Robert Pinget



  • 031216

    6 janvier 2017

    Voilà les souvenir qui reviendront à Levant lorsqu’il se noie : l’anniversaire de ses quinze ans, passé au poste de mélangeur dans l’usine de savon. Toute la nuit ; il est né à 23 heures. Mais il est né un dimanche. Les huiles, on prenait ce qu’on trouvait. Il y a aussi l’immeuble où il a grandi. Les chauds-froids, le chauffage central. Devoir ouvrir les fenêtres en hiver tellement on a chaud. Des moments russes, gamin, loin du Port. Puis, au retour, la vue sur les barques qui flottent comme des tubercules dans l’évier, la peur de tomber. La marina maintenant. Santal partout qui pue le chaud, les pavés tout propre.

    Fabien Clouette, Le bal des ardents, Éditions de l’Ogre, P. 153

    Ancelotti est , hésite à changer Ibrahimović (douleurs abdominales et blanches) par Arturo Vidal. Le maillot est rouge mais ce n’est ni Man U, ni le Bayern. Plus vraisemblablement la Juve, où les trois sont passés par ailleurs, preuve que le rêve est cohérent, mais jamais en même temps. 442 en losange. Samedi. Levé très tard, courir avec H. (plus de six mois sans). 33 minutes, sans doute 5km, sur le Jerusalem in my Heart (mais le GPS n’y est plus). Tant pis. Pas mal de Shiba Inu. Toujours des problèmes au niveau de mon souffle. Plus loin : le bruit d’une grande claque sur un torse dont on briserait les côtes flottantes. Après-midi d’hiver, capot du Macbook clos, à relire un bout du Portrait de Dorian Gray sur une dalle inversée blanc sur noir et finir Watership Down (Richard Adams mourra dans juste 21 jours). Plus loin encore : Danvé quitte la plage, l’horizon ouvert, et retourne se cacher dans les boues, faire corps avec les jeunes écorces. Il cherche à fondre, être sable mouvant. Ailleurs mais lu dans le prolongement :

    [O]n vivait dans un monde soviétique, où il n’y avait qu’une seule règle du jeu, et tout le monde jouait selon cette règle. Quelqu’un est debout sur une tribune, il ment, tout le monde applaudit, mais tout le monde sait qu’il ment, et lui, il sait qu’on le sait. Mais il débite ses mensonges, et il est tout content qu’on l’applaudisse.

    Svetlana Alexievitch, La fin de l’homme rouge, Actes Sud, traduction Sophie Benech

    Soir, 1269 mots. J’étais assez fier de n’avoir pas ouvert le capot du MacBook autrement que pour écrire le journal et, furtivement, suivre le déroulement du match. Ce qui était important, c’était de ne pas se noyer dans le flux des heures arrachées à notre volonté propre. C’est-à-dire donc FB, Twitter, les autres. Mais quelque chose ne marche pas dans cette partie d’Eff dans quoi je suis réduit à errer. Je suis dans la nature. Il faudrait me fixer dans une direction, un système de tag clair capable de m’ancrer, dans chaque chapitre, dans une réalité déterminée. Tout est trop lâche, je vais où bon me semble et souvent c’est se perdre.

  • 051216

    8 janvier 2017

    C’est dans cette pièce que le maître aurait lors d’une grave maladie rédigé ses dernières volontés et non dans son bureau du premier étage, immobilisé qu’il était au rez-de-chaussée où il campait provisoirement.
    Son domestique d’alors qui finit ses jours à l’asile le soignait avec dévouement selon les uns, le séquestrait selon les autres.

    Robert Pinget, L’apocryphe, Minuit, P. 24

    Pas de place pour autre chose que pour Karamazov dans les rêves 1 et comment, comment en tirer autre chose que de la noirceur ou de la mélancolie dans l’écriture, comment en tirer de l’extase et de la joie, un moteur ? Une lumière orangée en plein milieu de l’après-midi. Étique, on peut dire ça. J’ai fait caraméliser des trucs. On comprend beaucoup de choses à l’écriture des autres en se penchant sur leurs lectures, ici dans ce passage de L’apocryphe, l’autre jour dans Paysage de fantaisie. Je me demande qui colle les cartes de mutuelle sur les courriers de décembre. C’est pour l’année suivante, oui, mais qui fait une boule de cette colle élastique, éphémère, qui ? Et en quoi elle est faite cette colle ? Et une empreinte digitale dans la matière de cette matière ? Glass bien sûr, les études, mais au-delà ce soir : Tchaïkovski, Liturgie de saint Jean Chrysostome. Puis la Valse triste de Sibélius et c’est Christine que ça m’évoque. 1825 mots écrits en partie là-dessus. Pas les mots que j’attends mais des mots préalables qui conduiront, demain, vers ce que j’attendais moi ce soir. Un regard sur les stats : depuis que je me suis remis à Eff il y a quelques semaines, j’ai écrit plus de 27 000 mots et je ne suis pas encore où je voulais aller. C’est moitié moins que le livre de Jean-Pierre Suaudeau sur quoi j’ai recommencé de travailler cet après-midi et il faudrait sans doute en faire dix fois plus pour s’octroyer le luxe d’en jeter la moitié ou les deux tiers.

  • 081216

    10 janvier 2017

    Quand tout à coup, à l’angle de la tour ouest apparaît un personnage sous des vêtements de brebis, il avance vers nous, loup ravisseur, prétend nous remettre nos dettes mais nous dormons profondément et il s’éloigne avec nos rêves, les lys du grand sommeil, nulle trace demain, un pas vers la tombe.
    Un sagouin, un jobard.

    Robert Pinget, L’apocryphe, Minuit, P.59-60

    Pour Noël, offrez-lui un tire-bouchon automatique. Avant ça c’est un rêve épuisant. Pas grand chose. Ou bien je pourrais recopier la journée d’hier. Fatigue physique, mentale, et inversion des contrastes. Incapable d’aller écrire Eff sur de l’écran ce soir alors je fais ce que je fais qu’une fois toute les années bissextiles : j’écris sur du papier avec une main qui peine à suivre. Je me sais peu enclin à correctement me relire, demain, lorsqu’il faudra reporter ça dans Ulysses, tant pis. J’ignore combien de mots je fais mais je noircis six pages sans relever la tête sur des Études. Sans doute que l’écriture est différente, je sens cela dans le poignet. Le paradoxe, c’est bien sûr que ce temps d’écriture que je vole à l’écran je viens m’asseoir dessus en reportant ces quelques mots dans le journal, donc dans l’écran. Je laisse finir exprès la Metamorphosis II si lente, jouée par Bruce Brubaker pour que résonne ensuite le chœur de Tchaïkovski. Termine au fond de la nuit le premier Carnet de notes de Bergounioux, effort commencé vraisemblablement il y a plus de deux ans, peut-être même dès mai 2014.

  • 091216

    11 janvier 2017

    Ils étaient touchants les deux frères restés seuls dans cette grande maison après tant de deuils et de chagrins, plus grand-chose pour subsister, se débrouillaient comme ils pouvaient, mangeaient plus souvent des nouilles que du rôti et faisaient même leur lessive, je vois encore le cadet étendre le linge sous les ormeaux, je lui donnais parfois un coup de main, il me disait pas la peine vous avez d’autres chats à fouetter, ne vous inquiétez pas je suis solide, tout va bien.
    Jusqu’au jour où on l’a retrouvé dans le pré sur son tas de linge, il était déjà raide, l’autre s’était absenté. On a tout de suite téléphoné à la gendarmerie et au docteur mais quoi, c’en était fait.

    Robert Pinget, L’apocryphe, Minuit, P. 88

    Quatrième jour de pollution. Métro gratuit encore. Dans la vie véritable je suis là à me trainer et des trucs comme aller à la Poste une enveloppe dans les mains mais sans l’adresse dessus. Ou bien encore le ticket à la machine qui t’affranchit les trucs et l’oublier. Un printemps à Tchernobyl, d’Emmanuel Lepage, s’ouvre sur cette lecture de La supplication dans un train. Et Guyotat dans Humains par hasard, série d’entretiens avec Donatien Grau : J’avais des textes qui étaient là pour me ramener à mon non-être. Éden, Éden, Éden me ramenait dans ma niche, non pas de chien, mais de saint. J’apprends le cancer de quelqu’un. À la maison de la poésie procrastiner avec Christophe Grossi et Fabienne Swiatly 2. Quelques notes : Maurice Pons 3. Quel corps occupe l’espace. Et des filles dans le métro se passent du gel hydroalcoolique sans rinçage et se les frottent vigoureusement. 933 mots étranges mais néanmoins réels (et je n’ai pas le courage de reprendre les notes manuscrites d’hier).

  • 111216

    14 janvier 2017

    Se souvenir que la nuit est une frontière opaque. Mais incapable pendant une heure de retrouver le nom du héros de Mad Men, dont je revois pourtant le visage, la carrure, la silhouette, la démarche, la voix, le bureau, la maison, l’appartement, la voiture, la première femme, la seconde, la femme venue de son passée, et l’issue que les créateurs de la série lui ont choisie. Jamais le nom. 1061 mots pour ce Eff qui se cherche. Il est sans doute temps de passer à l’autre voix, là. D’alterner. Puis, dans la foulée 272 autres mots inécrits hier mais qui sont venus là. Repris et complété le truc ouvert hier pour en faire quelque chose à deux voix. Dans l’après-midi Marie boulevard Raspail, à qui je dis je t’ai volé une phrase. Noir et blanc. Tiempo ça existe encore ? PSG - Nice (2-2). Fin de L’apocryphe et de Réparer les vivants.

    Ensuite, il ôte du corps tout ce qui l’envahit, ces fils et ces tubes, les perfusions et la sonde urinaire, il le débarrasse de tout ce qui le traverse, l’enlace, en obstrue la vision, il le dégage et alors le corps de Simon Limbres apparaît dans la lumière, plus nu que nu soudain : corps humain catapulté hors de l’humanité, matière inquiétante dérivant dans la nuit magmatique, dans l’espace informe du non-sens, mais entité à laquelle le chant de Thomas confère une présence, une inscription nouvelle.

    Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, Verticales

  • 170617

    3 août 2017

    Quelqu’un se fera livrer deux bibliothèques entières de livres avant de déclarer à qui voudra l’entendre : demain à 17h je me pendrai. Puis derrière c’est une petite boite en carton oubliée dans un train : tu l’ouvres et deux grenouilles naines et rouges s’en échappent en sautant. 866 mots pour Eff. I. quelque part près de la place d’Italie pour un verre. Je lui parlerai d’Eff en quelques mots. De quoi prendre en note cet autre extrait 4 issu du Lac sur la mort de quelqu’un, et j’ai besoin de ça pour Eff justement. Corner, ailleurs, des pages de La ville fond, que je commence la nuque endolorie d’elle-même. J’apprécierai retrouver des bribes de trucs lus déjà dans le chaos des Relevés mais refaits, sans doute, ou réécrits, je suppose. Ou par exemple, cet effort de micro-répétitions qui se jouent de la chose narrée, des éléments factuels venant gonfler l’intrigue et qui saccadent, ça saccade, il y a du cliping, on est proche du bug d’affichage ou du glitch à l’écran. Ici page 31 :

    Il descendit au rez-de-chaussée et s’assit à la table de la cuisine. Bram était absent. Sur la table de la cuisine, un mot de Bram indiquait qu’il était absent. Je suis absent — Bram, disait le mot. La table était mise.

    Il y sans doute des éléments de réponse à chercher dans L’apocryphe de Robert Pinget que Quentin m’avait envoyé il y a quelques mois. Dans une forme de compartimentation méthodique d’éléments de narration. Je ne trouve pas les bons mots pour le dire. Ou bien page 36 : Depuis que la ville fondait, c’était un luxe d’attendre. Cela, Bram l’ignorait. Formule qui revient très souvent ét(r)eindre les paragraphes en fin, pas réellement comme un slogan, plutôt comme forme de routine.

  • 051219

    5 janvier 2020

    Cher Bernard Arnault,

    On ne se connaît pas mais je souhaiterais vendre mon âme à toi. As-tu déjà vu le film Two Days in New York, de Julie Delpy ? Dans ce film, l’héroïne propose, au cours d’une performance artistique, de vendre son âme au plus offrant. Quelqu’un l’achète et, prenant peur de la perdre, celle qui ne croyait jusqu’alors absolument pas à l’âme se met en tête de la récupérer. Aucun risque me concernant : je ne crois ni à l’âme, ni à l’argent. Ou, pour être plus précis, j’aimerais ne croire ni à l’un ni à l’autre. C’est la raison pour laquelle je suis le plus à même d’initier cette transaction. Toi, de ton côté, tu as été il y a quelques jours à peine l’homme le plus riche du monde. Ce ne serait déjà plus le cas. Les cours de la bourse sont volatiles. Jeff Bezos est repassé devant. Peu importe. Je n’ai pas beaucoup d’affinités avec Jeff Bezos. Je n’ai pas non plus d’affinités avec toi mais enfin, il y a quelques années, j’ai voté pour toi, ça aide. C’était au deuxième tour de l’élection présidentielle, et, hésitant à voter tout court, pour faire barrage à l’extrême droite j’ai voté néanmoins. Depuis, des politiques d’extrême droite sont à l’œuvre au sommet de l’état, mais c’est une autre histoire. Est-ce réellement une autre histoire ? Toi, de ton côté, depuis ton élection, je veux dire depuis l’élection d’Emmanuel Macron, ta fortune estimée a plus que doublé : de 39,5 Milliards de dollar, elle aurait atteint les 100 Milliards en cette fin d’année 5. Lisant cette phrase, on a le sentiment qu’il s’est passé deux septennats mais non : seulement deux ans et demi. Rendons-nous compte. Il ne faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit. Je ne dis pas que c’est lié. Je pose simplement deux informations de façon juxtaposées dans le fil du récit. En tant qu’écrivain, c’est mon droit. Aux lectrices et aux lecteurs d’en tirer, si besoin, des conséquences. C’est leur problème, pas le mien (à moins que ce soit notre problème à tous ?). En réalité, je ne te connais pas. Il m’arrive même régulièrement d’écorcher ton nom, disant Arnoux et non Arnault, comme le mari de Madame dans L’éducation sentimentale. Sur la page Wikipedia de ce roman, s’agissant du personnage de Monsieur Arnoux, on peut lire : il incarne le libertinage et le vice / c’est un arnaqueur dans l’âme / il revend des tableaux trois fois leur prix. C’est, en soi, un triptyque. Un trident, à la Roubaud ? Un tercet. Une nouvelle en trois lignes de Fénéon. Bon, je ne te connais pas, et je ne sais pas ce que ce doit être de passer ses journées à racheter (et, j’imagine, à revendre) des trucs. Des trucs qui contiennent aussi des images, des buildings, des sièges, des idées, des concepts, des savoirs, des industries, des savoir-faire, des projets, des regrets, des stratégies, des échecs, une identité, un passé, une histoire, des meubles. Et, au-delà de toutes ces notions-là, des gens. J’ai vécu une fois le rachat d’une marque par une autre. J’étais salarié de STAT et C., ma responsable alors, qui après mon départ se fera licencier comme un déchet après plus de vingt-cinq ans de maison, disait parfois ce n’est pas un crime d’avoir réussi. Par exemple quand on ironisait sur DSK et son train de vie. Ensuite, on n’a plus ironisé sur DSK, non plus à cause de son train de vie, mais à cause de sa propension à trousser des domestiques, ainsi qu’il a été dit sur des plateaux télé. A-t-on oublié qu’à une époque pas si lointaine, le sperme de DSK faisait la une de la presse un peu partout ? Ce qui veut dire que des gamins ont découvert l’existence du sperme en écoutant innocemment la radio, je veux dire en passant là au mauvais endroit au mauvais moment (je crois que c’est comme ça qu’on dit). C’était d’intérêt public. Quoi qu’il en soit, cette marque qui m’employait a racheté cette autre marque à coup de millions d’euros, laquelle employait des personnes, notamment en France (mais pas que), qu’il a fallu accueillir dans nos bureaux et le DG de l’époque, qui est désormais le DG d’une autre grande marque rachetée encore par la même maison mère plusieurs années plus tard, nous avait rassemblés pour nous annoncer la nouvelle et nous inviter à faire bon accueil à ces nouveaux arrivants. J’imagine que nous l’avons fait, à notre niveau, c’est-à-dire celui de salariés lambda habitués à travailler, comme on dit, dans l’opérationnel. Ledit DG n’avait jamais travaillé dans l’opérationnel. Il vivait dans d’autres sphères que la nôtre. Et résultat de l’affaire, bien que nous ayons fait bon accueil à celles et ceux qui deviendraient bien vite des collègues, les salariés historiques de cette marque se sont retrouvés, au fil des ans, virés les uns après les autres pour des fortunes diverses. Aujourd’hui, je me demande même s’il reste une seule personne de l’équipe initiale. Quand on se fait racheter, devient-on des vendus ? Et quand on rachète soi-même, quel est le mot qu’il convient d’employer ? Tu dois le savoir, toi qui a, au fil de ta carrière, racheté la bagatelle de d’ailleurs combien d’entreprises ou sociétés (sont-elles écran et, si oui, à quoi font-elles écran ?). Alors, pourquoi, sachant tout cela, vouloir vendre mon âme à toi ? Je sais que tu ne résonnes pas en ces termes. Soit. Je vais parler une langue qui est sans doute plus proche de la tienne. La seule question qui importe, c’est combien ? Et là, je serai intransigeant. Ne croyant ni à l’âme ni à l’argent, ou, du moins, souhaitant très fort croire que je n’y crois pas, je ne pourrais me satisfaire que de l’entièreté de ta fortune, cash et participations comprises, qui s’élèvent, selon Challenges à plus de 100 Milliards d’euros. Comme je l’ai dit un jour à K. dans un autre contexte, that seems fair. Autrement, à moins que ça, je crains que ça ne vaille pas le coup. Ça ne t’arrive jamais de te demander que ferais-je si j’avais beaucoup d’argent ? Non bien sûr, car tu en as déjà. Mais moi ça m’arrive. Et ça n’est jamais assez. Si on t’offre un million, c’est certes appréciable. Mais cela change-t-il résolument ta vie du tout au tout ? Dix millions alors ? On ne peut rien faire avec dix milions, tu en sais quelque chose. Cent millions ? Un milliard ? On fait toujours le difficile avec l’argent qu’on n’a pas, et puis ça n’est jamais assez. L’argent appelle toujours l’argent. Si j’avais ta fortune, je commencerai par ne plus vouloir rien posséder. Je vivrais dans des hôtels. Je changerais de lieu régulièrement. Ou bien alors non, je m’isolerais quelque part et je ferais précisément ce que je fais déjà mais, me dirais-je, mieux. Pour commencer, je trouverais le meilleur comportementaliste animalier au monde pour faire en sorte que les bêtes s’entendent. Je pourrais m’acheter tout un tas de produits hors de prix et fabuleux. Oui mais, Les objets ne servent à rien quand on vise à l’âme. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Robert Pinget. Je n’aurais pas nécessairement envie d’accéder à la propriété non plus car la propriété, c’est le mal. Je pourrais sans doute, comme toi d’ailleurs, viser la puissance / plutôt que le pouvoir. Là encore, ce n’est pas de moi mais de Lou Sarabadzic. Pourrais-je sauver la planète avec ta fortune ? Sans doute que non. Et très vite je rentrerais dans des considérations du style : pour sauver la planète, j’ai besoin d’argent, donc, avant de pouvoir sauver la planète, je vais m’appliquer à gagner encore plus d’argent quitte à, pour cela, niquer plus encore la planète, car au fond c’est un mal pour un bien. N’est-ce pas une curieuse expression ? Par exemple, l’incendie de Notre Dame peut être considéré comme un mal pour un bien : il nous a permis de mettre en lumière combien des milliardaires philanthropes adeptes de l’exonération fiscale peuvent se comporter comme des enfants d’école primaire quand il s’agit de jouer à celui qui aura la plus grosse contribution. On peut dire que la vie est bien faite. Aurais-je manifesté aujourd’hui si j’avais eu ta fortune ? Je n’ai dû me retrouver dans une manifestation que trois fois dans ma vie. La première, j’avais seize ans, et l’extrême droite était pour la première fois en finale d’une élection présidentielle et il fallait que la jeunesse, qui pour la plupart n’était pas en âge de voter pour qui (ou quoi) que ce soit, fasse entendre sa colère. Je n’étais pas très en colère. J’étais surpris. Blasé, même. On en était à se dire, qu’est-ce que le futur va encore inventer pour nous rendre la vie encore plus naze ? En ce temps-là on utilisait encore des mots comme naze. Et on ne peut pas dire qu’on ait été déçu. La deuxième fois, nous étions étudiants et j’avais fait l’effort de venir au moins une fois participer à ce que tout un chacun avait l’air de considérer comme essentiel, mais qui moi m’indifférait profondément : ce que je voulais réellement faire ce jour-là, c’était de continuer à écrire un livre, un livre où il finirait par y avoir une manifestation, tiens. La troisième fois, c’était un hasard, et je me suis retrouvé piégé dans une manif à ne plus pouvoir sortir, jusqu’à ce que des CRS non pas paniqués comme je l’ai d’abord écrit mais en proie à la panique nous exfiltrent et nous laissent traverser la Seine. C’était quoi ? La loi travail ? Nuit debout ? C’était à peu près à ce moment-là. Alors, fortune ou pas fortune, LVMH ou pass NAVIGO, ça ne change pas grand chose à mes yeux. Je n’ai jamais mis les pieds à la Fondation Vuitton (dont un croquis préparatoire de son architecte Franck Gehry illustre cette page, soit dit en passant). Ce serait peut-être l’occasion ? C’est littéralement à l’autre bout de Paris pour moi. Il me faudrait une bonne raison pour m’y rendre. La posséder en est-elle une ? Dans les faits, je ne possède pas grand chose. Hier, j’ai élargi le spectre de mes possessions en ayant recours, pour la première fois de ma vie, à l’un de ces paiements en plusieurs fois sans frais (sauf qu’ils ne sont jamais sans frais, et ce n’était d’ailleurs même pas marqué sur le site quatre fois sans frais, c’était écrit en quatre fois et la langue autonome et automatique des discours publicitaires qu’on nous matraque jour et nuit a fait le reste). Pour avoir l’option d’être prélevé à quatre moments différents, à quatre mois d’intervalle, j’ai dû me résoudre à payer l’équivalent de 2,5% du prix de cette chose, ce qui est beaucoup et peu à la fois. J’avais l’impression d’être dans l’antichambre d’un genre d’IKEA de la vie à devoir choisir un canapé qui irait me porter et me soutenir pour les vingt prochaines années et j’hésitais. C’est quand même un achat important. Il faut savoir y mettre le prix. Mais, et si on n’a pas envie d’y mettre le prix ? Si on paye déjà au prix fort le moindre de nos pensées ou le moindre de nos gestes à longueur de temps ? Si aller d’un point A à un point B cela nous est facturé ? Si imaginer des lendemains meilleurs est prélevé à taux fixe ? Je vis dans une résidence en briques rouges, un ensemble de cinq ou six immeubles de sept, non, huit étages en plein douzième arrondissement, laquelle est possédée par un grand groupe d’assurances. Quand nous sommes arrivés en région parisienne, j’ai commencé à travailler pour une start up à qui un multimillionaire, pour une raison qui m’échappe, prêtait un bureau situé rue du Louvre, au niveau de l’enseigne Duluc Détective, lequel multimillionnaire possédait le quartier. J’ai cru comprendre qu’il avait fait fortune, à l’époque, dans la copie et la vente de VHS. Le business angel de la start up, un autre multimillionaire, vivait en Australie et (mais ça c’est moi qui me l’imagine) passait ses journées à faire du surf. Je me souviens de son prénom, pas de son nom. Je ne l’ai jamais rencontré. Pourquoi l’aurais-je fait ? Comprendre : pourquoi aurait-il eu envie ou besoin de me rencontrer moi ? C’est une question que je me pose souvent quand on demande à me rencontrer. Passons. Si j’avais eu ta fortune, il aurait sans doute ressenti le besoin ou l’envie de le faire, mais alors dans ce cas ta fortune aurait-elle été un plus ou un poids ? Je n’avais rien à dire à ce type. Je préférais aller déjeuner seul dans la cour carrée du Louvre, voisine. C’est un lieu dans Paris que tu n’as pas encore racheté. Encore que : en 2017, une soirée Louis Vuitton y sera organisée. À coup sûr, ta situation, ton patrimoine, tes moyens m’ouvriraient bien des portes... Mais n’est-il pas certaines portes que l’on préférerait garder closes ? Je n’ai pas envie de me demander, à chaque fois que je me sens bien avec quelqu’un, est-ce qu’il m’apprécie pour ce que je suis ou pour ce que je pèse ? L’autre jour, j’ai vu le premier trailer du prochain James Bond, qui sortira au printemps. C’est censé être le dernier film de la franchise avec Daniel Craig, mais chaque film n’est-il pas sempiternellement le dernier quelque chose ? Le pire, ce sont les statistiques délivrées pendant les matchs de foot : c’est la première fois qu’une équipe marque un but contre telle autre en première mi-temps depuis quatre rencontres. On les donne en direct car il faut bien meubler, mais au fond ces statistiques n’ont aucun sens. James Bond, si. Depuis la fin de Spectre, nous sommes revenus à un certain ordre moral. Ce n’est plus une femme qui dirige Bond (Judi Dench), c’est un homme à nouveau (Ralph Fiennes). On dit maintenant qu’une femme pourrait incarner James Bond à l’avenir, comme le Docteur est devenu(e) une femme, comme Gandalf pourrait en être une. Pourquoi ne pas envisager que le prochain avatar de Bernard Arnault soit une femme ? Il faudrait y penser. Après tout, si James Bond peut être une marque, ou Tolkien pour ce que j’en sais, pourquoi Bernard Arnault n’en serait pas une ? Combien d’acteurs se sont succédés pour le rôle de 007 ? Combien pour le tien ? Et si le rôle de Bernard Arnault était ouvert au public ? On pourrait chacun être Bernard Arnault et se refiler le bébé. Je vois d’ici les slogans des pubs et des promos : soyez Bernard Arnault pendant une heure ! Ca aussi, c’était un film (avec John Malkovitch cette fois). Ça me rappelle ces CD de démo d’opérateurs internet à la fin des années quatre-vingt-dix : 200 heures d’internet offerts grâce à AOL. Certains esprits chagrins sur le web écrivaient ça AO-Hell pour la piètre qualité des performances sur leur réseau. Quel chemin parcouru depuis. Que devient AOL-Time Warner ? N’est-ce pas eux qui ont produit le nouveau James Bond ? Non, c’est Universal, groupe dans quoi ton ami Bolloré a trempé, je veux dire a des parts. Je dis ton ami, mais je n’en sais rien. C’est sans doute un rival. Un autre bully de la cour d’école. Moi, si j’étais Bernard Arnault pendant une heure, je serais plutôt embêté. En une heure, comment faire sortir le plus de cash possible de soi ? Même les cartes gold ont un plafond. Un virement nécessite de créer un destinataire. Même à l’ère du web cela prend tout de même 24 ou 48h. Alors, comment faire en une heure ? Tu te fais les poches. Tu revends ta montre. Tu cherches tes clés de bagnole. Combien vaut ta cravate ? Combien valent tes chaussures ? Dans ton portefeuille, une photo de quelqu’un. C’est monétisable ? Quelle valeur lui accorder ? Ça dépend ce qu’on entend par valeur. Ça dépend ce qu’on est prêt à faire. Un mec (ou une nana) mal-intentionné(e) pourrait en profiter pour accéder à des informations sur tes proches, te kidnapper un fils ou une petite-fille, et te faire chanter. Mais dans ce cas, que faire si Bernard Arnault (le produit, et non plus la personne) en vient à être incarné par un autre encore ? Et une heure après encore un autre ? En fonction de la personne sur laquelle on tombe, qui sait comment on peut ou non réagir à une demande similaire. Pour beaucoup de gens, le sort de tes proches ne les émouvra pas. Cela pose un autre problème : comment passer Bernard Arnault au prochain utilisateur ? Est-ce que c’est comme la grippe ? Est-ce qu’un échange de salive, un éternuement, une main accolée à la barre du métro, pourrait suffire ? Est-ce plus complexe que ça ? Est-ce que ça se transmet par le langage ? Est-ce sexuellement transmissible ? Dans une ville comme Paris, puisque je vis à Paris, comment savoir en une journée le nombre de personnes que l’on croise ? Qui détermine à qui j’envoie quelque chose d’aussi inhabituel et d’anodin que le fait d’être pour une heure une tierce personne, fût-elle l’une des plus riches du monde ? Quand je me regarderai dans la glace, quel visage oserai-je voir ? Qu’en est-il de ma mémoire, mes pensées, mes idées, mes concepts ? Qu’en est-il de ma pression artérielle, de mes rêves si je dors, de mes espoirs si je vis, de mes soucis si je suis tourmenté ? Les tiens ou les miens ? Ou un agrégat de données autres, issus d’un amalgame de pensées utilisatrices précédant la mienne, un genre d’historique poreux de nos expériences mélangées. Par exemple, lorsque Daniel Craig sort de l’eau dans Casino Royal, a-t-il en mémoire le moment où, quand il était Sean Connery, il voit Ursula Andress faire de même dans James Bond 007 contre Dr No ? Ou bien les pensées des personnages sont-elles cloisonnées pour éviter que ne débordent sur d’autres d’alarmants troubles de la personnalité ? Après tout, qui sait par quelles mains douteuses tu as pu passer avant de parvenir en ma possession. Une heure dans la peau de Bernard Arnault, c’est donc peut-être un piège. Pour ce que j’en sais, un piège tendu par toi. En réalité, si je suis toi une heure, je suis sûr d’être déçu de ce que je vais découvrir. Tu marches dans la rue, je veux dire je marche dans la rue, et tu t’approches d’un guichet automatique dans une rue un peu déserte, pour n’être pas reconnu par autrui j’imagine, et là, tu ne fais rien, tu ne retires rien. C’est juste pour regarder tes comptes, un geste que je ne fais presque jamais soit dit en passant, j’aurais donc à me forcer. Là, le chiffre que tu vois sur l’écran est sans commune mesure avec les chiffres qu’on voit passer dans la presse. Tout de même, c’est une somme rondelette. Mais ce n’est pas cent et quelques milliards. Où sont passés tous ces milliards ? Bien sûr, c’est une somme fictive. Ou plutôt : c’est une projection en cash de la valeur boursière de la somme des actions que tu possèdes, mais ce n’est pas du cash. Il suffirait d’un krach (la catastrophe boursière et non la super-créature marine) pour réduire tout ou partie de ta fortune au néant. Ce n’est pas le cas de James Bond qui, lui, de surcroit, certes n’est pas aussi riche qu’on t’imagine, mais a le droit de tuer. As-tu le droit de tuer ? À la tâche dans des ateliers surexploités, possiblement sous des mains ouvrières de huit ou neuf ans ? Y-a-t-il de ça chez Vuitton, ou chez n’importe quelle marque à ton nom ? Je me souviens que chez mon premier employeur parisien, avec ses bureaux squattés rue du Louvre tout à côté d’un chirurgien esthétique qui (true story) s’appelait docteur Mamelouk, les mecs (français) qui « sourçaient en Asie (c’est comme ça qu’on appelle les gens dont le métier est de trouver des usines pour fabriquer des produits destinés à un public occidental) nous disaient un brin gêné : bien sûr, il y a des inspections. Mais en réalité on n’a aucun moyen de savoir qui produit quoi dans ces usines. Et quel âge ils ont. Ça fait réfléchir. Ça fait réfléchir ? Vraiment ? Mais sur quoi est-ce que je tape cette lettre, à ton avis ? Sur quoi passe la musique que j’écoute pendant que je compose ce texte ? Sur quoi sont projetés ces mots par celles et ceux qui les lisent ? Qui a fabriqué ces choses, et dans quelles conditions ? Quand on espère une remise pour le black friday ou le cyber monday, qu’est-ce que ça implique à l’autre bout de la chaine ? Comme le disent les professionnels du langage d’aujourd’hui et de la communication : comment savoir qui est impacté ? Il y a quelques semaines ou quelques mois, tu as inauguré une usine Vuitton avec ton pote Trump au Texas. Qui travaille dans ces usines ? Où sont-elles situées ? De quel côté de la frontière ? Pour quelle main d’œuvre ? Qui commet les meurtres (le plus souvent de femmes) de l’autres côté de la frontière, à Ciudad Juárez. As-tu lu 2666 ? As-tu lu Le journal de la crise de Laurent Grisel, la Crise de Joachim Séné, Le soulèvement des machines d’Alexandre Laumonier ? Comptes-tu lire L’homme heureux du même Joachim Séné (tu devrais) ? Lis-tu quelque chose et si oui quoi ? Faut-il encore lire de nos jours ? Qui peut dire ce qu’il est important de faire, ou de ne pas faire, dans une époque tourmentée comme la nôtre ? Es-tu tourmenté quand quelqu’un devient toi pour une heure du fait d’un CD promotionnel vendu sous blister avec un magazine chez un marchand de journaux ? Qui touche les royalties de toi ? Qui explore et exploite ton image ? Quand une photo de toi paraît dans la presse, qui appuie sur la détente, je veux dire sur le déclencheur de l’appareil photo ? Et dans quel but ? Est-ce ton meilleur profil ? Quelle marque de lunettes de soleil portes-tu dans les gradins à Roland-Garros ? Si j’étais toi une heure, qu’irai-je faire à Roland-Garros ? Si j’étais toi une heure, qui me dit que je ne ferais pas précisément la même chose que si je m’étais retrouvé là au même endroit à être tout simplement moi cette même heure ? Ne serait-ce pas la plus belle leçon de vie qu’on puisse imaginer ? Aurais-je alors envie de m’acheter mon âme, sachant que je ne serais plus, pendant cette heure tout du moins, assez moi-même pour la considérer mienne ? Je crois que ce que j’essaye bien maladroitement de dire dans cette lettre, c’est : sommes-nous réellement si différents l’un de l’autre ? Non : sommes-nous encore de la même espèce ? On répète souvent : je me souviens ce que je faisais le 11 septembre 2001, ou le 13 novembre 2015. Je me souviens même de ce que je faisais en mars 2011 le jour du tsunami au Japon. Une catastrophe, ça te marque. Mais se souvient-on de ce que nous faisions les jours de catastrophes financières ? Que faisions-nous le 15 septembre 2008 quand Lehman Brothers a fait faillite ? Et les jours et semaines précédant ça ? Non. Non, non. Que faisais-tu, toi ? Est-ce que ça nous aiderait d’être toi une heure pour le savoir ? S’en souvenir comme si nous étions nous ? Cela nous mettrait-il sur la voie d’une possible façon d’occuper cette heure et, si oui, comment ? Bon, on pourrait se dire : débarquer dans un grand restaurant étoilé, et passer cette heure à sa table, et ne rien retirer de notre temps imparti qu’un florilège de ce qui se fait de mieux en matière de nourriture gastronomique. Mais en une heure, a-t-on le temps d’aller jusqu’à un restaurant, d’y entrer, de commander quelque chose de raffiné, de se faire servir, de le savourer, et d’en ressortir rempli d’une forme de bonheur digestif ? Quand bien même le temps ne serait pas un problème. Admettons. Que se passerait-il au moment d’enfourner dans notre bouche (la mienne ? la tienne ?) la première fourchetée de quelque chose de si incroyablement élaboré qu’on aurait jusqu’alors jamais imaginé manger ça de notre vie ? Que se passe-t-il si au moment du premier contact entre une langue et ce met, entre des papilles gustatives et cet aréopage de saveurs (sic), on se rendait compte que ce corps n’était effectivement plus le nôtre ? Que le goût des choses avait changé en même temps que le vaisseau nous faisant passer d’une personne (nous) à une autre (toi) ? En d’autres termes, que se passe-t-il si l’on réalise alors que plus rien n’a le goût de rien, que tout est comme qui dirait altéré par le goût de soi, le goût de la bouche qu’on porte, le goût que la langue lèche, le goût donc de la tienne ? Est-ce réellement un met raffiné que l’on mange, ou bien une autre part de toi ? Une extension du domaine de Bernard Arnault, dans une main en extension d’elle-même par le biais d’une fourchette design et rutilante ? Quelle déception ce serait. Et quand bien même on ferait abstraction. Admettons que ce repas, il est bien le meilleur repas de notre vie tout entière. Ne passerions-nous pas notre temps, derrière, à nous poser cette question : ce repas, qui l’a apprécié, qui l’a savouré, qui l’a digéré, Bernard Arnault ou toi ? Ceci étant, si j’étais toi, je pourrais faire des choix de vie plus réfléchis. Par exemple, cet ouvrage collectif à la gloire de Vuitton commandé à Gallimard juste après avoir pris une participation dans la maison d’édition, on en parle ? J’en aurais bien cité quelques extraits, mais on n’en trouve pas sur le web, ce qui ne peut vouloir dire que deux choses : soit personne ne l’a acheté, et encore moins lu (notons que les critiques serviles qui se sont chargés d’en rendre compte n’ont pas l’air de l’avoir lu non plus, ils se sont contentés d’en recopier le communiqué de presse), soit c’est trop honteux pour être partagé à quiconque. Ou peut-être un peu les deux ? À n’en pas douter, les autrices et auteurs impliqués ont-ils pu (et elles) manger au râtelier du mécène, ce qui a pu leur permettre de voir venir quelque temps, ou de se consacrer à des projets littéraires d’envergure (?). Mais franchement, ça ne fait pas très sérieux. J’aurais opté de mon côté pour des choix plus radicaux. Guyotat faisant l’apologie d’un baise-en-ville Vuitton, cela aurait eu plus de gueule. C’est facile de se moquer. Pire : c’est même gratuit. D’autres choix sont sans doute plus stratégiquement compréhensibles, mais néanmoins fatigants. Racheter Les Échos pour qu’ils disent du bien de toi. Racheter Le Parisien pour qu’ils disent du mal des pauvres 6. C’est un peu gros. On se croirait dans une télénovela. Dans ces séries-là, le milliardaire est toujours le méchant. Et l’âme un concept bien réel qui permet de faire se réincarner des personnages qu’on croyait morts en personnages revenants, ou en jumeaux maléfiques sortant de nulle part. On te prête d’ailleurs le projet de racheter l’équipe de foot du Milan AC et d’y réassocier Pep Guardiola, l’entraîneur le plus cher de la planète, avec Lionel Messi, le recordman des ballons d’or. En cela, tu prendrais la succession, certes indirectement mais tout de même, de Silvio Berlusconi. Paye ton jumeau maléfique. Dans la série Urgences (ER), on n’a pas recouru à de telles ficelles narratives : si on excepte les dernières saisons (la série a résolument sauté le requin après la mort du Dr Romano tué par un hélicoptère et ne s’en est jamais réellement remise), c’était une série sérieuse. Julie Delpy a d’ailleurs joué dans quelques épisodes. Elle incarnait une française un peu conne, qui s’enamourait d’un médecin, lui-même européen, et un peu con aussi. Est-on con en Europe ? A-t-on les cons qu’on mérite au sommet des hits parades de l’indécence et de l’argent ? Ai-je réellement besoin de vendre mon âme à toi pour voir ma vie changer ? La dernière fois qu’une transaction a changé ma vie, le produit en question ne m’a coûté qu’un euro cinquante. C’était un livre, acheté d’occasion. Il ne vaut donc pas rien, mais presque rien. Y a-t-il une leçon de vie à en tirer ? Par exemple, que tout est dans ce presque ?

    Nul besoin de jamais me répondre.

    Bien cordialement,

    GV


  • ↑ 1 À part cette scène au cours de quoi je passe tant de temps devant une glace que je finis par découvrir que mon crâne est un tissu de trous sans fond qui cèdent.

    ↑ 2 Mais avant de descendre à l’arrêt de la 1 une vague soudaine, envie d’aller pousser, voyant précisément que l’arrêt est presque au bout de cette ligne, ce que jusque-là j’ignorais, jusqu’au rond point de la porte Maillot voir les lapins qui vivent dessus, là-bas.

    ↑ 3 Et en rentrant j’achèterai Les saisons.

    ↑ 4 

    (...) parce que, dit l’aînée, tant qu’on n’a pas perdu son père ou sa mère on ne peut pas savoir, pas comprendre, ni seulement imaginer quel bouleversement représente un tel événement, comment sa propre vie sera à jamais dévastée, puisque ensuite on ne vit plus qu’occupé de cette peur-là, celle de la perte possible, dans la conscience aiguisée que nul recours ne sera possible.

    ↑ 5 Notons quand même qu’entre le moment où j’ai commencé à écrire cette lettre et le moment de sa mise en ligne, ta fortune estimée a encore eu le temps de grimper, passant d’un peu plus de 100 à 111 Milliards de dollar (111,3 pour être exact).

    ↑ 6 J’ai l’impression d’avoir emprunté cette phrase (ou ces phrases) à quelqu’un, mais je ne me rappelle plus qui...