Je termine doucement le GEnove de Benoît Vincent : j’ai pris un temps interminable pour le lire et c’est un luxe accordé à moi-même que ce temps. Je connaissais presque tout de ce livre déjà pour avoir beaucoup lu et écumé la version web initiale, mais c’était ne rien connaître du tout de ce livre recomposé, réinventé ici. C’est une ville avec ses recoins et ses strates, temporelles, géologiques, d’odeurs et de saveurs (c’est un livre qui donne faim). Une ville épuisée dit le sous-titre, en tout cas animée, ventriloquie de ville, et puis un autre luxe encore à le lire : on peut aller partout et dans n’importe quel sens. Suivi celui de la Marelle des 81 chapitres mais on pourrait tout aussi bien rebondir à chaque appel de pages et ne jamais s’en sortir réellement, et ne jamais savoir, non plus, où l’on en est. Une grande impression de déambulation très lente et très douce, dans la lumière et dans le vent.

Gênes est une ville qui se découvre par surprise. Surprise, la vue de celui qui débarque comme une flèche sur la Sopraelevata 1. Surprise de sortir de l’ascenseur urbain et de te retourner 2. Surprise de la route des crêtes 3. Surprise des rues du centre historique 4. Surprise des saveurs de leur cuisine 5. Surprise des pluies, surprise de la lumière 6.

Benoît Vincent, GEnove, Nouvel Attila / Othello, P.71-72

Et puis c’est un livre d’une finesse et d’une élégance d’objet remarquable, ce qui ne gâche rien. Dans La ville fond, la ville on ne la verra jamais. C’est une image pixelisée en fond d’écran, hyper présente, mais qui ne se rapproche jamais même quand le personnage s’avance vers elle. C’est un faux open world, qui se déplie et se replie aléatoirement à mesure que le livre progresse (bugs de collision, points de vue difractés, parfois contradictoires, routines saccadées). Assez différent de Saccage mais néanmoins toujours dans cet après qui ne témoigne plus seulement de la fin d’un monde mais aussi d’une fin de toute temporalité.

Devant l’école, Bram s’accouda au portail et vit dans la cour des bandes d’enfants taper du pied dans des petits tas de sable. Les petits tas de sable avaient l’air de petits tas de cendres. Certains enfants étaient allongés sur le sol et semblaient faire la sieste, leur tête reposant sur le ventre de porcs morts.

Quentin Leclerc, La ville fond, Les éditions de l’Ogre, P. 143

1272 mots pour Eff, tendus, sur ma lancée. De l’eau qui coule et qui inonde tout un morceau de route sur laquelle on marchait. C’est probablement métaphorique de quelque chose mais j’ignore encore quoi (ou bien alors c’est simple, simpliste même, frontal d’une certaine façon : c’est la tristesse, un deuil). Autres mots recopiés de mardi (736) et jeudi à la gare de Nîmes (713). Et je prends plus de plaisir à m’imaginer écrire ce que deviendra Morphine qu’à l’écrire effectivement, du coup je retarde le moment : le moment de m’y mettre. Je lui ai accolé un titre l’autre jour, Mourir 18 fois de suite : probablement pas le dernier mais. Peut-être que la réponse à l’énigme de l’articulation du texte c’est tout simplement de se servir des flash-forward comme autant de souvenirs à l’envers, et tout serait ainsi ancré dans le présent sibérien (qui est aussi notre futur), avec un fort attachement à l’endroit, comme je le souhaitais. Ça m’est venu en me disant, aussi, qu’il fallait lire Sebald (cherché un moment dans des rayons puis plus). Svetlana Alexievitch, dans Les cercueils de zinc sur la guerre en Afghanistan : Moi, je n’ai rien rapporté de là-bas sauf l’éclat qu’on a retiré de mon corps. Quant à la pyramide dans laquelle je suis coincé depuis des jours il a fallu que je fasse quelques modifications tactiques dans l’équipe : Bartz est Berserk, Kirile mage du temps / mage blanc et Faris ninja.


vendredi 11 août 2017 - vendredi 20 juin 2025




↑ 1 Ici un lien menant vers le chapitre « Sopraelevata et Sottoripa » qui commence par la phrase Tu les prends ensemble, elles se défient, elle se coursent et se mêlent, parfois, dans les jours de grand vent.

↑ 2 Là un lien pointant sur « Ascenseurs et funiculaires » : Ascenseurs publics et funiculaires, relativement nombreux sur le territoire de la ville du fait du dislivello (dénivelé), font partie intégrante du système de transports urbains (et il y a encore deux autres liens possibles dans cette phrase, on ne les détaillera pas ici, car c’est sans fin cette histoire).

↑ 3 Lien vers « La ligne verte » : Le territoire urbain est si vaste, il est si coincé contre la mer...

↑ 4 Lien vers « Caruggi » : Le centre historique de Gênes est dit-on le plus grand d’Europe.

↑ 5 Lien vers le chapitre « Cuisine » : La cuisine est le fruit de la fantaisie et du savoir-faire des hommes, combinés aux mânes et aux contraintes d’un territoire.

↑ 6 Lien pointant vers « La ville pointillée » : Tu as commencé ce texte, ce matin, la nuit avait cédée à la tempête...

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Article publié Article 200525 GV il y a 4 heures
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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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