![]() 15 septembre 2010Depuis fin Août Publie.net fait aussi sa « rentrée littéraire » en proposant simultanément plusieurs nouveaux textes tout à fait stimulants. Aujourd’hui encore la coopérative d’édition numérique poursuit son évolution en relayant notamment des textes de Robert ne veut pas lire, éditeur numérique québécois. À découvrir, notamment, l’excellent Tokyo Québec de Leroy K. May, nouveauté d’hier : je l’ai lu en suivant sa parution par épisodes il y a quelques mois, je le relirai avec plaisir en format complet, et en profiterai pour en parler plus en détail prochainement.
Comme elle est petite, l’immédiat se mesure immédiatement : à gauche un fauteuil, une table ; au fond à droite, un rétrécissement et deux portes, salle de bain et couloir ; la table roulante pour les repas ; un chevet avec tiroir, téléphone, sonnette, télécom- mande. Et au centre le lit, dernier cité parce qu’évi- dent, fusionné avec moi. Nous sommes tous deux soudés au centre de la pièce. Là où je suis il est, même lorsque je me lève, car j’en suis capable. De- bout, il reste intégré à mon dos sans qu’on le remar- que, son hologramme flotte, parallèle au linoléum. ![]() 24 juin 2011Mise à jour du 24 juin 2011 Je repasse cet article en une à l’occasion du "#ebookfriday" du jour qui propose Tokyo, Québec sur Numeriklivres à 0.99€, occasion du coup de découvrir ce texte assez génial. Faut se dépêcher, par contre, l’offre n’est valable qu’aujourd’hui. J’ai lu une première fois Tokyo, Québec, plus ou moins par hasard si ma mémoire est bonne, au printemps dernier, entre mars et juillet, car à l’époque le texte était propulsé au compte goutte par l’éditeur numérique québécois Robert ne veut pas lire, comme un récit par épisodes en fait. En septembre, Numeriklivres a commencé à diffuser une partie du catalogue Robert ne veut pas lire afin de le proposer sur les plateformes numériques françaises. Occasion trouvée pour relire le texte, cette fois-ci tout d’une traite, de manière à avoir deux expériences différentes après première lecture forcément fragmentée à l’époque. Tokyo, Québec 1 est un récit halluciné (Leroy K. May / le roi camé ?) qui, comme son titre l’indique, abolit la géographie. Construit sur une série d’alternance des chapitres (Elle & Il sont les personnages principaux, séparés puis ensemble, de cette fable moderne et même assez cash) il tisse non pas un monde mais une cartographie d’endroits tous reliés les uns aux autres : Montréal = Tokyo = Paris = New-York et j’en passe. Une écriture de la Ville à l’âge du numérique, somme toute, et plus précisément encore à l’âge Google (Maps, Earth ou Street View) qui aplatit le Monde pour mieux le transformer en un réseau de mondes. Toyko, Québec se sert de ce réseau pour développer une écriture où ici et là-bas c’est partout, un seul et même lieu où les corps se dispersent.
La prose camée de Leroy fonctionne par impulsions, sans ponctuation la plupart du temps, rythmée soit par la fuite des corps les uns en direction des autres (Elle & Il passent une bonne partie du récit à converger l’un vers l’autre et, lorsqu’ils se rejoignent, à fuir ensemble ailleurs), soit par la projection de ces corps dans un environnement malade, qu’il s’agisse de la Ville elle-même ou de la famille dysfonctionnelle qui a engendré Elle. On y retrouve la mère (la Merde) qui prostitue ses gosses pour se payer sa dope, et autour d’elle ceux qui jouent le jeu, ceux qui s’extirpent et ceux qui en rêveraient. Le récit s’achève d’ailleurs sur un final très Tarantino qui enfonce bien le clou, juste ce qu’il faut.
Le récit de l’idylle entre Elle & Il est assez singulier car, là encore comme la Ville, on dirait qu’elle nait et qu’elle vit, se propage, uniquement dans le réseau ou dans une vie bis qui en prendrait les codes. Comme Tokyo, Québec est une traversée de la Ville à l’âge de Google Street View, c’est aussi, genre, une « histoire d’amour », à l’ère des amours numériques, où le corps est pixel, droit devant l’oeil Webcam, où les conversations sont des mots découpés par la machine, où Meetic choisit qui drague quoi et où on peut au fond « être ensemble » sans jamais s’être vus, et toute une partie du texte s’attache à mettre en parallèle le parcours de l’un pour arriver vers l’autre. Comme s’ils s’étaient côtoyé quelque part sans pourtant jamais s’être frôlé la peau.
Et au bout de l’idylle, avant les virées en enfer d’Ell&Il, des écarts dans des villes de pixels (ici le Japon et le Tokyo du titre) où rejouer, mais en plus gore, des scènes qu’on dirait bien toutes droit tirées (extirpées même) de Manon Lescaut, et elle est assez dingue, je trouve, cette filiation, voulue ou pas voulue d’ailleurs, revendiquée ou pas, preuve que le « roman digital » (et Tokyo, Québec en est un, c’est même le plus parfait exemple) relève bien d’une évolution directe d’une littérature qui touche toujours juste quand elle mord à la marge.
Tolyo, Québec est ni plus ni moins entré dans mon top 3 des textes numériques les plus percutants et les plus jouissifs découverts jusque-là (et comme c’est d’ailleurs normal de trouver un tel récit/roman/peu importe en version numérique directement et non pas en papier, comme c’est évident de le lire chaque semaine sur Iphone, ou sur l’écran du Mac ou plus au chaud, en retrait, en relecture e-ink). Dans ce top 3 mental, il y aurait aussi Vers l’ouest, et ce n’est pas une surprise que ces deux textes là viennent de l’autre côté de l’Atlantique car c’est aussi une écriture que je découvre à travers eux, une langue à part entière réellement revigorante.
Alors bon, que ce soit 4$ ou 5.99€, franchement ça vaut le coût, littéralement, d’avoir une littérature aussi incisive et percutante pour un prix égal ou inférieur à celui d’un livre poche. Pour ça aussi qu’il faut recommander, et même très fortement, Tokyo, Québec à tous ceux qui sont déjà habitué à lire en numérique mais surtout, surtout, à ceux qui ne le sont pas. |
↑ 1 Note : toutes les citations présentées dans cet article sont issues de la version Robert ne veut pas lire pour liseuse type Sony/Kindle.