Chloé Delaume



  • Publie.net

    6 novembre 2008

    Je m’intéresse à Publie.net grosso modo depuis les premières annonces publiques nous informant de son existence alors à venir. L’évolution est rapide : de perspective d’avenir à plateforme bien ancrée en quelques mois. Publie.net présentait ces dernières semaines une nouvelle version, plus accessible, plus pratique, plus ergonomique. Prétexte tout trouvé pour en parler plus en détails.

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    Brochette des dernières parutions.

    Il y a bientôt un an, François Bon détaillait sur son site son projet d’agence littéraire numérique qui dispose déjà d’un nom, d’une adresse, d’une marque de fabrique : Publie.net. Cet article expliquait déjà les premières perspectives visées par le projet, doublé d’une analyse précise du marché actuel et à venir concernant le livre numérique. Les nouvelles générations de liseuses débarquaient sur le marché et l’expérience américaine montrait qu’il était possible de s’engouffrer dans la brèche. Ambition affichée par Bon à l’époque : explorer ce nouveau marché, Arlésienne des années 2000, pour le mettre au service du texte numérique contemporain. Près d’un an plus tard, les gros se sont aussi lancé dans l’aventure : Gallimard et plus récemment la Fnac, ont, par exemple, lancé leurs plateformes de livres numériques. Prix de vente exactement identique au livre papier (les frais d’impression, de stockage ou d’expédition seraient-ils pris en compte dans le prix d’un livre numérique ? étrange, pour ne pas dire choquant), mise en page sacrifiée alors même que le confort de lecture sur écran en dépend, deux points noirs irréversibles qui nous ramènent vers Publie.net, qui a au moins l’avantage de ne pas prendre le lecteur-consommateur pour un c|

    Très rapidement, plusieurs impératifs s’imposent et structurent l’aventure. D’abord, un prix de vente accessible qui n’excède jamais le prix d’un livre poche avec deux formats présentées : les formes brèves (20 à 30 pages) proposées « au prix du journal », soit 1,30€ et le gros du catalogue, les « plus de trente pages » (souvent bien bien plus) au prix unique de 5,50€. Autre certitude : le refus du drm, ces verrous numériques qui ont fleuris avec l’arrivée de la vente légale de musique en ligne qui entrave l’utilisation du fichier téléchargé. Ici, la confiance est offerte à l’utilisateur. On n’oublie pas, non plus, que la vie du livre papier file de la même façon, avec possibilité de passer de main en main selon les conseils d’amis et autres recommandations. Enfin, la mise en place d’un système qui garantit que sur l’achat d’un livre-fichier, 50% du prix de vente sera directement touché par l’auteur, les cinquante autres servant à faire tourner la machine. Trois principes de base sur lesquels repose la plateforme, toujours d’actualité aujourd’hui, près de d’un an et quelques deux cents textes plus tard.

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    Ma tante Sidonie en lecture écran via Adobe Digital Editions.

    Voilà pour hier. Aujourd’hui la v2, avec refonte totale du système de commandes et réorganisation ergonomique du design (avec nouveau logo et charte graphique pour les couvertures très réussie, coup de cœur pour les couvertures-radiographies). La création d’un compte est désormais possible, avec bibliothèque personnelle contenant les livres précédemment téléchargés. Plus besoin de délais entre l’instant de la transaction et le moment où l’on peut télécharger le livre, ce qui était un peu agaçant, le fichier est désormais disponible dans la seconde, en plusieurs formats qui plus est, selon que l’on souhaite le lire sur ordinateur classique ou sur liseuse. Apparition également, d’offres promotionnelles pour séduire le lecteur sceptique : deux livres offerts (Autoroute de François Bon et le Contre Sainte-Beuve de Proust) pour toute ouverture de compte avant le 10 novembre, un livre gratuit pour cinq achetés... toujours appréciable.

    Oui mais sur Publie.net, qu’est-ce qu’on lit ? Des textes qui n’auraient pas forcément pu trouver leur place par le biais de l’édition traditionnelle, des textes qui prennent le risque d’explorer une littérature peu rentable, mais aussi des auteurs importants, par exemple Eric Chevillard, Chloé Delaume ou Emmanuelle Pagano, des textes critiques comme celui de Dominique Viart cité il y a quelques semaines, des incontournables du domaine public (pas toujours bien composés lorsqu’ils sont lâchés sur les habituels sites de partage) et des fragments de laboratoire d’écrivains, des journaux ou blogs recomposés pour découvrir l’envers du travail d’écriture. Un peu moins de deux cents textes disponibles cela veut dire aussi beaucoup de diversité, de choix, de perspectives.

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    Jacques Josse en lecture sur Eeepc (même si plus de batterie).

    Un gros bémol cependant, car si je reste persuadé qu’une plateforme de ce type est indispensable à l’heure actuelle, que le texte numérique doit pouvoir se développer en parallèle du livre papier, je suis sceptique quant à la clause du contrat établi avec ces auteurs numériques qui permet de retirer un fichier du site dès qu’on le souhaite, c’est à dire, souvent, en cas d’édition papier plus traditionnelle. Et d’une, c’est agaçant pour le consommateur que je suis qui se dit pendant six mois « un jour ou l’autre je me le prendrais bien celui-là » et puis qui, un jour ou l’autre, découvre que son fichier n’est plus en ligne, et de deux, c’est surtout un bien curieux message à envoyer : celui que le livre numérique serait une littérature par défaut, un intermédiaire « en attendant mieux », en attendant l’édition papier.

    Reste que l’offre proposée par Publie.net, personne ne la propose ailleurs : une plateforme bien rodée, quelques deux cents textes d’ores et déjà disponibles et l’apport éditorial d’une équipe qui ne publie pas n’importe quoi. Les tarifs sont honnêtes et ne font pas semblant de nier la réalité pratique des fichiers mobiles. L’offre s’étend aussi, depuis quelques temps, vers des abonnements spéciaux pour les bibliothèques qui commencent à suivre. Le tournant numérique se joue sans doute en ce moment, tant pis pour les Gallifnac qui le prennent de travers. Pendant ce temps, Publie.net continue d’avancer.

  • 270109

    27 janvier 2009

    Fera aussi office de croquis #7

    1

    Train (aller) : la proximité d’une femme, face côté droit qui ne me rappelle pas Lisa Kimmel Fisher mais qui est Lisa Kimmel Fisher, ressuscitée-alléluia, sortie du ventre de la baleine qui l’avait digérée, un manteau mauve sur le dos, au bras (gauche) d’un banquier crânien et potelé (qui aurait pu croire qu’elle se marierait avec un tel individu, un cétacé lui-même, après la mort qu’elle a eu ?), genou droit agité sec sur sol dur et son alliance par dessus (signe que), menton pris sous son col et foulard couleur lagon calme, avant les premières vagues et la noyade qui découle.


    2

    La migraine sous-jacente, tapée depuis l’intérieur, qui ne demande qu’à sortir. Je sais bien que je suis à l’abri. Elle n’éclatera pas sous la tempe avant de quitter le boulot. D’abord se frotter les yeux sur l’écran. Il est quinze heures. Encore une heure trente à mélanger les mots et à ne plus savoir répondre aux voix qui s’agitent sous combiné. Encore une heure trente à dire ne vous inquiétez pas, oui tout à fait, frais de port offerts.

    3

    Les airs d’accordéon sur le quai Z, je ne vois pas le type qui. Je poursuis lentement, très lentement (savoure) les pages de Dans ma maison sous terre. Ses airs me relancent les tempes, la douleur migre doucement vers l’orbite (gauche), plus tard tombée sur le nez et les pommettes autour. Depuis quelques jours je pense à consigner quelque part (carnet ? fichier ? post-it abandonné ?) toutes les visions que je peux avoir et que je crains à l’intérieur, que j’esquive avant qu’elles puissent se produire, fictions quotidiennes d’images demi-paupières. J’appellerais ça Ce qui n’arrive jamais ou bien Livre des peurs primaires (si c’en est un). A l’instant où, cela correspondrait à :

    Les notes de l’accordéoniste pénètrent trop loin dans la chair, plus loin le crâne. Ses pieds bouffis longent le quai opposé, aller-retour-aller, son sourire travers affiché aimable. Un peu le huitième nain de blanche-neige égaré en sous-sol, édenté par l’avant. Il joue trop fort, trop près de moi. Je le pousse par dessus le rebord, peut-être avec le pied, la semelle, un coup de rotule gauche-arrière et projeter le nain sous les rails, un dernier accord peut-être comme simple chant du cygne. Peut-être que le train arrive et que le nain craque. Ils m’arrêtent. Me laissent croupir. Retracent le contenu de ma journée sur papier punaisé au liège, accroché au mur. Ils disent : voyez, voyez ça ? Je ne vois rien. Il me demande vous faisiez quoi ? Je lisais. Je leur montre le livre, Dans ma maison sous terre, ils s’intéressent, mais pas assez pour tourner les pages. Peut-être que c’est le livre qui m’a donné l’impulsion, l’envie de mort. Peut-être. Ils vont attaquer Chloé Delaume en justice parce qu’ils le peuvent. Je me dis, pourquoi pas, ça lui fera de la publicité. Et la mienne également. Mais non. Je sens mon pouls pris sous poignet gauche, ça n’arrivera jamais.


    4

    Train (retour) : cette femme devant, d’accord je ne la connais pas, ni ne reconnais personne à travers elle, mais je me fais la remarque, je punaise une note interne au revers du crâne, cette femme, je me dis, c’est la première femme, la première, qui puisse à la fois projeter par dessus elle des âges aux diamètres opposés, tel que quinze et quarante, par exemple, et je la regarde comme je le pense : une femme de quinze et quarante ans à la fois, l’œil vide et le manteau noir, son duvet chauve sur lèvre supérieure, quinze-quarante, impossible de savoir, impossible, on ne saura pas.

    5

    Train (plus tard, dans la foulée de) : immobilisé entre deux gares, le conducteur déclare qu’il vaudrait mieux ne pas ouvrir les portes en pleine voie, les râles agacés et les tics nerveux des bras tout contre. Entre un tunnel et un pont, le noir du dehors c’est en fait dedans. Il est possible que, ça se pourrait si, il suffirait de et le wagon explose, une bombe quelque part, le jaune et la suie éclatés sur les murs du tunnel, les corps éparpillés, on s’échangerait les membres. Mais mon pouls toujours pris sous poignet gauche, non, ça n’arrivera jamais.

    6

    Emmuré chez soi, la migraine dans le noir de la chambre. Le noir ne calme pas, le silence n’apaise rien. Il affine la perception : on se rend plus compte. On sent mieux. La douleur, peu importe, mais l’esprit monopolisé, l’incapacité du sommeil, c’est ce qui gêne, précisément. La solution : l’écran, la couleur de l’écran, un film où l’on pourrait se perdre, léger si possible, marrant si besoin. Puis dormir, dormir plus tôt qu’un autre soir mais ne pas y sacrifier sa soirée, ne pas s’emmurer derrière.


    7

    On-dit : la date du jour (la date d’hier) consacrée journée de la dépression annuelle, le jour le plus propice à, le plus approprié pour. Moi ce jour, je me suis juste dit et si, j’ai juste essayé de faire taire en moi ce qui rayonnait, j’ai juste fait putain y en a marre, et puis : vivement demain, et tant qu’à faire vivement jeudi.

  • Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre

    1er février 2009

    Dans ma maison sous terre
    ouh ma oué ouh ma oué
    tchao tchao ouistiti tchao tchao ouistiti
    one two three one two three

    (Chanson enfantine)

    Chloé Delaume creuse, la terre brisée des ongles et les os pointus sous la peau (les siens, d’os, ou bien ceux des cadavres qu’elle déterre ?), à genoux sur la tombe familiale, celle où dorment « la mère et le grand-père dessus », Chloé Delaume creuse et parle à voix haute, Téophile les jambes lâchées depuis une stèle voisine l’écoute, Chloé Delaume parle dans la nuit comme s’il n’était pas là, pas vraiment là.

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    C’est son dernier livre (sortie janvier 2009) et elle a des squelettes plein la tête, alors qu’elle les déterre. Elle arpente les allées du cimetière au bras de Téophile, c’est à dire au nôtre, elle raconte la vie des morts qui croisent son regard, la vie de ceux qui s’entassent derrière ses yeux, et ceux qu’elle voudrait, par simple déclic de l’imprimerie sur la page, voir crever broyés-étouffés. Le titre originel de Dans ma maison sous terre, c’était Le livre des morts, voilà pourquoi.

    La plongée six pieds sous terre ne provoquera pas une éradication des fantômes post-mortem, ce n’est pas le but, ce n’est pas le lieu. L’écriture, voilà ce qui importe, la réponse unique aux deux dernières questions. Plaquer le lexique par dessus la plaie, exhiber un rythme sous les violences du dedans. Le phrasé amère-acide s’en ressent, même si jamais gratuit ou artifice : « Je voulais m’effondrer dans les bras de ma mère ulna radius thorax, résidus végétaux vasculaires ». Le lexique, qui n’est pas celui de l’analyse mais bien de la littérature, appuis pris fort là où les plaies froissent la peau. Le livre aiguille une lecture qui ne soigne pas mais agresse.

    Le livre est désossé, il n’a pas vraiment de suite logique, c’est peut-être sa faiblesse. Comprendre : que la structure s’étouffe arrivé dernier tiers. Elle doit faire un choix : l’écriture ou la vie, difficile de mieux choisir. Mais le nœud des pages retombe, le souffle perd du volume. C’est le seul (unique) bémol déterré dans ces deux cent pages de lecture.

    C’est mon premier dilemme, l’écriture ou la vie, elles se retrouvent distinctes jusqu’à confrontation. Pour suivre ma démarche, conserver ses principes, quitte à mettre en péril ma propre santé mentale. Voilà ce que je devrais faire. Parce que j’affirme m’écrire, mais je me vis aussi. Je ne raconte pas d’histoires, je les expérimente toujours de l’intérieur. L’écriture ou la vie, ça me semble impossible, impossible de trancher, c’est annuler le pacte. Vécu mis en fiction, mais jamais inventé. Pas par souci de précision, pas par manque d’imagination. Pour que la langue soit celle des vrais battements de cœur.
    Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre, Seuil, P.186

    Derrière la voix des morts, leur chant plutôt. Dans ma maison sous terre est un livre-chorale. Pour les divers récits qu’elle entrecroise avec talent, d’abord. Pour la musicalité de la langue, surtout. Ce livre indique roman sur la couverture mais c’est de la poésie plutôt. Il m’est arrivé de couper la page, contre une vitre dans le RER pour en compter les pieds. Spontanément. Elle chante les morts qu’elle croise, elle chante les siens aussi, elle chante ceux qui devraient mais ne sont pas encore. Elle chante la chair putréfiée et le bois vermoulu, le son des articulations brisées et os entrechoqués comme percussions tambour. Les solos de guitare, peut-être, ce serait les cris, les voix égosillées. La basse répétée-leitmotiv c’est l’histoire personnelle, le cadavre du Moi légèrement zombifié. Il y a même ce passage, où Distel est cité, la chanson d’abord, puis une parole reprise, le récit se poursuit, le paragraphe en prose saturée, c’est toujours une chanson, le rythme se poursuit, on se demande, on se demande au fond si elle parle ou si elle chante vraiment.

    Je tombe très lentement, Théophile me rattrape, pourtant ça ne change rien. J’ai toujours le vertige et au-dedans ça tourne Ton père n’est pas ton père mais ton père ne l’sait pas.

    Peut-être le savait-il, me susurre Téophile, même avant le mariage, ou alors peu après. Peut-être l’acceptait-il, l’avait-il accepté, bien avant le mariage ou au pire peu après. Des histoires comme la vôtre, on en croise tous les jours. Il n’y a pas de quoi vous mettre dans cet état, me rassure Téophile pendant que je vomis.

    M’a-t-il élevée en le sachant, est-ce pour ça que pleuvaient les coups ? M’a-t-il élevé en l’ignorant, ou en faisant juste semblant. Ma conception en juin, leur rencontre en juillet, leur mariage en septembre et l’accouchement en mars, il savait calculer. C’est pour cela qu’on disait que j’étais une prématurée. Sur aucune des photos je ne trouve de couveuse et aucune trace écrite sur mon carnet de santé.

    Je suis née d’une fiction qui s’est très mal finie. Je suis née d’un brouillon qui m’entrave et me nuit. Je conspire à écrire ma propre narration. Mais les syllabes éraflent, l’italique creuse en moi Ton père n’est pas ton père et ton père ne l’sait pas.

    Ibid., P.68-69.

    Il y a aussi la bande-son composée pour le livre par Aurélie Sfez et Chloé Delaume, disponible via le site-mère ou bien l’éditeur (musique d’ambiance grincée, un peu Tim Burton sans Elfman en plus cru, à écouter avec ou bien à baigner entre). Livre-chorale où la voix, n’importe laquelle, ne s’éteint pas et s’affirme fiction. Auto ou pas, peu importe, puisque reste le texte et que le texte compte.

    Dans ma maison sous terre (ex Le livre des morts), c’est un livre qui a existé le long, au fur et à mesure, d’abord sur la toile par fragments et ensuite concentré-étoffé pour le livre. C’était la première fois que je lisais un livre dont j’avais suivi le fil de l’écriture auparavant via laboratoire-blog sur site officiel. L’impression de retrouver les dilemmes pointés des mois plus tôt, mais cette fois ci fixés, débarrassés de toute incertitude (je pense au changement de nomenclature médicale, notamment : mais voir via citation plus haut comment elle s’en est (bien) accommodée). L’impression que ce livre des morts il avait toujours été là, quelque part.

    Je voulais commencer ma chronique par la phrase : Il me fallait un prétexte pour écrire un truc sur Chloé Delaume, intro finalement sacrifiée, a sauté après relectures. Je voulais terminer sur la comptine citée plus haut, finalement décidé d’inverser. L’équilibre est sauf.

    D’autres y ont jeté un œil et ont écrit (au passage, à lire, l’intégralité du premier chapitre-en-ligne via site de l’autrice) :


     Lignes de fuite #1 et #2

     Télérama

     Marc Pautrel

     Journal d’une femme de Cendres

  • 060709

    6 juillet 2009

    Ma dernière crise de somnambulisme

    Je n’y aurais pas pensé moi-même si H. n’avait pas formulé la chose en toutes lettres entre deux retards de voies et changements de quai. Il a dit : quand j’étais somnambule, etc.


    dure depuis des jours maintenant, ça se répand cyclique dans l’arrière tête depuis les premières grosses chaleurs je crois. Jour après jour je continue de forger sans âme, comme un somnolent. Plus de cornées, semelles, plus d’émotion. Je traverse fantôme une à une les escales de mon calendrier. Plus que dix, neuf, huit, etc. Je compte à rebours pour le geste, je suis là sans y être, je reste en surface sur le filtre additionnel. J’attends là que tout se recompose.

    Une vie aveugle où tout était clair comme de l’eau. (Roberto Bolaño, 2666, Christian Bourgois, trad : Robert Amutio, P.211).

    En bas de l’immeuble les marteaux-piqueurs déchaînés pilonnent : les vibrations remontent la pierre jusqu’à l’occiput. Je presse fort index gauche le clapet fictif du tympan, me concentre sur l’oreille droite et le casque-oreillette sous le lobe. Oui monsieur, non madame, oui, bien, non, c’est à dire que, je fais mon possible pour, je vous appelle dès que j’en sais plus sur. Mais au fond je ne comprends pas ce qu’ils me disent. Je jongle avec les chiffres qu’ils me soufflent et me répètent : liquide binaire qui se répand sur mon écran sous forme de un un un zéro un un zéro zéro un zéro zéro zéro. Puis la vérification d’usage : les numéros de carte bancaire sont rejetés par la plateforme, les numéros de téléphone sonnent dans le vide, les adresse e-mail répondent des accusés mauvaise réception. Des fautes de frappe. L’oreille ailleurs. Je hoche la tête devant l’écran mais n’écoute pas. Ah oui, ah bon, puis on verra. Je touche du poing l’écran Dell devant moi : allumé tout le week-end, il est bouillant. Bientôt mes phalanges disparaitront une à une à l’intérieur, qui sait ce qui se découvrira de l’autre côté ?

    Il est difficile dans ces situations de prendre l’ordre chronologique comme point de repère. Dans un tel état de somnolence décalée, tout n’est que fait plus fait plus fait plus fait. Addition-succession, sauvegardes éparpillées. Divers éléments (évènements) ensemble agglomérés peuvent faire sens mais jamais pareil, toujours bis, ter et parallèle. Le fait, par exemple, qu’aucun digicode ne se soit ouvert sous mes doigts de sept heures ce matin jusqu’à dix-neuf heures ce soir ne prouve rien. Entre ces deux extrémités pourtant, des kilomètres de chiffres m’ont fuient encore, j’ai noté les numéros de pages de 2666 à l’envers (112 pour 211, 491 pour 114), j’ai travesti des numéros clients, intervertis des numéros CB. Ce ne sont que des faits, je les traverse.

    Je me suis dit défais-toi de ce pseudo là, prends un pseudo de femme en parallèle, prends-en plusieurs. Je prendrais celui de V. ou de X. et ferais croire dans mon journal que ce nom là est un autre de mes avatars médians. Je lui dirais : maintenant attendre les premiers articles

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    et premières études comparatives de style qui nous confondront tous les deux et défendront notre fiction. On nous prendra pour des cons et des lâches, d’accord, mais d’ici là qu’est-ce qu’on aura vendu !

    E. m’appelle en absence ce midi mais je ne décroche pas. Je regarde vibrer son 06 quelque chose en mâchant mon sandwich mousse de canard. Je n’ai pas le temps, je lui dis, de faire semblant de décrocher, je rappellerai bientôt-indéterminé.

    Le siège de devant : je ne vois que sa nuque. Ça pourrait être un croquis, un de plus. Mais je ne vois que sa nuque, le reste ne se dévoile pas. Il s’injecte à l’envers des giclées de Red Eye

    Le Red Eye est une drogue fictive dans l’anime Cowboy Bebop. Cette drogue s’injecte à l’aide d’un aérosol directement dans l’œil de l’utilisateur et lui permet d’avoir pendant un laps de temps plus ou moins long des réflexes surhumains et une perception du temps plus lente. Beaucoup pensent que la drogue améliore la connexion entre les yeux et le cerveau (les informations provenant de l’environnement sont alors si rapides que tout bouge plus lentement) au point d’éviter des coups ou même des balles. Le Red Eye semble être le produit le plus vendu des organisations criminelles du système solaire. Comme beaucoup de drogues réelles, une utilisation intense et prolongée peut entraîner de nombreux effets néfastes pour l’utilisateur.

    (une pulsation par paupière) puis jette la seringue usagée hors du train en marche, poignet délié par la fenêtre. C’est peut-être ça, me dis-je, c’est peut être ça que je me suis fixé sous la paupière sans le savoir, il y a dix jours maintenant, ce qui a déclenché ma transe, ce qui me retient de la briser ?

    J’ouvre au hasard La dernière fille avant la guerre sur l’étalage d’une bibliothèque qui pourrait être la mienne et lit : « Stinky Toys, Taxi Girl, Indochine, Etienne Daho ». Je referme le livre tatoué Off 03/57 (ou 07 ?) en première page. Un peu plus loin sur le même rayon Belle du Seigneur sent cette odeur de Chouans que je découvrais, dégoûté, en cours d’année de quatrième, et que je refermais dans la foulée sans le lire. Dans le reste de la librairie je regarde mais ne trouve pas. Je cherche un livre qui n’existe pas. Le gros Journal de Valery Larbeau est introuvable, et je sais bien, d’ailleurs, que je ne veux pas l’acheter, mais simplement le voir.

    Ces journées s’écoulent sans forme, sens, ni ouverture. Je les traverse à reculons, le train que je longe est à l’arrêt, de l’autre côté du quai un autre train, autre destination, défile TGV sous mes yeux secs (bloody). Je forge toujours sans âme, comme un pas grand chose : d’ailleurs je n’écris plus beaucoup : Coup de tête s’enlise partie III, page 8, j’ai fait semblant de commencer Ernesto & variantes sans poursuivre et j’oublie lentement mon Accident de personne qui trop bref se décompose...
  • 291109

    29 novembre 2009

    Je découvre un site comme j’ouvrirais un livre, c’est à dire que je cherche la première page, c’est à dire que je me trompe. La première page est souvent cachée, détournée, parfois supprimée ou annulée, voire même soustrait aux regards, mise entre parenthèse dans un espace interdit, protégé par mot de passe ou par chicane du réseau, derrière les étalages des bases de données, dans des recoins aux adresses tronquées auxquels on ne peut même pas rêver. Je cherche (traque, loupe) le point de départ chronologique d’un site web, blog ou portail, généralement sans succès, et finis par m’apercevoir que la première page est un mythe, une illusion palpable, une erreur d’appréciation. Un site web n’a pas de point de départ chronologique : on dirait qu’il émerge sur la toile sans genèse, par simple apparition spontanée.

    html.png

    Blogs, plusieurs cas de figure : la première page est une page test. Ou page d’archive. Ou page vide. La première page d’Omega-Blue reprend mots minimes et texte caduque une nouvelle écrite bien des années plus tôt. Cette première page n’en est pas une. Il faut attendre plusieurs semaines avant de voir apparaître sur le réseau minuscule une page introductive qui, de fait, n’en est déjà plus une. (et ce avant même achat déposé du nom de domaine). Les Remarques et cie de Chloé Delaume commencent par une page 0 mais la page #1 débute par « Par exemple il faudrait ». La page Spip article1 dans Tierslivre nous dit « Il n’y a pas d’article à cette adresse » et page blanche avec ça. Le numéro d’article le plus petit existant est l’article5 « écrire en ligne, écrire la mer » et il n’est pas daté. Et ce n’est pas un point de départ. Dans les deux cas continuation d’un site précédent, effacé des tablettes, et poursuite du travail numérique entrepris en amont. Idem sur le bloc-notes du Désordre où l’on peut lire, environ une semaine après la première entrée (une page zéro qui reprend citation sans texte accompagnateur) : « le Pola journal (...) s’est achevé le 11 mai 1999. 
Le présent bloc-notes se propose donc d’être le prolongement de cette idée de rendre compte du quotidien, au quotidien. » Le début c’est pas le début, c’est la suite. Je remonte le temps et ouvre le Pola journal, première entrée 11 mai 1998, qui renvoie à une tentative préparatoire de ce même Pola journal le 1er juin 1994. Dans mon Netvibes je prends la République des livres, je prends Stalker, je prends Lettres ouvertes. Pas d’incipit mais de l’actualité, prise en cours de route, comme si le blog, comme si le site, avait toujours été là et défiait quiconque de prouver le contraire. Les sites ne sont souvent que prolongement d’autres sites, créés plus tôt, fermés depuis. Alors il faut remonter le temps.

    wayback.png

    Sur internet remonter le temps c’est possible, la cabine s’appelle Wayback Machine, robot oeuvrant pour les Archives de l’Internet et qui a pour but une photographie régulière des différentes strates du web. Une même adresse (c’est à dire un même lieu) peut développer des colonnes de pages différentes émises et propulsées au fil du temps. Comme référent il y a la page, mais aussi la date, le temps. Tierslivre revenu 2004 devient donc « François Bon, le site » , mais ce n’est pas assez, pas suffisant, on remonte avant nom de domaine jusqu’à http://perso.wanadoo.fr/f.bon/, décembre 1998, mais page d’accueil, ce n’est pas encore la première entrée, et la machine échoue à remonter au-delà. On n’aura pas la première page, on ne sait pas ce qu’elle pourrait dire.

    D’ailleurs une première page c’est quoi et comment la définir ? La première page est souvent page test, ne dit rien, reprend juste un template souvent par défaut, ou un fond uni vierge de tout code. C’est avant le titre, avant les liens hypertextes, avant les tableaux. C’est avant le html, probablement écran vierge, curseur clignotant. Ce n’est pas cette page que je cherche alors précisons. Premiers mots, plutôt, première phrase. Aucune piste. Je n’ai pas de réponse. Mes propres sites passés, perdus, effacés, éparpillés sur la toile n’ont pas d’origine, de première phrase. Les versions les plus anciennes toujours consultables sur la toile, par le biais de la Wayback Machine, sont déjà versions 2 ou 3 adaptées des moutures précédentes. Les phrases listées ne sont que des compte-rendus d’informations présentées en lien, souvent par colonnes, dans des tableaux élaborés à la main, rudimentaires, quand il était encore permis de coder comme on gribouillait, c’est à dire mal.

    Cette quête impossible est pure curiosité personnelle. Ce sont mes premiers mots, mes premières pages, qu’en réalité je recherche. Après plusieurs tentatives, via la Wayback Machine, et après être parvenu à tromper et manipuler le robot, en passant notamment par des URLs détournées, depuis devenues obsolètes, je suis parvenu à remonter la trace de ma propre présence en ligne. La première page jamais présentée sur le net est une page écriture blanche sur fond noir. Le lien de l’image a expiré depuis longtemps. Le paragraphe introductif (en ce temps là nous croyions encore au principe de la page d’accueil) ne raconte rien et je ne l’ai pas écrit. Le nom précisé en signature n’est pas le mien, ni même l’un de mes divers pseudonymes de l’époque. C’est un autre pseudonyme, bien sûr, mais qui appartient à quelqu’un autre. Quelqu’un qui a depuis cessé d’exister et que je n’ai jamais connu. Quelqu’un dont j’ignore le nom réel et que je ne me rappelle pas avoir croisé. Quelqu’un dont rien ne me prouve qu’il ait un jour été quelqu’un. Mes premiers mots sont donc les siens. Et lorsque je clique sur le lien permettant de pénétrer sur le site réel, dédoublé derrière l’ombre de sa page d’accueil, la Wayback Machine m’avoue ses limites : cette page n’a pas été archivée. Elle n’existe plus. « Failed connexion », dit la machine. La page concernée portait comme extension « sommaire.html »). On n’en sort pas.

    Le premier noeud de toute l’arborescence est encore ailleurs. Problème lié à l’archive de tout ce qui a un jour été écrit (et que je me propose de reproduire très régulièrement, tous les X mois) : on ne peut jamais remonter assez loin, assez haut dans le temps. Ma première entrée du Journal, octobre 1998, n’est pas la première. Avant lui un autre journal perdu dans la poussière. Et avant lui encore, d’autres fictions étroites et minuscules, jamais terminées, qui ont fini depuis longtemps de pourrir à l’air libre. Et avant elles encore, d’autres histoires jamais fixées, mais prises à l’intérieur de ma tête. Et avant elles d’autres livres tracés par d’autres auxquels je n’ai jamais pu avoir accès. On n’en sort pas.
  • Vanessa Place, Exposé des faits

    18 septembre 2010

    J’ai d’abord découvert Vanessa Place dans TINA n°5, paru il y a quelques mois. C’est elle qui ouvrait le numéro avec extrait de son Exposé des faits (Editions è®e) qui était prévu pour ouvrir la collection Littérature étrangè®e dirigée par Emilie Notéris & Nathalie Peronny. À l’époque, je n’avais pas adhéré, était passé dessus sans grande passion, avait oublié tout aussitôt cette lecture anecdotique. Il y a quelques semaines Chloé Delaume a mis en ligne sur son blog Remarques & cie un extrait bref de ce livre, l’extrait recopié ci-dessous. C’est cet extrait, pourtant déjà inclus dans le TINA n°5 (allez savoir pourquoi l’une de ces lectures m’a touché et l’autre non ?) et non ma lecture initiale de TINA qui m’a poussé en librairie à chercher, trouver, acheter et lire ce livre tout à fait déroutant.

    place.bmp

    L’appelant n’a pas pratiqué de coït oral sur Virginia, et elle n’a pas pratiqué de coït oral sur lui. L’appelant avait peur du virus HIV ; au final, ils n’ont rien fait parce que Virginia était tout le temps malade et réclamait toujours plus de drogue. À l’époque, l’appelant se rasait le pubis ; il portait la cicatrice visible d’un ancien coup de couteau donné par sa femme. Son scrotum est anormalement large. (RT 3:1809-1811, 3:1815-1817, 3:1822, 3:1827) L’appelant n’a pas menacé de violer Virginia : c’était inutile, vu qu’il l’avait déjà payée pour avoir des rapports sexuels. Il ne l’a jamais frappée. Il n’aurait jamais pu s’asseoir sur elle pendant qu’elle pratiquait un coït oral sur lui car il possédait un matelas à eau et pesait à l’époque une centaine de kilos. (RT 3:1811-1812, 3:1841-1842) Si l’appelant a traité M. de salope, ça n’avait rien de personnel. Pour l’appelant, ce terme s’applique à toutes les femmes. (RT 3:1825-1826) Il a été stipulé que l’appelant avait précédemment été acquitté dans le cadre d’une affaire d’agression avec arme mortelle contre un agent de la paix. (RT 3:1845).
    Vanessa Place, Exposé des faits, Editions è®e, trad : Nathalie Peronny, P.13.

    Il n’est pas inutile de rappeler après l’irruption de cet extrait la nature de ce livre. En plus d’être écrivaine et critique d’art Vanessa Place est avocate. Plus qu’il reproduit la violence de ces scènes quotidiennes, Exposé des faits l’archive, la retranscrit comme compte rendu. La langue articulée est une langue grise, sèche, greffière et systématique. La langue précise et dénudée de l’administration judiciaire, du rapport, de l’exposé des faits. La quatrième de couverture, qui fait office de présentation au texte, précise d’ailleurs qu’il s’agit d’un docutexte et non pas d’un récit ou d’une fiction.

    Exposé des faits est un texte dont le mode de visionnage s’apparente à 10e chambre, instants d’audience de Raymond Depardon ; soit un docutexte en prise avec le réel au sein duquel les cas sont simplement présentés sans ajout de commentaire. La langue de la transcription judiciaire se veut neutre et objective mais ne peut échapper à la subjectivité de ses acteurs. Face à la recrudescence des séries policières, des émissions de reconstitutions, des dossiers et autres enquêtes, Vanessa Place s’empare des matériaux issus de son quotidien d’avocate et annule les effets de suspense et autres accessoirisations émotionnelles des faits. C’est au lecteur de prendre en charge la spectacularisation de la trame fictionnelle.

    Exposé des faits rassemble une petite dizaine de cas judiciaires : cas au sens de « case », une affaire. L’exposé des faits procède généralement de la façon suivante : présentant alternativement le dossier à charge d’un anonyme toujours identique appelé « l’appelant » (dans les films ou sur les écrans de télévision, l’appelant est généralement un mec violent, récidiviste, mal rasé et vulgaire), c’est la voix de l’accusation, et le dossier de la défense dont on suppose qu’il est présenté par un avocat (dans les films ou sur les écrans de télévision, l’avocat de l’appelant est généralement un avocat commis d’office). Quelques fois, la transcription des évènements laisse aussi place aux témoignages d’experts, aux éléments décrivant la progression de l’enquête et aux éventuelles réfutations proposées après les débats par la défense. Les affaires se succèdent, elles n’ont aucun rapport factuel les unes avec les autres.

    La quatrième de couverture citée précédemment invoque Raymond Depardon pour donner le ton. La question qu’on peut se poser à la lecture de ces extraits disséminés serait : quelle langue pour quel propos ? Pour le propos Vanessa Place s’en explique : Mon projet littéraire "Exposé des Faits" s’intéresse à la latence de la loi, à l’affaire criminelle comme entité non auto-constituante, l’affaire sans la loi, l’affaire sans l’affaire. (Parce que la loi n’est jamais que la loi appliquée à l’affaire.) C’est donc un projet indexique, symbolique et ironique, ou du moins iconoclaste (sans loi), ce qui signifie la même chose. 
(...) 
 À cet égard, l’écriture conceptuelle, comme mes Exposés des Faits, vient articuler l’énonciation de l’Américain, une valise à la fois vide et pleine, signifiant le rien singulier et le potentiel du multiple. Mais qu’en est-il de la langue ? Sèche, froide, sans aucune manipulation ou organisation des paroles, témoignages ou évènements rapportés. Si la subjectivité de ces voix est omniprésente, elle n’engage jamais que leurs auteurs : les témoignages et les déclarations se contredisent et jamais le texte ne viendra trancher en validant telle ou telle partie. Il n’y a pas de jugement, il n’y a pas de jury, il n’y a pas de verdict. Le lecteur est-il pour autant placé dans cette position là ? Non, car les affaires sont pour la plupart fragmentées et le texte reste fidèle au titre : c’est à dire qu’il s’en tient aux faits, c’est à dire au discours. La recherche de la vérité n’est pas concernée par les enjeux du texte.

    Les affaires se succèdent, certes, toutes étrangères aux précédentes, mais elles dessinent tout de même les unes les autres une couleur thématique omniprésente qui souligne, comme l’indique Chloé Delaume dans son billet, « la violence faite aux corps, et principalement à celui de la femme ». Viols, relations sexuelles avec de jeunes mineures, prostitution, viols à nouveau. Voilà le programme, voilà le plan, voilà le sens donné au texte. Là encore, il est fait peu de place aux victimes, ni même au déroulement réel de l’enquête. Seuls les faits sont détaillés, repris, nuancés ou contredits en fonction des témoignages, et lorsque la dimension psychologique d’un violeur compulsif et mis au centre de l’une de ces affaires, ce n’est que pour décrire les techniques d’interrogatoires des spécialistes en crimes sexuels violents et leur méthode de travail. Comment, par A plus B et par un système de points, de comptabilisation des comportements et des pratiques, et de totaux sous forme de pourcentages, un individu peut être, ou non, qualifié de prédateur sexuel violent.

    Le facteur le plus important dans l’évaluation du Dr Hupka était le résultat élevé obtenu par l’appelant au Static 99, associé à « l’ensemble des facteurs de risque ». Le résultat d’un individu au Static 99 est définitif. Rien dans le comportement actuel de l’appelant n’indique que sa paraphilie est encore active, ni que l’appelant est encore antisocial ; au moment du procès, l’appelant n’avait pas manifesté sa paraphilie depuis dix-sept ans. (Supp. RT 268 ; RT 245-248, 254-255, 265n 294, 299-301) Selon le Dr Hupka, l’appelant est « quelqu’un d’une gentillesse remarquable », « coopératif. Agréable, sincère... une personnalité en tous points appréciable ». (Supp. RT 274-275)
    P.94

    En décrivant par le biais de ces discours gris la violence quotidienne de ces intervenants, Exposé des faits met également à plat des milieux très complexes et de ces comptes-rendus se dégagent parfois des esquisses sociologiques extrêmement percutantes : c’est le cas lorsque la prostitution est décortiquée en quelques paragraphes.

    « Le milieu », c’est la prostitution. Ses règles interdisent notamment tout type d’association avec des personnes en dehors du milieu, à l’exception des michetons, c’est-à-dire des clients. Le processus d’endoctrinement a pour objectif de répondre aux besoins de la prostituée : si elle a besoin d’amour, son mac lui en fournira ; d’amitié, il lui en donnera ; de vêtements, il lui en paiera ; ainsi fonctionne « l’accroche ». Quand une prostituée gagne de l’argent, le mac la félicite. Quand une prostituée enfreint les règles – en s’adressant à un autre mac, en refusant de travailler ou en arrivant en retard – il y a punition. La punition peut-être soit physique, soit psychologique : la punition physique va de la gifle à la mort par balles. Même si les règles peuvent légèrement différer d’un mac à un autre, le principe de base reste toujours le même. Par exemple, le rituel du choix : si une femme ayant déjà un mac croise le regard d’un autre, celui-ci a le droit de lui adresser la parole et de la faire travailler pour lui. Si un mac surprend une de ses prostituées en train de parler à un autre mac, elle sera rouée de coups. (RT 3:646-649).
    P. 68-69

    « Le milieu » du texte, c’est bien le corps, exploité (prostitution) violenté (passages à tabac) ou possédé (viols) : parfois un mélange des trois. Et si le texte est si strict, s’il s’en tient, encore une fois, « aux faits », c’est bien pour souligner la violence des situations et non la mettre en scène : pour ça aussi (sans doute) que les corps eux-mêmes sont absents, désespérément poussés hors texte puisque désespérément bafoués.

    La relation entre proxénète et prostituée reproduit celle définie par les liens du mariage traditionnels, établissant des rôle précis pour l’homme et la femme. Les macs respectent et admirent les femmes qui connaissent les règles du milieu et refusent de se laisser exploiter par d’autres hommes. Cent pour cent des relations entre macs et prostituées reposent sur la suspicion : le proxénétisme est un « jeu de dupes ». (RT 7:1134, 7:1148-1151) (…) Les filles appellent leur mac « papa » et les autres prostituées « belles-soeurs », le groupe formant une « famille ».

    P.72

    La posture de Vanessa Place est radicale et radical, Exposé des faits l’est nécessairement. C’est un livre au taser : 500 000 milles volts grosso modo et une très forte décharge pour l’ouverture de cette collection Littérature étrangè®e. Il est plus que probable que ce livre ne trustera pas le classement des meilleures ventes ni ne fera beaucoup parler de lui lors des prochains prix littéraires. Pour ça aussi qu’il faut le défendre. Pour ça bien sûr qu’on en parle.

    À noter, une série de rendez-vous, rencontres, lectures avec Vanessa Place à Paris, agenda à retrouver sur le site des éditions è®e ou sur la page Facebook dédiée à ces évènements.

  • 230910

    23 septembre 2010

    Je poursuis mon exploration viscérale de la banlieue de banlieue et tapant plus près de Paris, ligne A et non plus D, Vincennes, Fontenay sous bois, Joinville le pont. Rendez-vous hier anciens collègues pour comparer respectivement nos expériences de Pôle Emploi. J’explique Svetlana, ma conseillère perso à moi, qui tient à me voir tous les quinze jours et squatte depuis lundi déjà ma boite mail. Alors faire semblant de chercher quelque chose tout en s’évertuant de surtout, surtout, ne pas trouver. Je vis plutôt bien mon chômage (ou plutôt j’en profite).

    Traverser de nuit banlieue de banlieue en bus démultiplie sans trop le vouloir le sens de la géographie. Ça veut dire le temps, ça veut dire l’espace, ça veut dire la lune qui rôde en haut comme un chaman rempli d’hélium. Serpenter dans la nuit, le béton minuscule, les bretelles autoroute, diffracte aussi la carte telle que je l’avais en tête ; j’en profite pour écouter podcast d’Eden matin midi et soir (Chloé Delaume via France Culture) et recommande vivement.

    Vide, tu es je suis vide. L’esprit en appel d’air, organes fantoches et cœur aride. Une âme stérile, une voix de pierre. Des cailloux plein la bouche, des crachats de silex. Mais aucune étincelle n’affleure aux commissures, aucune, jamais.

    (Voir aussi Arnaud Maïsetti pour lecture et écoute du podcast)

    lune-helium.JPG

    Coincé Gare de Lyon, comme le narrateur bien anonyme de Coup de tête je cherche Nil, Nil est nulle part, ou plutôt si, des Nils, c’est à dire des clodos, y en a partout, certains même n’en sont pas, ils puent l’alcool, ils dorment par terre. Gare de Lyon coincée la nuit ressemble en fait à Gare de Lyon ouverte le jour. Quelques corps en moins. Mais grosso modo la même absence de temporalité : la nuit, le jour, là-bas, sous terre, comme dans un Casino en fait, c’est juste exactement la même chose. La même lumière, les mêmes annonces. On fait, au fond, pas trop la différence. Est-ce que j’ai pensé ne serait-ce qu’une seconde aux risques d’attentat dans les transports ou même ailleurs, aux bombes disséminées partout sur, sous et dans les rails, les wagons, les caténaires, est-ce que j’en ai profité pour en construire une peur primaire de plus à ajouter au catalogue ? Même pas. J’y pense maintenant, mais a posteriori.

    Coup de tête, deux mots, juste pour dire que la dernière des dernières relectures est en cours, se terminera d’ici demain, samedi au plus tard. Ensuite ce sera terminé, ça fait bizarre rien que de le penser, mais c’est bien vrai. Après je ferai lire.

    Pour passer le temps dans la nuit tartinée au néon j’ouvre 79 carré nuit blancs de Jean Gilbert acheté au pif il y a un mois. Ce livre de poésie fiévreuse est en réalité une traversée en Insomnie. Je me rappelle lecture d’Arnaud Maïsetti, « Où que je sois encore... il y a quelques semaines et j’insomnise. Il faudra que je relise, faudra aussi en reparler.

  • Sans open space, de Joachim Séné & Patrick Bouvet

    31 octobre 2010

    Les deux livres sont sortis à 10 jours d’intervalle, pas plus. L’un, Sans de Joachim Séné, sur la plateforme numérique Publie.net. L’autre, Open Space de Patrick Bouvet, est le premier volet d’une collection dirigée par Chloé Delaume chez Joca Seria intitulée Extraction. Les deux textes ont en commun de décrypter le monde de l’entreprise, le premier par le biais d’un licenciement (c’est d’ailleurs le sous-titre posé sur Publie.net pour l’accompagner : un licenciement), le second dans l’exploration quasi mythologique de l’open-space, aménagement de l’espace de travail choisi par 60% des entreprises en France.


    Ca commence bien sûr par un corps que l’on pousse dans l’espace. L’espace est une plateforme mitraillé par des yeux qui sont tous des écrans. Chez Bouvet, le corps est une femme, tout du moins une voix dont on dit qu’elle est « elle » et qui traverse, quasi de verre « le réel / (et ses mécanismes / invisibles) ». Chez Joachim Séné, le corps est retranché derrière sa voix seule et le matin se heurte au plastique noir d’un clavier d’ordinateur. L’ordinateur (l’écran nécessairement) est la première étape, celle qui permet aux textes de s’ouvrir et de crépiter. Des écrans d’ordinateurs il y en a des centaines et c’est à la lumière (stroboscopique parfois) de ces écrans là que le panorama se pose, cadre photo blafard des éclairages artificiels, au dehors et au dedans des corps qui les traversent.

    Écran, mes yeux plissés. Quoi sur l’écran au cadre noir ? Couleurs beiges, des gris, du blanc, texte noir, pixels lumineux, fenêtres, angles droits, menus, boutons rectangles, formulaires, code informatique, l’écran entier soixante fois par seconde ses millions de pixel, en bas l’icône courrier : un clic et chargement. Attente. Le regard sur le bureau de faux bois : stylo quatre couleurs, feuilles, écritures traces, flèches,cadres. Post-it jaunes, bleus. Quelques mots, des chiffres. Table voisine : bras d’un collègue et la souris sous la main, clics glissés, même table/bois/plaqué/clavier/souris/câbles/écran. Autres signes, sur d’autres feuilles, tout comme brouillon, brouillage, feuilles, documents, encre, là : tracés droits, mots illisibles sans doute clairs ailleurs, plus tard. Regard sur écran à nouveau et ronron des machines sous les tables.

    Joachim Séné, Sans, Publie.net, P.9-10

    Elle se déplace entre les écrans

    l’open space
    fonctionne
    à une vitesse supérieure
    un espace
    vibrant
    à la surface miroitante

    Patrick Bouvet, Open Space, Joca Seria, collection Extraction, P.34

    Qu’est-ce que ça veut dire que d’être sans ? Sans travail, bien sûr, fruit du licenciement banalisé par « la crise » (lire le précédent texte de Joachim Séné), qui voit les corps déserter l’entreprise tour à tour, sans arrêt remplacés comme cette « métaphore du renard patte prise au piège qui se sauve en sacrifiant sa patte » (Sans, P.32) mais qui « peut en faire repousser d’autres, des pattes » (P.61). Mais aussi sans son corps, phagocyté par « la boite » et avalé par l’écran, les pixels, le code qui s’affiche 60 images secondes et dépecé par la mitraille des écrans périphériques. Dans l’Open Space de Patrick Bouvet, le « elle » qui se traverse elle-même autant qu’elle traverse l’espace qui la porte ne fait plus la différence entre la boite, l’entreprise, et la boite, de nuit, qui se confondent en fusionnant dans un espace unique. Le jour, la nuit, tout est rythmé sous le tempo des flashs, qu’ils soient issus des clubs ou des fils actu du Nasdaq, c’est la même drogue qui étire tout le corps dans l’espace (« ils ont l’impression d’entendre / l’espace / comme un film / bourré de mystère »).

    S’inventer un mode de fonctionnement, être autrement, être autre et mentir, à l’intérieur des murs, encodage d’un mode autre, s’abaisser à l’état de machine pour mieux supporter son état d’exploité : n’être que ce rouage mécanique entre une valeur d’entrée et une valeur de sortie, n’être que ce oui-non binaire 1-0 plus souvent assis courbé oui-oui mains en repli sur le clavier tête penchée baissée vers l’écran, ce corps en forme de zéro. Ne plus avoir la force de se dresser humain dans ce lieu de machinerie ? Quel masque ? Quel masque nécessaire dedans ? Quel masque petit à petit conservé dehors avec le temps ? car si difficile à enlever, de plus en plus, jusqu’à ne plus avoir la force de, car quoi en retour ? Quoi pour ce geste ?

    Sans, P.50-51

    vision panoramique
    irréelle
    il faut bien faire
    subir
    quelques déformations
    à ce monde
    pour le rendre
    harmonieux
    « 
    love
    love
    love
    _ »
    elle continue de secouer
    la tête
    en attendant
    son petit paradis
    reconfiguré

    Open Space, P.45

    Pas étonnant de trouver ces deux livres, publiés quasi en même temps, par deux acteurs en pointe sur la diffusion de textes contemporains, sur fond de mots « la crise », « la conjoncture économique ceci » ou « la hausse du chômage cela ». Ces deux textes échos aussi à la Zone de combat, de Hugues Jallon, paru il y a quelques années chez Verticales et dont le leitmotiv était la peur : la peur de tout. Avec Sans et Open Space la peur a été avalée par l’entreprise (la boite), est institutionnalisée, de manière à ce que l’open space, justement, devienne un chez soi permanent car sans la boite : point de salut (« à la musique écoutée au casque en codant / aux MP3 sur le disque dur de boulot » invoque Joachim Séné en préambule à son texte : musique aussi qui fait que devant l’écran on s’y sentirait bien chez soi). La vie du salarié, intégré à l’espace de travail de la boite ni plus ni moins que comme une machine de plus (au bout de l’énumération des objets quotidiens du bureau qui ouvre Sans, on trouve le collègue d’à côté), est absorbée par l’écran 1, la mosaïque d’écran qui nous dévisage tous : « sa vie lui paraît / s’animer / par des systèmes / pour d’autres systèmes » (Open Space, P.12).

    Rien qu’une requête à google « chômage et insomnie », les forums, les questions et sur le côté les liens commerciaux pour les somnifères, pour les tisanes, pour les gélules, autour d’un article sur les causes de l’insomnie : « Inactivité : pour des personnes au chômage ou à la retraite… Un corps pas suffisamment fatigué pendant la journée, physiquement ou intellectuellement… de la peine à s’endormir… Ecrans lumineux : télé ou ordinateur, encore plus internet et son activité intellectuelle de lecture de texte ou d’image… Tabac. Alcool. Dépression. »

    Sans, P.35

    elle a toujours
    espéré
    échapper
    au monde
    (à sa présence
    trop massive)
    en se plaçant
    au cœur
    d’une structure
    opaque

    Open Space, P.37

    La métaphore animale du corps piégé (plus haut le renard de Joachim Séné, qui peut à la fois valoir pour l’employé et l’entreprise elle-même) est aussi valable pour une génération qui a toujours vécu avec la présence de l’écran à ses côtés. C’est le cas dans l’Open Space où la voix qui dit « elle » précise qu’elle y retrouve des collègues qui ont « grandi / avec les premiers jeux / vidéo / ils ont la nostalgie / de cette technologie / qu’ils trouvaient / magique » (P.19). Plus loin (P.20) « ils ont grandi / dans la répétition / de figures géométriques / simples » et sont donc mieux digérés par le système, qui les intègre aux autre systèmes que le système (encore) produit avec automatisme 2. Dans les tours de Sans, même les fantasmes et les chairs sont absorbés par l’écran et les rêveries d’employés sur leur temps de travail, après tout, appartiennent intégralement à l’employeur : on les laisserait en friches au milieu des mots de passe, des mails et des codes qu’il faudra bientôt rendre, insigne et arme de service posés sur le bureau du chef, lors d’un prochain licenciement probable (et les corps aussi rangés comme de la viande dans des compartiments consommables : « savoir élever sa viande », écrit Joachim Séné P.41 et Patrick Bouvet prononce aussi le mot, cf. extrait suivant).

    Toute la journée en mission avec, tout le jour, tout le temps d’une année ou deux de contrat, celle en jupe et bottée, hiver comme été, tous mes regards sur elle sur son passage, un viol par réunion et devant l’écran sous la table érection écrasée, canalisant mes fantasmes, prenant entre deux lignes de code celle-ci ou celle-là, l’une après l’autre et puis ensemble, sans deviner un seul instant que mes milliers de semblables, tout comme moi, derrière le verre dur des hautes tours, canalisant en réseau crypté des fantasmes en millions de lignes de code informatique, toutes ces pulsions sublimées, décompression de rêves érotiques aux vêtements dézippés, jupes retroussées itérées juqu’à n, culotte décrémentée et jambes étirées dans le menu Édition/Insertion, sexe Format/Paragraphe aligné-centré, amour pixelisé et positions paramétrées et le tout finalement recompressé, Ctrl+Z annuler, quitter sans sauvegarder, tout ça écrasé dans les bits informatiques des applications cœurs de la finance mondiale, de l’industrie française, en échange d’un listing jet d’encre fin de mois, brut, net, à demain tête baissée, millions de frustrés.

    Sans, P.41-42

    une impression de désolation
    terrible
    elle est à genoux
    dans un espace morcelé
    des blocs couleur chair
    la bousculent
    elle a envie de vomir
    les danseurs sont passés
    du vivant
    au mort
    puis du mort
    au mort-vivant
    de la viande
    métamorphosée
    surchargée
    de pulsions

    Open Space, P.71.



    Je le disais plus haut : deux acteurs majeurs du texte contemporain en France et ces deux livres parus quasi même jour, pas un hasard. Sans open space pourrait être titre unique qui disséquerait la question du sans : l’espace infime entre le « je » et la « boite », celle qui enferme, celle qui prend même possession du corps, l’espace infime entre l’oeil et l’écran, l’espace infime qui inventerait même son propre écartèlement.

  • Qu’est-ce qu’un logement : essai voix

    9 décembre 2010

    À l’origine du projet Qu’est-ce qu’un logement je n’avais jamais prévu d’y ajouter une version audio. L’idée m’a été soufflé à l’époque par François Bon (c’était début 2009) après que je lui ai envoyé le texte pour Publie.net et avant sa mise en ligne. Après reprise des archives il m’avait alors proposé possibilité d’un « fichier mov avec diaporama et ta voix qui lit ? » et j’avais répondu, en substance, pourquoi pas mais plus tard, ce qui était une façon subtile de me débarrasser du problème.

    Faire une version audio de Qu’est-ce qu’un logement j’y repense depuis plusieurs semaines, depuis grosso modo que j’ai du temps à occuper devant moi, et ce projet je le note « QA » dans mes archives quotidiennes. Le but serait de pouvoir inclure cette version mp3 aux fichiers PDF et Epub proposés par Publie.net, le tout serait dans un seul « pack » somme toute, et ceux qui ont déjà téléchargé le texte par le passé pourrait récupérer cette version en mise à jour, le tout à voir avec Publie.net bien entendu.

    Pour cette version du coup ai commencé à faire des tests d’enregistrement, de voix bien sûr mais pas que, prenant par exemple le son dehors, devant la fenêtre, de la fonte des neiges sur les toits tout proche. Je le répète, ce sont des tests, des tentatives de pour voir comment faire pour. Dans la foulée j’enregistre aussi la lecture d’un de ces fragments, le 46 en l’occurrence, me rappelant récente écoute d’Eden matin miti et soir de Chloé Delaume, version radio (France Culture), et par hasard d’abord ai superposé les voix, toutes miennes, pour un effet de brouillard audio qui m’a séduit. La version de test est très courte, le bruit de la neige est inclus, et il est disponible en streaming ci-dessous.

  • 191011

    19 octobre 2011

    Pour moi, rien n’entrera
    auparavant dans ma bouche, ni pain, ni vin. Mon compagnon est
    mort ; il est couché sous ma tente, percé de l’airain aigu, les pieds
    du côté de l’entrée, et mes autres compagnons pleurent autour de
    lui. Et je n’ai plus d’autre désir dans le cœur que le carnage, le
    sang et le gémissement des guerriers.

    Homère, L’iliade, traduction Charles-René-Marie Leconte de L’Isle

    Comme un pantin j’ai le fil épaule gauche qui se détache du nerf en bois. Un type sans bras fait la manche (mais sans bras). V. me file par email des annonces d’appart libre sur Paris, je lui réponds : je me suis lassé de vouloir vivre ailleurs (et l’idée m’a quitté). Je commence et je lis, je termine, La nuit je suis Buffy Summers de Chloé Delaume (et je meurs) pour voir un peu ce que ça donne un vrai livre dont vous êtes le héros mais écrit réellement. Je me dis que ce vies // est trop propre, qu’il faudrait le salir. Le ciel tombe. Le ciel se renverse. Je reçois des courriers de ma banque en papier. J’attends que ce matin se reprofile devant mes yeux avec sur lui un faux masque de jour et de lendemain neuf.

  • 030612

    3 juin 2012

    Un Ford ou un Edison sont mille fois plus capables de provoquer une révolution qu’un politicien. Vous croyez que les futures dictatures seront militaires ? Non, monsieur. Le militaire ne vaut rien comparé à l’industriel.

    Roberto Arlt, Les sept fous, Belfond, traduction Isabelle et Antoine Berman, P.68

    Dressons la liste des dépenses fictives mensuelles en cas d’emménagement futur dans l’appart aux briques rouges. Comparaison papier avec la liste réelle des dépenses actuelles (sur laquelle je fous l’oeil pour la toute première fois). Quant au déménagement lui-même, savoir combien de milliers d’euros il coûterait. Derrière nos dos, la journée, Lalapin a mangé une bonne douzaine de livres, pas entier mais partiellement, parmi lesquels des Agatha Christie, Chloé Delaume ou Sébastien Doubinsky. Certains seront jetés, d’autres pas. Litres de confettis sous les lames du parquet. Regard tombe sur la fiole d’hydroxyethyl et toute réalité humaine environnante s’amenuise.

    « L’argent fait de l’homme un dieu. Donc Ford est un dieu. Si c’est un dieu, il peut détruire la lune. »

    P. 190

    Clavier : aucune ligne. Ni tristesse ni retard ni frustration ni rien de tous ces faux trucs là. Simplement constater face l’écran n’avoir rien envie de faire d’autre que constater assis là cette prodigieuse absence d’envie de rien faire. J’y attends.

  • 220920

    22 octobre 2020

    Au moins, dans Le cœur synthétique de Chloé Delaume, on sait que nous sommes dans une parodie. Le monde réel : parodie s’ignorant parodie de lui. Clotilde avoue que quelquefois, quand les gens l’applaudissent, ça lui fait tellement chaud qu’on dirait de l’amour.


  • ↑ 1 J’ai en souvenir, travaillant encore pour PDG il y a plusieurs mois, l’absorption par le Google Agenda de la boite, du Google Agenda perso d’une collègue, hasard et erreur de synchronisation des comptes, mais symptôme vivant de l’assimilation du privé dans le monde du travail.

    ↑ 2 Souvenir de lecture, L’insurrection qui vient, et si je ne devais en retenir qu’une seule idée ce serait celle-là : « Travailler, aujourd’hui, se rattache moins à la nécessité économique de produire des marchandises qu’à la nécessité politique de produire des producteurs et des consommateurs, de sauver par tous les moyens l’ordre du travail », extrait complet à lire, retour vers le billet de l’année dernière.