pousse sa mère dans les escaliers. C’est un cauchemar.
    Travail perdu, congé gagné. La vie n’est pas juste. Jeanie Boulet est très malheureuse mais elle serre les dents. Elle ne confond pas HIV et IVG. Le bruit de la rame de métro nous empêche de comprendre la fin de la phr.

    Lucien Suel, Dans l’urgence, P.607.

    Le plus curieux, dans ce deuxième volume, c’est de retrouver des séries qui ont déjà été traitées dans le premier. Curieux mais pas gênant, d’autant plus que cette fois, le guide des séries semble avoir fait le tour. Je ne pense pas qu’il y ait encore matière à faire une saison 3. Tout est déjà dans ces deux volumes, 1200 pages à eux deux combinés, l’un complétant l’autre, et s’il ne fallait citer qu’une seule contribution, citons avec plaisir cette traduction de Raymond Federman, intitulée Je me souviens du meilleur programme télé de 1991 et qui traite, bien sûr avec humour mais pas que, de (et oui) la Guerre du Golfe.

    Cher ami,

    Tu me demandes ce que la guerre du Golfe a représenté pour nous, ici, en Amérique, en 1991. Eh bien, de notre point de vue, à l’arrière comme on dit, la guerre du Golfe a été du pur spectacle. Elle a été conçue pour la télévision, et c’est comme ça que nous l’avons vécue, comme un programme télé, diffusé vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela dit, ce n’était pas la mini-série ordinaire, plutôt une maxi-série qui a duré cent jours.

    Raymond Federman, Je me souviens du meilleur programme télé de 1991, traduction Danièle Momont.

  • 240711

    24 juillet 2011

    Sérieux : comme en novembre : un pull, un blouson. De ces chaussures des grosses semelles pour marcher dans la boue. Croisé personne dans toute la largeur toute la largeur du parc. Nombre de lapins vus : deux. Nombre de lapins croisés sans voir : si seulement.

    Je n’ai pas écrit rien de tout le week-end, voilà ce que je dis, ce qui tendrait à vouloir dire que j’ai écrit des trucs mais c’est faux, tant pis pour la double négation, je n’ai pas écrit rien de tout le week-end égale je n’ai rien écrit de tout le week-end, c’est tout le problème.

    Les arbres ont des yeux. Lucien Suel me dit de mêmes les pommes de terre. H. Me dit Lovecraft. Faudrait alors éplucher tous les arbres. Je compte les lapins vus dans les buissons mais surtout les invisibles. Est-ce que c’est un terrier de lapin ? Est-ce que ça c’est des toilettes ce truc ? Est-ce que je ferai pas mieux de partir toute une année en Patagonie ? Et quoi écrire puisque ça schlingue actuellement ? Est-ce qu’on pense bien comme on parle ? J’aurais voulu enregistrer tout ça.

    Revient encore l’éternel refrain du « tout ce temps de chômage neuf mois quand même je l’ai même pas suffisamment ren-ta-bi-li-sé ». Des fois je me dis que H. aimerait me flinguer tellement je suis a) prévisible et b) oui, borné. Avant de reprendre le boulot je voulais terminer l’écriture de Dzoosotoyn Elisen, la traduction du Chien du mariage et puis reprendre kiss bye boy. J’ai fait tous ces trucs. Et j’en ai même fait d’autres. Mais rien qu’un mot pour résumer tout ça : vide vide, rien rien rien. Dzoosotoyn Elisen est mort-né et je refuse de remettre la tête dedans (ou ne serait-ce que lire une ligne au hasard). Le chien du mariage je n’en ferai rien de mieux que rien, au pire le laisser lisible en ligne pour qui voudra. Et d’autres trucs, et Coup de tête le refusé. Je ne suis même pas triste de ne rien pouvoir en faire, juste je m’en fous. J’ai pas de rêve en tête. Pas même celui d’acheter appartement nulle part dans une « résidence de standing » avec vue sur les voies RER comme la plupart de mes congénères humains.

  • 310811

    31 août 2011

    Marais d'Y., 25 juin 2011

    Et l’ennui ? le temps me manque. Ils nous demandent, « ils » ceux qui virent nos salaires, d’être présents en chair, en os, sur le stand STAT qui se tiendra durant salon, semaine prochaine. Le salon est centré sur les humanoïdes de série « copycat » que notre boite fabrique, répare et distribue. Cette série d’automate qui nous ressemble le plus. Comment feront-ils, « ils » les visiteurs, la différence entre nous fixes et les modèles d’expos « presque vivants » ? Voudront-ils, eux futurs clients, repartir avec nos corps, ces corps les nôtres, jusque chez eux et, pire, STAT les autorisera-t-il ? Tant de lacune dans mes lectures me désespère. Mon texte peau(x) envoyé Dissonances pour prochain numéro n’en fera pas parti. Et bien merde, j’en écrirai bien plus. Une odyssée cosmique dite en vers justifiés.

    De chagrin, de colère et de pudeur sans fin, elle parle peu de son frère Hubert depuis l’annonce de la certitude de sa mort - ce corps qu’elle a soigné, langé, nourri, qu’elle a vu croître en beauté, capturé, poussé, humilié, battu, fouetté, détruit, affamé, moqué, injurié, piqué comme une bête malade -, mais quand elle ouvre les albums de photos et que nous voyons sur les clichés sépia cet enfant vêtu de feuilles et couronné de fleurs comme un petit Nijinski en faune, rire sur une balustrade, de la Gallée, à Millery, près de Lyon, la demeure de la famille de sa tante qui avec notre grand-oncle chirurgien à Saint-Etienne l’élève alors, la parole lui revient un peu comme de l’au-delà, de l’âge d’or. Il y est à l’âge que j’ai quand il me photographie écoutant l’Histoire Sainte, et il est déjà mort.

    Pierre Guyotat, Formation, Folio, p.64.

  • 261011

    26 octobre 2011

    Quelque part, un jour, encore un fichu train

    Des panneaux posés sur le toit des immeubles, que capteront-ils quand l’œuf solaire s’éclipsera ? Bien sûr que j’ai envie d’y aller ce matin car ce matin Énée prévoit ni plus ni moins que de descendre aux enfers,

    Matriochka (cliquer)

    De là, part la route qui conduit, dans le Tartare, aux flots de
    l’Achéron. Ce sont des tourbillons de boue, un gouffre, un vaste
    abîme qui bouillonne et vomit tout son limon dans le Cocyte. Un
    horrible passeur garde ces eaux et ce fleuve, d’une saleté
    hideuse, Charon. Une longue barbe blanche inculte lui tombe du
    menton ; ses yeux sont des flammes immobiles ; un sordide
    morceau d’étoffe attaché par un nœud pend à son épaule. Seul,
    il pousse la gaffe et manœuvre les voiles de la barque, couleur
    de fer où il transporte des ombres de corps, très vieux déjà, mais
    de la solide et verte vieillesse d’un dieu. Toute une foule
    répandue se précipitait vers la rive : des mères, des époux, des
    héros magnanimes qui ont accompli leur vie, des enfants, des
    vierges, des jeunes gens qui furent placés sur le bûcher funèbre
    devant les yeux de leurs parents. Les premiers froids de
    l’automne ne font pas glisser et tomber en plus grand nombre
    les feuilles des bois ; les oiseaux qui viennent du large ne
    s’attroupent pas plus nombreux à l’intérieur des terres quand la
    saison glaciale les met en fuite à travers l’océan et les envoie à
    tire-d’aile aux pays du soleil. Tous debout suppliaient qu’on les
    fît passer les premiers et tendaient leurs mains dans leur grand
    désir de l’autre rive. Mais le dur nocher prend ceux-ci, puis
    ceux-là, et repousse loin du rivage ceux qu’il écarte.

    Virgile, L’énéide, traduction André Bellesort.

    moi avec. Je prends le sol de gauche, celui baigné, baigné de soleil. Je confonds la troisième personne du pluriel avec la deuxième, la deuxième avec la première. Je croyais avoir pris l’habitude d’alterner les langues des livres lus au quotidien mais je file un mauvais côton. Je traverse à la suite Simenon et Gadenne, Gadenne et Simenon, Simenon et Suel. Je lis Suel dans le train pendant qu’il lit mes trucs de train dans le sien. Lire Mauricette sur ou sous Bill Evans (ou l’inverse). Je me dis que peut-être, ici ou là, quelqu’un croise l’autre. Je me dis qu’il serait peut-être pertinant de dresser liste de tous les extraits évoquant l’accident de personne tel que je le connais,

    Matriochka (cliquer)

    Au cours d’une phase dépressive, elle avait même expliqué la supérieure efficacité de la locomotive lancée à toute allure comme auxiliaire du suicide. « Tu avales des médicaments, on te lave l’estomac ! Tu te jettes à l’eau, on te repêche comme une carpe ! Mais si tu embrasses le nez du TGV, tu seras aussi dispersé que les ossements d’Osiris ! »

    Lucien Suel, La patience de Mauricette, Folio, p. 55.

    ai appris à l’aimer. « Notons que les passagers d’un train ne sont pas solidaires du train », dit le manuel. Ensuite évoque le cas des brosses TELOC.

  • 301011

    30 octobre 2011

    31

    J’ai pris la liberté de poser mon vendredi afin que H. et moi puissions dignement fêter ses vingt-neuf ans et dignement nous l’avons fait. On oscillle entre 59 et 65% d’humidité indoors. Je n’oublie pas de signer au dos du chèque.

    Je passe une partie du samedi (matin) et une autre de ce dimanche (après-midi) à commencer, continuer, boucler le vase communicant du vendredi à venir, le 4, échange prévu avec Q., un autre. Nous posons une option sur un autre lapin. Je relis puis revois Le trésor de Rakham le rouge. Soupir a peur de tout.

    Nous étions à Versailles vendredi et pour gagner Versailles traverser d’autres voies, autres lignes, et autres versants verts de la banlieue de banlieue. Nous allons dans Versailles, face au château prenons à droite, des dizaines et des dizaines de cars y stationnent, direction le bassin de Neptune, il y a des toilettes amovibles à l’arrière.

    Avant d’accéder au restaurant dans lequel j’ai réversé bien un mois à l’avance nous devons au préalable traverser le hall du palace quatre étoiles dans lequel on l’a foutu. Il y a des chèvres et des moutons, vivants, derrière la vitre. H. dit au serveur : il y a une mouche dans mon verre.

    Pour traverser Paris et rejoindre Sushi Gozen prenons d’abord la A pour la 4 à Châtelet, la 4 étant fermée on se jette sur la B qui nous crâche Port Royal, de là : marcher un brin (ça crache). De retour de Tintin et le secret de la Licorne en 3D, j’ai gardé les lunettes. On dit niet le menu car on sait ce qu’on veut mordre.

    Je n’ai pas pris en photo les plats avant qu’ils soient mâchés pour les foutre en diapo live sur Twitter. On ressort par le bassin de Neptune, plus loin le reste des jardins de Versailles. On ne met pas les pieds à l’intérieur du château. Le bassin d’Encelade est grille fermée. La 3G dans les jardins et dans les labyrinthes est excellente.

    Tintin est devenu Tine-Tine, Milou Snowy, les Dupont/d des Thomson. Où sont les frères Loiseau ? On s’en fout, c’est génial. Une gamine pleure. Les lunettes 3D coûtent un euro par paire. La salle est minuscule et on suffoque. Ceux qui sortent déçus disent en se pinçant les branches que ça leur nique les yeux. La 3D ne sert à rien. On s’en fout, c’est génial. On part prendre le A.

    Automne oblige, les arbres roux. On s’enfonce au milieu des statues, leurs yeux tournent. J’ai lu Rimbaud sur un écran de poche. « Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. » Je suis main dans la main avec 40% de ma vie et je l’aime. Je lui dis plusieurs fois son bon anniversaire. Il y a des voitures de golf.

    Le train B est immobilisé en gare pendant près de dix minutes. Une femme en anglais nous demande où elle est, son arrêt derrière elle, il n’y aura plus de train de toute la nuit en sens inverse. Je termine La patience de Mauricette et tiens déjà prêt, pour lendemain matin, prochain Philip K. Dick à lire.

    Le Capitaine Haddock en robe se fait poursuivre. Milou ressemble à Nesko. Un type dans le train nous hurle sa version d’Aimer à perdre la raison contre nos dons et ne récolte rien. Je paye l’impôt local à coup de RIB ancré dans la mémoire de la machine. Cette femme qui parle anglais disparaît sur le quai dans la brume et les nuits.

  • 161211

    16 décembre 2011

    Tetsuo (Akira)

    Les brins de pisse des clebs, gelés, scintillent au sol. Joachim souffle. Un arbre est tombé sur la voie. Une tête patiente, pénible au quai, depuis 7h14. Je fais un mail au pouce pour prévenir de mon retard. Je croise un crabe en survet rose. Ses gants sont des tongs.

    J’ai vu hier, sans voir, car zappé, le Ce soir ou jamais daté du 13, dont le débat autour des liseuses numériques avait si peu d’intérêt. Mais je m’amuse d’encore entendre cet argument selon lequel on ne pourrait pas lire correctement en cédant à l’impulsion du zapping. Mais je lis en zappant. En mains le poche d’Hélipolis pendant que crache, entre écouteur L, écouteur R, le Man Machine, approprié, de Kraftwerk ; puis de Jünger à Gordon Lish en passant du papier à l’E-ink de la superbe Cybook Odyssey que m’a offert H. mercredi, et terminer le voyage au cœur de Joachim, train étanche, vitre opaque, en zappant, iPhone sous l’pouce, des Sin-Dni de Laurent Margantin à ce Christophe Tarkos, que m’envoie, bouée dans ma timeline, tout spécialement Lucien Suel. Dans mon présent je lis comme ça ; j’adore. Et je ne parle même pas de Dante entre deux fenêtres Excel ouvertes au taf ; pendant que je construis, à la main, des statistiques qui dans d’autres boites seraient directement extraites par l’IA sans nul besoin de moi, Dante se fait gommer, au front, des P sur les pentes raides du fameux Purgatoire.

    Mais je me retourne. Je le vois dans la rue qui fantôme. L’impression est la même que celle qui tire les coins d’yeux lorsque, dans un film, la petite musique d’ambiance composée pour l’occasion est recouverte puis doublée par une autre, sous des rythmes et des temps dissonants par rapport. L’impression est aussi celle qui fait virer la tête, en soirée, lorsque sous le son des gueules qui causent par brouhaha interposé on reconnaît, extatique, l’air d’une chanson aimée et dont on a l’impression qu’on est bien, élu, seul ici à l’entendre. Ce mec est une image qui me vient de ma tête, double de moi issu de la veille, de l’avant-veille, et qui me dit, avant d’avoir vingt-ans, que jamais lui ne deviendra adulte. Ensuite, me crache dessus, me traite de sale con pour, moi, futur puisque présent, avoir failli à accomplir son rêve. Il se barre en courant. J’aimerais m’allonger là, offert, sur la carrosserie des bagnoles à l’arrêt. J’ai une bouteille, 2009, de Château Limouzin dans ma manche. Mon père, moi gamin, me disait : fais exprès de ne pas le faire. Mon double, en fuite, est toujours là devant moi qui se débat pour se battre, disparaître, en vain. Je lui dirais viens, viens plus prêt que j’puisse te boire. Et je n’ai jamais léché quiconque, sa peau, qui aurait tout contre elle, lui, l’odeur amère de la clope et fumée.

    Souvent, dans ce journal, j’accorde plus d’importance à ce qui, réel, ne s’est jamais produit qu’à ces erreurs du jour, bien fausses, que j’aurais soit disant vécues. J’en fais un leitmotiv.

    Très tôt je me suis senti inapte à ressentir un quelconque enthousiasme : incapable de croire en quoi que ce soit, ou pratiquement ; déçu par avance de la politique ; incrédule face à une culture de jeunes alors que j’étais jeune ; spectateur oisif de la course collective à l’argent et au dénommé succès matériel ; réticent aux vertus de la conduite charitable ou du dépassement de soi ; étranger aux bénéfices de la procréation et aux possibilité de continuité biologique ; étranger également à l’idée d’être dépendant du sport ou d’une quelconque variante du spectacle ; incapable de m’enthousiasmer pour quelque vocation professionnelle ou scientifique irréalisable ; inapte aux arts ou à l’artisanat ; et au travail physique ou manuel ; et à l’intellectuel ; inutile, en résumé, pour le travail en général ; incapable de rêver ; incrédule devant toute option religieuse mais désireux de tenter la première expérience qui s’offrait ; trop timide ou incompétent pour une vie sexuelle enthousiaste ; enfin, dépourvu de toutes ces choses, il ne me resta d’autre solution que de marcher, ce qui permet, mieux que tout, d’avoir l’esprit vide et disponible.

    Sergio Chejfec, Mes deux mondes, Passage du Nord-Ouest, traduction de Claude Murcia, P.55-56.

  • 010112

    1er janvier 2012

    Je commence l’année plus ou moins comme la précédente. Je fous au four une pizza, surgelée, taille individuelle, mais pour deux, car trop mangé la veille, ce matin dormi tard, et sors dans son assiette bloc de foie gras médiocre offert comme prime par le taf avant Noël. Je termine sans trop voir le prochain vase communicant prévu chez Candice Nguyen, j’aurais pas cru arriver là, d’ailleurs saurais-je où j’en suis ? Je fais du vide dans mes douze disques durs. Je m’achète, en ligne et pour 224€, deux pairs de pompes et déconnecte. Je sais plus trop quoi lire. Et me rends compte, mais un peu tard, que les vers justifiés de Lucien Suel ne sont pas justifiés arbitrairement par la machine mais contiennent bien pour chaque ligne le même nombre de signes. Je devrais donc reprendre tout ce qui (mais si peu) a déjà été gribouillé pour préparer vies // et, curieusement, cette perspective, laborieuse, me remplit de quelque chose comme de la joie.

    C’est arrivé. Cela durera-t-il ? -
    Mon esprit est un rocher,
    Je n’ai plus de doigts pour rien saisir, plus de langue
    Et mon dieu est ce poumon d’acier
     
    Qui m’aime et le vide et fait le plein
     
    Sylvia Plath, Paralytique in Œuvres, Quarto Gallimard, traduit par Valérie Rouzeau, P. 349

    VO

    It happens. Will it go on ? ----
    My mind a rock,
    No fingers to grip, no tongue,
    My god the iron lung
     
    That loves me, pumps
  • 290212

    29 février 2012

    sur la cuisse
    gauche la
    seringue prête et
    sur la droite le
    téléphone
    portable
     
    Philippe Rahmy, SMS de la cloison, Publie.net

    On existe, puisque c’est bissextile. Idem hier. Idem la veille d’hier. J’ai pas eu le temps reprendre aux doigts le clavier blanc pour rendre compte.

    A Brest ce lundi pour rencontrer, enfin, les élèves du Lycée de l’Iroise qui travaillent depuis quelques mois maintenant sur mon (sic) Livre des peurs primaires. Avant d’y monter arpenté Brest, halte aux Opticiens mutualistes pour faire fixer (un bis de peur primaire 228) la vis de l’oeil avant l’heure H. Tout le matin durant pétoches. Avec H. passons vite chez Dialogues. Vu Le marasme chaussé de Ivar Ch’Vavar, pas acheté (mais regrets). Aucune trace de Werner Kofler ici non plus. Idem Blanche étincelle de Lucien Suel.

    La rencontre c’est pas moi qui rend compte mais c’est eux, via Twitter, hashtag #vissac. Suis arrivé 13h37. Un quart d’heure après c’en était 16.

    #vissac Rencontre imminente...
    13:34
     
    #vissac Arrivée de @gvissac !
    13:39
     
    #vissac "Impressionné par votre travail."
    13:42
     
    #vissac Lecture de fragments du Livre des peurs primaires
    13:44
     
    #vissac "Avant l’envie d’écrire, une envie de lire."
    13:50
     
    #vissac A l’iroise, @gvissac lit des extraits du Livre des peurs primaires aux lycéens d@ivoix... pic.twitter.com/T25cKP60
    13:51
     
    #vissac "On vit dans une société violente, entourée d’écrans."
    13:52
     
    13:53
     
    #vissac "Consigner ses angoisses quelque part."
    13:54
     
    A Brest, @gvissac répond aux questions des lycéens d’@ivoix http://pic.twitter.com/xG48rvXc
    13:54
     
    #vissac "Nouvelles technologies : elles sont citées car très présentes dans notre quotidien."
    13:56
     
    #vissac "La douleur caractérise en partie l’homme."
    13:58
     
    #vissac "Sensations décrites = réelles à un moment donné. Elles sont entourées de fiction, dans un univers fantastique."
    14:00
     
    #vissac "Écrire, c’est un exorcisme."
    14:02
     
    #vissac "Livre numérique ou pas, pas vraiment d’importance"
    14:03
     
    #vissac "Tout ce que je lis ne m’influence pas de la même façon. Dans l’inspiration, la lecture a la place la plus importante."
    14:06
     
    #vissac "Chacun a sa conception de la poésie."
    14:07
     
    #vissac "Je n’ai pas écrit le Livre des peurs primaires en me disant que c’était de la poésie. Je m’intéresse davantage aux nouveautés."
    14:08
     
    #vissac "Mes études en lettres modernes ont eu pour but de me forger une culture littéraire, pas d’apprendre à écrire."
    14:10
     
    En direct sur Twitter la rencontre reelle entre les lycéens blogueurs @ivoix et l’auteur numerique @gvissac #vissac http://pic.twitter.com/g1qjfuxJ
    14:12
     
    #vissac "Le Livre des peurs primaires : pour moi, pas un livre mais un truc."
    14:13
     
    #vissac "Mes fragments reflètent mes angoisses paranoïaques."
    14:17
     
    #vissac "Les accidents de personnes empêchent les gens d’arriver à l’heure au boulot (de leur point de vue)." La mort en direct sur Twitter.
    14:20
     
    #vissac "L’intérêt du texte : il ne finit jamais."
    14:23
     
    #vissac "Les peurs primaires : écrire au quotidien la vie réelle."
    14:25
     
    #vissac "Le Livre des peurs primaires, journal de ce que je n’ai jamais vécu."
    14:26
     
    #vissac "J’aime bien écrire comme je parle. J’ai pu le faire car le Livre des peurs primaires n’est pas un livre."
    14:27
     
    #vissac "Il y a 2 ordres : de 1 à 230, ordre d’écriture, et aussi dans l’ordre indiqué par les liens, qui crée un fil conducteur."
    14:30
     
    #vissac "J’aime beaucoup l’anglais."
    14:31
     
    #vissac "Twitter : moyen intéressant de repenser son laboratoire. L’intérêt de Twitter : nous sommes tous lecteur-auteur par l’interaction."
    14:35
     
    #vissac "Twitter : génial en terme de relations humaines, on peut se tutoyer."
    14:36
     
    #vissac "Le processus numérique est bien plus simple."
    14:44
     
    #vissac Pourquoi 2 saisons ? = Premier jet de 100 fragments (saison 1), deuxième de 130 (saison 2). Rupture entre les 2 saisons.
    14:45
     
    #vissac "Période de transition entre le papier et le numérique."
    14:48
     
    #vissac "L’avantage du papier sur le numérique, c’est la sacralisation de l’auteur papier, beaucoup plus respecté que l’auteur numérique."
    14:51
     
    #vissac "Pour une question d’ego, j’aimerais être publié au format papier."
    14:52
     
    #vissac "J’ai toujours aimé prendre le train. Il est très présent dans le Livre des peurs primaires car très présent dans mon quotidien."
    14:54
     
    #vissac "Fragment 0 du Livre des peurs primaires : plonger le lecteur dans l’inconnu."
    14:55
     
    #vissac "L’élève distrait que j’ai été propose au lecteur de lire dans l’ordre qui lui plaît."
    14:56
     
    #vissac "Ce que j’aime lire et écrire, c’est un texte dans lequel il faut se faufiler, un texte bordélique."
    14:59
     
    #vissac "Certains fragments expriment la crainte légitime que le texte ne soit jamais accepté, qu’il tombe dans l’oubli."
    15:01
     
    #vissac "Fragment 75 : Peur de ne plus avoir peur, de ne plus être atteint de paranoïa."
    15:02
     
    #vissac "Écrire pour exister."
    15:03
     
    #vissac "Peur de l’ordinaire, du banal."
    15:04
     
    #vissac "Écriture du recueil : de début 2009 à début 2011."
    15:06
     
    #vissac "Je me focalise sur moi, les autres sont des ombres alentour."
    15:08
     
    #vissac "Avoir un travail qui laisse du temps pour écrire."
    15:09
     
    #vissac "Phrases saccadées dues à la prise de notes. Je suis adepte de la correction par diminution du texte."
    15:11
     
    #vissac "En écrivant, je n’ai pas vraiment pensé au lecteur."
    15:12
     
    #vissac "J’aime les défis."
    15:13
     
    #vissac "Lorsque j’ai écrit mon texte, c’est au lecteur de le faire vivre ensuite."
    15:14
     
    #vissac "Il m’est arrivé de rêver ce que j’écris. En ce moment, je twitte mes rêves en 140 caractères."
    15:16
     
    #vissac "Ma peur primaire, c’est d’être inconsistant, inexistant."
    15:17
     
    #vissac Fin de l’interrogatoire. Et maintenant... les dédicaces.
    15:18
     
    Séance de dédicace :@gvissac @ivoix #vissac http://pic.twitter.com/Ncq4UYal
    15:22
     
    #vissac "J’aurais aimé participer au projet i-voix." => Merci @gvissac !
    16:13
     
    Scoop @ivoix : @gvissac écrit aussi a la main ! #vissac http://pic.twitter.com/S9LcSSs7
    18:57

    Après l’échange je signe, via stylos bleus, verts, roses, et des fois noirs du papier. Aurais pu, tout aussi bien, dédicacer sur téléphones de poche, au cutter sur l’écran, des charabias indélébiles. Juste avant retrouver H., plus tard, place de la Liberté, je remonte, au pouce, le fil twitter #vissac pour vérifier, peu sûr, que j’ai pas dit de conneries, ou pas trop.

    Hier mardi, Morlaix, le collège du Château. Le public est différent, classe de troisième, c’est une heure. Plus difficile de leur extirper quelques mots mais j’écoute intrigué leurs propres travaux d’écriture autour des Peurs, les miennes. A cause ou grâce à moi on parle gore de onze à douze. L’un deux demande : « vous vous êtes déjà demandé si vous étiez pas fou ? ». J’embraye, par hasard grave, sur les SMS de la cloison de Philippe Rahmy, relus le matin même, et le silence sur les visages quand je leur dis ben ouais un SMS ça peut être poésie. L’une des élèves dans le blanc de sa marge me croque au bic pendant que je sors mes trucs.

    A Carantec l’aprem
    j’prends des photos
    d’la mer comme
    celle-ci là.
     

    Dans le sable compter : six donjons, une douve, un message en grandes lettres bâtons, quatre pattes et deux paires de pompes nôtres, un crabe (mort), un babet (vivant), un bâton à jeter pour Nesko qui rapporte, quelques autres grains de vie et des algues en extase. Le soleil se pointe. Demain repartir, c’est-à-dire aujourd’hui 29, puisque nous existons, puisque c’est bissextile.

  • 080612

    8 juin 2012

    Je suis un lapin de garenne à l’abri dans son terrier, enveloppé dans sa fourrure d’hiver. À la surface, il pleut, il neige, il gèle, les chasseurs patrouillent, les germes pathogènes cherchent un hôte, les radiations brûlent. Je survis dans mon abri anti-atomique. De temps en temps, je lance un coup d’œil dans le périscope de la fenêtre. Pas un être humain, rien que les gifles du vent dans les flaques d’eau et, parfois, un véhicule fantomatique aux yeux jaunes surgissant du mur liquide.

    Lucien Suel, Blanche étincelle, Éditions de la table ronde

    Confie toute ma migraine à Kitano. A Scene at the Sea. Besoin d’un film comme celui-là : quasiment sans parole. Colle bien avec l’Ulysse du jour, sein blanc de la mer vague. Et quand il sort de l’eau, au début, son t-shirt est même sec. Comme ça que l’on émerge d’outrepart nous autres ? Indemnes ?

  • 100612

    10 juin 2012

    Le chat noir saute sur mes genoux.
    Il pourrait planter des électrodes griffes dans la peau de mon crâne. Secouer la matière grise en débusquant les souvenirs, interprétation des rêves. Des pages et des pages dans le cahier sans interligne mais un bloc de prose avec touslesmotscollésdanslatêtecommeunepâteàcrêpeàlafarinecomplète.

    Lucien Suel, Blanche étincelle, Éditions de la table ronde

    A voté sans les yeux ni savoir quel est le nom, la tête, du candidat, la candidate, plaqué(e) sur le bulletin soumis, les affiches déchirées sur les panneaux en fer tout du long place de l’église. Si un lecteur futur (très futur, suffisamment pour avoir connaissance de notre avenir à court ou moyen terme, soit son passé, et notamment un quelconque événement politique ou apocalyptique ou pré ou post insurrectionnel à venir) posait les yeux, quiconque seul sait pourquoi, sur ces quelques micro lignes, il aurait sans doute le droit de dire (de dire même et penser !) que je suis un connard, parfait symbole de mon époque, l’actuelle (et il aurait raison).

    Je fais défiler sans succès les albums inconnus, les playlists. Pour écrire vies // j’en reviens toujours à Chapelier fou (plutôt les quatre premiers albums), c’est comme ça. Souvenir que pour écrire Coup de tête, c’était la BO de l’US Solaris. Durant les traductions d’Amy Hempel : quelques Bach joués au lute ou bien à la guitare. C’est comme ça.

  • 220612

    22 juin 2012

    Je vous salue, trains lourds de métal hurlant, caténaires dépeçant la nuit.
    Je vous salue, mignons animaux juteux sur le pare-brise gluant des camions.
    Je vous salue, terrines de porc cuit. Je vous salue, terriens patibulaires.

    Lucien Suel, Théorie des orages, Publie.net

    Comment vider la tête, et avec quoi et quand ? Pas un jour cette semaine sans qu’elle cogne. Levé matin 5h pour avaler ma drogue (un D, un F) puis recouché. Ensuite mieux. Je m’occuperai de ça en même temps que tout le reste : après déménagement Paris (mais le bail repoussé). D’ici là compiler les données brutes du journal des activités migraineuses. En faire des tableaux, graphiques, que la courbe s’agite (car je sais), laisser le doc tout voir, comme au bureau, pareil.

    Chez Benetton, ils foutent les antivols à l’intérieur des chapeaux. Comment les essayer ? Alors, j’ai une tête S.

    Allemagne – Grèce. T’es pour qui ? Pour la rigueur. L’austérité.

    Lu Théorie des orages et Poussière. J’ai été Robert Smith. Le journal de Bayerisch Gmain. Nouvelles de Sherlock Holmes. Des trucs courts. Demain partir pour St-Malo (week-end).

  • 070712

    7 juillet 2012

    C’est dans le ruisseau que les matières
    s’écoulaient, consacrées par une novice
    qui avait fait voeu de chasteté sincère
    mais temporaire. Au long de la nuit, le
    vacarme héroïque des torturés rugissant
    dans leur retraite s’ajoutait à la rude
    déclamation des mendiants mystérieux de
    l’enfer alcoolique. Une bouteille tomba
    de la poche du kangourou ventriloque au
    regard fixe. Le liquide tiède s’écoula,
    absorbé par le sable rouge du désert et
    les forficules assoiffés. J’oserai vous
    parler de moi longuement. C’est fictif.

    Lucien Suel, Le lapin mystique

    Déchetter, c’est un verbe ? Une fois déménagement torché aurons sans doute plus jeté que gardé. Tant mieux. Arrivé devant la borne d’accès le truc pèse la voiture, pleine. Pesée bis, au sortir, vide sauf nous, devant la deuxième borne. La différence entre les deux poids mesurés correspond aux kilos balancés dans les containers. Pourquoi ne pas adapter ce système à la restauration ? Pesé en arrivant, en sortant, puis être facturé au gramme de différence ?

    Si je retourne vers Le lapin mystique, c’est purement par hasard. Relis noir plusieurs fois l’incipit, Mulholland Drive pas loin. Avec H. possédons deux DVD du film, j’ignore pourquoi. Mais vies // m’insatisfait. 474 mots maladroitement posés (samedi souvent m’insatisfait). Alors relire tout Le lapin mystique pour me donner, qui sait, les clés pour mieux écrire vers justifiés.

  • 200912

    20 septembre 2012

    Dans le même temps, je suivais des yeux
    la lente reptation d’un escargot sur la
    boue qui recouvrait ma jambe droite. Le
    gastéropode avait dû subir les caprices
    puérils d’un adepte des marques, hideux
    sad
    ucéen, qui lui avait méthodiquement,
    abominablement et soigneusement écaillé
    la coquille. L’amas de ses viscères nus
    le suivait tout tremblotant. L’humidité
    baveuse se confondait avec la croûte de
    terre et de sang qui se craquelait tout
    doucement sur mon genou dénudé. Du fond
    de mes canaux intimes, mon oeil interne
    remonta enfin. Je retrouvais une vision
    simple. Mis à part l’escargot suintant,
    j’étais seul dans le paysage stuporeux.

    Lucien Suel, Le lapin mystique (5)

    Besoin de faire une pause dans le journal, le rythme est trop fort, tous les jours depuis des jours c’est tendu. Moins j’en écris moins j’ai l’impression de vivre mais c’est faux : car en fait plus j’écris plus la tête elle se conditionne pour écrire alors à la fin, entre les retards de mise en ligne et l’emploi du temps général je me retrouve à écrire trois jours en même temps et puis je dispatche les paragraphes plutôt hier ou plutôt demain, mais quand on fait ça est-ce qu’on est quand même au plus juste ?

    Ce matin levé tôt pour reprendre le XB1 réécrit dimanche, continué hier soir, je parle de ce truc ///, et même si c’est pas encore ça je m’étonne d’être allé sur ces terres, j’aurais pas cru. Ce qui me gêne le plus c’est de perdre un peu le fil dans le profil psychologique du héros, j’ai peur d’aller trop loin dans la caricature, enfin non, mais de forcer le trait ou bien de n’être plus trop raccord avec ce que j’ai posé y a des mois. Le reste est plutôt encourageant même si je suis pas exactement là où je croyais être, mais c’était ça l’envie quand j’ai commencé à écrire vers justifiés : que ça me force à sortir une autre voix de moi-même et que ça m’entraîne vers ailleurs. Relu quelques lignes du Lapin mystique pour base canonique, mais surtout par pur plaisir je dois dire. Ma seule crainte c’est d’être trop inintelligible, mais ça, qu’est-ce que tu veux, je crois que j’aurais toujours peur de ça, crois que je serai toujours un peu dans la brume ou alors que ce sera trop rêche ou trop sec ou trop haché. D’écriture au tu ça me pousse dans des constructions opaques sinon on tombe très vite dans le catalogue d’actions mais faut que j’arrive à ménager un équilibre. Puis c’est tout au présent alors ces constructions ou les monologues intérieurs ça amène de la profondeur. L’XB1 est particulièrement long, aurais largement le temps de revenir dessus, en note mentale ou transcrite dans le journal, on verra ; car je peux pas faire de pause, si j’en fais tous ces trucs vont fuiter de mon crâne vide en moins de deux, personne les écrira jamais à ma place, la voilà la raison.

  • 250912

    25 septembre 2012

    Je sais où je vais. Le frémissement des
    herbes dans le courant traversé par les
    nuages se mêle au bruit de mes pas dans
    la nuit fraîche et humide. Je me dirige
    vers le vacarme du trafic. Au loin, les
    phares des poids lourds mitraillent les
    haies. Je sais où je vais mais je pense
    aussi à Laure qui dort là-bas, au lapin
    froid dans son linceul blanc et violet.

    Lucien Suel, Le lapin mystique (14)

    Reviens souvent sur Le lapin mystique, pas forcément dans l’ordre et pas forcément pour me guider dans l’écriture de /// mais aussi et surtout par plaisir. Pour ça que j’ai demandé hier, via Twitter, à l’auteur, Lucien Suel, l’éditeur, François Bon, et le serial codeur, Gwen Catala, ce qu’ils pensaient chacun d’une reprise de ce texte au catalogue Publie.

    Pas étonné que ce soit compliqué, et me semblait bien que les vers justifiés, ou orthogradécimaux, non, aritmogrammatiques, étaient pas solubles dans le format epub, à présent le format standard d’un texte numérique. Par essence, l’epub est conçu pour permettre un affichage qui s’adapte automatiquement (« reflowable ») à la taille de l’écran de n’importe quel outil de lecture du moment (liseuse, tablette, téléphone, tatouage électroluminescent), d’où la difficulté de gérer les pages fixes et les contraintes typographiques propres à la poésie régulière (on est aussi censé pouvoir changer librement la police et la taille de la police, alors, avec des vers justifiés, forcément, ça coince). Suis d’accord avec François quand il me dit que de nouvelles formes restent à inventer, des formes propulsées et expérimentées sur et par le web, et que c’est à nous de les faire jaillir, de les sculpter, ces formes, mais vois pas pourquoi, pour autant, on devrait se priver d’écrire via d’autres systèmes, d’autres contraintes, sous prétexte que la standardisation de la machine les digère pas. Qu’on soit clair : ça me gêne pas de lire Le lapin mystique directement sur le site de Lucien Suel et ça me conviendra aussi, je veux dire moi personnellement lecteur, de le relire, demain, via PDF librement téléchargeable au même endroit ; je pense juste à la diffusion. Et puis, tout simplement, ce texte, il mérite d’être lu, voilà 1. Crois pas que ce soit une discussion stérile. Suis sûr que ce sera possible, à terme, en numérique, aussi, de faire une place à ces textes, ceux qui exigent un traitement éditorial particulier. L’espère.

    J’ai réagi là-dessus spontanément en tant que lecteur ; évidemment que dans un coin de ma tête je pense à mon ///. Jamais eu dans l’idée de l’envoyer à Publie ceci dit. Inadaptable. D’ailleurs, pour être tout à fait honnête avec toi, j’ai jamais eu dans l’idée d’arriver au bout du bout de ce truc. Je veux dire faut être sérieux. D’accord je me dis des fois qu’un jour j’y arriverai sauf qu’en réalité je pourrais jamais le boucler ce truc. C’est trop dur, même et surtout pour moi. Faut voir à moyen terme. L’ai déjà dit je crois : aimerais mettre en ligne une version bêta sur un site web directement. Pas un PDF, pas un epub, pas une livre-application, juste un site web : tentaculaire d’accord mais web, c’est tout. Alors, même dans mes rêves les plus fous, en partant du principe que ce soit possible de le finir, à 100% finir, ce truc, ce sera juste un site web de plus perdu entre des milliards d’autres. Car on lit pas sur web, ou en tout cas pas comme ça 2 alors la question de la diffusion c’est compliqué. Peut-être pour ça qu’en repensant à /// et de ce que je m’apprête à écrire là, maintenant, demain, hier, le très concret du coup, j’en ai presque la nausée, peut-être que c’est dû à cette histoire autour du Lapin mystique, peut-être que c’est dû à la tête, enfin peu importe. J’essaye de réfléchir à voix haute. Certitude : renoncerai pas aux vers justifiés parce que 1) c’est le cœur du truc et 2) j’en ai besoin pour écrire depuis d’autres voix que la mienne. C’est une priorité. Et bien sûr que c’est important d’être lu. Mais pas autant que de déballer ce qui doit être déballé. Tant pis si c’est interminable. Tant pis si c’est pas diffusable. Tant pis si on peut pas le monétiser. Tant pis pour ça. Je suis près à faire mon deuil de ça. Et c’est pareil pour Ulysse. L’important, c’est juste de le faire. Le faire, je pense qu’à ça. Parce que c’est ça qui me fait pulser et c’est à ça que je rêve paupières ouvertes, clavier mental, cobalt partout. C’est tout.

  • 261012

    26 octobre 2012

    elle vous disait
    la vie est à vivre sans la savoir
                            je vais faire un tour
     

    Quelqu’un m’appelle Tahar et je suis qui, moi, moi seul sous mon épine dorsal, pour oser contester ce que ce quelqu’un sait ?

    Twitter m’apprend, semble-t-il, la mort de quelqu’un, et je remonte le fil via les billets, les mots très beaux de Joachim Séné, Anne Savelli, Pierre Ménard, Christine Jeanney, Christophe Grossi, j’en oublie, et il se trouve que je n’ai pas, pas encore, à l’heure où je me vois écrire ces lignes, lu l’Abyssal cabaret, de Maryse Hache donc, et que de Maryse Hache je sais surtout les vers justifiés du Semenoir et l’ombre du chat roux planant sur et que, quelques fois, bien souvent, nous avions simultanément partagé sans nous connaître les mêmes lectures et notamment des trucs de Lucien Suel et que nous en parlions, fort brièvement, via Twitter, donc, et qu’aujourd’hui seulement je créé un tag à son nom ici-même, dans Fuir, et que c’est bien dérisoire.

    Quelqu’un lit, finalement, l’Abyssal cabaret, quelque part dans la nuit, pour la douce première fois.

  • 201212

    20 décembre 2012

    Quelle heure est-elle cette heure où la nuit tombe ? (le ciel froissé par des ailles noires et ça croasse, demain c’est le solstice) La fin du monde annoncée pour demain prévoit son lot de divinités appelées, paraît-il, à descendre sur terre pour opérer sur le temps un grand reboot total. Je me demande, aussi, quelles têtes auront cesdites divinités (je pense qu’elles sont déjà autour de nous, elles ont des yeux, elles zyeutent, elles naviguent entre nous et nous ignorons tout d’elles).

    Lucien Suel me signale via Twitter l’inopérabilité des blocs dépliables sur la rubrique Ulysse depuis (suppose) la migration Spip 3. Faudra rouvrir le capot gris du code et puis tenter comprendre (je comprends pas). Chez moi sous Firefox ça marche. Sous Firefox, Safari, Chrome, Opéra et mes yeux ça fonctionne. Alors quoi ?

    Dans les petites pupilles, les hublots blancs d’immeuble, en face je vois les humains être (c’est une cité de verre), par transparence ils sont. Si tout est piratable, nous pourrions facilement activer à l’insu de quiconque l’œil pixel de leur cam et puis le cristallin bionique de chaque pour savoir ce qu’ils sont, ce qu’ils voient, ce qu’ils pensent, voire mastiquent, avalent, ce qu’ils ressentent aussi, ce qu’ils écrivent à l’encre délébile sur leurs poignets tordus à force de faire craquer leurs articulations : des pense-bête qui rappellent : dire à quelqu’un je t’aime avant la fin du monde.

  • 231212

    23 décembre 2012

    J’ai noté une heure huit

    la douleur n’apprend rien, rien, le refuge qu’elle offrait vient de s’effondrer ; lorsque les cris cessent et que la bouche dévastée, puante d’entrailles, se vide à longs traits, j’entends hurler la voix que j’appelle mon âme ; telle est mon âme, un déchet organique qui cherche à me fuir, la voici ; contre ce que je pense, contre qui je suis, ces aveux disent la rupture, traînent l’esprit comme une dépouille dans le désintérêt de l’autre, jusque dans l’oubli de la solitude même

    Philippe Rahmy, Demeure le corps, Chant d’exécration, Cheyne, P.13-14

    à une heure vingt-et-un

    je ne tiens pour vrai que ce qui me mutile

    Ibid., p. 35

    et à une heure trente-deux

    il est trois heures, je respire doucement des échardes et de l’air ; je ne dis rien ; je lance une pierre ; le silence me rassure, il fait écho à la mort ; la chambre se tient dans la tiédeur

    Ibid., p. 51

    mais c’est faux. J’ai rien noté c’est faux. J’ai pris la cam enfin l’iPhone je l’ai pris et j’ai pris en photo ces phrases là pour mémoire. Ensuite je me suis endormi.

    Je twitte à Lucien Suel : c’est vrai, les blocs dépliables sous Windows et Firefox ne déplient rien depuis la migration Spip trois. Ce n’est pas le cas avec le nouveau site Ulysse, encore en cours de conception, alors ne chercherai pas plus à corriger la rubrique actuelle (elle n’en a plus que pour quelques semaines toute façon).

    J’écris l’Ulysse du jour (481-490) dans le canapé cuir, sans bouger ni d’ici là ni de mon Glass piano en arrière fond (évidemment les Metamorphosis).

    J’hésite à signaler à qui que ce soit ma présence ici-même (je me dis c’est à eux oui à eux de deviner où je suis (à moins que je ne sache rien faire d’autre que rien aujourd’hui)).

  • 220113

    22 janvier 2013

    Beau pas savoir où vais-je avec ce truc Mueller, qued visibilité sur ce qui sera dit dans les prochains jours, c’est stimulant lire ce que Lucien Suel, Antoine Bréa brièvement disent.

    Tolkien, façon de dire la mort : « Voici mon fils, transpercé d’une flèche. À présent, il est au-delà de la parole. »

    Mueller (114 mots) :

    Mueller ouvre les yeux : il sait les langues qui
    sont dites en surface dans la ville. Se souvient
    des paroles de ce corps nommé Föl quelques lunes
    en amont. À la question quelle langue parle-t-on
    dans cette ville ? Föl avait répondu à Mueller :
    des millions... Iav ouvre les yeux, il les voit.

    Il ouvre les yeux : entre le mjek & une saure il
    est question d’une caravane errante sur la route
    de l’Asoua, des lépreux diurnes qui se déplacent
    la nuit & dont la peau & les membres s’effritent
    sous la lumière du jour. Le mot caravane, dit en
    saure, se dit oloélan, lèvres fermées, la langue
    ronde. L’Asoua, c’est quelque part très au nord.

  • 180213

    18 février 2013

    Je sais qu’elle aime donner un rapide précis de chacun de ses invités. Je me souviens qu’une fois elle m’a placé devant un truculent gentleman, rougissant de gêne, tout couvert d’ordres et de rubans, et qu’elle m’a soufflé à l’oreille d’un ton tragique et parfaitement audible de toute la pièce, quelque chose comme « Sir Humpty Dumpty — vous savez — la frontière afghane — des intrigues avec les russes : un homme qui a réussi — sa femme tuée par un éléphant — complètement inconsolable — a voulu épouser une belle veuve américaine — tout le monde le fait de nos jours — déteste Mr Gladstone — mais très intéressé par les scarabées — demandez-lui ce qu‘il pense de Schouvaloff ». Je me suis enfui.

    Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray, Publie.net, traduction Christine Jeanney

    Y aurait deux catégories de personnes : ceux qui nomment à voix haute ceux et celles dont ils parlent et ceux qui ne nomment pas, se sentent toujours obligés d’expliciter, à dire mon frère, ma soeur, mon collègue, mon boss, et je ne sais pas pourquoi mais je me suis toujours senti très envieux des premiers.

    Onzième jour que l’oeil gauche rebondit et non-stop. Est-ce que j’ai fait quelque chose pour que ça s’arrête ? Non. Est-ce que j’envisage de le faire ? Non plus. Est-ce que je vais m’abstenir d’en rendre compte ici et de râler par écrit dans le journal ouvert ? Bien sûr que non.

    Donc commencé Le portrait. Ne l’avais jamais lu. Profite ici de la nouvelle traduction de Christine pour Publie. Je suis d’accord avec le mot écrit par Danielle Carlès ici-même : relief.

    Le soir, Tout le monde dit I love you. L’ai déjà vu le 12 septembre 2009, et si je connais la date c’est que je vais chercher, dans le journal des choses factuelles, le jour précis, après quoi je remonte lentement le fil des jours et je bois quelques années plus tard mes propres notes, dont une, savoureuse, le 21 novembre 09 : Décision : découvrir Lucien Suel.

    Mueller (521 mots) :

    Une voix derrière le verre liquide d’Imke Leal.
    Elle dit : - Tu portes les couleurs d’un soldat
    de la garde & tu as un sabre de la garde & il y
    a dans l’eau visqueuse de tes yeux un homme qui
    est mort de ta main, je le reconnais, c’était à
    l’époque de ma capitaƞerie le gardien de la clé
    de l’ocre, j’ai oublié son nom, j’ai oublié des
    tonnes & des milliers de choses, j’ai oublié le
    nom de ces choses, j’ai oublié la texture ou le
    goût de chacune de ces choses, j’ai tout oublié
    de cette époque révolue, mais je me souviens du
    visage de cet homme & le fait est que ce visage
    gît mort dans le fond de tes yeux, or le fond &
    la vase des yeux d’un Homme ne mentent pas, non
    ils ne mentent pas, je sais ce que j’ai vu & je
    sais ce que je vois en ce moment exact, je vois
    la vérité passée dans ce regard fuyant... Je ne
    sais pas ton nom, toi l’étranger que les ocres,
    le sel & le soleil ont gercé & pourtant je sais
    qui tu es & je sais que ta vie m’appartient. Ce
    que disent les paroles ancestrales, le folklore
    bucal & les ezguisses de la villofixoa est très
    clair : le meurtre d’un officier de la garde ou
    du corps d’enceinte est passible de mort... Les
    esguisses disent aussi qu’un Capitaƞ a droit de
    vie ou de mort sur un Homme acculé à la porte :
    tu étais cet homme & j’étais Capitaƞ. Il est un
    sabre que je possède encore & qui est quasiment
    en tout point semblable au tien hormis ceci : à
    aucun moment ce sabre n’a mordu au sang humain.
    A aucun moment il n’a bu les entrailles. Aucun.
    Il est un sabre vierge & lisse de toute chose &
    pourtant il m’est précieux : sais-tu pourquoi ?
    Je vais te répondre. Pendant que l’huile couche
    sur ta peau la formule qui t’éveillera au monde
    & qui t’extirpera du territoire des secs, celui
    qu’à Ixoa nous appelons la pétrification d’ocre
    ou la démuse jaune, je vais te répondre. Car je
    suis un homme de parole je vais te répondre. Je
    vais te répondre dans tes yeux ouverts. Je vais
    te répondre jusqu’à ce que le visage mort de ce
    mort, celui qui se retourne encore dans le fond
    de tes yeux vivants, jusqu’à ce que ce fantôme,
    ce mort se détache, qu’il se dessaisisse de ton
    regard & qu’il te tombe des orbites comme tombe
    le fruit trop mûr de l’arbre qui l’a porté. Car
    je vais te répondre à la fois pour te tendre la
    main à nouveau & t’exécuter là, sous mes 2 yeux
    secs, comme j’aurais pu le faire, jadis, sur le
    seuil de la porte rouge, avant que je prenne la
    décision de t’accueillir dans ma villofixoa, la
    veille de mon bannissement. Je vais te répondre
    jusqu’à ce que tu pleures ce cadavre hors de ta
    pupille & jusqu’à ce que mon sabre reste droit,
    dans son âme & dans son fourreau, que mon pouls
    se retienne de cracher dans ma gorge ce rythme,
    celui-là : TAPTAPTAPTAPTAPTAPTAPTAPTAPTAPTAPTA.
    Je vais te dire. Crois-moi je vais te répondre.

    Aussi pour ça que j’aime écrire Mueller. Aucune idée dans quoi je vais plonger lorsque vient l’heure d’écrire la ration quotidienne ou plutôt si : je sais d’avance ce que je veux y voir : je sais que je veux une espèce de dialogue de sages entre Imke Leal, Mueller : mais je ne sais pas : vois pas venir ce monologue de plus de cinq-cents mots et surtout je sais pas : que le ton et la voix et le souffle d’Imke Leal est comme ça : nuancé : très très respectueux : acide également : agressif vers la fin : c’est un géant qui se domine : je l’ignorais : c’est venu de lui-même ou plutôt : c’est venu de l’écrire : alors maintenant je sais : qui est ce personnage : un rescapé de l’ancien monde : un homme blessé voire humilié oui mais voilà : très chevaleresque. Je me demande à quoi ça tient. Pendant deux semaines la seule envie c’est d’avancer pour en finir et puis sans s’y attendre : ce truc : le revoilà : l’élan. Je pourrais tenir des jours simplement sur le monologue de Leal. Peut-être le ferai. Suivant comment ces vers me portent.

  • 020313

    2 mars 2013

    Départ pour l’ouest à telle heure. Apprends la mise en ligne, demain, de Coup de tête numérique sur Publie, alors je réponds yeah. Il me parle de Coup de tête, Lucien Suel, dans un mail très touchant, c’est ce que je lui réponds. J’écris ces quelques lignes bien plus tard, comme toujours, une fois le soir venu, dictées par les doigts mais bien cognés sous les arcades du crâne.

    Au Mans pour déjeuner aux 7 plats.

    Morlaix aux alentours de 17h34.

    Mueller (85 mots) :

    Une voix derrière le verre liquide d’Imke Leal.
    Elle dit : - Le Collur a pris sa hache & il est
    allé trouver cet homme, captif, la tête dans le
    sable de l’ocre, les 2 mains nouées dans le dos
    & les épaules déboitées & la peau traversée des
    flancs à la pointe de chaque doigt par des bris
    de flèches & des points de lance, le sang entre
    la peau & les plaies coagulé depuis longtemps :
    c’est ainsi qu’il était alors, cet homme, comme
    accoudé au spectre granuleux d’une mort évadée.

  • 210313

    21 mars 2013

    J’aimerais jeter un oeil au texte original d’Enig marcheur (ce que j’imagine ressemble assez à un thorax étoilé dont on dézipperait la fermeture éclair). Lisant cette version (le mot est super juste) de Nicolas Richard, repense à ce que j’ai lu (mais où l’ai-je lu ? probablement chez François Bon y a quelques années) de ce que disait Maurice-Edgar Coindreau sur la langue qu’il était allé chercher pour traduire le parler du Yoknapatawpha de Faulkner : le patois vendéen. Pour Enig on aurait transposé ou l’accent du nord ou le dire québécois (ou d’autres trucs ou les deux).

    Achète, au matin, un Libé numérique pour y lire la chronique de Lucien Suel sur Coup de tête, que je remercie encore. Ca commence à avoir de la gueule.

    Sais plus quoi faire de mes rêves. Avais, avant, une rubrique X dédiée dans laquelle je les stockais, plus tard sur Twitter en 140 caractères max, aujourd’hui rien. Là nous partons des jours dans des collines proches Kaboul qui sont aussi végétales qu’animales. Plus loin l’Afghanistan et des corps de gamins massacrés, chassés comme de la viande. L’un d’entre eux la peau nue sur un grill. J’ai mal au bras d’avoir porté, depuis la rue Montgallet, 10kg colisés en carton, mais là c’est plus le rêve qui parle.

    Apprends la mise en ligne des vidéos du PNF Lettres de novembre. Essaye de m’y apercevoir (mais coupe vite l’écran et puis cours me cacher).

    Mueller (173 mots) :

    Les corps sont décharnés. Sous la peau des os ou
    des arêtes circulent... Ils ont perdu, a priori,
    un quart de leur valeur & de leur densité. On le
    sait bien, on l’ignore. Le Cap l’ignore. Je sais
    que Le Cap sait. Je le lis dans ses yeux cerclés
    d’or & de suie. Je le lis avec la langue, durant
    son sommeil, sous ses paupières fermées. Spectre
    ou fantôme, quelque chose nous suit depuis notre
    départ du phare : c’est peut-être l’ombre d’Imke
    Leal qui s’accroche aux grains du sable que l’on
    foule. Peut-être est-ce l’âme d’un cadavre occis
    par Mueller. Peut-être est-ce le crachat du vent
    de l’est ou l’haleine grise des jours passés. Il
    s’est enroulé dans le sable pour dormir, Le Cap,
    comme un enfant ou comme un chat sur un coussin.
    Les corps sont en sommeil les uns sur les autres
    & le crin près des gorges. Le cervidé dort seul,
    à l’écart des autres, les pupilles très ouvertes
    écartelées vers moi. Je ne dors pas une seconde.

  • 070613

    7 juin 2013

    Peu de bons mots durent quatre lettres.

    Parents à Sushi Gozen pour bouffe puis préparatifs dernières minutes avant départ, demain, pour Londres. Cadeaux : ma mère m’offre Petite Ourse de la Pauvreté et mon père An die Musik de Schubert.

    Mueller (10 mots) :

    Les reflets dans l’oeil du Cap ont un goût fort.


  • ↑ 1 A la fin de l’expérience Ivoix, en juinjuillet dernier, on m’a demandé de proposer des textes pour la prochaine cession, la 2012-2013 et j’ai recommandé, entre autres, Le lapin mystique. Malheureusement, il est peu exploitable en l’état, l’ouvrage papier étant épuisé et la seule version existant uniquement sur le web. Pas sûr que le texte aurait été adapté pour des élèves de 1ère, encore que, pas trop la notion de ces trucs là, mais c’est juste un exemple.

    ↑ 2 Les pratiques de lecture web, elles s’organisent autour des flux de publication de tel ou tel site : on suit un site régulièrement et on y lit – comme on dit on s’y abreuve -, au fur et à mesure, les nouvelles mises en ligne. C’est super rare qu’on lise de façon linéaire, comme on le ferait, justement, d’un livre papier. Or le principe même du texte à choix multiple, livre dont vous êtes le héros, qu’essaye d’être ///, implique une organisation précise et une structure impec, mise en ligne directement et en totalité.