Paris ressemble à ça : une espèce de bateau gigantesque plein de voûtes et de pierres et c’est rond. Le truc prend l’eau. D’abord, ce sont les bus qui coincent. Puis le métro est mort. L’eau monte. C’est Titanic. Quelqu’un dit, j’ai jamais nagé que dans Titanic. Le film où l’évènement ? Le grondement des eaux venantes et la pression sur le corps de la ville ça nous pousse à la peur. Les rues sont désertées, les gens ils courent. On est trois quatre, on se cache dans un coin. C’est une place gigantesque dont on imagine l’ensevelissement par l’eau à venir. Curieusement quelqu’un dit qu’on sait d’avance comment se termine le film, c’est un avantage, le film se finit bien. On mime des gestes pour voir si c’est jouable de vivre. Survivre je veux dire. Quelqu’un nous mène plus bas, là où l’eau est déjà en dormance. Une fenêtre ouverte sur l’extérieur nous prouve que oui, la ville est un navire. À la fenêtre et sous la mer on peut respirer presque. L’air est duveteux, et pauvre en oxygène, mais c’est mieux que crever. Difficile de redormir après. À en juger par la lueur dehors, doit être quelque chose comme 5h. J’ai personne à qui dire j’ai besoin de bouger. De mouvement. Faut que je dégage. J’emporte l’anthologie du Général Instin, Climax, Umami, la Kobo, un carnet pour écrire, un carnet pour croquer, des stylos, plusieurs, et un truc pour la pluie. Et je m’en vais rouler. Besoin de la quiétude pour écrire, à la main, un truc comme un début d’article sur le Général pour Rue89. Cimetière. Pas là pour le vitrail originel mais pour retrouver quelque chose que j’avais ressenti il y a dix ans au Père Lachaise : l’impression d’une ville en sommeil, d’entendre ça du haut de la colline. C’est pas le bon cimetière donc, par conséquent oui, c’est le bon, il y a de l’aléatoire ici. À un moment je me suis vu ne jamais m’arrêter de rouler, continuer jusqu’à ce que le jour se termine. Quand j’ai levé la tête, c’était rue des Rondeaux. T. et E. ont habité là un moment, avant de déménager pour ailleurs (avant de déménager pour ailleurs (avant de déménager pour ailleurs)).

À un moment je me suis vu ne jamais m’arrêter de marcher dans les allées pavées mais non. Me suis mis là, à l’ombre. Pas ressenti ce que j’ai ressenti il y a dix ans au moment d’aborder la fin de la déclivité. Et la quiétude est loin. Des mausolées bizarres. On entend encore la respiration blanche du monde. Sirènes de flics montent jusqu’ici. Bien sûr, j’ai pas écrit une ligne mais j’ai lu et je me suis décroché de la hargne des heures. Plus tard, je saurais pas dire quand, un gardien est venu me chercher avec une cloche car ils allaient fermer. J’ignorais tout de cette histoire de cloche, l’adresse à moi de loin et puis la fermeture. Un chat est venu de nulle part. J’ai enregistré ça : tout. Le temps assis à lire, le bruit des pas venant sur les pavés, la cloche, l’adresse à moi de loin, le chat fuyant, la désertion du cimetière, et le retour lentement au hasard des ruelles. Il faudrait que je m’impose un interdit du temps et de l’espace. L’interdit du temps, ce serait de ne jamais savoir l’heure, ne plus jamais avoir conscience de ça. L’espace, ce serait un tabou de la carte. J’ai pas peur de rouler en vélo, même ici, même si c’est tumultueux des fois. Ce dont j’ai peur, c’est de la carte. C’est vivre dans les mouvements avant qu’ils aient lieu. Il est encore question de temps. J’enregistre ça quand je pense. Ça s’est pas imprimé sur la bande mais c’est là. Plus personne n’imprime rien sur de la bande alors. Je regarde pas où je vais et je vais au hasard. Je tourne là où je me dis qu’il faudrait. Je finis par tomber quelque part où c’est ça, où tu te dis je sais. Je laisse descendre seule la machine sans trop de coup de pédale, très lentement, le long des boulevards des Maréchaux ou que sais-je. Que sais-je. Concert de jazz dans une cour d’immeuble et la pierre réverbère. Plus haut, un panneau qui dit ça :

MADAME ALLEZ VOUS PASSER ENCORE VOTRE PROCHAIN DIMANCHE TOUTE SEULE DANS VOTRE COIN À PARIS ? HOMME 66ANS, SÉRIEUX, PARIS MENILMONTANT, MÊME SITUATION, VOUS TEND LA MAIN POUR PARTAGER BALADES, SORTIES, RESTOS, ETC... ET PEUT-ÊTRE AU FIL DU TEMPS COMPLICITÉ ET TENDRESSE À BIENTÔT

À un endroit très chiant de l’avenue quand tu montes pour retrouver rue T. chez toi, les racines pètent l’asphalte de l’intérieur, c’est-à-dire en dessous. Des cloques en sont à se former.


lundi 18 juillet 2016 - vendredi 3 mai 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)